III-2. Géopolitique de la Roumanie
Bastion avancée de la latinité à l'Est,
située néanmoins au coeur de l'Europe, la Roumanie a subi tout au
long de son histoire la pression des empires austro-hongrois, ottoman et russe.
La Roumanie s'affirme aujourd'hui comme l'un des pivots stratégiques des
Balkans en fusion. Plus encore, elle joue les rôles de sas à mi
chemin de l'Orient et de l'Occident, ouverture européenne entre la
Turquie et la Russie.
Pivot d'abord par sa façade de la mer noire. Longtemps
géopolitiquement neutralisée parce que Mare Nostrum
du bloc communiste (URSS, Bulgarie, Roumanie), la mer noire retrouve en
cette période de chaos et d'incertitudes tout son intérêt.
Espace déterminant pour l'Ukraine, la Russie, les nouveaux Etats
caucasiens (Géorgie, Ossétie, Abkhazes), les nations balkaniques,
elle suscite toutes les convoitises, à commencer par celle des Turcs. A
travers deux traites de coopération technique, l'un rassemblant les pays
turcophones d'Asie centrale, l'autre rassemblant toute la cote occidentale de
la Mer Noire, la Turquie affine et renforce sa stratégie d'encerclement
de cette région du monde. Sans parler des liens entretenus avec les 10%
des Musulmans de l'ex-Yougoslavie. Point de passage oblige de ce pantouranisme:
la Mer noire et la ville de Constanta, fenêtre portuaire de la Roumanie.
Dans cette perspective la Roumanie présente d'autres
intérêts que celui d'une nation riveraine. Son importance
stratégique et commerciale augmente encore avec l'ouverture depuis peu
du canal « Rhin-Danube ». Cette liaison fluviale
s'écoulera entre les villes allemandes de Bamberg, au nord, et de
Regensburg, au sud, et reliera le Danube au Main, affluent important du Rhin.
Les bateaux pourront naviguer sans contraintes de Rotterdam jusqu'au port
roumain de Constanta sur la Mer Noire, empruntant ainsi 3355 kilomètres
de voies naturelles et de canaux interrompus. C'est dire si Ankara et Moscou
jugent Bucarest à sa juste valeur.
Pivot géostratégique, la Roumanie l'est aussi en
raison de son identité spécifique, affirmée au milieu des
nations slaves. Fruit d'une subtile alchimie de latinité, de
« balkanisme » et de byzantinisme, elle demeure la plus
énigmatique de toutes les nations de l'ancien bloc de l'Est. Ainsi,
Brasov, Constanta, Cluj-Napoca, Iasi, Timisoara (villes
roumaines), mâtinent-ils leur identité entre les exclamations
débonnaires des ruelles de Naples et la langueur sévère
des bâtiments des cites de la Mitteleuropa. Ce manque de
lisibilité de la société roumaine doublée de
l'entropie post-totalitaire qui la caractérise - absence de classe
moyenne, éradication de tous les corps intermédiaires librement
constitues, chaos politique et social - constitue un vecteur permanent de
déstabilisation interne. Déstabilisation qui serait fatale
à la fragile reconstruction commerciale et politique qui s'opère
aujourd'hui autour de la mer noire.
Francophone et francophile, elle a été
particulièrement brillante dans l'entre-deux-guerres. Pont culturel
naturel entre l'Occident et l'Orient, la Roumanie dans ce début du
XXIème siècle a affirme un nombre considérable de
défis, de sorte qu'elle fait partie de l'Union Européenne depuis
2007.
Enfin, la Roumanie cache en son sein le ferment de deux
conflits frontaliers majeurs avec l'ex Moldavie soviétique et la
Hongrie. Pour l'instant si le pouvoir en place se garde bien d'intervenir en
Bassarabie, conscient du risque d'affronter de front les positions moscovites,
sa position à l'égard de la minorité hongroise reste de
nature à irriter Budapest. A témoin, son attitude
résolument hostile aux populations magyares, notamment lors des
incidents survenus au printemps 1991 à Targu-Mures.
Toutefois, la Roumanie actuelle ne ressemble en rien à
la caricature inacceptable que lui est proposée presque
journalièrement par des medias avides de sensationnel. Ainsi le
problème des minorités est en voie d'y être résolu,
de plus en plus nombreux sont les enfants abandonnes ou handicapes qui sont
pris en charge de manière sérieuse et convenable, une lutte
réelle a été engagée par un Etat qui se reconstruit
peu à peu, etc. Mais effacer les séquelles de 45 ans d'un
marxisme particulièrement paranoïaque n'est pas chose si simple.
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