Chapitre2 :L'utilisation des identités
comme moyens de renforcement de l'unité de l'Etat
La reconstruction de l'Etat domine la préoccupation des
entités africaines, depuis surtout le lancement du renouveau
démocratique. Le succès de ce processus est lié aux types
de remèdes apportés aux causes de l'effondrement des
systèmes politiques et de l'autorité de l'Etat. Dans ces pays
issus de la colonisation, les identités sont souvent indexées
comme l'un des obstacles majeurs au fonctionnement de la
société.
L'option levée dans la plupart de ces Etats est celle
du rejet des identités qualifiées de source de tensions et de
conflits. L'édification de l'Etat parait à l'opposé de
toute reconnaissance de la participation des groupes identitaires à
l'exercice du pouvoir.
Ce rejet se concrétise souvent dans les
différentes constitutions organisant le pouvoir de ces pays. Les
groupes identitaires n'acceptent pas non plus cette mise à
l'écart d' où l'éclosion des conflits identitaires. Ainsi
c'est cette résistance qui donne aux hommes politiques
l'opportunité d'exploiter le phénomène identitaire comme
moyen d'accession, d'exercice et de conservation du pouvoir.
Cette utilisation politicienne des identités explique
les tensions et les conflits divers qui émaillent l'histoire du
continent.
Eu égard à cette situation, les Etats cherchent
des voies et moyens de leur nouvelle édification. Dès lors, il
convient de se questionner sur la meilleure manière d'user de
l'identité pour qu'elle ne soit pas un obstacle mais un appui à
la consolidation de l'unité de l'Etat.
La diversité des groupes ethniques, religieux ou
linguistiques dans un pays peut représenter sans doute une assurance,
sinon contre les conflits identitaires, du moins contre le risque qu'ils
dégénèrent en guerre civile. Et quand celle-ci a lieu
malgré tout, cette diversité peut y jouer un rôle
modérateur.
Ce n'est pas, comme on le pense souvent
l'hétérogénéité culturelle, linguistique ou
religieuse qui est dangereuse pour la paix civile ; c'est le refus
d'accepter cette hétérogénéité et la
volonté de réduire à un seul affrontement entre deux
groupes homogènes la diversité des groupes, des
intérêts et des conflits qui existent normalement dans une
société.
Ainsi, il nous semble que l'utilisation des identités
comme moyens de renforcement de l'unité de l'Etat passe
nécessairement par la reconnaissance et la participation des groupes
identitaires à la gestion des affaires publiques (section1) et par le
développement de stratégies destinées à submerger
les identités locales au profit d'une identité nationale
dominante (section2)
Section1 : La reconnaissance et la
participation des groupes identitaires à la gestion des affaires
publiques
La reconnaissance et la participation des groupes identitaires
à la gestion des affaires publiques constituent en réalité
un gage pour la préservation de la paix et de l'harmonie
sociale .En effet lorsque les groupes de population minoritaires sont
assurés de leurs droits ,lorsqu'ils peuvent participer pleinement
à la vie politique ,économique et sociale de leurs pays,lorsque
leur apport culturel est reconnu ,ils acquièrent alors le sentiment de
sécurité indispensable à l'élimination de la
tension et des conflits entre groupes identitaires.
Nous allons donc mettre l'accent successivement sur la
reconnaissance des identités dans l'affirmation de l'Etat-nation
(paragraphe1) et la participation des groupes identitaires à la gestion
des affaires publiques paragraphe2).
Paragraphe1 : La reconnaissance des identités
dans l'affirmation de l'Etat-nation
Cette reconnaissance passe nécessairement par la prise
en compte des spécificités propres à chaque groupe
identitaire (A) et par l'éducation à une culture citoyenne
(B).
A- La reconnaissance des
spécificités propres à chaque groupe
identitaire
S'il est une spécificité qui est
irréductible aux sociétés africaines d'hier et
d'aujourd'hui, c'est bel et bien la reconnaissance de la diversité des
nations ou des peuples, des langues, des cultures, des territoires etc.
Certes la colonisation européenne a détruit
systématiquement les appareils de l'Etat multinational et
balkanisé les nations et les territoires correspondants. Mais elle a
créé de toutes pièces, une multiplicité
d'entités politiques chevauchant une multitude de nationalités
dont la superposition complexifie encore la situation d'antan.
Ainsi dans de telles circonstances, il va de soit que la
volonté de vivre ensemble est liée au respect de l'autre, tel
qu'il est selon sa culture. Tel est le postulat qui a conduit à la
création, par les sociétés plurales, du droit à la
différence, pour utiliser le langage d'aujourd'hui.
Celui-ci est à la fois un droit de l'homme et un droit
des peuples car il reconnaît à toute personne humaine et à
toute nation ethnique, le droit de pratiquer sa langue, sa religion, sa
culture, de revendiquer son appartenance national-ethnique et de la
défendre s'il y a lieu.
C'est dire donc que l'unité nationale doit être
fondée sur l'égalité et le respect mutuel, la
tolérance et l'interdépendance des différentes
communautés, la lutte contre le tribalisme et la géopolitique. C'
est pourquoi la démocratisation de la société, qui
privilégie la loi du plus grand nombre, ne peut ignorer les droits des
minorités.
L'identité culturelle de chaque communauté doit
être reconnue et préservée en d'un enrichissement mutuel
.A cet égard l'assemblée générale des nations unies
a adopté le 16 décembre 1966 ,le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques dont l'article 27 dispose
que : « dans des Etats où il existe des
minorités ethniques ,religieuses ou linguistiques,les personnes
appartenant à ces minorités ne peuvent être privées
du droit d'avoir avec les autres membres de leur groupe leur propre culture ,de
professer et de pratiquer leur religion ,ou d'employer leur propre
langue ». Ainsi force est de constater que la reconnaissance des
spécificités propres aux groupes identitaires constitue à
bien des égards une condition « sine qua non»
à l'édification d'une véritable nation. Toutefois, il y a
lieu de préciser que la prise en compte de ces
spécificités se doit d'être globale et non exclusive les
uns des autres, pour favoriser un dialogue au sein des Etats africains.
Le refus du droit aux différences ethniques,
religieuses ou linguistiques se révèlent être l'une des
erreurs les plus lourdes de conséquences héritées du
passé politique de l'Afrique .Ce refus de la différence est en
effet allé de pair avec une répression qui, partout a abouti
à des conflits .Ainsi la force du lien ethnique, religieux, linguistique
est un facteur décisif qu'il faut se garder de sous-estimer d'où
la nécessité d'une culture citoyenne.
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