B. Une personnalité fondée sur les missions
de l'ONU
La personnalité juridique internationale de l'ONU n'est
pas expressément reconnue dans la charte constitutive. Malgré
deux articles mentionnant et y faisant référence (82),
les dispositions de cette charte ne mentionnent pas clairement une
capacité juridique internationale pour l'ONU. Pour conclure à la
personnalité internationale de l'ONU la Cour va suivre un raisonnement
en deux étapes.
En s'appuyant dans un premier temps sur la permanence de l'ONU
et sur certains éléments de sa structure, la Cour a d'abord
posé que l'organisation possédait bien une personnalité
juridique. Pour affirmer le caractère international de cette
personnalité, elle a évoqué les missions internationales
de l'ONU : maintenir la paix et la sécurité internationales,
développer les relations
82 Voir les articles 104 et 105 de la Charte des
Nations Unies
internationales entre les nations, réaliser la
coopération internationale dans l'ordre économique, intellectuel
et humanitaire. Pour que ces missions puissent être remplies,
l'organisation devait disposer au moins implicitement de la personnalité
internationale.
La Cour Internationale de Justice estime donc que «
l'Organisation était destinée à exercer des fonctions et
à jouir de droits (...) qui ne peuvent s'expliquer que si l'Organisation
possède une, large mesure de personnalité internationale et la
capacité d'agir sur le plan international ».
Ainsi, il est vrai qu'on imagine difficilement que l'ONU
puisse mettre en oeuvre ses fonctions et accomplir ses missions sans que lui
soit reconnue la personnalité juridique internationale. La
personnalité juridique internationale reconnue aux organisations
internationales engendre donc des conséquences particulières.
§ 2. Position de la Cour
Dans son avis consultatif du 11 avril 1949 relatif à la
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, la CIJ,
nous l'avions dit au chapitre précédent, indique que : Les
sujets de droit dans un système juridique ne sont pas
nécessairement identiques quant à leur nature ou à
l'étendue de leurs droits; [...] et parvient à la conclusion que
l'ONU est un sujet de droit international, qu'elle a capacité
d'être titulaire des droits et devoirs internationaux et qu'elle a
capacité de se prévaloir de ses droits par voie de
réclamation internationale (83).
(83) Cii. Recueil 1949, p. 178 et 179.
A. La reconnaissance de cette personnalité par la
CIJ
L'ONU qui aujourd'hui représente l'organisation la plus
élevée et aussi celle qui a la plus grande
représentativité s'est vu reconnaître tardivement la
personnalité lui permettant de poser ses actes à l'ensemble des
états de la communauté internationale.
C'est cette décision implicite de reconnaître une
personnalité internationale à l'ONU qui fait l'objet de l'avis
consultatif de la Cour Internationale de Justice du 11 Avril 1949
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies. Cet avis a
fait suite à la mort en service de l'un des agents de l'ONU en 1948,
à savoir le Comte Folke Bernadotte, envoyé par elle comme
médiateur en Palestine (Israël). C'est posé la question de
savoir si l'ONU avait la qualité pour présenter contre le
gouvernement responsable une réclamation internationale en vue d'obtenir
réparation des dommages causés à elle-même comme
à la victime ou à ses ayants droit.
La Cour Internationale de Justice a en effet répondu
à cette interrogation en proposant une analyse de la qualité
même ainsi que la capacité d'agir d'un sujet de droit
international : l'ONU. L'avis qui représente la genèse de la
reconnaissance nouvelle de la personnalité internationale de l'ONU,
entraîne des conséquences sur la capacité juridique d'agie
de l'ONU.
Si l'avis de la Cour Internationale de justice constitue une
décision nouvelle que certains qualifient d'audacieuse, c'est
certainement parce qu'elle fonde (84) la personnalité de
l'ONU sur ses missions.
84 Le fondement juridique de cet avis de la Cour se
trouve dans le dictum qui a trait à la « pratique », selon
lequel : [...] les droits et devoirs d'une entité telle que
l'Organisation doivent dépendre des buts et des fonctions de celle-ci,
énoncés ou impliqués par son acte constitutif et
développés dans la pratique. [...]". On trouve le même
raisonnement dans l'avis consultatif de la Cour de 1962 relatif à
Certaines dépenses des Nations Unies et dans celui de 1971 relatif
à la Namibie.
La reconnaissance de la personnalité juridique
internationale des organisations internationales est le fruit d'une suite
d'incohérences juridiques. Les Etats étaient au départ,
selon les juristes de droit international, les seuls à
bénéficier de la personnalité juridique internationale.
Ainsi, une organisation internationale telle que la Commission
Européenne du Danube, possédant des pouvoirs d'administration, de
réglementation et de juridiction en matière de navigation sur une
partie du fleuve, se voit dans une impasse juridique. Face à ce
problème les Etats membres de cette organisation n'ont pas trouvé
d'autre justification que de nommer l'organisation « Etat fluvial ».
Là se trouve l'incohérence juridique et l'idée de la
reconnaissance de la personnalité juridique internationale aux
organisations internationales commence à poindre.
Et c'est la SDN qui développera timidement cette
idée, et qui donc commencera à voir une personnalité
juridique en dehors du moule étatique. Cette nouvelle perception
inspirera la Cour Permanente Internationale de Justice (CPIJ) qui modifiera sa
vision sur la nature juridique de la Commission Européenne du Danube.
Pour la CPIJ, la possession de compétences internationales est enfin
dissociée de la possession de la souveraineté. Mais la
personnalité juridique internationale des organisations internationales
n'est pas encore reconnue. Il faudra attendre notre avis de la C.I.J. (Cour
Internationale de Justice) du 11 avril 1949.
La Charte des Nations Unies ne contenant aucune disposition
faisant apparaître la présence d'une quelconque
personnalité internationale de l'organisation, la Cour Internationale de
Justice a donc dû procéder à une interprétation
particulière pour l'admettre.
Sachant que les organisations internationales existent
grâce aux Etats et que cette personnalité entraîne
inévitablement une certaine autonomie d'action vis-à-vis des
Etats fondateurs et même des autres. Il est donc
compréhensible que les Etats, par peur d'une trop
grande autonomie des OI aient été si longtemps réticents
à la reconnaissance systématique de leur personnalité
internationale.
En effet, la reconnaissance de la personnalité
internationale revient à accorder à l'Organisation Internationale
la capacité d'agir de façon autonome dans le cadre des relations
internationales. L'organisation internationale va engager sa volonté de
manière autonome, elle n'aura pas besoin de l'accord des Etats membres
pour conclure un traité, mener des actions diplomatiques ou encore
recruter du personnel et c'est à ce sujet que l'on peut parler de «
piège de l'inter étatisme ». La décision de la Cour
paraît sans nul doute audacieuse !
B. Les conséquences de cette
reconnaissance
Les organisations internationales sont des groupements
d'Etats. Cette qualité leur confère des caractères
juridiques originaux qu'on ne peut percevoir qu'en le comparant avec leurs
éléments composant. Comme celles des Etats, leur condition
statutaire résulte de droit international et du droit interne, qui font
d'elles des sujets et, quoique de façon plus restrictives que pour les
Etats, leur confèrent la capacité légale. Contrairement
à l'Etat et ses sujets, dont le statut légal est initialement le
produit du droit interne et n'est déterminé qu'ensuite par le
droit international,l'organisation, qui ne doit son existence qu'à son
acte constitutif, trouve les élément qui forme son statut dans
l'ordre juridique international. Celui-ci intervient cependant d'une
manière pour déterminer ses attributs légaux en attribuant
une personnalité et une capacité internationales.
Afin de faciliter la comparaison entre l'organisation
internationale et l'Etats, on a adopté un schéma très
voisin de celui de l'étude des qualités correspondantes dans
l'Etat. Si, comme on l'a dit alors, la personnalité d'un être
collectif se caractérise par sa double qualité
d'être corporatif et de sujet de droit, l'organisation ressemble bien sur
ce point à un Etat. A ce niveau, l'organisation a en effet une existence
propre, distincte de l'agrégat des Etats qui la composent, et entretient
avec les ordres juridiques des rapports immédiats qui font d'elle un
sujet de droit ; elle a en outre une capacité d'agir dans l'ordre
international.
En effet, l'existence légale de l'organisation aux yeux
des Etats dépend avant tout de sa reconnaissance. Pour les Etats
(membres par exemple) la reconnaissance de l'organisation comme être
corporatif différent de ses composants résulte de leur
qualité de parties eu traité constitutif, dans la mesure
où il attribue à des organes le pouvoir de faire des actes
imputables à l'organisation et non aux Etats. En outre,pour les Etats
tiers, c'est-à-dire non membres de l'organisation, le traité est
sans pertinence parce qu'il ne crée aucune obligation à leur
charge et ne permet pas aux organes de faire des actes ayant sur eux des effets
légaux.
Ainsi, la reconnaissance de l'organisation par les tiers comme
être distinct résulte moins d'actes exprès que de
comportement attestant leur acceptation tacite de la qualité de
l'organisation pour présenter l'intérêt collectif de ses
membres ou ses intérêts propres.
Par ailleurs, des pouvoirs légaux sont reconnus aux
organisations internationales dans la mesure où ils sont
nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Le principe de
spécialité qui les gouverne toutes exclut la reconnaissance d'une
capacité d'agir internationalement comparable à celle des Etats :
sujet dérivé, chacune d'elles n'est capable de faire que ce que
ceux avec qui elle traite veulent bien la voir faire, mais aucune n'est
privée d'une capacité comportant au moins un certain nombre de
pouvoir substantiels et d'autres légales.
Substantiellement, les organisations se voient habituellement
reconnaître une aptitude à la confection d'actes juridiques dans
le domaine de leur compétence et à l'imputabilité de faits
juridiques. Dans ce cas l'organisation s voit imputer les comportements de ses
organes et de ses agents ; il en résulte particulièrement qu'elle
a une capacité délictuelle et peut de ce fait engager sa
responsabilité internationale.
Quant à la capacité processuelle, l'organisation
dispose des voies de droit, propres à l'ordre international, qui leur
permettent de poursuivre la réalisation de leurs droits subjectifs parmi
lesquels le pouvoir de réclamation pour les dommages subis et le pouvoir
d'action contentieuse (85)
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