III LES REPRESENTATIONS TERRITORIALES
1. Le territoire et la nation
Comment ces auteurs articulent-ils la conception qu'ils se font
de la nation et le territoire qu'ils étudient ? Y a-t-il
interaction entre l'une et l'autre ?
Dans la problématique qui est la leur, le territoire est
souvent désigné sous l'expression « géographie
du pays ». En quoi « la géographie du
pays » favorise-t-elle ou défavorise-t-elle la cohésion
d'un groupe ?
Reprenant l'idée selon laquelle les Albanais ont une
identité floue, Gaston Gravier invoque la participation de la
géographie à cette indétermination et considère la
physionomie du terrain comme élément explicatif : le
morcellement physique est à la base de l'étrécissement
des horizons de l'Albanais qui quitte rarement sa vallée et ne peut
donc avoir le sens d'aucune unité. Il est aussi à l'origine des
attitudes les plus diverses des Albanais lors des guerres :
certains d'entre eux peuvent combattre aux côtés des Turcs
alors que d'autres soutiennent les Serbes ou les Monténégrins en
fonction des vallées ou des régions d'où ils sont issus.
Venant après des développements conséquents sur l'absence
d'unité religieuse et l'absence de conscience nationale des Albanais, on
serait tenté d'y voir une tentative d'explication globale qui tourne au
déterminisme et qui tente de justifier une position idéologique
de départ.
Si le compartimentage est donc mis à contribution, il est
un autre argument qui est utilisé : celui de la
discontinuité spatiale. Appliqué aux Koutso-valaques (Roumains de
Macédoine), Gaston Gravier explique l'absence d'identité
nationale qui les caractérise par le fait qu'ils se répartissent
en îlots épars, dispersés parmi les autres peuples et qu'un
sentiment d'unité ne peut émerger que s'il y a un territoire de
dimension telle qu'il puisse être pris en considération.
L'argument consiste donc à dire que ne peut être
considéré comme nation qu'un groupe qui pourrait
matériellement se constituer en Etat (ou disposant d'un territoire
pouvant faire l'objet de négociations entre Etats) et reviendrait
à nier le fait qu'un groupe ayant conscience de son unité
(linguistique ou religieuse comme c'est le cas des juifs ou des tziganes)
puisse exister en dehors de tout territoire. Cet argument d'appropriation de
l'espace qui fonde l'Etat-Nation constitue un apport occidental plus ou moins
étranger aux conceptions de la nation chez des populations balkaniques
longtemps soumises au joug ottoman et incapables de se déterminer par
rapport à un attachement territorial. Il génère
inévitablement antagonismes et tensions dès lors que chaque
« nation » veut se doter d'un territoire exclusif, lequel
est forcément difficile à circonscrire.
Chez Yves Châtaigneau, la volonté de faire
intervenir la réalité géographique est également
présente mais vise à faire en sorte qu'elle vienne au secours de
l'unité yougoslave et la justifie. Les deux mots de
complémentarité et de solidarité sont alors mis à
contribution pour suggérer (beaucoup plus que pour expliquer)
qu'à la solidarité des régions naturelles de la
Yougoslavie correspond une solidarité nationale. Un extrait de la
conclusion de son article sur la Yougoslavie mérite d'être
mentionné à ce propos :
La Yougoslavie se distingue par son unité et sa
vitalité, malgré les circonstances historiques qui ont
séparé ses habitants au cours des siècles. Elle est
peuplée d'une même race et ne compte pas en réalité
un dixième d'allogènes. Elle est formée de régions
naturelles différentes d'individualités historiques,
variées par leurs ressources, mais solidaires les unes des autres.
(Annexe 2, n° 2, p. 109-110)
Yves Châtaigneau considère donc que des
régions très différentes peuvent être solidaires
parce que leurs ressources se complètent mutuellement.
C'est la reprise des arguments de Cvijic qui les avait
considérablement plus développés dans un ouvrage
publié sous pseudonyme en 1915, intitulé l'unité
Yougoslave et dans lequel il insistait sur les voies de passage comme
éléments de rapprochement des populations.
Sans que les faits de circulation ne soient mentionnés
comme ciment de cette solidarité, c'est aussi la reprise des conceptions
de Vidal de la Blache, mis en pratique par Emmanuel de Martonne dans la
configuration des « espaces solidaires » en Roumanie dans
le cadre de son travail d'expertise à la conférence de la paix
(Boulineau, 2001a).
De même, la présentation des mouvements
métanastasiques et des types psychiques dans la partie introductive des
Pays Balkaniques de la Géographie Universelle Vidal/Gallois n'est pas
fortuit et relève du même souci. Dans l'esprit de Cvijic, les deux
phénomènes, intimement liés, expliquent la formation de la
conscience nationale des slaves du sud. Le premier processus correspond
à de vastes mouvements migratoires de populations slaves qui
opère un brassage au gré des flux et reflux des empires ottoman
et austro-hongrois et d'où sont sortis des « types
psychiques ». Ceux-ci sont divers mais sont tous la
déclinaison d'une seule et même ethnie, celle des slaves du sud et
donc manifestent de la réalité de l'unité slave.
On pourrait être tenté de dire qu'aux faits de
circulation invoqués par Vidal de la Blache ou Emmanuel de Martonne se
substituent des faits de migration invoqués par Cvijic et repris par une
grande partie des géographes français dont Yves
Châtaigneau.
Mais l'opinion la plus nuancée est bien celle d'Emile
Haumant. S'interrogeant sur ce qui fait l'identité serbo-croate et le
rapprochement possible des deux branches slaves, il considère que la
géographie peut aussi bien partager que réunir en fonction des
circonstances : telle barrière montagneuse peut se
révéler infranchissable pour deux groupes nationaux
différents à une certaine époque ou au contraire
constituer un espace refuge commun pour ces mêmes groupes à une
autre époque.
Dans son compte rendu de l'ouvrage de Gaston Gravier sur les
frontières historiques de la Serbie, il affirme que du point de vue
géographique la Yougoslavie est le prolongement naturel de la
Serbie : ce sont les mêmes montagnes, les mêmes
vallées, les mêmes plaines. Le cadre est commun à toutes
les populations qui y vivent et personne ne s'y trompe puisque les limites les
plus contestées du nouvel Etat ne sont pas des limites
intérieures mais les frontières maritimes qui sont justement les
mieux marquées. En même temps il admet que ce cadre
géographique est fragmenté en une multitude de compartiments, que
ces compartiments sont à l'origine de différences humaines,
lesquelles, exploitées de façon insidieuse, peuvent alimenter les
rivalités à l'intérieur du pays. Le territoire, lui, est
une donnée objective qui peut réunir ou différencier mais
non désunir. La géographie n'est donc pas en
cause dit-il (Haumant, 1919, p. 147). C'est donc bien ce que font les
hommes de leurs différences qui est en cause c'est à dire la
mauvaise volonté qu'ils ont à les accepter.
Et il lance un appel aux géographes (et indirectement
à Yves Châtaigneau) :
Pour montrer que cette fragmentation n'est pas un obstacle
à l'unité nationale, il faudrait une nouvelle étude,
à la fois historique et géographique, qui serait la suite de
celle de Gravier. Nous souhaitons qu'elle soit l'oeuvre du successeur qu'il
aura à l'Université de Belgrade. (Haumant, 1919, p.147).
Ce qui rapproche Haumant de Châtaigneau, c'est bien que le
nouvel Etat groupant les populations slaves est présenté comme
intangible.
De ce point de vue, le plus « vidalien » des
géographes des Balkans se révèle être Jacques Ancel.
Il explique l'unité de civilisation balkanique par la communauté
des genres de vie c'est à dire en grande partie par le caractère
rural commun aux différentes nations et par les types d'associations
géographiques qu'on y trouve partout (association villes/campagnes,
plaines/montagnes...)
Pour lui, les genres de vie sont le ferment de coagulation
nationale. Ils font fi des limites linguistiques et des frontières
politiques et le morcellement physique de l'espace n'empêche pas
qu'une telle unité de civilisation terrienne et démocratique
doit conduire à une union.(Ancel, 1930 réédition
1992, p. 205).
La géographie, seule, étant évidemment
impuissante à rendre compte des nations, il est significatif que Jacques
Ancel (mais Yves Châtaigneau, Emile Haumant et Gaston Gravier le font
également à leur manière) en appelle à la
démocratie selon la tradition française.
Sa définition géographique de la nation
mérite qu'on la cite :
N'y a-t-il pas entre la terre et l'homme des liens
permanents, qui expliquent, en partie, cette agglutination inconsciente ?
Ce sont ces liens naturels, qu'après Vidal de la Blache les
géographes nomment les « genres de vie ». Un genre
de vie commun peut créer une union dans un petit cadre. Ici il s'agit
moins de genres de vie communs que de genres de vie différents, qui se
juxtaposent dans une civilisation spéciale. Une nation est une
combinaison harmonieuse de genres de vie. (Ancel, 1930a, p.108).
Ces liens entre l'homme et la terre sont repris par Jean Brunhes
et Camille Vallaux mais dans un sens différent. Selon eux, les
migrations intenses des Balkans n'ont pas permis le développement
suffisant d'un attachement (qu'ils qualifient de mystique) au sol,
nécessaire pour y engendrer des formes d'Etat. Il y a eu ballottement de
la population qui, non définitivement ancrée au sol, n'a pas fait
naître ce sentiment de cohésion qui peut résulter de la vie
en commun sur une même terre.
On le voit : alors que la plupart des géographes
comme Gaston Gravier et Yves Châtaigneau sont dans la lignée de
Cvijic et prennent en compte les conséquences
« psychiques » des migrations en tant
qu'éléments fédérateurs, Jean Brunhes et Camille
Vallaux en voient plutôt des conséquences territoriales
désagrégatrices. Les uns défendent l'idée de la
formation d'un sentiment national dans l'extra-territorialité, les
autres introduisent le territoire comme élément indispensable
à cette formation, ce qui leur fait dire que si les groupes ethniques
sont encore en flottement dans les Balkans, c'est que la cohésion
entre les hommes semble plus dépendre de leurs affinités
ethniques ou politiques que de leur implantation terrestre.(Brunhes et
Vallaux, 1921, p. 655).
La cohésion d'un groupe est, selon Brunhes et Vallaux, un
élément forgé à partir des passions historiques et
de l'attachement viscéral à un lieu de vie. C'est donc bien dans
l'opposition ou dans la conjonction de ces deux facteurs, autrement dit dans la
combinaison de l'histoire et de la géographie, que peut naître ou
se disloquer une nation. L'union trop éphémère des groupes
humains avec le sol des Balkans explique donc leur état
d'adolescence.
2. Les frontières
Les frontières ne sont pas un sujet neuf pour les
géographes du début du XXe siècle. La géographie
historique en avait fait un de ses sujets favoris sinon le premier. La
particularité essentielle de l'espace des Balkans durant la
période concernée, c'est qu'il en favorise l'étude :
sur son sol se dessinent successivement de nombreux tracés et de non
moins nombreuses rectifications s'opèrent, généralement
par compromis, après des guerres et des traités.
Tout ceci a comme un avant goût d'après guerre et de
ce point de vue, il y a bien un parallèle entre le développement
des réflexions sur les groupes nationaux et celui d'une production sur
les frontières.
Dans son unique ouvrage Les frontières historiques de
la Serbie, Gaston Gravier n'échappe pas au parti pris, ni à
la tendance naturelle qui consiste à utiliser les critères qui
l'arrangent le mieux dans la justification des frontières de la Serbie.
Tout en condamnant le principe des frontières naturelles qui ne sert
en fait qu'à mieux déguiser les intérêts en jeu
(Annexe 1, n°1, p.147), il déplore la méconnaissance du
terrain de ceux qui sont appelés à se prononcer sur les
tracés et le mépris des diplomates vis à vis du voeu des
populations.
Pour autant, les réflexions en fin d'ouvrage se
démarquent singulièrement de la reconnaissance du droit des
peuples dès l'instant où cela ne concerne pas l'idée
nationale serbe. Conditions naturelles et souvenirs historiques sont
appelés à la rescousse pour justifier l'expansion de la Serbie
vers le sud notamment le rattachement du Kosovo et de la Macédoine et la
mission nationale d'affranchissement qu'elle entend poursuivre ne sert
qu'à mieux cacher la volonté plusieurs fois
réitérée de voir la Serbie s'offrir un
débouché sur la mer. Prenant conscience d'ailleurs de sa position
intellectuellement délicate, voici ce qu'il écrit à propos
des macédoniens :
Seule, la dernière annexion peut laisser craindre une
disproportion, mais il faut se rappeler la puissance des moyens d'assimilation
dont disposent les peuples d'aujourd'hui (école, armée, journal,
livre...). L'état si arriéré des nouveaux territoires
aide, d'autre part, à comprendre mieux encore combien la force de
résistance, à supposer qu'il s'en rencontrât une, se
trouvera réduite au minimum.(Annexe 1, n° 1, p.157)
Les frontières sont ici justifiées par la puissance
d'assimilation de l'Etat notamment par la vertu politique de
l'égalité dispensée par la démocratie et
réalisée entre anciens et nouveaux sujets. Elle l'est
aussi par les départs provoqués par l'annexion elle
même : Gaston Gravier rappelle que chaque extension de territoire
pris sur la Turquie est suivi d'un exode des Musulmans habitant le pays, ceci
pour des raisons agraires essentiellement.
Ainsi, tandis que la Serbie agrandissait son territoire, la
nationalité serbe se constituait. Elle se livrait à un travail
incessant d'épuration et d'assimilation.(Annexe 1, n° 1,
p.159)
Assimilation, épuration... après conflit
armé et sur fond de marchandages politiques entre Etats Balkaniques et
puissances occidentales : quoi de plus significatif dans la constitution des
frontières des Balkans que ces deux processus qui se font au
détriment des groupes nationaux ?
En ce sens, Gaston Gravier est bien dans la lignée de
Cvijic dont Michel Roux (Roux, 1992, p.184) rappelle, en ce qui concerne
l'Albanie, la propension à utiliser différents arguments en
fonction du projet d'extension territorial voulu : soit on invoque le
principe de la défense stratégique du pays, soit celui des
intérêts commerciaux, soit celui de l'unité
géographique ou économique des régions, soit celui des
droits historiques.
Et ce sont bien ces derniers droits, indépendamment de
toute composition ethnique, qu'avance Jean Brunhes pour justifier de l'annexion
du Kosovo par la Serbie après les guerres balkaniques :
Lorsqu'on parcourt le vieux pays serbe récemment
reconquis, la terre du Kossovo, la vieille terre des vieux monastères du
XIVe siècle, on ne peut s'empêcher de songer à la
reconquête de la Terre de France par Jeanne d'Arc sur les Anglais. Ce
n'est pas une conquête, c'est une reprise du patrimoine religieux et
national. (Brunhes, 1917, p. 24)
Il n'est pas jusqu'au droit du vainqueur qui ne soit
évoqué par Gaston Gravier lorsqu'il s'agit, en 1913, de tracer
des frontières pour l'Albanie : il importe, dit-il, de tenir compte
de l'effort accompli par le vainqueur (en l'occurrence la Serbie) et que lui
revienne des bénéfices territoriaux. L'Albanie ne doit être
constituée que d'Albanais de vraie roche, ce qui revient
à dire que les territoires de population mixte doivent être
intégrés à la Serbie.
Tous ces géographes pourraient être contredits par
Jacques Ancel lorsque celui-ci conclue dans sa Géographie des
frontières qu'« il n'y a pas de problèmes de
frontières. Il n'est que des problèmes de nations ».
Encore faut-il trouver des nations constituées. Et c'est bien là
le problème des Balkans.
En 1919, pour Yves Châtaigneau la situation est
différente. Il s'agit d'entériner les choix frontaliers
effectués par la conférence de la paix de 1919. Cette attitude
est partagée par la grande majorité des géographes
français de l'entre-deux-guerres d'abord parce que beaucoup d'entre eux
y ont participé et ensuite parce qu'il ne peut y avoir de nostalgie vis
à vis d'Empires centraux oppresseurs mais bien davantage un attachement
réel aux nouvelles nations issues de la guerre. La nouvelle Europe est
la solution la moins mauvaise au problème des nationalités, elle
apporte aux peuples anciennement soumis à la fois la libération
nationale et la démocratie. La remettre en cause c'est jouer un jeu
dangereux, celui d'un retour à la guerre dont personne ne veut.
Tout au plus peut-on signaler les réticences d'un Henri
Hauser qui souligne que la proximité géographique des peuples
n'est pas synonyme d'un « vouloir vivre
ensemble » :
La naissance de Etats nationaux a compliqué la carte
culturelle de l'Europe. Les Slaves de l'Ouest, les Tchèques, ont toutes
leurs aspirations tournées vers l'occident. En est-il de même des
Balkaniques ? Chez les Slaves du Sud, malgré l'unité
yougoslave, n'y a-t-il pas conflit entre l'européenne Zagreb et
l'orientale Belgrade ? (Hauser, 1926, p.684-685)
De même pour un observateur journaliste comme F. Delaisi
les traités de l'après-guerre ne débouchaient sur aucune
solution satisfaisante ni du point de vue des nationalités, ni du point
de vue de l'efficacité économique :
Dès lors, deux alternatives s'imposaient aux auteurs
du traité de Versailles : ou tracer les frontières selon les
limites ethnographiques et faire des Etats viables ; ou élargir les
limites selon les besoins économiques et y enfermer des populations de
nationalités diverses. On appliqua la première méthode aux
ennemis (Autriche, Hongrie, Bulgarie), la seconde aux amis (France,
Tchécoslovaquie, Pologne, Serbie, Italie). Dans les deux cas, on obtint
les plus fâcheux résultats.(Delaisi, 1925, p.446)
Réflexion qui peut faire dire, qu'en effet, les Etats
vaincus dont on a cherché à limiter l'étendue
présentent finalement une plus grande homogénéité
nationale que les « Etats-enfants » de l'espace
balkanique.
Jacques Ancel a également des réticences vis
à vis de certaines frontières comme celle entre l'Albanie et la
Yougoslavie qu'il considère établie à partir de
marchandages politiques entre grandes puissances, lesquelles ont
été incapables de constater la langue maternelle (Ancel,
1938, p. 121), ont refusé toute collaboration des indigènes et
ont utilisé le principe des lignes naturelles.
En réalité, surtout pour les Balkans où
beaucoup de marges floues en matière ethnique ne se prêtent
guère à une démarcation linéaire entre Etats, les
frontières ont été le résultat de longs pourparlers
et rarement celui de l'application première du principe des
nationalités. Mais pouvait-il en être autrement ?
Dès lors qu'il est impossible ou très difficile de
tracer des limites linguistiques, d'autres critères ont prévalu
(intérêts stratégiques des Etats, solidarité
économique des régions, débouché maritime, voies
ferrées) et malgré les efforts consentis, on a obtenu dans ces
zones ethniquement mêlées des cotes mal taillées et des
compromis jamais entièrement satisfaisants pour tout le monde. Cela ne
pouvait donner lieu qu'à des rancoeurs ainsi qu'à de multiples
revendications notamment chez les pays
« révisionnistes ».
Yves Châtaigneau adopte la position du pays
« satisfait » qu'est le royaume des Serbes, Croates et
Slovènes de même qu'il adopte la position générale
de la diplomatie française qui est de défendre le statu-quo en
matière de frontières. Parce qu'il considère
l'unité yougoslave comme acquise, il s'interdit de remettre en cause ses
limites dès lors que l'injustice envers le nouvel Etat n'est pas trop
flagrante.
Or, il est une injustice qu'il soulève dans plusieurs
articles. C'est celle de la frontière Ouest avec l'Italie qui prive la
Yougoslavie des ports de Trieste et de Fiume, qui n'a été
établie que pour satisfaire les demandes stratégiques de l'Italie
et surtout qui abandonne 500000 yougoslaves à la domination
étrangère. La frontière ne tient donc aucun compte de la
nationalité des habitants et la formulation qu'il utilise mérite
d'être signalée tant elle est rare chez cet auteur :
Un noyau allogène aussi farouchement attaché
à sa nationalité n'est pas annexé sans
inconvénient. Sa perte sera vivement ressentie en Yougoslavie où
il eût été, comme le fut l'Alsace dans la vie
française, un élément d'ordre et
d'équilibre.(Annexe 2, n° 2, p. 96)
La même argumentation se retrouve chez Jacques Ancel,
lequel précise que la responsabilité en repose en partie sur la
politique étrangère de la Yougoslavie inspirée de
l'élément serbe, lequel est bien plus soucieux du Sud du pays que
de l'Ouest.
Cela dit, considérant comme la plupart des
géographes de l'époque, que le découpage de l'Europe
d'après guerre répond mieux que les anciens Empires aux
conditions géographiques, il affirme que les traités de
1919-1923 sont une revanche de la Géographie sur
l'Histoire.(Ancel, 1930a, p.1).
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