I NOTES BIOGRAPHIQUES, PROBLEMATIQUE ET
METHODOLOGIE
1. Gaston Gravier (1886-1915) et Yves Châtaigneau
(1891-1969).
Gaston Gravier naît le 21 août 1886 à
Liffol-le-Grand (Vosges). Yves Châtaigneau est son cadet de cinq
ans : il naît le 22 septembre 1891 à Vouillé (Vienne).
Ils grandissent dans un même milieu social puisqu'ils ont
tous les deux un père instituteur. Ils bénéficient du
système scolaire méritocratique de la IIIe république en
poursuivant leurs études l'un au lycée de Nancy, l'autre à
celui de Poitiers. Leur milieu politique est républicain avec des
antécédents de participation élective pour Yves
Châtaigneau puisque son grand-père a été le premier
maire élu de la commune de la Chapelle-Montreuil en 1791.
Etudiant à l'université de Lille, G. Gravier a pour
professeur et ami Albert Demangeon. Il y apprend la langue russe et accepte
pour les vacances un préceptorat à Kharkov.
Y. Châtaigneau étudie à Paris, y
prépare une licence d'histoire-géographie en suivant les cours
d'Ernest Denis, de Charles Seignobos et surtout d'Emmanuel de Martonne qui lui
révèle sa vocation de géographe.
Tous les deux préparent un diplôme d'études
supérieures sur leur région natale. Gravier se consacre à
la Plaine Lorraine et Châtaigneau au massif ancien du Poitou. Deux
articles des Annales de Géographie sont issus de ces travaux et
publiés sous forme d'extraits (Annexe 1 n° 2 et Annexe 2 n° 1
). Le mémoire de Gaston Gravier est par la suite publié
intégralement à titre posthume en 1920 (Annexe 1, n° 10).
Yves Châtaigneau rédige un second mémoire
annexe sur la diplomatie Russe et la Bulgarie de 1875 à 1878.
En 1909, ayant échoué à l'agrégation,
G. Gravier se tourne délibérément vers les pays slaves et
accepte un poste de lecteur de français à l'université de
Belgrade qu'il conservera jusqu'à sa mort au champ d'honneur à
Souchez (Pas de Calais), le 30 mai 1915.
Yves Châtaigneau, pour sa part, bénéficie en
1914 d'une bourse Rothschild qui lui permet de préparer un voyage au
Monténégro. Mais la guerre éclate.
Il la fait de bout en bout courageusement et brillamment comme
aspirant puis sous-lieutenant puis lieutenant d'infanterie. Il est
blessé au fort de Vaux en 1916. L'année suivante, sa grande
connaissance des langues le fait affecter à une division
américaine avec laquelle il participe aux batailles de Cantigny
(où il est gazé en 1918), de Soissons, de Saint-Mihiel, de la
Meuse et de l'Argonne. Démobilisé en Mars 1919, il revient
titulaire de la légion d'honneur à titre militaire, de la croix
de guerre avec quatre citations françaises, de trois citations
américaines et de la Distinguished Service Cross.
Il se remet aux études et obtient l'agrégation
d'Histoire et de Géographie en 1919 (la mention mutilés
apparaît pour trois lauréats dont Yves Châtaigneau).
En 1919 il est nommé lecteur de français à
l'université de Belgrade c'est à dire au même poste que
Gaston Gravier dix ans auparavant (tous les deux y sont restés à
peu près la même durée : six années pour Gaston
Gravier, cinq pour Yves Châtaigneau) puis titulaire de la chaire de
Civilisation Française à cette même université.
La grande majorité des travaux de G. Gravier ont
été publiés avant guerre et tous ceux qui l'ont
été à titre posthume n'ont pas été
remaniés : il s'agit de son ouvrage sur les frontières
historiques de la Serbie1, paru en 1919, qui devait être sa
thèse secondaire pour le doctorat ès lettres, de son
mémoire de Diplôme d'Etudes Supérieures sur la Plaine de la
région vosgienne ainsi que de deux articles parus dans les Annales de
Géographie en 1921, fragments d'une étude restée
inachevée sur les régions naturelles de la Serbie et qui devait
constituer sa thèse principale.
A l'inverse, toute la production d'Yves Châtaigneau est
publiée après la guerre excepté son article sur
l'émigration vendéenne extrait de son Diplôme d'Etudes
Supérieures et paru en 1917.
2. Problématique et méthodologie.
Essayer de caractériser l'engagement de certains
géographes et de tenter d'expliquer des orientations intellectuelles ou
professionnelles hétérodoxes en cours de carrière est
à l'origine de ce travail d'étude. D'abord envisagé
seulement sur Yves Châtaigneau, il s'est élargi à Gaston
Gravier au vu de son implication particulière dans les Balkans.
Une mise en parallèle de ces deux géographes s'est
imposée dès lors qu'on s'est trouvé en présence de
deux auteurs qui ont travaillé sur le même espace et qui ont
occupé le même poste universitaire.
L'interrogation de départ a donc été de se
demander si les conditions de lieu et d'époque qui prévalent
à leur activité scientifique déterminent le type
d'engagement qui est le leur et la nature des écrits qu'ils
produisent.
1. L'ouvrage a été couronné en 1919 à
titre posthume par le prix Drouyn de Lhuys décerné par
l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
Etant donné les particularités des Balkans,
l'analyse s'est portée essentiellement sur les représentations
nationales et territoriales, à la fois différentes ou
convergentes, que chacun de ces géographes pouvait se forger au contact
de cette région et aux analyses des frontières qu'ils ont pu
développer.
Dans un second temps, l'accent a été mis sur la
dualité intellectuelle qui caractérisent ces auteurs et la
séparation des supports éditoriaux qui préside à
cette dualité.
Il s'est agi tout d'abord de recenser tous les textes
écrits, de les confronter non seulement entre eux mais également
à la production contemporaine des autres spécialistes (pas
seulement de géographes mais aussi d'historiens ou d'ethnologues).
Les sources premières ont été maigres.
Concernant Gaston Gravier, la correspondance entre la famille Gravier et Albert
Demangeon conservée à la bibliothèque Mazarine a
été mise à contribution et a pu nous apporter des
précisions ponctuelles sur son travail et sa production. Nous en avons
tiré quelques extraits. Quant à Yves Châtaigneau, rien n'a
été trouvé aux Archives du Quai d'Orsay pour tenter de
caractériser son engagement diplomatique et politique après sa
carrière universitaire. Quelques documents ont été
trouvés à l'OURS (Office Universitaire de Recherche Socialiste)
mais datant d'une époque bien postérieure à celle qui nous
intéresse.
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