Conclusion.
Les retraités en s'engageant dans une pratique sociale
telle que le bénévolat, contribuent au bien-être collectif.
Ils mettent à disposition d'autrui des savoirs - savoir-faire,
savoir-être, savoir-agir - des compétences, des
expériences, en acquièrent également pour les besoins de
l'action. La vie ne s'arrête pas avec la retraite, et l'éducation
se poursuit jusqu'à la mort.
Si les retraités s'engagent dans une activité
bénévole, c'est avant tout pour se rendre utile aux autres,
« rendre ce que l'on a reçu », étant le
leitmotiv qui revient dans chaque entretien. Ce souhait de se rendre utile
correspond à celui avoué ou non de continuer à jouer un
rôle dans une société qui exclut rapidement ceux qui
sortent du circuit du travail. Il ne s'agit pas uniquement de
« remplissage », de combler un vide consécutif
à l'arrêt d'un métier prenant ou de s'imposer un cadre
temporel. Il y a de l'ordre de quelque chose d'autre, tel que donner du sens
à sa vie, dans une période définie par une rupture, la
retraite. Toutes les personnes que j'ai rencontrées évoquent
leurs compétences, expériences professionnelles mais
peut-être plus encore cette expérience de la vie qu'ils entendent
mettre à profit intelligemment et surtout qu'ils souhaitent transmettre.
Car quelle que soit l'activité bénévole qu'ils ont
choisie, s'esquisse en toile de fond cet impérieux besoin de donner,
d'échanger, de « faire part ».
Ils sont retraités dit-on; mais pas retraités de
la vie. Au contraire, leur engagement dans toutes les formes qu'il peut prendre
est profond, et si plaisir et convivialité sont mentionnés, il
n'y a pas là que la recherche d'un loisir un peu original qui viendrait
compenser un besoin narcissique insatisfait ou éventuellement mis
à mal par le fait d'être écarté du monde du travail,
mais bien une volonté réelle et sincèrement
exprimée de « servir encore à quelque
chose », et peut-être surtout d'expérimenter une
nouvelle façon d'exister, de procurer un sens à cette
troisième partie de la vie par la recherche d'une
« reconnaissance dans une société qui demeure
foncièrement productiviste » (Puijalon et Trincaz, 2000 :
235). Car ces bénévoles sont ancrés dans le concret,
acteurs de terrain proches et attentifs aux autres, directement aux prises avec
les réalités sociales dont ils deviennent, de par les multiples
savoirs mobilisés, des « experts ».
Gardons-nous toutefois de tout angélisme autour du
bénévolat des retraités, lequel ne serait qu'altruisme et
solidarité et ne négligeons pas le poids des normes sociales,
l'intervention des représentations autour du « bien
vieillir », ainsi que la crainte toujours vivace d'être exclu
de la société. Ces éléments sont actifs dans
l'engagement bénévole, qu'ils soient explicitement cités
ou en filigrane dans les motivations. Et finalement, la diversité des
processus à l'oeuvre dans le social, celle des trajectoires
individuelles n'autorisent pas la formulation d'une conclusion explicative sur
les raisons de s'engager.
Grâce à l'approche compréhensive qui est
ici privilégiée, j'ai cherché à saisir à
travers les discours des retraités quels savoirs étaient
mobilisés. Ils sont, on l'a vu, multiples et variés, mais tous
ont en commun de participer à construire du lien social à une
période de la vie souvent assimilée avec retrait social.
Apports de cette note de
recherche.
Interroger la construction/production des savoirs chez les
retraités dans leur engagement bénévole, c'est explorer le
paradigme de l'éducation tout au long de la vie autrement qu'à
travers l'éducation permanente des adultes. Les personnes
retraitées que j'ai rencontrées considèrent que leur vie
sociale n'est pas mise entre parenthèses avec l'arrivée de la
retraite. Il ne s'agit nullement d'une mise en retrait puisque aujourd'hui
retraite et entrée dans la vieillesse ne correspondent plus. Leur bonne
santé, leur dynamisme intact les poussent à faire quelque chose
de ce temps de vie dégagé des responsabilités
professionnelles et familiales (souvent les enfants ont quitté le
domicile). Ils ont plus que jamais envie d'être acteur de la
société, d'y exercer un rôle parce qu'ils
considèrent que leur expérience de vie peut être un apport
intéressant pour autrui. Et un des espaces privilégiés
pour que puisent s'exprimer ces connaissances qu'ils revendiquent est le monde
du bénévolat, le cadre associatif, la participation citoyenne. En
même temps, il y a cette volonté avouée ou non de contrer
les stéréotypes de la personne âgée, du
retraité qui sont toujours actifs dans l'imaginaire et auxquels ils ne
veulent plus correspondre. Enfin, dans une société dite
individualiste, force est de constater que l'impératif de
l'épanouissement personnel, de la réalisation de soi, de cette
nécessité d'être autonome atteint également ce
moment de la vie, encourageant à saisir l'espace et le monde
bénévole pour satisfaire ces exigences existentielles.
Le monde du bénévolat, le monde associatif
réservent des espaces qui sont l'occasion formelle (réunions de
travail, réunions de préparation autour d'un projet) et
informelle (conversations) de transmettre et d'acquérir des savoirs.
Pistes de recherche pour le M2.
Cette note de recherche n'est qu'une première
étape d'un travail plus complet sur les savoirs que mobilisent les
retraités bénévoles et à partir de laquelle, il est
possible de dégager une piste de recherche supplémentaire qui
pourrait être idéalement explorée dans le cadre du
mémoire de Master 2. Il est ainsi clairement apparu que les
savoir-être constitués par les compétences sociales et
interculturelles, les capacités relationnelles, occupent une place
primordiale dans la pratique bénévole puisqu'ils interviennent
au niveau de l'incitation à s'engager et ce sont ceux-là de plus
qui sont prioritairement mobilisés et privilégiés lors des
différentes activités.
En lien avec l'hypothèse principale qui suppose que le
bénévolat à l'heure de la retraite mobilise une
diversité de connaissances, compétences, expériences, et
cela, essentiellement à travers les interactions qui ont lieu au cours
de l'action et pour les besoins de celle-ci, je m'intéresserai à
la place de l'autre, au rôle qu'il est amené à jouer dans
la construction de ces savoirs diffus. Autrui se situe d'emblée, on l'a
vu, au coeur de l'engagement, puisqu'il en est le moteur, une des motivations
premières, une incitation à l'action et le garant de la
pérennité du bénévolat. Mais il intervient
également dans la mobilisation de ces savoirs, ceux-ci étant
co-construits au sein d'un collectif qui apporte à la fois
sécurité et soutien et la condition pour la réalisation
des diverses actions entreprises par les bénévoles. C'est
l'accent sur les aspects de ce travail collaboratif des bénévoles
que je souhaite marquer en questionnant le rôle joué par l'autre,
la place de la communauté dans les apprentissages liés au travail
bénévole.
Postuler une spécificité de la pratique
bénévole des retraités en termes de mobilisation de
savoirs axés sur les savoir-être, les compétences sociales
et interculturelles, est la voie que je me propose donc d'explorer dans le
mémoire prochain du Master 2. Même si les retraités que
j'ai rencontrés ont toujours à coeur de connaître, de
découvrir de nouveaux savoir-faire, d'autres tours de mains, ce qu'ils
paraissent rechercher avant tout, c'est bien le contact humain et à
travers lui, la mise en acte d'une solidarité effective qui passe par un
besoin de transmettre à l'autre de l'expérience de vie.
Peut-être que la retraite au niveau des représentations s'esquisse
comme la « dernière ligne droite » de l'existence,
l'ultime chemin où il est possible de faire quelque chose d'utile, de
servir à quelque chose et surtout à quelqu'un, à quelques
uns.
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