3.4. La motivation dans la
dénomination des journaux au Rwanda
En opposition avec la conception saussurienne selon laquelle
le signe linguistique est arbitraire, donc immotivé, bien de linguistes
ont discuté la motivation et de sa problématique. Nous
commençons par Dubois et al. (2001 :313) d'après
qui : « on appelle motivation la relation de
nécessité qu'un locuteur met entre un mot et son signifié
(contenu), ou entre un mot et un autre signe. » La même
idée est soutenue par Dubuc (1992 :107) qui écrit :
« un terme est motivé quand il laisse transparaître
la notion qu'il recouvre, soit par son étymologie, soit par le sens de
ses composantes. »
Quand on nomme son journal
« Inyâbutâtu » par exemple, on songe
d'abord à la signification première qui est une corde
tressée au moyen de trois liens, pour aller enfin plus loin et faire
allusion aux trois groupes ethniques qui habitent le Rwanda. De même, par
le nom « Ibyiîkigihe » (i-bya-i-ki-gihe) qui
se traduit littéralement par « les choses d'aujourd'hui ou les
événements actuels », créé en 1992,
laisse transparaître de nombreux changements politiques qui se
produisaient dans le pays, de la guerre qui venait de surgir entre le
gouvernement en place et le Front Patriotique Rwandais, etc.
Un signe est également dit phoniquement motivé
« quand la liaison entre son signifiant et son signifié
paraît naturelle, logique ou analogique, ou plus exactement quand il y a
un rapport de solidarité étroite entre la forme du signe et la
réalité à laquelle il renvoie. »(Baylon et
Fabre, 1978 :144). Retenons tout de même ce qu'ajoute Bigirumwami,
(1994 :132) : « le nom est une instruction ou un
indice donné à l'entourage pour interpréter la situation
dans une direction donnée. »
Comme nous l'avons souligné dans l'introduction
générale et appuyé par la conception de ces
différents linguistes sur la motivation, la dénomination des
journaux au Rwanda ne se fait pas au hasard. C'est ainsi que la partie suivante
consiste à analyser quelques réalités qui sont à la
base de la prolifération de ces journaux d'abord, et qui motivent
ensuite leur dénomination
3.4.1. Motivation politique
Depuis sa naissance, la presse rwandaise a été
contrôlée par l'autorité politique. Sauf l'autorité
religieuse qui possédait la grande partie des publications, le reste des
journaux que l'on trouve au Rwanda colonial était sous la
dépendance de l'administration publique. Ce monopole n'allait pas sans
conséquence directe sur l'efficacité de la presse, car on
enregistre l'emploi des journalistes non professionnels qui exerçaient
par contre d'autres activités soit administratives, économiques,
ou religieuses.
Ensuite, au fur et à mesure qu'il y avait des
changements politiques, chaque régime adoptait ses mesures de
gérer la presse favorablement ou défavorablement. Si l'on jette
un coup d'oeil sur les quatre périodes qui ont marqué la presse
rwandaise, on remarque que la période d'entre 1960-1990 est la plus
défavorable à l'évolution de la presse du fait que les
journaux qui ont paru dans cette période de 30 ans sont très
limités et souvent subordonnés à la volonté de
l'autorité ou du parti détenteur du pouvoir. La plupart des
publications de cette période ne sont que des revues ou des bulletins
d'information publiés au sein des ministères et d'autres Cellules
spécialisés ayant l'objectif de faire connaître leurs
programme d'activités voire le programme du gouvernement, comme le
montrent les tableaux du deuxième chapitre. Cette délimitation
est également liée à la dictature qui a
caractérisé les deux républiques et dont le principe
fondamental était de faire taire la population, autrement dit
d'empêcher toute liberté d'expression. Ceci n'étant que
pour protéger l'intérêt de certains individus ou groupes
d'individus.
Un autre effet de la politique sur la presse, contrairement au
précédent, est la prolifération des journaux. Au Rwanda,
ce phénomène se produit à partir des années 90, au
moment où le grand changement politique, provoqué au fond par
l'attaque du FPR-Inkotanyi (Front Patriotique Rwandais), a conduit le pays au
multipartisme. Il y eut dès lors une parution intense des journaux, les
uns soutenant le régime en place et propageant son idéologie, les
autres, en opposition, luttant pour le changement politique, et les autres
encore, s'occupant de la situation sociale.
Ainsi donc, la majorité des noms des journaux
créés dans un tel climat traduisent, il est vrai, les
réalités ou les sentiments politiques du temps. Ce
phénomène n'est pas une particularité de notre pays. Il
est commun à bien des pays en voie de développement, des pays
récemment décolonisés dans lesquels la presse est souvent
utilisée comme une arme à double tranchant, ou bien en faveur du
régime au pouvoir, ou bien en faveur des groupes en opposition. C'est le
cas des journaux comme Umurwaanashyaka (qui vient de kurwana
ishyaka : militer pour une cause, une idéologie
quelconque), Urumuri rwaa
Demokarasi, journal du parti
MDR, Intêerahâmwe, pour
MRND etc. Toutefois, l'ensemble de tout le corpus comprend 67 noms de journaux
sur 236 c- à- d 28.3%.
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