Section 2 - La judaïcité et
l'Occident
L'instauration du protectorat , par le traité
du Palais Bardo du 12 mai 1881, complété par la convention de la
Marsa de 1883, n'a pas soulevé en réalité une vive
opposition de la population tunisienne musulmane(1).Partout dans le monde arabe
, où la France a débarqué , son éruption n'a pas
suscité qu' "étonnement , admiration naïve et vive
curiosité"(2). Elle fût accueillie, par contre,
par la Communauté juive tunisienne avec une évidente satisfaction
.La France aurait fait l'objet , selon un auteur, d'une "acceptation
joyeuse" (3). En fait, les Juifs étaient persuadés qu'ils
tireraient avantage des transformations multiples que la France apporterait
dans le pays . Ils pensaient aussi que leur condition ne manquerait pas de
s'améliorer sous la protection d'une nation qui avait proclamé
les droits de l'Homme et du citoyen et qui avait été la
première à émanciper les Juifs . L'exemple type, c'est
le pays le plus proche, l'Algérie, où les juifs
indigènes, au terme du décret d'Adolphe Crémieux (Ministre
français ) de 1870, étaient devenus des citoyens français
à part entière . Cette politique française suivie
là-bas laissait bien augurer de celle qu'elle adopterait à leur
égard en Tunisie . Ainsi, le protectorat français
représenta à leurs yeux le commencement d'une ère de
liberté et de progrès dans laquelle ils ont mis tous leurs
espoirs. De fait, la colonisation du pays n'allait pas tarder à se
traduire par une chaîne de mutations dont la vie de la Communauté
juive fût assurément affectée.
L'année 1881, date d'établissement du
protectorat en Tunisie , n'était pas une date charnière entre
deux situations sociales pour la Communauté juive tunisienne puisque le
discours revendicatif ( Paragraphe I ) commença
à se systématiser depuis le début du XIX siècle et
ce par un détachement progressif de la société mère
et une marche lente mais certaine vers l'Occident. Le fer de lance de ce
nouveau discours est la collectivité livournaise installée en
Tunisie en vagues successives depuis le XVII siècle ."Twansa-s"
et "Grana-s", deux cultures différentes au sein d'une
même communauté, ont favorisé l'émergence d'un
discours catégoriel (Paragraphe II ) dans lequel
plusieurs courants de pensée s'entremêlaient jusqu'à
l'antagonisme
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(1) Sebag P., op cit p. 135 (2) Arkoun M., La
pensée arabe. Paris, PUF,1979, p.94 (3) Cohen-Hadria E., Les
milieux juifs de Tunisie avant 1914 , dans " Le mouvement social"
, n°7-8-9/ 1967, p.97, cité par Sebag P., op cit p. 173
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