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Le discours religieux en Tunisie: L'exemple de la communauté juive

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par Sadek MTIMET
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis ( Université Al-Manar) - Master en sciences poltiques 2007
  

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B - Contribution cultuelle

La base de la culture de la minorité juive en Tunisie n'est pas spécifique à cette Communauté, le monothéisme est le dénominateur commun des juifs, chrétiens et musulmans en Tunisie . Toutefois, cette Communauté fait partie d'un peuple , sujet d'un dieu "qui combat avec lui dans la guerre et lui accorde ses bienfaits dans la paix "(1). En échange, le peuple lui rend un culte tout spécial, en particulier lui doit des sacrifices

La culture juive repose sur ces fondements et le célèbre récit de la révélation faite par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï en Egypte le confirme :un Dieu, Yahveh, déclare y avoir choisi le peuple juif pour son peuple, et lui propose son alliance (Bérit ) :" Je vais conclure avec toi une alliance. Au nom de tout ton peuple j'accomplirai des merveilles, comme il n'en a été faites dans aucun pays, dans aucune nation " Exode 34 (10)

Cependant il faut noter que dans l'univers juif, le ciel confie le pouvoir a un peuple tout entier avec qui il passe un contrat et prend dans son ensemble certains engagements. Donc, à l'origine, les juifs sont constitués comme une Communauté responsable collectivement devant Dieu, dès lors ce peuple ne peut jamais s'en remettre à qui que ce soit pour décider pour lui. A défaut, il aurait renoncer à son être qui est d'être partie au contrat avec Dieu (2). C'est dans ce cadre cultuel qu'on comprend dés lors l'esprit communautaire des juifs en Tunisie

La culture juive lie donc l'identité juive au culte de Yahveh ( Dieu unique d'Israël): la Communauté juive est une communauté religieuse. Ayant le sentiment qu'ils constituent une nation sans Etat, nation définie par sa religion, les juifs vivant sous domination "étrangère", des goyim, ont dû s'accorder des institutions qui leur étaient imposées ou sont crées par leur soins. En effet, le caractère total de leur religion leur interdisait d'être gouvernés comme les autres: ils ont dû créer des institutions, adaptées à leur situation, garantissant leur statut socio-religieux, un statut d'autonomie sociale qui leur permettait de vivre d'une façon acceptable leur existence religieuse, la seule importante à leurs yeux.

(1) Robin M., Histoire comparative des idées politiques, Paris, Economica, 1988, p.132 (2) Idem, p134

L'Etat tunisien beylical a été particulièrement tolérant avec la Communauté juive. Ils avaient le droit de pratiquer leur culte, de célébrer leurs rites : c'est un usage administratif judiciaire dans la justice charaique tunisienne de ne pas citer, par exemple, un juif en justice le jour de sabbat (Shabbat ). Moyennant la soumission à l'Etat, et quelques actes symboliques (contribution fiscale par le paiement de l'impôt de capitation, différenciation vestimentaire particulière et non flagrante, prières pour le souverain le jour du shabbat ) les juifs jouissaient donc d'une grande liberté . Les beys de la Tunisie, depuis Ahmed Bey, ont toujours demandé la bénédiction ( la Barakha liturgique ) du Grand-Rabbin lors de leur accession au trône husseinite.(1)

Le législateur biblique avait fait de la charité la règle essentielle de la doctrine. Le Talmud, scrupuleusement respecté dans la vie de la communauté, a constitué les assises de la charité religieuse avec les organismes qui en émanent : le Tamhoui ou caisse de nourriture, et la Koupa ou caisse de secours en espèces. Partout à travers l'ensemble du territoire tunisien et dans toutes les villes où il y a une Communauté juive, si petite et si pauvre qu'elle soit, il y a une caisse publique de charité (2) pour faire face aux circonstances sociales défavorables. En réalité, la charité juive puise ses ressources financières dans un impôt obligatoire.

L'administration de la Communauté s'adjugea, dès le XII siècle, le monopole de la viande "cacher" de boucherie, grâce à la schehita (abattage suivant le rite ) dont elle fixait le prix suivant les besoins. Au moyen des bénéfices réalisées, la Communauté pouvait faire face à tous les services du culte, de la bienfaisance et de l'instruction et satisfaire les exigences des autorités locales. En fait, l'obligation de secourir les pauvres, les malades et les infirmes a de tout temps été considérée comme une prescription doctrinale et observée sans défaillance comme un devoir religieux et non comme une simple incitation morale dont l'inobservance dépend de la volonté individuelle de chaque membre de la Communauté

La Communauté relève de l'autorité d'un chef qui cumule généralement la charge du Qâyid des Juifs et la charge de receveur général des finances -trésorier . Ce "hasar ve ha-tafsar " (seigneur et chef ) était chargé de :

- Répartir entre les chefs de famille , selon leurs ressources, l'impôt de capitation ( Jezya ) dont la Communauté est redevable collectivement.

- Représenter le Prince auprès de la Communauté , et la Communauté auprès du Prince.

- Administrer toutes les affaires de la Communauté avec le concours d'un certain nombre de notables les plus instruits et les plus fortunés.

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(1) Sebag P., op cit p 113 (2) Darmon R., La situation des cultes en Tunisie . Paris, A. Rousseau et Cie, 1930, p. 71

Quant aux ressources , elles sont constituées par une dîme aumônière, par une taxe sur la viande des animaux abattus selon le rite , par les offrandes des fidèles, la taxe sur les pains azymes, du produit des dons et des quêtes à domicile , du revenu des legs, du fonds de réserve et des collectes faites dans les synagogues publiques, notamment pour l'acquisition par les fidèles du droit de réciter par préférence certaines prières

La Communauté peut faire face , avec ces ressources, à toutes les dépenses . Elle assure notamment :

- Le fonctionnement de son "Ab bet-dîn", tribunal rabbinique présidé par le Grand-Rabbin

- L'entretien de la Knesseth, synagogue ou maison de prière

- L'administration des écoles , de son abattoir rituel, de son cimetière avec les nombreux préposés qu'il faut rémunérer

- Le solde de sa caisse de secours aux indigents et aux malades

A coté du Qâyid ,il y a une autorité religieuse . Le Grand-Rabbin (Dayanim), président du Tribunal rabbinique veillait au respect de la loi en s'inspirant des préceptes immuables de la Thora et du Talmud , ou loi orale, formée de la Mischna, qui contient l'ensemble des traditions orales, et de la Guémara, qui les développe ,les discute et les adopte aux différentes circonstances de la vie. La juridiction rabbinique se contentait de régler tous les conflits en matière de statut personnel . Le statut personnel juif englobe , entre autres, la fixation de la majorité, le règlement des successions, la nomination et la surveillance des tuteurs, les fiançailles et le dédit , la régularité et la validité du mariage, la ketouba (acte contenant les déclarations du mari sur l'apport de la femme et l'augment de dot), les reprises et la restitution , le "guet" (répudiation), la paternité et la filiation , le droit successoral et les testaments , le levirat (obligation pour le frère majeur d'épouser la veuve de son frère décédé sans enfants ), et les sanctions en cas de refus , les pensions alimentaires

Ceci étant dit , il convient de noter que la doctrine et la jurisprudence , qui se distinguent dans d'autres systèmes juridiques, sont ainsi confondus dans le judaïsme . Alors comme ouvrage didactique , le Tribunal a recours aux commentaires de Maïmonide (XII siècle) ainsi qu'à la très nombreuse littérature savante qui a suivi. L'étude du Talmud fut toujours en honneur chez les juifs , la jurisprudence rabbinique s'enrichit de toutes les dissertations auxquelles il a donné lieu dans le cours des siècles (1). L'ouvrage du rabbin Karo , Le Schulchân Aruch ( La table servie), est la référence de consultation pour les rabbins tunisiens . C'est un abrégé de la loi et

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(1) Chalom J., Les israélites de la Tunisie, Paris, L N D J , 1907, p 58

de la tradition , composé au XVI siècle, et qui a acquis chez les juifs l'autorité d'un véritable code. Il comprend dans la préface toutes les lois usuelles avec leur origine dans le Talmud et l'interprétation des divers auteurs. Cet abrégé remplace le Talmud, les commentaires et les ouvrages des casuistes . Ce "corpus juris" des juifs est composé de quatre livres . C'est un traité pour l'usage des tribunaux et des hommes de loi de la Tunisie (1)

. Malgré leur diversité d'origine , tous les juifs vivant alors sur le sol tunisien , aussi bien les "Grana-s" que les "Twansa-s", étaient des sujets du Bey et relevaient de sa souveraineté .Tout au plus , il était admis qu'un petit nombre de juifs , des courtiers au service des commerçants européens, étaient placés sous la protection des diverses puissances et pouvaient s'en prévaloir . Mais cette protection ne pouvait pas les soustraire à l'autorité du Bey.

Le statut d'autonomie sociale , attribué à la Communauté juive en Tunisie , pendant la période beylicale , a permis à ses membres de vivre , d'une façon acceptable , son existence religieuse . Ce statut puise ses racines dans le pacte de la dhimma réservé aux "Gens du Livre" par l'islam . Il implique , à la fois, une protection discriminatoire par le pouvoir politique contre une contribution fiscale ( la Jezya ) et une intégration communautaire qui exige de la part des juifs une implication culturelle dans le tissu social tunisien .

L'équilibre réussi, réalisé entre la protection discriminatoire et l'intégration communautaire , a encouragé les membres de la Communauté juive à participer activement dans la vie économique et sociale et d'avoir le monopole de certains secteurs commerciaux très lucratifs . Ce sont, en fait, les conditions matérielles pour l'émergence d'un discours religieux de cohabitation .

Les juifs de la Tunisie étaient au courant de tout ce qui se passait en Europe . Ils ont appris au XVII siecle avec un vif intérêt l'extension aux Juifs français de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen Française, réalisée par décret émanant de l'Assemblée Constituante française du 27 septembre 1791. Les décrets napoléoniens du 17 mars 1808 et 20 juillet 1808 (2)ont intégré définitivement les Juifs français dans la nation française et en commun accord avec le Grand Sanhédrin ( le Grand-Rabbin de France).

D'ailleurs , les armées impériales françaises faisaient triompher les principes de la Révolution française dans tous les pays où elles passaient et « émancipaient » d'un coup tous les juifs qu'elles rencontraient . Ainsi , peut-on comprendre l'ardente sympathie à

(1) Ibid, p 58 (2) Kriegel A., Les juifs et le monde moderne ( Essai sur les logiques d'émancipation), Paris, Seuil, 1977 , p. 23

l'égard de l'Occident , et plus particulièrement la France , dont font preuve alors les juifs de la Tunisie .

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore