Section 2 - Le discours juif et l'Etat national :
le temps des choix
" Le 20 mars 1956, la pulsion nationale parvient
enfin à la surface de l'histoire. L'âme de Tunis flotte sur ses
terrasses. Le pays tout entier accourt, culbute, éclate sa nouvelle
identité"(1). L'indépendance tunisienne a marqué un
tournant dans la vie de la Communauté juive en Tunisie. L'accession de
la Tunisie à la souveraineté a entraîné des
changements profonds dans l'organisation des pouvoirs publics comme dans la
condition des personnes. Déjà, la Communauté juive se
divise en deux sur un critère plutôt juridique :
les nationaux et les étrangers . Les juifs étrangers ( de souche
et naturalisés ) ont été amenés à suivre la
colonie française et italienne principalement dans leur retour vers
l'Europe. En revanche, les juifs de nationalité tunisienne se sont vu
reconnaître les mêmes droits et devoirs que leurs concitoyens
musulmans. Les nouveaux dirigeants de l'Etat national se sont attachés
à réaliser l'intégration de la minorité juive
à la Communauté nationale. Les changements touchaient le statut
personnel au niveau des sources du droit applicable et de la juridiction
compétente. Ils ont atteint aussi les institutions communautaires par
une tunisification évidente.
Cette politique, qui donnait aux juifs tunisiens les
droits les plus étendus en tant qu'individus appartenant à une
minorité communautaire, mais leur refusait toute existence en tant que
Communauté minoritaire, marquait en fait une rupture radicale avec la
condition qui avait existé sous le régime du protectorat
français. Mais malgré ces mesures touchant le statut des
personnes, les juifs tunisiens n'ont pas été amenés
à quitter le pays.
En fait l'indépendance de la Tunisie imposa
aux juifs autochtones un choix difficile et douloureux. Nombre de juifs ne
voulaient ni émigrer à destination d'Israël ni aller
s'établir en France, et ils restaient en Tunisie sans avoir à
prendre d'autres décisions que celle de ne pas en prendre. Pour les
porter à demeurer dans le pays natal, malgré les changements
auxquels il fallait s'attendre, il faut l'existence de bonnes raisons et un
grand effort d'extrapolation pour chasser de l'esprit "les vieux
démons" qui reviennent d'une façon cauchemardesque. Pour faire
face à cette situation d'indécision, les pouvoirs publics, dans
le but de "calmer" les esprits troublés, il est vrai , par l'exode d'une
grande partie des juifs de Tunisie soit à Israël soit en France,
ont pris des mesures d'intégration ( § I ) pour
endiguer la panique régnante. Il est vrai qu'Israël et la France
constituaient deux pôles d'attraction d'un puissant aimant où
dans son milieu se trouvait la Communauté juive de Tunisie. Ceux qui
sont restés, malgré la déchirure, ont joué la carte
de l'espoir et ont préféré la terre natale sur la Terre
promise occidentale ou orientale. Mais après quelques années et
tout compte fait, la désillusion s'installait dans l'âme et "le
désenchantement" touchait leur discours, l'émigration (
§ II ) devenait l'ultime choix
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(1) Béji H., Désenchantement national , Essai
sur la décolonisation - Paris: F.Maspéro, 1982,p.9
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