B - Soutien à travers l'action politique
L'adhésion de la judaïcité
tunisienne aux partis politiques et la participation de son élite dans
le débat des idées ont eu lieu depuis l'établissement du
protectorat en Tunisie. L'antisémitisme de la droite française
n'a pas laissé le choix à d'autres alternatives pour les juifs
tunisiens que d'adhérer à la gauche républicaine
française qui se composait essentiellement, en premier lieu, de
socialistes, puis, et depuis 1920, de communistes
1 - La Fédération socialiste de Tunisie
( F.S.T. ) : Cette fédération était
constitué depuis 1908 sous l'impulsion d'Albert Cattan,
médecin juif tunisien qui sera pendant plusieurs années son
secrétaire général. Cette fédération est
admise à la S.F.I.O en 1912. Mais depuis 1921 et après la
victoire de la révolution d'Octobre 1917 et la constitution de
l'U.R.S.S., cette fédération se scinde et donne lieu à
deux fédérations, l'une socialiste réformiste et l'autre
franchement communiste .
L'adhésion à l'une ou à l'autre
fédération ne repose sur aucun critère ethnique ou racial,
ce qui a encouragé un nombre très important de juifs tunisiens
à adhérer et à diriger ces deux groupements à
l'instar de bien d'autres d'origine chrétienne ou musulmane . Cependant,
malgré le caractère politique de ces deux
fédérations, on ne peut les classer parmi les organisations
anticolonialistes du fait de leur lien organique avec les
fédérations de la Métropole ainsi que leurs programmes
d'action qui se limitaient à la critique de la politique coloniale et sa
revendication d'une politique plus juste dans le cadre de la "mission
civilisatrice de la France" en lui rappelant qu'elle a autant de devoirs que de
droits en Tunisie. Les deux fédérations
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(1) Kazdaghli H., op cit, p. 226. (2) Bessis J., Les
Fondateurs , index bibliographique des cadres syndicalistes de la Tunisie
coloniale (1920-1956). Paris: l'Harmattan,1985, p.19
constituaient un pôle de progrès,
d'égalité et de rationalisme qui a eu un effet attractif sur les
éléments de l'élite intellectuelle juive de la Tunisie
coloniale qui voulait dépasser, par l'adhésion à ces
organisations, les solutions conservatrices proposées au sein de la
Communauté d'origine .
Les jeunes juifs tunisiens issus de l'école
laïque française considéraient que "la question juive" en
Tunisie trouverait sa véritable solution à travers la
démarche prônée par la Révolution française
accordant la citoyenneté aux juifs. Mais ils restaient peu explicite
sur le type de concrétisation spécifique qui pouvait lui
être envisagée dans un contexte colonial .
En Tunisie, la composante majoritaire de la
population musulmane commençait à affirmer son identité
à travers un nationalitarisme moderniste qui, justement,
instrumentalisait la religion comme élément de mobilisation .
Alors, dans la mesure où ce mouvement constituait une protestation
contre l'oppression et la discrimination, il paraissait, pour l'élite
juive, légitime et inspirait uniquement la sympathie mais pas au point
d'y adhérer. En réalité, ce qui rendait peu nombreux les
constitutionnalistes juifs, n'était pas, croyons-nous savoir, ni la
référence à l'islam dans l'idéologie des partis
nationalistes, ni "le manque de célérité" dans l'action
politique mais c'était la crainte de leur isolement au sein de leur
Communauté religieuse. Les juifs tunisiens, ayant
développé un discours d'adaptation aux événements,
se gardaient de toute hostilité envers le protectorat qui avait
amélioré leurs conditions d'existence. Le rapport des forces
était en faveur de la France et l'idée de l'indépendance
du pays se perd dans le "vague d'un avenir aussi lointin que la
venue du Messie pour les israélites "(1)
Même ceux, minoritaires, qui
réclamaient la "Constitution", parmi l'élite juive tunisienne,
à l'instar des partis nationalitaires, le faisaient uniquement pour
obtenir un régime plus libéral et non pas jusqu'à la
demande de l'indépendance du pays. C'était donc plus qu'une
précaution oratoire, si l'élite juive sympathisante avec les
destouriens, souligna que la Constitution se tiendrait dans le cadre du
protectorat, et que " le but final serait la bonne intelligence aussi bien
entre Tunisiens et Français qu'entre musulmans et israélites "
( 2 )
Ainsi, la véritable rencontre entre
nationalistes musulmans et juifs tunisiens allait se faire sur le terrain de
l'action syndicale et politique. Beaucoup parmi eux étaient souvent
animés et dirigés par les militants du Parti communiste
2 - La fédération communiste tunisienne
(F.C.T.) : Toutes les sources s'accordaient pour dire que ce sont les
juifs qui avaient participé depuis le début des années
1920 à la mise en place de
la Section communiste de Tunisie ( 3 ) . Depuis la
création de cette Fédération communiste
(1) Smaja G., "la question de la naturalisation : A mon
ami Salah Ferhat du P.L.C." ,in Journal "Tunis Socialiste", Tunis le 16
décembre 1923, (2) Goldstein D., op cit , p.364 . (3) Kazdaghli H.,
"Trois participations tunisiennes dans les congrès mondiaux de
l'internationale communiste " Revue An-Nahj (Damas)
,1989,n°25, p.122 ( En Arabe)
en 1921 jusqu'à la deuxième Guerre Mondiale, ce
sont des juifs qui se sont succédés à la direction de ce
parti de gauche Les tunisiens musulmans ( 'Ali Jerad et Mohamed
Ennafa' ) n'ont atteint l'échelle de direction qu'après
1948. Le phénomène était notoire à un point qu'un
membre de la direction du parti communiste français ( le P.C.F. ), qui
séjourna en Tunisie pendant un mois, rédigea un rapport
adressé au Comité exécutif de l'Internationale communiste
en 1938 dans lequel il relève la question de la prédominance de
l'élément juif au sein du parti communiste tunisien (le P.C.T. )
( 1) .
Sur le plan strictement politique, l'intelligentsia
juive sort de sa réserve accoutumée et entre dans le combat
politique notamment au parti communiste, porteur de l'idéal d'une
société sans classes, sans discrimination et sans
antisémitisme. Peut-être, pourrait-on expliquer le succès
de ce parti auprès d'un grand nombre de l'élite juive tunisienne
par certaines similitudes entre le messianisme juif et le messianisme
socialiste, de sorte que pour beaucoup de juifs croyants -
révoltés par le "silence de Dieu" face au statut inférieur
des juifs ainsi que les persécutions - le passage d'un univers à
l'autre se faisait presque naturellement, suivant la logique d'une
sensibilité et d'une disponibilité en quête d'un
authentique objet d'investissement (2 ). D'ailleurs les jeunes militants juifs
passaient allègrement du sionisme au communisme et inversement surtout
après la Deuxième Guerre Mondiale ( 3 ).
Sur un autre plan , les juifs tunisiens , en
militant au sein du P.C.T., ne sont persuadés de servir les
intérêts de la Communauté dont ils font partie mais de la
société toute entière. Aussi bien, adoptent-ils
l'assimilation au peuple au milieu duquel ils vivent et prennent-ils part
à son combat pour la transformation de la société. De ce
fait, les juifs tunisiens se trouvèrent amenés à affirmer
leur appartenance à "la nation tunisienne" et à vouloir lier
leur destin à celui de leurs compatriotes musulmans (4) . Mais la
"révolution prolétarienne" , qui réalisait la
libération des peuples coloniaux en maintenant des liens avec le peuple
de la Métropole , semblait préférable à
"l'indépendance" pour laquelle luttaient les partis nationalitaires ,
dont rien n'assurait qu'elle serait favorable aux minorités ( 5 ) .
Cependant "la révolution prolétarienne"
promise et tant attendue ne s'était pas réalisée ni dans
la Métropole ni dans la Régence, alors que l'indépendance
nationale, en 1956, était une vérité palpable . Cet
événement a marqué un tournant dans le discours juif en
Tunisie car il a entraîné un changement dans la condition des
personnes. La Communauté juive en Tunisie se divise suivant leur
allégeance à l'Etat nouveau : Juifs de nationalité
tunisienne et Juifs étrangers
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(1) Kazdaghli H., op cit, p.231. (2) Tapia C., op cit ,
p.211. (3) Tapia C., op cit, p.222. (4) Sebag P., op cit , P.207. (5) Sebag
P., op cit, p.208 .
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