A - Critique des fondements du
nationalitarisme
S'opposant au discours assimilationniste d'une
frange de l'élite juive tunisienne qui prônait l'extension de la
juridiction française à toute la Communauté juive en
Tunisie, le groupement Les Jeunes tunisiens, avait lui aussi une
forte opposition à cette demande et avait proposé un programme de
réorganisation de la justice pour l'ensemble des Tunisiens, musulmans et
juifs, fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs
judiciaire et administratif ( 4 ) . Mais toujours est-il , une
inquiétude demeurait exprimée par l'élite juive sur leur
situation et leur
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(1) Cohen-Hadria E., Du protectorat français à
l'indépendance tunisienne , souvenirs d'un témoin socialiste .
Nice : Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine , 1976,
p.20 . (2) Goldstein D., Libération ou annexion , aux chemins
croisés de l'histoire tunisienne -Tunis : MTE, 1978, p.360 (3) Valensi
L., "Espaces publics , espaces communautaires aux XIX et XX
siècles " Confluences Méditerranée ,1994, n°10,
p.104. (4) Bach-Hamba M., La justice tunisienne, Imprimerie Nationale ,
Genève, 1917, p.20.cité par Rahmouni K., Info juridiques,
n°4/5-juin 2006,p.32
statut dans le nouvel Etat à construire où
l'islam constitue un tout qui absorbe la croyance, le culte et le droit .
Gaston Smaja, un membre de cette élite, affirmait en 1925,
s'adressant à un militant tunisien musulman qui lui reproche son
francisation : " Que feront-ils donc les juifs tunisiens
dans le nouvel Etat musulman ? Puisque nationalité et religion ne font
qu'un " ( 1 )
Malgré l'abandon, à travers le Pacte
fondamental de 1857 et la constitution de 1861, de la conception classique de
la nationalité en droit musulman, considérant comme sujets
tunisiens les musulmans ainsi que les juifs résidant dans la
Régence, le mouvement national ( le Parti libéral
constitutionnel ) adopte en 1920 une argumentation juridique religieuse,
basée sur les préceptes de l'islam, pour réfuter la
thèse de la naturalisation . Pour l'élite musulmane,
nationalité et religion se confondaient pour ne former qu'une seule
chose : l'Umma . Alors, ce système de
normativité constituait un enjeu de contestation du pouvoir colonial et
un levier de lutte nationale ( 2 ) . Mais cette démarche n'a pas
été partagé par l'élite juive de l'époque
où une partie d'elle s'était jointe à l'élite
musulmane pour discuter des revendications à formuler concernant
l'avenir du pays .
En dehors des assimilationnistes et des sionistes,
l'élite juive éprouve une certaine sympathie vis-à-vis du
nationalisme tunisien dans la mesure où il réclame plus de
liberté et d'égalité et de participation dans "la gestion
des affaires du pays ". Mais elle s'opposait au nationalisme en tant
qu'idéologie considérée comme une source d'exaltation des
différences . Elle reproche essentiellement au nationalisme tunisien de
ne pas être laïc, c'est-à-dire séparant le religieux
du politique, et de s'appuyer sur la tradition islamique, revendiquée
comme élément d'unité nationale. En effet, " la
conscience nationale des Tunisiens se confond avec la conscience religieuse, de
sorte que patriotisme et religion ne font qu'un dans le coeur des Tunisiens
musulmans "(3 ) C'est précisément en raison de cette fusion
que les juifs tunisiens se sentaient rejetés en dehors de la conscience
nationale tunisienne. Ce nationalisme tunisien refuse aux juifs le droit de
revendiquer la nationalité française et les considère
comme des sujets perpétuels du Bey et non comme des êtres libres
d'adopter une autre citoyenneté qui les traite sur un pied
d'égalité et non comme des protégés, des
dhimmi-s
L'attitude des nationalistes tunisiens
inquiétaient l'élite juive à tel point que Gaston
Smaja, chef de file des assimilationnistes, s'adressa aux nationalistes en
ces termes : " Vous réclamez une Constitution ! Affirme-t-elle la
laïcité de l'Etat tunisien et l'accès de tous sans
distinction de religion à toutes les fonctions de l'Etat, même au
poste de Premier ministre, même aux postes judiciaires ? " (4 )
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(1) Journal "L'Avenir social" , Tunis du 26 avril
1925 , cité par Allagui A., op cit, P.207 (2)Allagui A., op cit, p.207.
(3) Nataf C., "La tentation de l'assimilation française " in
Fellous S., Dir. de , op cit , p.216. (4) (1) Nataf C., op cit , p.226 .
Outre le fondement religieux du nationalisme
tunisien et l'exaltation de la haine d'autrui, les juifs anticolonialistes
critiquaient le mouvement national dans son action politique
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