B - Les rapports discursifs concurrents
L'apport discursif des occidentalisateurs dans
l'élite juive en Tunisie suscita trois réactions :
traditionaliste, sioniste et nationaliste tunisien
1 - La discursive traditionaliste . Ce
courant critiquait les intellectuels du groupe de La Justice et les
qualifiait d' "assimilés ". Par la culture, importé par le
colonisateur, ils provoquaient une rupture avec la culture
judéo-tunisienne . Ce parti politique ( Parti d'action et
d'émancipation juive : P.A.E.J. ) était qualifié à
tort d'action et d'émancipation, et était plutôt "un parti
pour l'assimilation juive dans la Métropole" .
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(1) Ibid, p. 213
Le courant traditionaliste jetait le
discrédit sur ses "coreligionnaires francisés" déjà
déshébraïsés et voulaient parvenir à une
déjudéaïsation de la Communauté tout entière .
Ces juifs qui affirmaient que l'on peut s'assimiler en restant juif donnaient
en réalité rarement l'exemple d'un judaïsme strictement
observé. Ce qui battait en brèche leur distinction entre religion
juive et culture juive . En fait, ils voulaient transplanter une culture
occidentale laïque au lieu et place de la culture judéo-arabe .
L'assimilationnisme voudrait en fait rompre avec
la « vie séparée » qui a été
la vie des juifs pendant des siècles dans la terre d'islam , pour se
mêler avec la « vie des Gentils »,
c'est-à-dire il voulait dissoudre la Communauté dans la nation
française . Enfin, ces francisants, et au vu de leur vie réelle,
ne pouvaient transmettre un judaïsme qu'ils n'ont pas reçu. Ainsi,
les assimilés donnaient à croire que l'on ne saurait assigner des
limites à l'assimilation et que celle-ci conduisait, tôt ou tard,
à une fusion dans le peuple pris comme modèle, en emportant une
complète déjudaïsation (1) .
Les traditionalistes se proposaient avant tout de
faire échec aux progrès de l'irréligion et de ramener les
juifs de Tunisie à une pratique intégrale du judaïsme .
Mais, et peut-être sans le vouloir, ils secondaient les efforts de ceux
qui prônaient l'identification entre les communautés juives
à travers le monde et un Etat juif : ce sont les sionistes qui
prenaient la relève critique de l'apport discursif des
occidentalisateurs du discours juif en Tunisie
2 - La discursive sioniste.Les
dirigeants sionistes, ne cherchant pas tout d'abord la polémique,
voyaient dans le groupe du journal La Justice, " des jeunes juifs
qui se cherchent (2)
Ensuite, et dans un deuxième temps, poussant
l'analyse à son paroxysme , constataient que ce groupe d'intellectuels
francisants voyaient que " la situation des juifs en Tunisie posait des
problèmes d'un ordre particulier .. et qu'il était de leur devoir
d'améliorer la situation politique, sociale et économique de nos
coreligionnaires en Tunisie "(3), les sionistes s'attaquaient à ce
groupe voyant en lui " un cinquième bataillon " de la France qui
prônait l'accession des juifs tunisiens à la citoyenneté
française. Pour les sionistes, le juif tunisien était
privé d'une citoyenneté qu'il ne pourra acquérir que dans
un Foyer national juif. Les militants du sionisme tunisien qualifiait La
Justice d'être un journal anti-juif, et c'est le summum de
l'insulte
L'hebdomadaire, serein, constatant de sa part le
caractère chauvin de la Fédération de cette tendance,
répondait d'une façon prophétique qu'elle
s'inquiétait de voire le sionisme constituer en Tunisie un facteur de
discorde entre juifs et musulmans . Ces derniers sont représentés
par une nouvelle élite nationalitaire
____________________(1)Sebag P., op cit , p.203 (2)Nataf C.,
op cit, p.214. (3) Ibid, p.215
3 - La discursive nationalitaire . Le
groupe de La Justice, tout en éprouvant une "certaine sympathie
" vis-à-vis du nationalitarisme tunisien dans la mesure où il
réclamait plus de liberté, d'égalité et plus de
participation dans "la gestion des affaires publiques", s'opposait à
l'idéologie nationalitaire voyant en elle " une source de haine et
d'exaltation de différences " . Le groupe moderniste reproche aux
nationalistes tunisiens leur référence religieuse musulmane
notoire, ce qui excluait éventuellement les juifs tunisiens et les
rendaient étrangers .
Mais le groupe nationalitaire de l'Action
tunisienne , organe de presse du nouveau courant politique destourien,
exprimait la volonté de défendre les Tunisiens sans distinction
de religion . Le nouveau groupe expliquait que la référence
religieuse à l'islam, dans la lutte anticolonialiste, était un
élément de mobilisation pour rassembler la grande majorité
des tunisiens imbibés par le traditionalisme . La lutte contre
l'assimilation et la naturalisation, qualifiées comme des voies
d'apostasie, était un moyen d'action politique pour rassembler la grande
majorité qui végétaient dans la liturgie. Cette lutte
contre la naturalisation ne pouvait, en aucun cas, être dressée
contre la Communauté juive en Tunisie mais contre les naturalisés
queque fut leur confession .
Les membres du groupe de La Justice, tout
en saluant la volonté exprimée des
néo-destouriens et malgré la sympathie avouée
pour ce nouveau courant, d'apparence laïque, du nationalitarisme tunisien,
mettaient toujours leurs espoirs dans l'école publique " qui fera
disparaître les haines et permettra l'émergence d'une nouvelle
personnalité tunisienne , apte à gérer les affaires
publiques locales sans distinction de religion " (1).
Les membres du groupe La Justice
s'inquiétaient en fait , non pas du nationalitarisme tunisien mais
de voir le sionisme en Tunisie constituer un facteur de désordre entre
juifs et musulmans . Tous les partis politiques existants sur la scène
sociale tunisienne pouvaient créer des passerelles de transit , des
espaces publics d'un travail en commun entre les deux communautés . Mais
ce n'est plus le cas si le discours religieux juif se sionisait .
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