Il n'y a pas que le culte des saints ( le
maraboutisme ) qui est commun à la communauté musulmane et
à la communauté juive. Ce maraboutisme qui s'apparente à
une religion populaire, concerne "les manifestations religieuses qui
échappent à la régularité du clerg , tous les
écarts par rapport à une religion dite officielle, prescrite ou
cléricale " (1). Il y a aussi des moeurs, des traditions et des
coutumes partagés : langue, tenue vestimentaire, superstition .
D'autres coutumes et usages sont spécifiques à la
Communauté juive :
1 - Langue et écriture : Tous
les juifs tunisiens parlaient la langue du pays , soit entre eux soit avec la
population musulmane . Le parler judaïque , qui n'est pas un
« hébreu corrompu », est une variante de l'arabe
dialectal en usage dans le pays .Il s'en écarte seulement par une
prononciation caractérisée par la permutation de la valeur de
certains consonnes telles le sîn et le shîn ,le
zîn et le jîm . Les emprunts à
l'hébreu sont rares et se limitent à un petit nombre de mots
étroitement liés à la pratique du judaïsme .
Le parler judaïque est aussi écrit.
Cependant , pour l'écrire , ils n'utilisent pas les lettres de
l'alphabet arabe mais les lettres de l'alphabet hébreu. C'est dans cette
variante d'arabe dialectal, transcrit en caractères herbeux, que sont
rédigés livres, lettres, contrats et mémoires(2). Au fil
des temps , l'arabe devient la langue véhiculaire et la puissance de
cette langue permit aux juifs tunisiens , depuis l'installation arabo-musulmane
en Ifriqiya , de regarder avec des yeux neufs les pouvoirs de l'hébreu
et de lui fixer des règles à l'instar de l'arabe . Ce
bilinguisme provoqua une renaissance de l'hébreu utilisé par les
poètes et les canonistes , tandis que les théologiens se
servirent presque exclusivement de l'arabe (3) .
La culture d'expression judéo-arabe est un
élément constitutif du patrimoine identitaire de la
communauté juive tunisienne . Le parler arabe des juifs tunisiens
relevait à la fois d'une expression propre à cette
communauté et d'une adaptation au milieu culturel environnant .
2 - Vêtements et parures . Le
costume juif se composa des mêmes éléments que le costume
musulman . Les hommes portaient un serwel ( pantalon ), une
shamla ( ceinture large ), une
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(1) Podselver L., op cit, p.357. (2) Sebag P., op cit, p.
121 (3) Chouraqui A., op cit, p.54
sûriya ( chemise ), une sedriya (
gilet fermé ), une fermla ( veste sans manches), un
bûrnous (manteau à capuchon ), chaussent une bal'gha
( babouches ) et se coiffent d'une chéchiya ( bonnet
rouge) enveloppée d'un turban ( kashta ) noir ou bleu
foncé . Les femmes portèrent un serwel ( pantalon
ample ), une sûriya ( chemises à manches longues ), et
une blouza ( sorte de boléro) le tout enveloppé, hors de
chez elles, d'un sefsari (pièce de soie ) et se couvrent la
tête d'une ta'qrita et qufiya ( mouchoir et coiffe ),
et chaussaient des bashmaq' ( souliers fermés ) ou
temaq' ( mules ouverts ). Elles se fardaient les yeux à l'aide d'un
ko'hol, se teignaient les cheveux avec du 'henné, et
portaient des ri'hana-s ( colliers ) et des me'qâys (
bracelets ) et 'khal'khal ( anneaux de chevilles ) . La seule
différence à des musulmanes c'est qu'elles circulaient sans
voiler le visage (1) .
3 - Magie et superstition . Outre le
culte des saints , les juifs partageaient avec les musulmans un certain nombre
de croyances superstitieuses comme le mauvais oeil ( 'ayn ) que pour
la mettre en échec on trace l'empreinte de la main ( Khomssa)
sur les murs et dans des bijoux . On croit ensemble au pouvoir prophylactique
de la corne de bélier et le poisson ainsi que plusieurs formules
conjuratoires qui tirent leur efficacité dans leur prononciation . Les
juifs croient aussi aux génies ( jenoun-s ) qui s'emparent des
êtres humains et engendrent chez eux des troubles , surtout des maladies
nerveuses . On a recours , pour exorciser le corps , à des
séances de danse rythmé appelée rebaybiya . On
fait appel aussi pour les cas moins graves à un khaffâf
c'est-à-dire un guérisseur avec du plomb comme métal de
purification
A ces us et moeurs , s'ajoute des coutumes qui
sont spécifiques aux juifs tunisiens et qui ont eu, à la
longue, force de lois opposables à autrui et applicables par le juge
chara'ïque .
4 - Le h'azaqat qandil ( la possession
par la lampe ) . L'interdit qui pesait sur le droit de
propriété , interdit instauré depuis Hammouda Pacha Bey, a
crée une véritable situation d'entassement de la population juive
dans des logements exigus dans le cadre restreint de la Hara de Tunis
. Alors, pour pallier à cette situation, les responsables
communautaires , dès le XVIII siècle, ont instauré
à travers le conseil rabbinique d'un droit d'occupation du logement,
appelé H'azaqat Qandil ( possession par la lampe ). Le recours
à la pratique de la h'azaqa serait une réaction
défensive et compensatoire, susceptible de garantir un minimum de
sécurité en garantissant un droit d'occupation légal
transmissible et objet de transactions diverses Ce droit,
développé par le conseil rabbinique, est respecté par la
juridiction charaïque musulmane (2) .
Aussi, il y a des fêtes spécifiques
à la Communauté juive tunisienne qui ne sont pas
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(1) Sebag P., op cit, 123 (2)Larguèche A., '
La Communauté juive à l'époque husseinite' in
Colloque Histoire communautaire...,op cit,p.169
inscrits dans le calendrier juif, mais font partie de ces
ajouts autorisés qui permettent aux coutumes de se perpétuer : le
pèlerinage à Lella Ghriba à Jerba, le
pèlerinage d'El-Hamma au tombeau du rav Sayed El Maârab ,
la fête des jeunes filles, celle des garçons à
Yithro (1) . D'ailleurs, il y a des cas où musulmans et juifs
vénéraient le même saint : c'est Sidi Faraj Shawwat
à Testour (2)
Mais malgré la spécificité de la
mémoire collective et le partage des traditions et des coutumes , la
Communauté juive subissait des contrastes sociaux flagrants