§ II - L'adoption d'une nouvelle culture
L'acculturation de la Communauté juive ,
c'est-à-dire son occidentalisation , a eu pour conséquence un
recul de la connaissance de l'hébreu et de la pratique religieuse juive
( A ) ainsi que son détachement du territoire (
B ) , c'est la "sortie des juifs de la cité "
puisqu'ils furent tout aussi bien souvent tentés par le cosmopolitisme
culturel et politique que par le nationalisme et la culture locale .
A - La déshébraïsation
C'est dans la capitale et les grandes villes qu'on
constate une assez large déshébraïsation de la population
juive . Il faut entendre par-là que la connaissance de l'hébreu
est de moins en moins répandue parmi les nouvelles
générations scolarisées dans les écoles modernes du
protectorat . S'il reste une place à l'enseignement de l'hébreu
dans les écoles de l'Alliance israélite , il est totalement
absent dans les écoles publiques que fréquentent la plupart des
jeunes
Les hommes capables de lire l'hébreu se font
plus rares . Alors , pour pallier à cet handicap gênant, on a
publié des Haggadah-s ,où le texte hébreu en
lettres carrées est accompagné d'un texte hébreu transcrit
en caractères latins . Et comme la méconnaissance de
l'hébreu entraîne celle du judéo-arabe ; on a
édité aussi des Haggadah-s où le texte
hébreu est accompagné et d'une traduction judéo-arabe et
d'une traduction française . Cette déshébraïsation
n'a pas affecté la Communauté du sud tunisien qui est
restée fidèle à son système traditionnel
d'enseignement .
La déshébraïsation se double,
chez les nouvelles générations, d'un affaiblissement de la
pratique religieuse . La plupart des enfants , pour célébrer leur
barmitsvah (la majorité à 13 ans), apprenaient par coeur
des prières transcrites en caractère latin . Les
élèves de l'école de l'Alliance ont congé le samedi
mais non ceux des écoles publiques et privées qui s'instruisaient
comme leurs camarades chrétiens et musulmans . Chez les adultes , on
observe de moins en moins le shabbat avec rigueur . Le samedi , les
juifs ferment les "échoppes" de la Hara mais non leurs
magasins et leurs usines de la ville moderne .
Les vieilles synagogues sont peu
fréquentées par les jeunes qui, ne sachant pas lire
l'hébreu, ne peuvent pas prendre part aux offices. Alors, on commence
à éditer des livres de prière en français . Aussi
,on ne retient des solennités de la célébration de
l'année liturgique que les réjouissances au détriment des
prières rituelles. En fait, toute la pratique juive tendait à se
concentrer autour d'une solennité unique : Le Yom Kippour ( le
jour de l'Expiation ) où on jeune et on se fait un devoir de ne pas
travailler , de ne pas faire de cuisine, de ne pas fumer et on assiste aux
offices célébrés dans les synagogues , remplis de
fidèles. Dans ce comportement , il n'est pas aisé de faire la
part de ce qui revient à la piété du sujet et à son
souci de respecter la piété des autres . La concentration de la
communauté favorise le contrôle social et la dispersion et le
mélange aux autres éléments de la population le rend plus
difficile. En s'évadant de la Hara, les familles pouvaient se
soustraire aux normes contraignantes de la Communauté .
En fait, les nouvelles générations
sont de plus en plus coupées de la religion de leurs pères par
leur nouvelle culture . N'ayant pas appris l'hébreu, et connaissant
assez mal les principes du judaïsme, elles ne sont pas en mesure de
s'acquitter de leurs obligations religieuses et se détournent de rabbins
formés à l'ancienne et parlant qu'une langue ( l'arabe ) qu'ils
comprennent mal, et que leur mise négligée n'incline pas à
respecter . Alors, les déshébraïsés s'attaquaient
à ses rabbins Twansa-s et suggéraient des rabbins
français " pour donner aux cérémonies du culte un
plus grand apparat "( 1 ). Le modèle européen était
attrayant et a trouvé une grande frange de la Communauté juive
comme support pour asseoir le projet colonial en Tunisie malgré
l'apparition d'un réformisme local de part et d'autre ( musulman et juif
) qui puise ses références au même modèle occidental
avec une coloration religieuse référentielle..
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