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Le discours religieux en Tunisie: L'exemple de la communauté juive

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par Sadek MTIMET
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis ( Université Al-Manar) - Master en sciences poltiques 2007
  

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B - Le discours juridique français : le protectorat

Sur le deuxième versant du XIX siècle, c'est « l'occupation » de la Tunisie qui mettait les tunisiens ( juifs et musulmans ) directement en contact avec les principes de la culture politique républicaine et démocratique (4) parce qu'elle est constamment proposée comme un horizon à atteindre . Le discours juridique français, à tavers le régime du protectorat, malgré le contrôle étroit sur la population colonisée, a permis l'apparition d'un espace public, d'un lieu où des.

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(1) Faucon N., La Tunisie avant et après l'occupation française. Paris, 1893, Tome I, p. 198. ciTé par Chalom J., op cit, p.23 (2) Larguèche A., op cit, p.156 (3) Valensi L., op cit , p.233 (4) Ibid, p. 233

aspirations convergentes ou contradictoires peuvent s'exprimer, se négocier et se débattre L'occupation de la Tunisie, par les changements institutionnels et économiques qu'il introduit dans le pays, a produit du même coup un décloisonnement de la société et a ouvert des nouveaux lieux de sociabilité, inexistants auparavant, indépendants des clivages religieux : les écoles laïques, les journaux, les associations culturelles et sportives, le théâtre,etc. Ces nouveaux espaces, sans abolir les cloisons anciennes entre la Communauté juive et la majorité musulmane, y ont ouvert des brèches extensibles . A l'intérieur de la Communauté juive, ils autorisaient un certain affranchissement des individus à l'égard des contraintes de leur groupe et de leur religion .

Ici, il convient d'analyser les événements, et éventuellement le discours juif, non d'une manière téléologique (c'est-à-dire à partir de la fin ), mais comme un ensemble de processus dont les acteurs ne connaissaient pas les effets lointains . En effet, avec l'ouverture d'un espace public, quoique dans des conditions de domination française, divers choix devenaient possibles et des lieux de passage s'ouvraient entre les différents éléments de la société . Pour la Communauté juive en Tunisie les anciennes élites morales et religieuses ont cédé le terrain à de nouvelles élites occidentalisées .

Par ailleurs, la Métropole qui commande à distance le destin de ses colonies propose en même temps des modèles politiques divers et offre un forum à ceux qui s'engagent dans l'action . Alors, au-delà, se dessine un horizon où "figurent pour les juifs , la haskalah ( courant réformisme religieux), puis le sionisme pour les uns et le communisme pour les autres. Ces modèles n'agissent pas sur la vie politique ni sur les institutions mais sur les aspirations et sur l'action . Or les individus ont pu, selon les phases de leur vie , passer d'une utopie à une autre , voire l'une s'écrouler alors que d'autres se matérialisent . " (1)

L'école laïque, installée en Tunisie depuis le début du siècle, constitue un moyen efficace d'inculcation des principes de la culture politique de la France démocratique et républicaine dont les juifs de la Tunisie portèrent leur adhésion . Mais l'expression la plus forte de cette adhésion fut le développement de la presse écrite très diversifiée malgré l'étroite surveillance de l'activité politique et l'intermittence de la liberté d'expression et d'association par le régime protectoral .

La floraison de la presse juive traduit un puissant processus d'acculturation et de sécularisation . On a inventorié plus de 120 journaux et périodiques publiés entre 1878 et 1961 en judéo-arabe , en hébreu ou en français (2) . L'adoption de chaque langue correspondait à une

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(1)Valensi L., op cit p.236. (2) Senoussi M.-A., "La presse juive en Tunisie " in Revue Historique Maghrébine, Tunis, n°63-64, juillet 1991, p.327 ( Article en langue arabe)

période d'évolution de cette presse écrite et à un niveau d'acculturation et de détachement de la

société d'origine .

Il faut reconnaître qu'un des facteurs majeurs de l'adhésion des juifs au modèle démocratique et républicain fût l'intégration de la majeure partie, graduellement et au fil du temps, dans la Communauté politique française par l'obtention de la citoyenneté . En vérité, la politique d'attribution de la nationalité a différé entre 1898, date du premier décret présidentiel français, et 1923 année de la promulgation de la loi française sur la naturalisation . Quoiqu'il en soit, et malgré les motifs qui sous tendaient ces textes juridiques, cette politique aboutira à terme " au divorce entre les aspirations et le statut des juifs d'une part, ceux de la majorité musulmane de l'autre" (1).

A partir de 1923, on estime à 15% seulement ( 7 950 sur un total de 53 O22 juifs tunisiens) la proportion des juifs qui acquiert la nationalité française (2). Mais sans demander nécessairement le statut de citoyen français , les juifs en Tunisie ont néanmoins adhéré à une culture qui les libérait des contraintes anciennes et les armait pour des nouveaux horizons . Les leçons de l'école laïque auront été retenus et l'adoption de l'idéologie des Lumières et des valeurs laïques et républicaines comme modèle de vivre seront partagés par la grande majorité de la Communauté juive .

Dans les conditions précoloniales et coloniales , le "choc de la modernité" en Tunisie a épargné la Communauté juive dans son ensemble car c'est elle qui était le levier de la modernité tant sur le plan de l'introduction des nouvelles techniques que sur le plan social et économique . Par contre, la société est restée cloisonnée dans ses anciens clivages , n'ayant pas encore réalisé la maîtrise des nouvelles techniques . Les juifs ont épousé, plus volontiers que les tunisiens musulmans, les idéologies laïques et universalistes . Ils furent plus souvent tentés par le cosmopolitisme culturel et politique que par le nationalisme (3). De celui-ci , ils furent tenus à distance non seulement par ses acteurs mais aussi par son contenu à dimension religieuse musulmane.

Quoi qu'il en soit, la place conférée à l'activité discursive n'est en effet pas de même nature par exemple dans les démocraties représentatives ( qui établissent les conditions formelles d'un débat ouvert entre compétiteurs lors d'une élection et entre gouvernants et gouvernés d'une élection à l'autre) et les régimes autoritaires qui utilisent le discours juridique

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(1) Valensi L., op cit , p.236-237 (2) Attal R., et Sitbon C., Regards sur les juifs de la Tunisie , Paris Albin Michel, 1999, p. 37 (3)Goldstein D., Libération ou annexion, Tunis, M.T.E., 1978, p.39

comme modalité politique unilatérale de légitimation (1) .

Le nouveau discours juridique tunisien, quoique réformateur et voulant être à jour avec "l'air du temps", n'était en réalité que mimétique dans le sens de la greffe de la trilogie constitutionnaliste dans le système juridique tunisien sans la recherche d'un préalable adaptabilité entre les deux normes. Les racines du crédo égalitaire sont différents : l'idéologie constitutionnaliste inscrit sa motivation dans un courant laïc, alors que les réformateurs musulmans s'inspirent de la tradition religieuse, d'où l'échec de la transplantation . Par ailleurs, ce nouveau discours juridique a perdu de sa crédibilité du fait de son imposition de l'extérieur par les puissances étrangères et ne profitant, en fin de compte, qu'à une partie infime de la société tunisienne : la Communauté juive .

La participation de cette minorité religieuse était prévue et permise dans les nouveaux textes juridiques mais ne s'était jamais traduit dans la pratique à cause de la perversion du discours jurdique par l'autoritarisme du pouvoir politique en place . Alors une alternative s'est posée d'évidence, c'est le discours juridique francais qui a permis, à travers l'idéologie des Lumières, quoique dans des conditions d'occupation, le décloisonnement de l'espace public . Les institutions crées, cette fois-ci, à savoir l'école laïque, la presse et les associations diverses, sont la traduction concrète de ce discours et les juifs tunisiens n'ont pas été écartés du droit d'y accéder . On passe des "mots" aux "choses", du discursif à l'effectif ; il y a une mutation dans le champ discursif juif.

Communauté repliée sur soi même par nature et « se voyant vivre chez les autres », la judaïté tunisienne, soumise à un statut juridique diminué , s'impose un loyalisme obligé par nécessité dû au triomphe du principe de dina de-malkhûta dina (la loi du pays est La loi ) qui créait une forme implicite de dépolitisation et une flexibilité du discours religieux .

Cependant, deux événements historiques ont extirpé cette Communauté de son isolationnisme et de son mutisme et l'ont poussé, à travers son élite, à réagir . Le premier a trait à ses rapports avec l'Etat beylical . Il réside dans le statut juridique dans lequel le juif tunisien passe d'un dhemmi à un citoyen . Le deuxième a survenu après l'établissement du protectorat français en Tunisie . Il consiste dans le statut politique du juif tunisien qui passe d'une soumission passive à une participation active . Dans les deux cas, c'est la flexibilité du discours religieux qui a engendré une réaction positive par rapport aux événements et l'évolution du contenu du discours . Le détachement de la Communauté juive de la société mère était lent mais certain et se vérifiait à travers l'adoption d'une nouvelle culture .

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(1) Le Bart Ch., Le discours politique , Paris, P.U.F., 1998, p.

Section 2 - Les juifs et la mutation discursive

La crise financière qui frappa le Makhzen depuis 1864 allait engager le pays dans une politique d'endettement et de dépendance, et allait montrer sous un autre jour « la question juive » dans le pays; c'était la période de l'installation des paradoxes. Au moment de l'émancipation juridique et politique de la Communauté juive en 1857, l'Etat va instituer un impôt ( la Majba ) qui s'apparentait à la capitation ( Jezyâ ) réservée aux juifs, mais cette fois généralisée à l'ensemble de la population; c'est la "dhimma inversée" (1) puisque c'est la majorité musulmane qui était concernée .

La révolte de 1864 , quoique adressée contre le dédoublement brutal de l'impôt Mejba a touché la Communauté juive dans ses biens à travers les grandes villes de la Régence . Les réformes de 1857 ont été ressenties par les 'Ulémas comme un défi à l'ordre religieux . "L'émancipation" du dhemmi et son entrée dans l'espace public constitue une bid'a (innovation) inadmissible.

La montée de l'intolérance et du fanatisme à l'échelle populaire , s'ajoutant à la rupture entamée avec le pouvoir beylical, ont accéléré le processus de l'occidentalisation ainsi que la mutation discursive de la Communauté juive . Cette mutation a commencé par l'adoption d'une nouvelle langue ( § I ) qui prélude l'adoption d'une nouvelle culture ( § II ) . L'influence culturelle de l'Europe ne se limitait plus à la langue et au mode de vie , elle visait même la croyance et la foi .

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard