§ II - Le statut politique : de la soumission
à la participation
La culture politique de la Communauté juive
de Tunisie , dans le contexte traditionnel, combinait l'attente messianique
d'un futur qui promettait leur libération avec, pour le présent,
un apolitisme dicté tant par la prudence que par leur condition de
sujets « protégés » du Bey . L'attente
messianique a certes une dimension politique. L'avènement messianique
se traduit par la domination juive sur toutes les nations . Cette
espérance messianique est une attitude potentiellement et politiquement
subversive qui appartenait à un futur que "seul Dieu
déterminera" (2) .
En attendant, respectant en cela la tradition qui
veut que dina de-malkhuta dina ( la loi du prince est la loi ), les
juifs en Tunisie, comme ailleurs, devaient respecter la loi de l'Etat qui les
abritait .Le pacte de la dhimma réduit au minimum leur
implication dans la sphère politique sauf pour quelques personnes
éminentes ( les notables ) qui étaient associées à
l'Administration financière du pays. La Communauté juive est, aux
yeux de l'autorité beylicale, collectivement responsable sur le plan
fiscal. Elle avait son Qâyid qui sert d'intermédiaire
entre la Communauté d'une part , les représentants de
l'autorité politique de l'autre .
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(1) Ibidem p. 95 (1) Valensi L., "La culture politique
des juifs " in Juifs et musulmans , fraternité et
déchirements , Fellous S., Dir. de, Paris , Somogy ed., 2003, p. 232
Dans ce cadre général, les juifs
n'avaient pas d'exigences politiques . Ils n'avaient pas de conflits
d'intérêts avec l'Etat ou avec la population environnante . La
Communauté juive développe surtout, à travers ses membres,
des tactiques défensives pour éviter les ennuis ou pour
réduire les risques d'abus de la part de la population locale ou des
représentants de l'autorité .
Le milieu du XIX siècle voit, en Tunisie,
une remise en cause de la relation asymétrique existante entre
musulmans, le Makhzen et protégés juifs
(dhimmi-s). Des changements intervenaient , dans les années
1850, des réformes du système politique autorisaient une
redistribution des rôles entre les différentes composantes
religieuses de la société et une redéfinition des
relations entre les groupes, c'est un nouveau discours juridique tunisien
( A ) qui se pose comme un premier réagencement dans le
statut politique des juifs à travers les réformes du XIX
siècle . Mais l'avortement de ce nouveau discours juridique a
amené les juifs Grana-s ( livournais de la deuxième
vague ), dès le tournant du XIX siècle , à activer un
levier extérieur , celui d'une puissance occidentale, qui a fini par
s'imposer comme un discours juridique alternatif ( B ), c'est
le protectorat francais. Il constitue le second réagencement.
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