2 - Le Grand-Rabbinat
Il n'y a pas de sacerdoce chez les
juifs ni de ministère de l'autel ( l'alménor : al
minbar). Il ne reste aujourd'hui que le rappel symbolique à
certains jours de l'année des anciens sacrifices et la
prérogative pour les cohanim d'être appelés
à la qeri'a ( lecture publique de péricopes du rouleau
de la Thora ) et de prononcer à certains offices la formule solennelle
de barakha (bénédiction des pontifes ). Actuellement,
la seule autorité en matière religieuse est celle des rabbins .
Le rabbin ( maître ), appelé en Orient le 'hakhâm,
n'est pas un prêtre au sens sacerdotal; c'est un simple fidèle
spécialisé dans la connaissance de la doctrine et du culte, et
qui n'a d'autre rôle que d'éclairer et de guider les autres
fidèles . Il n'y a donc pas dans le judaïsme et chez les ministres
de culte de hiérarchisation sacerdotale, mais une simple tendance
à la centralisation purement administrative(4) .
Le premier dignitaire religieux en Tunisie est le
Grand-Rabbin, nommé par décret beylical sur la proposition du
Conseil de la Communauté et "appointé sur le Budget" . Il
exerce
____________________________________________________________________
(1) Editorial de J. Scémama: "Le statut
personnel des israélites tunisiens : une parenthèse " in le
journal La Justice ( Tunis) du 3 aout 1921 (2) Ma'arek H., journal
La justice 25 janvier 1924 (3) Journal La Justice du 22
juin 1923 .La Kétouba est un texte rédigé par notaire
correspondant à un contrat de mariage et à un acte de mariage.
(4)Darmon R., op cit p 73
un pouvoir religieux : il préside les
cérémonies du culte, officie et prêche dans les synagogues,
il a la surveillance et le pouvoir d'admonition à l'égard de tous
les rabbins tunisiens , dirige le corps des rabbins et des ministres
officiants, il délivre les autorisations d'exercer aux
péritomistes et aux abatteurs ritualistes .
Cette simple énumération donne une
idée de l'importance de la fonction du Grand-Rabbin, comme chef
spirituel d'une Communauté nombreuse et hétéroclite, avec
un pouvoir considérable au point de vue du culte , de l'alimentation ,
de l'instruction et de l'assistance .
Cependant , les nouvelles générations
juives sont de plus en plus coupés de la religion de leurs pères
par leur nouvelle culture . Elles n'ont pas appris l'hébreu dans les
écoles laïques françaises et connaissant assez mal les
principes du judaïsme, elles ne sont pas en mesure de s'acquitter de leurs
obligations religieuses . A cela s'ajoute une grande
généralité des juifs européens qui montrent une
indifférence la plus absolue en matière de religion , tant au
point de vue de l'instruction que des pratiques cultuelles , souvent
réduites à des actes de pure superstition .
Face à cette situation, toute la
Communauté juive s'accordait et convenait de la nécessité
de donner à la collectivité de nouveaux ministres du culte . Et
sur fond de nationalité, trois discours opposés se partageaient
l'opinion juive tunisienne ainsi que le Conseil de la Communauté
:
a - Un discours occidentalisant qui
suggère de nommer un Grand-Rabbin instruit en France et de lui confier
la tâche de former un nouveau corps de rabbins . Ce discours se trouve
chez le groupement minoritaire des Grana-s, de vie nettement
européenne qui exerce, par contre, une influence considérable sur
la Communauté tout entière par ses modes de vie. Toutefois, ce
discours occidentalisant néglige l'existence de la masse
judéo-arabe, les Twansa-s, qui forme en même temps la
seule masse vraiment pratiquante (1) .
b - Un discours indigène qui
constate, confiant, que la religiosité est encore assez
développée dans la population juive de base, de langue
exclusivement arabe : les enfants fréquentent assidûment les
kouttab-s et les adultes suivent les sermons hebdomadaires des rabbins
. Alors, la réalité statistique est là pour conforter
l'avis d'être en faveur d'un corps rabbinique exclusivement tunisien qui
garde encore l'esprit de la communauté dans les prières à
travers la participation collective (2).
-------------------------------------------------------------------------------------------------
(1) Darmon R., op cit p. 83 (2) Ibid, p. 90
c - Le discours
conciliateur propose de désigner le Grand-Rabbin parmi
les juifs twansa-s avec un Grand-Rabbin adjoint français (1)
à l'instar des municipalités en Tunisie où le
président, toujours indigène, délègue la plus
grande partie de ses fonctions à un vice-président
français
la loi de la naturalisation de 1923, avec ses
implications sur le statut personnel et le ministère du culte, s'ajoute
au phénomène de l'attribution des patentes de protection et
à la demande de l'extension de la couverture juridictionnelle des
tribunaux français pour constituer les éléments du
discours religieux juif revendicatif et le début du processus de
détachement de la Communauté juive en Tunisie vers une
acculturation et une occidentalisation certaines malgré le nivellement
juridique établi dans le Pacte fondamental et explicité dans la
constitution de 1861 ainsi que le frein sans effet de la notabilité
religieuse locale , jalouse de ses prérogatives.
En fait, par l'instauration du nouveau
discours religieux revendicatif, la nouvelle élite juive cherchait,
outre l'acquis juridique ( le passage du dhemmi au citoyen ), à
participer dans la vie politique et à accéder à des postes
de responsabilité à l'instar de leurs compatriotes musulmans .
Les membres de cette élite voulaient passer de la soumission à la
participation .
|