Chapitre II - Un discours religieux flexible
Le discours religieux judaïque a
évolué en flexibilité en s'engageant avec les
autorités politiques en place. Cette collaboration avec le pouvoir
politique existant trouve son origine, en réalité, dans le
contenu même du discours hébraïque diasporique
: le juif, n'appartenant pas (ou plus) à un Etat juif,
doit définir son attitude vis a vis des pouvoirs politiques en place.
Les juifs constituent une nation définie par sa religion. C'est autour
de sa foi que l'identité de la communauté juive se maintient.
Les idées politiques juives se manifestent dans une communauté
dont la religion constitue le fondement de l'identité. Les juifs, ayant
un sens aigu d'une Communauté à part, et se voyant vivre chez les
autres, ont dû s'accommoder des institutions qui leur sont
imposées ou qui ont été crées par leurs soins. En
fait, le caractère « total et global » de leur
religion leur interdisait d'être gouvernés comme les autres
: ils ont dû créer alors des institutions qui
sont adaptées à leur situation garantissant leur statut
socio-religieux ; ils ont crée un Conseil de notables
(Gedoleî ha-qahal ) formé par les chefs
de famille les plus instruits et les plus fortunés et a sa tête le
Grand-Rabbin, chef de la communauté appelé Shaykh
al-yahûd (Zaken ha-yehûdim ) .
Placée sous la protection directe de
l'autorité politique, la Communauté juive a
développé un discours flexible qui s'accomode avec « le
discours ambiant » existant, démontrant par là une
capacité d'adaptabilité aux situations nouvelles. Par ailleurs,
cette Communauté , quoique repliée sur elle-même, demeure
toutefois ouverte à « l'air du temps ». Dès
lors, la flexibilité du discours religieux touche à la fois les
rapports de la Communauté avec les autres ainsi que le contenu du
discours même .
La Communauté juive n'a pas tardé
à réagir positivement à deux situations concomitantes.
L'une, exogène, touchant le changement de statut légal et
politique (Section 1 ) , l'autre, endogène, est
relative à la mutation du champs discursif (Section 2)
de la judéité par le remplacement de ses supports
linguistiques et culturelles..
Section 1 - Les hébraïques et le
changement de statut
Communauté inquiète par nature,
soumise à un statut juridique diminué , les juifs
considéraient leur situation à la fois injuste, difficile,
supportable faute de mieux, fort peu anomique et pour tout dire presque normale
(1). Cette Communauté vivait en fait sa position politique
diminuée et exposée comme " le juste châtiment pour les
péchés du passé et du présent . Les clercs furent
à l'origine de cette idée expiation , mais elle fut , par tous,
intériorisé"(2).
Au fond, le temps historique comportait deux bornes
, le glorieux passé ( celui du Temple de Jérusalem ) et un
âge d'or à venir ( les temps messianiques , ceux de la
délivrance) . On a donc ici affaire à une vision
idéologique mettant le présent et l'histoire , quel que soit leur
durée, entre parenthèses et excluant , par nature, toute
idée de rébellion , politiquement impossible et allant contre
l'ordre divin , "car il ne fallait point se révolter contre les
nations " (3) .
Triomphe globalement le principe du dîna
de-malkhûta dîna ( la loi du pays est la loi) non seulement en
légalité mais dans une large mesure en légitimité .
Vis-à-vis des autres, c'est-à-dire des autorités, s'impose
un loyalisme obligé par nécessité et par
conviction, d'autant que le prince, son Etat sont protecteurs par
tradition . Au fond, une forme implicite de dépolitisation, une
espèce de marginalisation, d'extériorité des mouvements
d'opinion et des coups et révolutions de palais (4)
Deux événements historiques ont
extirpé cette communauté de son "cocon" , de son isolationnisme
et de son mutisme et l'ont obligé, à travers son élite,
à réagir. Le premier événement, intérieur,
ayant trait à leurs rapports avec l'Etat beylical, réside dans
leur statut juridique (Paragraphe I ) dans lequel le juif
tunisien passe d'un dhemmi (protégé) à un citoyen
. Le deuxième événement, extérieur, survenu
après l'établissement en 1881 du protectorat français
en Tunisie consiste dans le statut politique du juif tunisien
(Paragraphe II ) qui passe d'une soumission passive à
une participation active . Dans les deux situations , c'est la
flexibilité du discours religieux qui a permis la réaction
positive par rapport aux événements et l'évolution du
contenu du discours.
____________________________________________________________________
(1)Taieb J., " Réalité et perception de la
condition juive en Tunisie " in Fellous S., Dir. de , Juifs et musulmans ,
fraternité et déchirements, Paris, Somogy ed., 2003, p 125.
(2) Taieb J. op cit p 125. (3) Taieb J., op cit p 126 (4) Taieb J. op
cit p 126
|