PREMIERE PARTIE
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UN DISCOURS RELIGIEUX JUIF
A CONTENU VARIABLE
La Communauté juive a
développé tout au long de son parcours en Tunisie deux rapports :
le premier rapport est exogène, il concerne les rapports de ses membres
avec les autres. Cette Communauté vit sous l'autorité politique
et sociale de l'autre, qui n'est pas juif . Alors, les juifs, conscients de
leur caractère minoritaire, ont développé des rapports
d'aménagement : pas de confrontation mais pas de
soumission, c'est un discours de cohabitation ( Chapitre Premier
). Il y a un accord implicite de répartition des tâches.
L'autorité en place laisse à la Communauté la
possibilité de se doter des organes de représentation sans
immixtion aucune. La Communauté en contrepartie cède l'espace
public à l'autorité, c'est-à-dire qu'elle se retire du
champ politique. Le chef de la Communauté est le levier de
correspondance entre sa Communauté qu'il représente auprès
des autorités mais en même temps il est le représentant du
pouvoir politique en place auprès de sa Communauté . Ce double
rôle du Qâyid de la Communauté constitue une
passerelle entre la grande majorité musulmane et la Communauté
juive, c'est dire que le système n'est pas clos mais il y a
interférences entre la majorité et la minorité.
Par ailleurs, la Communauté juive , acceptant
cette cohabitation a développé à travers le temps un
discours religieux flexible (Chapitre deuxième) qui
est à la base de sa personnalité et sa culture adaptative
à toutes les circonstances. Dès lors, le discours se
développe en fonction des rapports de force existants en place, le
discours juif de la période makhzen n'est pas la même
que la période du protectorat. Le changement du statut politique et
juridique était pour quelque chose .
Chapitre 1 - Un discours religieux de
cohabitation
La situation sociale et juridique des juifs, dans la
Régence de Tunis, tout au long de la période beylicale
était stable et sans changements notoires . En vertu des principes du
droit musulman, les juifs, dhimmi-s, jouissent du respect absolu de
leur culte et de leur statut (1). La "dhimmitude" est un concept
juridique développé par les juris consultes musulmans pour
aménager un statut juridique aux "Gens du Livre" vivant dans l'espace
territorial de "Dar al-Islam". En outre, et au fil des temps, une sorte
d'accord politique tacite s'est développé : les juifs
cèdent l'espace public au pouvoir politique en place en contre partie
d'une liberté totale d'exercer leur culte et du bénéfice
d'une relative autonomie leur permettant de s'administrer et de satisfaire
leurs besoins en matière cultuelle et sociale .
Cette stabilité sociale et ce sentiment
d'être protégés par les autorités en place ont
engendré un discours religieux de cohabitation avec le milieu social et
politique dans lequel vivait cette Communauté . En
réalité, ce genre de discours était
systématisé en réaction positive aux
événements extérieurs. Deux moments historiques, dans le
parcours de la Communauté en Tunisie, ont développé chez
elle un discours de circonstance, collaborateur et impliqué avec le
pouvoir politique en place : le premier c'est avec l'Etat tunisien beylical
(Section1), le deuxième était avec l'Occident
européen (Section 2), spécialement avec la
France. Ce discours religieux collaborateur et de cohabitation, qui
frôle parfois l'opportunisme trouve sa légitimité et son
fondement dans l'adage, développé par les rabbins de la
"diaspora", selon laquelle:" la loi du prince est La loi" :
(dina el-malkhûta dîna).
Par ailleurs, ce discours a vite évolué
vers d'autres cieux, vers une modernité plus actuelle, lente et non
corrosive, et ce lors de l'arrivée des juifs livournais
(Grana-s) en Tunisie dès le début du
XVIIe siècle. Le Pacte fondamental tunisien de 1857 aurait pu
être un cadre pour une nouvelle forme de citoyenneté pour les
juifs en Tunisie mais l'instauration du protectorat, facteur principal parmi
d'autres, a avorté le processus . Alors, les juifs tunisiens
attendaient leur "émancipation" d'en dehors du pays. L'état des
relations internationales au milieu du XIX siècle encourageait
déjà ce genre de démarche (la montée en puissance
de l'Europe et l'agonie de "l'homme malade" ottoman, ce qui implique une lutte
pour le partage des marchés de son empire).
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(1) Ben Achour M.-Az., "La tolérance dans
l'histoire des pays musulmans", in L'islam et l'espace
euro-méditerranéen, Cahiers I.S.I.S. VIII, Publications du Centre
Universitaire de Luxembourg, 2001, pp. 41-46
Section 1- La judaïcité et l'Etat
tunisien
Sous l'égide de l'Etat beylical, la
Communauté juive a souvent obtenu un statut d'autonomie sociale qui lui
permettait de vivre d'une façon acceptable son existence religieuse.
Cette situation procure une place privilégiée à
l'échelle économique et une autonomie quant à
l'organisation institutionnelle de la vie communautaire. En
réalité, ce statut assure à la fois une protection dans un
cadre discriminatoire (Paragraphe I) pour les membres de la
Communauté juive et contribue, en même temps, à
l'intégration de ce groupe religieux (Paragraphe II)
dans le tissu social tunisien.
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