UNIVERSITE DE TUNIS - TUNIS III AL-MANAR
Faculté de Droit et des Sciences Politiques
de Tunis
Campus Universitaire
LE DISCOURS RELIGIEUX EN TUNISIE
L'exemple de la
Communauté Juive
Mémoire pour l'Obtention du Master
en Sciences Politiques
Présenté et soutenu
publiquement le 28 décembre 2007
par
Sadek METIMET
Membres du Jury :
Président : Med Redissi
Suffragants :
Med Hedi B. M'rad
Hafidha Chekir
Année Universitaire 2006 - 2007
La Faculté de droit et des sciences politiques de
Tunis n'entend donner aucune approbation, ni improbation, aux opinions
émises dans les mémoires et les thèses ; ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs
- A mes parents,
En marque, trop tardive, de reconnaissance
Leur repos ultime,
en ces terres du nord,
révèle la mesure de leur
abnégation
- A mes frères
- Pour tous ces Autres, semblables
et différents, qui ont donné
lumière
et relief à notre vie.
- A mon encadreur, Demoiselle Hafidha CHEKIR, pour sa
patience malgré mes fluctuations d'humeur .
Liste des abbréviations
. A.I.U. : Alliance israélite
universelle
. A.J.A. : American Jewish Association
. C.G.T. : Confédération
générale de travail
. C.S.I. : Centrale sioniste
internationale
. C.S.P.T. : Code du statut personnel
tunisien
. F.C.T. : Fédération
communiste de Tunisie
. F.S.J.U : Fonds social juif
unifié
. F.S.T. : Fédération
socialiste de Tunisie
. L.E.A. : Ligue des Etats
arabes
. P.A.E.J. : Parti d'action et
d'émancipation juive
. P.C.F. : Parti communiste
français
. P.C.T. : Parti communiste
tunisien
. P.L.C. : Parti libéral
constitutionnel
. S.D.N. : Société des
nations
. U.S.T.T. : Union syndicale des travailleurs
de Tunisie
INTRODUCTION
Le terme « discours » n'a pas
une bonne réputation. Stigmatisé aussi bien pour ses lourdeurs
formelles que pour son caractère mensonger ( il suffit de penser
à l'expression de " langue de bois " pour s'en convaincre ), il semble
aujourd'hui condamné au mépris . Vide, creux, le discours cumule
les handicaps au point d'apparaître comme l'attribut le moins honorable
de ceux qui se livrent à l'activité discursive, surtout dans le
domaine politique. Tous savent bien l'approbre qui entoure les "beaux
parleurs", habiles à manier les "mots" mais impuissants à faire
bouger les "choses". Déjà, le Coran qualifie de
"manipulés" ceux qui croyaient au discours des poètes (S 26 -V
224). Cette distinction fragile entre «les mots et les choses»
démontre la vulnérabilité de l'activité discursive
dans le champ social et sa faible légitimité (1) .
Il faut définir, tout d'abord, ce qu'on
entend par le terme «discours». C'est un terme peu précis et
englobe plusieurs emplois. Il désigne "tout énoncé
supérieur à la phrase, considéré du point de
vue des règles d'enchaînement des suites de phrases" (2).
Mais dans un sens plus large le discours "c'est l'énoncé
considéré du point de vue du mécanisme discursif qui
le conditionne " (3). Ainsi, un regard jeté sur un texte, du point
de vue de sa structuration "en langue", en fait un énoncé; une
étude linguistique des conditions de production de ce texte en fera un
discours. Il faut entendre par-là que les conditions de production ne
sont pas un simple contexte (c'est-à-dire des circonstances qui
exerçaient des contraintes sur le discours) mais qu'elles
caractérisent le discours, le constituent : la relation d'appartenance
d'un discours à une formation discursive est facteur constitutif du
discours (4).
Le fait discours est sujet à une
typologie. Il s'agit d'une catégorisation intuitive, évidente
grâce à laquelle, ensuite, un système de propositions
devient possible et nécessaire. On parle alors de discours politique,
discours religieux, discours syndical, discours juridique, etc. En
réalité, ce qu'il faut catégoriser, c'est "ce qui fait
qu'un discours fonctionne, et non le jugement qu'on peut porter sur lui"
(5).
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(1) Le Bart Ch., Le discours politique . Paris ,
P.U.F., 1998, p.13 (2) Dubois J et al., Dictionnaire de linguistique
. Paris, P.U.F., 1973, p.72 (3) Guespin L., " L'analyse du
discours ", Paris, Langages, n°23-1971, p.14 (4) Robin R.,
Histoire et linguistique. Paris, A.Colin, 1973, p.89 (5)Guespin L.,
"Types de discours ou fonctionnements discursifs ?", Paris, Langages,
n°41-1976, p.9.
Le travail qui s'interroge sur "la place de
l'affrontement discursif dans la conjoncture politique et
idéologique", et en tant qu'il conclut que "tout se passe comme
si l'affrontement dans le discours (c'est-à-dire dans le
système discursif, objet de l'étude) avait pour seule
fonction la reconnaissance qui permette à tous ceux qui défendent
les mêmes valeurs de se reconnaître, de se retrouver, de se
sécuriser dans la communion d'un même groupe" (1).Un tel
travail contribue à ébranler toute catégorisation ou
typologie . En effet, le défaut de toute typologie est qu'elle passe
à coté de ce qui peut être important, et
éventuellement essentiel ; c'est dire que le social est tout entier
discursif
Mais comment qualifier le discours religieux, ou
plutôt comment parler politiquement de la religion?. L'approche de la
religion doit se faire sur la base de deux idéaux : un
idéal pratique de la sincérité et l'idéal
théorique de l'objectivité. La religion doit être chercher
dans le sentiment intérieur, la disposition subjective, et on en
vérifie la présence dans des signes objectifs tels que la
participation aux rites. En effet, si nous sommes à la recherche des
signes objectifs d'un sentiment subjectif sincère, nous poursuivons une
lueur. Quel peut-être le signe objectif d'une disposition qui, par
définition, est impossible à objectiver?. Nous ne pouvons donc
chercher l'objectivité de la religion ailleurs que dans son
objectivité même. Or, la religion n'est objective pour nous que
fait politique.(2)
Avec le triomphe de la démarche scientifique,
depuis plus d'un siècle, le discours sur la religion est comme
censuré. Dans un contexte soumis à une laïcité, de
droit ou de fait, mal comprise, il est même frappé d'interdit dans
l'espace public. Il semble que le progrès exige que le sacré soit
refoulé dans le for intérieur de l'âme humaine. Mais avec
le déclin des idéologies, en particulier athées, il
paraît que la désillusion à l'égard des
mécanismes planétaires et l'espoir de salut collectif stigmatise
uniformément les populations. Ces derniers, secouées par les
vicissitudes qu'engendrent les exigences de la compétition
économique, cherchent actuellement à se préserver des
menaces d'engloutissement dans le cosmopolitisme. C'est ainsi que l'on trouve
volontiers refuge dans des enracinements locaux qui débordent le
contrôle des systèmes religieux .
Le mot cultus, qui désigne la
dévotion envers un être suprême, a du reste donné
naissance à la fois au terme de "culture" et à celui de "culte",
la dévotion et la croyance en un être suprême servant de
base à la culture(3). C'est la rencontre dynamique entre les
différentes cultures qui a donné naissance à la
réflexion et à l'étude du discours de chaque culture,
c'est-à dire sa manière de donner un sens à la vie,
à son identité et à son altérité.
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(1)Guespin L. op cit p.10 (2) Manet P., " Comment parler
politiquement de la religion ", Paris, Commentaires, n°113-2006 p25.
(3) Figuier R. (Dir. de), Dieux en sociétés :le religieux
et le politique, Paris, Autrement, 1992, p.13
Le Judaïsme en Tunisie, en tant que religion
d'une frange de la société a développé tout au long
de son parcours un discours religieux qui permet aux membres du groupe de se
positionner sur le plan social vis-à-vis d'eux-mêmes tout d'abord,
et vis-à-vis d'autrui ensuite. La production de ce discours est du
ressort des "professionnels" du religieux, "les gardiens du sacré"
: rabbins et théologiens. Mais le judaïsme,
à l'instar de l'islam, ne connaît pas de sacerdoce et n'a pas de
clergé hiérarchisé, le rabbin est un simple particulier
désigné pour la lecture des prières. Dès lors, on
est en droit de parler du discours religieux des intellectuels, des
journalistes, des politiciens au même pied d'égalité que
les rabbins et théologiens. En fait, c'est par une attitude
constructiviste qu'on a choisi de considérer comme religieux, un
discours du fait de sa source ou de son contenu, de ses modes de diffusion ou
encore de ses effets produits. Le discours n'est pas cet instrument transparent
grâce auquel la réalité des choses se laisserait apercevoir
: le discours a ses logiques propres, il construit le monde
social autant qu'il le reflète (1) .
L'étude du discours religieux juif tunisien
est-elle utile et nécessaire?. La réponse a cette question fait
jaillir une autre, de principe : Y a-t-il un judaïsme
tunisien ou plutot un judaïsme en Tunisie ?
Les juifs en Tunisie ont été toujours en
nombre infime, entre 2 % et 3 % de la population et ce jusqu'au lendemain de la
Deuxième Guerre mondiale(2). En réalité, si on
prélève la pièce juive de la mosaïque, que forme la
société tunisienne, le tableau reste certes lisible ; les juifs
tiennent en peu de mots. Toutefois, non seulement dans le tableau laissé
troué de blanc mais quelque chose de fondamental va manquer, c'est
"l'intelligence de transformations sociales majeurs, de la dynamique qui
soumet à des déclassements les diverses composantes de la
société tunisienne " (3). Or, sans l'analyse de ce jeu de
forces et de tensions, on ne comprend ni le discours religieux ni politique
de cette communauté tunisienne.
Par ailleurs, le point de vue statistique n'est pas
suffisant pour rendre le tableau intelligible, c'est la position sociale et le
rôle socioculturel de cette communauté qui sont fondamentaux. Le
souci de notre étude, c'est l'ensemble des relations qu'ils
entretiennent par rapport au reste de la société .
L'étude du discours religieux juif en Tunisie
est-elle nécessaire ? Pourquoi maintenant?. On peut répondre,
sans difficulté, à la deuxième question, celle du moment.
Dans les milieux juifs Twansa-s installés en France, on parle
amèrement d'une « amnésie
tunisienne » officielle
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(1) Le Bart Ch., op cit, p.27 (2)Valensi L., Histoire
communautaire, histoire plurielle (la communauté juive en Tunisie),
Actes du colloque de Tunis 25-27 février 1998, Faculté des
lettres de Manouba, 1999,p. 51 (3) Ibid, p. 56
concernant la Communauté juive (1) . Or, il
paraît que c'est un mouvement naturel d'occulter pendant un moment,
à la suite de bouleversements politiques, ce qui a pu exister auparavent
. En effet, dans les années qui ont suivi l'indépendance de la
Tunisie, on a occulté le passé colonial pour privilégier
la redécouverte d'un passé qui avait été
gommé, pendant 75 années de protectorat :
la mémoire arabe de la Tunisie (2). Maintenant, sans sujet tabou et loin
de tout esprit de polémique et de critique, on est en mesure
d'étudier sereinement la période du protectorat français .
Il en est de même pour l'étude de la Communauté juive et de
son discours religieux car, juste après 1956, on a voulu rassembler
« la nation » tunisienne après une grande
période de tensions politiques pour la libération et
l'indépendance . Il était hors de question de parler de tout
discours sectaire ou des droits d'une frange de la société, c'est
anti-intégrationniste et anti-national.
Mais hormis ces considérations
théoriques, nous revenons à la question initiale : l'étude
du discours religieux juif en Tunisie est-elle nécessaire ? . Si on a
répondu à la première question sans difficulté, la
réponse à cette question demeure aléatoire et sujette
à plusieurs affirmations :
*Tout d'abord, la condition pour que les juifs tunisiens -
partageant désormais les mêmes droits que les autres actuellement
- entrent pleinement dans la grande communauté tunisienne est qu'ils
cessent de se regarder comme une communauté séparée pour
n'être plus qu'un groupe minoritaire religieux parmi d'autres
à l'instar des ibadhites, des turks hanéfites,
des berbères, des noirs, des andalous,etc.
*Ensuite, la confrontation avec une culture profane pose la
question de la validité de la culture juive traditionnelle et la renvoie
au domaine du religieux séparé désormais des autres
branches du savoir. Mais "dès lors que la foi se retire dans le
domaine privé, intime et dès lors que la religion n'offre plus un
cadre compréhensif de production de sens, la connaissance du
passé devient le refuge de l'identité juive"(3) de sorte que
l'étude du discours religieux des juifs de Tunisie peut être un
avatar de réinventions du passé indépendant de source
biblique traditionnelle.
*En outre, il n'y a pas eu seulement une rupture
socio-culturelle qui conduit à une reévaluation du rapport au
passé et à sa laïcisation mais il y a, surtout, une
discontinuité dans l'histoire des
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(4) Propos de Serge Moati recueillis par Reverdi S., Tunis,
Revue Réalités n°1132 du 12.9.2007 (1) Nataf C.
« Juids et musulmans en Tunisie » in Entre orient
et occident , Cohen-Tannoudji D., (Dir de ) Paris, édit. De
l'éclat , 2006, p. 47. (2) Valensi L., Une histoire des juifs de
Tunisie est-elle nécessaire?est-elle possible?. In Actes du
colloque de Tunis, Histoire communautaire, histoire plurielle , 25-27 fevrier
1998, Manouba, CPU p. 55. (3) Idem p 56
juifs de Tunisie : c'est parce que l'histoire
est finie qu'on éprouve le besoin de la connaître et de
l'étudier
*En guise de conclusion, commençons par la fin : il
n'y a presque plus de juifs en Tunisie, un monde millénaire s'est
effacé. Donc, c'est l'énigme d'un changement aussi massif que
rapide qu'on tache de déchiffrer et un vide creusé par leur
absence qu'on veut combler : les juifs tunisiens appartiennent
à une espèce en voie d'extinction (0,001 % de la population
totale ) (4). Quoi qu'il en soit, le besoin de savoir, né de leur
absence, se développe-t-il du besoin de comprendre les raisons de leur
disparition brutale et massive ? . Et quels sont les bouleversements qui ont
rompu le modus vivendi qui relie les différents
éléments de la société tunisienne ?.
Mais une autre question surgit: où
réside l'utilité de l'étude du discours religieux juif en
Tunisie? Il y a un paradoxe dans le deuxième segment de la question qui
mérite notre attention : les juifs de la Tunisie
ont pris une faible part dans le mouvement de libération nationale (1).
Il n'y a qu'un petit nombre, très infime, qui a partagé les
aspirations nationalitaires répandues dans le reste de la
société tunisienne. Leur départ massif en vagues,
dès la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945, lors de la
création de l'Etat d'Israël, après la proclamation de
l'indépendance nationale en 1956 et lors de chaque crise entre la France
et la Tunisie (la crise de Bizerte 1961, nationalisation des terres agricoles
en 1964) traduit, de leur part, plutôt une conviction que la puissance
coloniale a été un bouclier protecteur et un agent
d'émancipation de leur ascension sociale. Or, paradoxalement, une fois
partis et longtemps après leur départ, ils se réclament
toujours de la Tunisie et se désignent comme tel sous un
néologisme les "Twansa-s". Ce constat est
vérifiable en France, dans la région de Sarcelles, et qui
s'affirme explicitement sur des modes divers (2).
Hormis cette considération, l'étude du
discours religieux juif en Tunisie répond à un projet cognitif
circonscrit : "le renouveau des sciences humaines et
sociales, avec les multiples interrogations qui l'ont accompagné,
amènent aujourd'hui de nouvelle génération de tunisiens
à repenser l'histoire de leur société sous l'angle de la
pluralité : pluralité des démarches, pluralité des
thèmes, pluralité des acteurs. Etudier le discours religieux de
la Communauté juive en Tunisie relève d'une volonté de
reconstruction de la mémoire collective sans exclusive ni mutilation.
Elle ne doit être ni occultée, ni continuer seulement à
s'écrire comme elle le fut du temps de la littérature du
ghetto" (3). Le terme de l'étude du discours religieux juif en
Tunisie «positivement décolonisé»(4) peut être
remplacé par le postulat de « historiser » le
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(4)Sans auteur : « les juifs au
Maghreb »,Paris, Revue Moment, n°1,1998, vol 23,
p.42 (1) Valensi L, op cit p 159. (2) Idem p 49 (3) Larguèche A.,
Juifs et musulmans, fraternité et déchirements, colloque
de Paris Sorbonne, 22-25mars1999, Paris, Somogy édit. 2003, p.13 (4)
Laroui A., L'histoire du Maghreb : un essai de synthèse. Paris,
Maspéro, 1970, p. 29.
discours religieux juif en Tunisie (1), c'est-à-dire le
traiter en matière dont la connaissance est plus importante que
l'approbation ou la réprobation . Là encore, c'est un but
indiqué sans prétention d'y arriver. Au mieux, on réussira
à compenser par la sérénité ce qui nous manque en
connaissance intime du milieu.
Ce bref rappel inscrit dans l'histoire
contemporaine, comme dans l'actualité immédiate, de la
Communauté juive en Tunisie, nous révèle à quel
point les rapports de cette minorité avec la grande majorité
musulmane reste dans notre vécu un dilemme douleureux. D'où
l'interêt de ce parcours que nous entreprenons dans les pages qui suivent
et qui ne sont qu'une tentative de répondre à un certain nombre
d'interrogations. Celles-ci auront fondamentalement à
l'élucidation du phénomène du développement en
« dents de scie » du discours religieux juif en Tunisie et
ce à travers une lecture des thèmes posés, des
confrontations posées et des solutions recherchées.
Parler de la Communauté juive en Tunisie,
c'est aborder son discours développé à travers son
existence séculière en tant que Communauté et sa rencontre
avec les autres. Or, cette Communauté, ayant développé la
conscience minoritaire, n'a jamais constitué une société
politique de dimension considérable : les penseurs et
théologiens juifs, en terre d'islam, ont développé les
mêmes idées que ceux des musulmans et débattu les
mêmes sujets que ceux des penseurs musulmans(2). Le sentiment
psychologique de minorité , déjà développé
chez la Communauté juive en Tunisie, trouve sa traduction et son origine
dans le statut juridique de 'Ahl Al-Dhimma ( Les
protégés ). C'est un concept développé par les
juristes musulmans pour qualifier l'existence des non-musulmans en terre
d'Islam. Les juifs faisant partie des Gens du livres (Ahl al-Kiteb) ne
sont pas concernés par le discours universaliste et le
prosélytisme de l'Islam (3) .
Toutefois , leur existence en terre d'islam est
limitée par des lignes de démarcation infranchissables sous peine
de violer le pacte de protection. Le statut de protégé
(dhimmi) procure, en effet, aux juifs le droit de vivre leur religion
librement. En contre partie de ce droit une participation contributive
(Jezyâ ou impôt de capitation ) est exigé de toute
la Communauté comme contribution fiscale dans l'effort de la protection
de leurs âmes et biens ainsi que leur exemption de certaines charges
comme l'enrôlement dans l'armée (4)
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(1) Goldstein D., Libération ou annexion. Tunis,
M.T.E.,1978, p.8 (2) Chouraqui A., La pensée juive, Paris, PUF, 1975, p.
25 (3 ). Voir Mervin S., Histoire de l'islam:fondements et doctrines.
Paris, Flammarion, 2000,p.209 (4) Ibn El-Khouja M.-H., Les juifs du
Maghreb Arabe (En Arabe) , Le Caire (Egypte), L.E.A., 1973 , p.53
Par ailleurs, la Dhimma, de par son
caractère politique, est du ressort de l'autorité en place. La
Communauté juive était placée sous la protection du
Prince, détenteur du pouvoir politique, dans son dhimma. De ce
fait, la Communauté juive était coincée en tenaille entre
la population et les autorités en place; la moindre crise
socio-politique engendre brimades et vexations pour les membres de cette
Communauté qu'on qualifie, à tort ou à raison, de
collaborateurs avec le système politique en place
Le choix de la période étudié du
discours religieux (XIX - XX siècles) touche trois périodes de
l'histoire de la Tunisie : Le Makhzen ou l'Etat
précolonial, le protectorat et l'indépendance. Ce choix
délibéré nous est imposé du fait de la
contemporaniété de la période au niveau des idées
véhiculées sur le plan du discours religieux et surtout du fait
de l'abondance des études, directes ou indirectes, faites à
propos de la Communauté juive en Tunisie soit en Tunisie ou ailleurs
à titre académique ou des colloques circonstanciées. Le
chroniqueur et ministre tunisien 'Ahmed Ibn 'Abi Dhief a longuement
évoqué, dans son Ithaf (2), le rôle des juifs
tunisiens dans l'évolution du pays et leur droit absolu à la
liberté et l'égalité conformément aux
précepts de l'islam, religion par essence libératrice.
L'historien tunisien Mohamed Hédi Chérif qualifie les
juifs de Tunisie, au XIX siècle, d'"introducteurs de
modernité " (2).
Dans ces conditions socio-politiques est-il
possible, pour la Communauté juive en Tunisie, l'emmergence d'un
discours religieux contemporain et moderne, qui prend en charge la
réponse actuelle à tout les défis factuels
dépassant ainsi le caractère "anisthésant" de la religion
? . C'est la problématique de notre modeste mémoire qui forme le
trame de notre travail. En effet, la nécéssité,
l'utilité, l'étude voire l'emmergence du discours religieux juif
en Tunisie constituent un ensemble d'interrogations qui trouvent leurs
réponses, du moins une élucidation dans notre mémoire .
C'est pourquoi, il nous apparu utile de dégager dans une première
partie que l'interprétation, restrictive ou extensive, du pacte de la
dhimma par l'autorité en place ainsi que les rapports de la
Communauté avec les membres de la société majoritaire a
donné naissance à un discours à contenu variable
(Première partie ) qui trouve son élan discursif
au gré des circonstances et époques : c'est
l'idée maîtresse aborderée dans la première partie
de ce mémoire où on tachera de démontrer que la
variabilité du discours religieux juif était fonction
principalement des rapports avec les autres, société et pouvoir
politique. La Communauté juive tunisienne a interprété
différemment ses rapports avec le Makhzen et le protectorat.
Chaque période a ses exigences et son discours qui varient par rapport
à l'interlocuteur concerné .
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(1) Ibn Abi Dhief A., Ithaf ahl ezamen fi muluk Tunis we 'ahd
el-Amen ( livre en arabe ) Tunis, M.T.E., 1990, T.6, p.8 (2) Chérif
M.-H, Ben Dhief et les juifs tunisiens, Paris, Confluences
Méditerranée, Printemps 1994, p. 94
Mais en réalité, ce discours à
contenu variable a été touché dans l'identité
même du fait de l'apport culturel d'autres juifs venant des horizons
divers, ainsi que par la modernité qui a altéré
l'homogénéité du discours religieux juif tant au niveau
des items débattus et au niveau des rapports avec le milieu le plus
proche, les musulmans (pouvoir politique et population). Depuis, le discours
religieux juif a connu une évolution inégale
(Deuxième partie) qui va jusqu'à son paroxysme
: l'éclatement . On tachera de démontrer dans
cette seconde partie de notre mémoire qu'il n'y a plus un seul discours
religieux juif mais une multitude . A l'opposé de la première
période où la variabilité ne concerne que le contenu, la
seconde période touche le discours religieux dans l'identité
puisqu'il s'est détaché de l'espace culturel dans lequel il a
fait des racines pour s'envoler vers d'autres cieux .Cette affirmation
conflictuelle de l'identité et de la culture juives touche les rapports
ombilicales de la Communauté juive avec le pouvoir politique tunisien
dans la période du protectorat francais et après
l'indépendance . Il y a une sorte de détachement du discours de
son milieu du fait des « désillusions »
idéologiques et politiques .
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