Chapitre II : Perception des stratégies de
gestion par les pêcheurs
Dans les chapitres précédents, nous avons
tenté de voir les modes d'exploitation des ressources halieutiques et
leurs implications environnementales et socioéconomiques.
Il est apparu qu' à cause de certaines pratiques non
durables, les ressources halieutiques subissent une forte exploitation. Les
volumes globaux des débarquements ont tendance à baisser, la
taille des espèces diminue et les pêcheurs passent plus de temps
à pêcher que d'habitude. Le corollaire de tout ceci est que les
revenus des pêcheurs diminuent de plus en plus et la pauvreté
gagne le secteur de la pêche.
Face à cette situation, diverses stratégies de
gestion sont déroulées et concernent pour la plupart des plans de
conservation de la ressource et de renforcement de la réglementation de
son accès. Nous avons recueilli les avis des pêcheurs sur ces
mesures de gestion.
La majorité d'entre eux sont d'accord qu'il faut
aujourd'hui des pratiques de pêche responsables et durables pour
sauvegarder la ressource.
II.1. Le nouveau permis de pêche
artisanale
L'instauration du permis de pêche artisanale est
officiellement effective depuis le début du mois d'octobre 2005 sur
l'ensemble du territoire national.
Au cours de nos enquêtes, sur l'ensemble des
capitaines-piroguiers interrogés, seuls 3,75 % n'étaient pas au
courant du projet d'instauration du permis de pêche. Ils sont tous
originaires de Mbour (tableau 11).
Tableau 11 : Estimation du niveau de connaissance de
l'instauration du permis de pêche artisanale
Etes-vous au courant de l'instauration
du permis de pêche ?
|
Mbour
|
Joal
|
Total
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
Oui
|
37
|
92,5
|
40
|
40
|
77
|
96,25
|
Non
|
3
|
7,5
|
0
|
0
|
3
|
3,75
|
Total
|
40
|
100
|
40
|
100
|
80
|
100
|
Source : Enquêtes personnelles, 2005.
Cette bonne connaissance de l'existence du permis de
pêche, tient au fait que la mesure a été largement
médiatisée et que des tournées de sensibilisation et
d'information ont été effectuées dans 30 sites de
pêche dont ceux de Mbour et de Joal au mois d'août dernier. C'est
le CONIPAS, un syndicat créé en 2003 et qui regroupe l'ensemble
des professionnels du secteur, qui en était le principal animateur avec
le soutien des postes de contrôle des pêches maritimes. En outre,
la quasi-totalité des pêcheurs ont bien accueilli cette mesure car
pour eux l'accès à la profession doit être
réglementé. Le permis de pêche est un bon moyen
d'identification des vrais pêcheurs à condition qu'il soit
délivré dans la transparence. Pour cela, ils proposent qu'une
enquête approfondie soit effectuée par le CLP (chargé de
délivrer le permis) sur la personne demandeur. Pour eux,
l'intéressé doit fournir des renseignements précis sur ses
moyens de production ainsi que sur son ancienneté dans le métier.
Elle doit aussi montrer son savoir-faire et ses connaissances réelles du
secteur ainsi que de l'environnement marin et côtier.
En ce qui concerne le coût des droits d'accès
à la ressource, les pêcheurs sont unanimes à
considérer que les tarifs appliqués (de 5000 à 25000 f
CFA) sont vraiment accessibles contrairement à ceux appliqués par
exemple en Guinée-Bissau et qui s'élèvent à 1 400
000 f CFA.
La lecture de cette nouvelle politique de régulation
à l'accès à la ressource laisse apparaître une
volonté manifeste de co-gestion des ressources halieutiques de la part
des pouvoirs publics. Certaines prérogatives étatiques sont
désormais concédées aux communautés de base
à travers les Conseils Locaux de Pêche (CLP).
Cependant, une crainte est à prendre en compte. Elle
concerne le caractère discriminatoire de l'application de la mesure. La
mise en place de cette licence de pêche permet certes, de réguler
l'effort de pêche excessif, mais elle cache une certaine volonté
d'écarter les non-professionnels du secteur dont le seul tort est
d'avoir cherché à échapper au chômage et à la
pauvreté. Aussi, doit-on mettre en oeuvre des mécanismes de
reconversion pour la réinsertion professionnelle de ces personnes.
II.2. Le code de la pêche
Tableau 12: Estimation du niveau de connaissance du code
de la pêche de 1998
Etes-vous au courant de l'existence du code de
la pêche ?
|
Mbour
|
Joal
|
Total
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
Oui
|
12
|
30
|
9
|
22,5
|
21
|
26,25
|
Non
|
28
|
70
|
31
|
77,5
|
59
|
73,75
|
Total
|
40
|
100
|
40
|
100
|
80
|
100
|
Source : Enquêtes personnelles, 2005.
La majorité des capitaines-piroguiers interrogés
(73,75%) avouent ne pas être au courant de l'existence du code de la
pêche maritime dont la mise en place est effective depuis 1998 ou
prétendent n'avoir pas été suffisamment informés de
son contenu.
Les pêcheurs qui affirment connaître son existence
(22,5 % à Joal et 30 % à Mbour) ne peuvent pas en dégager
les grandes lignes; mis à part la délimitation des zones de
pêche industrielle et artisanale.
Certes, le taux élevé de pêcheurs n'ayant
pas fréquenté l'école française (52,5 %)
expliquerait en partie cet état de fait. Mais, il se trouve que
certaines dispositions du code comme celles relatives à l'interdiction
par exemple de l'utilisation d'engins destructeurs tels que les monofilemments
ou multifilemments sont bien connues des pêcheurs. La preuve est que
certains pêcheurs migrants n'hésitent pas à les utiliser
lorsqu'ils sont à Mbour ou à Joal, alors qu'ils respectent la
réglementation à Kayar où son application est stricte et
contrôlée. Qui plus est, ils sont régulièrement
sensibilisés par l'administration locale des pêches et certaines
organisations professionnelles sur les dangers de l'utilisation de ces engins
sur l'écosystème marin. Aussi, des rappels à l'ordre sont
régulièrement faits à propos de la limitation sur la
taille des espèces, du repos biologique, du maillage des filets, etc. De
ce fait, la thèse de l'ignorance ou du manque de sensibilisation n'est
pas soutenable. Ce qu'il faut par ailleurs envisager, c'est le renforcement des
moyens de communication. Pour ce faire, nous pensons que dans le cadre de
l'instauration du permis de pêche, on pourrait par exemple doter les CLP
de Centres Communautaires Multimédia (CCM) comme ceux
développés par l'UNESCO dans certaines îles du Pacifique
pour une meilleure consolidation des pratiques éclairées. Dans
ces CCM, on pourrait retrouver une station
radio dont la grille des programmes serait essentiellement
consacrée à la sensibilisation des acteurs sur la gestion durable
du milieu marin et côtier ainsi que du cadre de vie en
général. L'accent serait mis surtout sur l'urgence de
l'application de la réglementation en vigueur en matière de
pêche maritime.
Outre la station radio, l'accès à Internet
pourrait aussi être un levier pour permettre aux acteurs de dialoguer,
d'échanger et de s'imprégner des pratiques
éclairées extérieures afin de pouvoir les combiner avec
les leurs ou celles plus modernes. Pour cela, un préalable est
nécessaire. C'est la formation des pêcheurs aux TIC et leur
alphabétisation en langues nationales ou en langues
étrangères. Déjà, en matière d'initiation
informatique, les membres du comité de gestion du quai de Mbour ont
commencé à recevoir des modules de formation depuis plusieurs
mois.
Toujours à propos de la perception du code de la
pêche par les acteurs de la pêche à la base, on peut noter
par ailleurs, que ce sont les pêcheurs à la retraite membres des
organisations professionnelles qui semblent mieux le connaître.
La perception qu'ils ont du code n'est pas tout à fait
négative. Mais, ils prônent son application stricte surtout en ce
qui concerne la délimitation des zones de pêche. Pour eux, les
pêcheurs sont victimes des incursions faites par les bateaux industriels
dans la zone des 6 milles réservée à la pêche
artisanale. Aussi suggèrent-ils son extension
jusqu'au- delà des 12 milles.
En ce qui concerne le problème de l'utilisation des
engins de pêche artisanale non autorisés dans les eaux
territoriales sénégalaises, ils ont souhaité son
règlement à l'amiable. A ce propos, ils ont
réaffirmé leur adhésion à la proposition faite par
le cadre de concertation nationale sur la réglementation de
l'accès à la ressource. Celle-ci consiste à accorder un
délai aux utilisateurs de ces types d'engins pour leur permettre
d'amortir les importants investissements avant l'application stricte de la
réglementation.
D'autres propositions ont été faites. Il s'agit
essentiellement du renforcement des postes de contrôle en ressources
humaines et des moyens de communication pour la sensibilisation des acteurs
pour des pratiques de pêche responsables.
II.3. Le code de conduite de Mbour
Seuls des pêcheurs résidents permanents (52,5%)
ont fait mention de l'existence de ce code mais ne connaissent pas encore son
contenu. Ceci est lié au fait que son application n'est pas encore
totalement effective.
Mais déjà, ces pêcheurs sont d'accord sur le
principe de l'autogestion et estiment qu'il est temps de réduire la
pression sur la ressource.
Cette initiative est appréciable et montre que les
acteurs sont bien conscients de la responsabilité de la pêche
artisanale dans la surexploitation des ressources halieutiques.
Cependant, une chose est à signaler. Il s'agit du
risque de conflits de compétences en matière de gestion des
ressources halieutiques entre le comité de gestion du quai et le CLP qui
devrait être bientôt installé. Aussi, compte tenu du fait
que ce code n'a pas encore reçu l'approbation de l'autorité
préfectorale, nous pensons qu' il serait prudent que cet instrument de
régulation soit pris en compte dans l'élaboration des statuts du
CLP et de la mise en place de ce dernier.
II.4. Le repos biologique
Tous les pêcheurs interrogés affirment être au
courant du dernier repos biologique décrété par les
pouvoirs publics entre le 20 mars et le 30 avril 2005 et aucun n'a
transgressé l'interdit. Cependant, ils ont décrié la
période pendant laquelle le repos a été
décrété. Leur réponse est unanime :
« La fermeture de la pêche du poulpe de cette
année n 'a pas été une réussite pour nous car
depuis sa réouverture, l'espèce est devenue difficile à
trouver. Les rares quantités de poulpe débarquées
actuellement (au cours de nos enquêtes) ne comportent que des
espèces de petite taille. Alors que c'est en juillet, août et
septembre que la capture du poulpe se fait de manière beaucoup plus
intense ».
Pour les pêcheurs interrogés, cette situation
pourrait s'expliquer par le fait que la période pendant laquelle le
repos a été décrété correspond au moment
où l'espèce commence à arriver au large de nos
côtes. Et le fait de ne pas les capturer pendant un certain temps
entraîne leur migration. C'est pourquoi le produit est devenu
introuvable.
Cette position sur le repos biologique est très
paradoxale, et les interrelations entre les conditions de migration et de
celles de capture du poulpe telles que définies par les
pêcheurs
posent un réel problème. Faut-il tenir compte de
ces interrelations et leur accorder un crédit ? De toute manière,
la fréquence des réponses apportées par les pêcheurs
ne nous permettent pas de les réfuter catégoriquement. Cependant,
nous pensons que les investigations méritent d'être
poussées. Aussi est-il nécessaire de faire appel à la
recherche biologique et océanographique en synergie avec les acteurs de
la pêche pour savoir si réellement le poulpe est une espèce
dont la capture est conditionnée par les conditions de migration.
II.5. L'aménagement de l'AMP de Joal
Les pêcheurs de Joal perçoivent ce projet
d'aménagement comme un moyen de protection efficace de la faune marine
et particulièrement des espèces menacées. C'est pourquoi
ils ont réaffirmé leur adhésion à ce projet.
Cependant, une catégorie des pêcheurs a
soulevé une question cruciale. Il s'agit des utilisateurs de sennes de
plage. Pour eux, les promoteurs du projet doivent tenir compte de certaines
préoccupations socioéconomiques. En effet, l'aménagement
de l'AMP suppose le retrait des sennes de plage. C'est pourquoi ils souhaitent
être dédommagés pour pouvoir se reconvertir dans d'autres
types de pêche.
La question est à l'étude au niveau du WWF.
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