Chapitre I : Les stratégies de gestion des
ressources halieutiques
Il existe deux systèmes : la réglementation
officielle et le système communautaire.
I.1. La réglementations officielle
Dans le département de Mbour, c'est la
Préfecture et le Service Départemental des Pêches maritimes
en collaboration avec la Gendarmerie qui sont chargés de veiller au
respect des dispositions réglementaires officielles en matière de
gestion des ressources halieutiques. Parmi ces dispositions, on peut citer le
nouveau code de la pêche, le permis de pêche artisanale et
l'instauration du repos biologique.
I.1.1. Le nouveau code de la pêche
maritime
La volonté politique du gouvernement
sénégalais de protéger l'écosystème marin ne
date pas d'aujourd'hui. C'est depuis le début des années
d'indépendance que des textes à valeur législative ont
été adoptés pour réglementer l'accès aux
ressources marines.
La première loi votée dans ce sens est la loi
N° 61-46 du 21 juin 1961 qui, notamment en son article 1, indique que la
pêche dans les eaux territoriales sénégalaises est
réservée aux navires sénégalais ou aux
ressortissants des Etats à qui ce droit de pêche est reconnu par
convention.
La loi N° 76-89 du 02 juillet 1976 portant code de la
pêche maritime, modifiée par la loi N° 79-23 du 24 janvier
1979 et par la loi N° 85-14 du 25 février 1985, délimite en
son article 2, la mer territoriale sur une zone qui s'étend sur 200
milles marins. En outre, l'article 15 précise les conditions
d'exploitation des ressources halieutiques par les bateaux étrangers.
La dernière loi votée relative au nouveau code de
la pêche suivie d'un décret d'application, porte le N° 98-32
du 14 avril 1998.
Le nouveau code de la pêche est composé de 9
titres qui s'appesantissent sur la délimitation des zones de pêche
et leurs modalités d'accès ainsi que leur surveillance, la
définition des types de pêche et de leurs finalités,
l'interdiction d'engins de pêche destructeurs; etc. Le titre II traite
spécifiquement de la gestion et de l'aménagement des
pêches. Les articles 22 à 30 réglementent l'accès
à la ressource pour la flottille étrangère sur la base de
licences de pêche et de leurs conditions de délivrance.
Cependant, force est de constater que ce code est insuffisant
puisqu'il n'a rien prévu pour la réglementation de
l'accès à la ressource pour la pêche artisanale. C'est
pourquoi le ministère en
charge de la pêche maritime veut résorber ce gap en
procédant à la mise en place de permis de pêche pour les
embarcations artisanales.
I.1.2. La réglementation de l'accès
à la ressource pour la pêche artisanale
Le Ministère de l'Economie Maritime a entrepris depuis
quelques temps un vaste programme de réorganisation du secteur de la
pêche.
Déjà, plus de 5 milliards de f CFA ont
été injectés dans la surveillance et la protection des
pêches (source : DPM), le recensement du parc piroguier est fait et
l'immatriculation des pirogues devrait suivre. L'une des dernières
étapes de la réforme, celle-là beaucoup plus importante,
est la mise en place d'une réglementation adaptée à
l'accès à la ressource pour la pêche artisanale. Celle-ci
permettra de mettre fin au régime du libre accès à la
ressource considéré comme l'une des principales causes de
surexploitation halieutique.
La question cruciale posée au départ
était de voir comment réduire la pression et la
surcapacité de pêche et arrêter la baisse des volumes
annuels de débarquement. Une large concertation entre l'Administration
des Pêches et les acteurs à la base représentés par
le CONIPAS a permis d'obtenir un consensus autour de cette question avec
l'instauration d'un permis de pêche moyennant une redevance annuelle.
Ainsi, trois types de permis sont établis selon les moyens
utilisés pour pêcher : 5000 f CFA pour la pêche à
pied, 15000 f CFA pour les pirogues de 0 à 13 m de long et 25000 f CFA
pour les pirogues de plus de 13 m.
Le permis est délivré par le Conseil Local de
Pêche en collaboration avec l'administration locale des pêches. Le
CLP joue un rôle crucial dans cette nouvelle forme de gestion des
ressources marines. Il est notamment chargé de gérer une partie
des recettes perçues de ce permis. Il devra veiller au respect de la
réglementation des pêches (code de la pêche), et des normes
de sécurité à bord de l'embarcation, de contrôler la
construction des pirogues locales par la délivrance d'une autorisation
de construire, de délivrer les cartes professionnelles, etc. Toutes ces
taches sont exécutées en relation avec les communautés de
base et l'administration locale des pêches.
A Joal, le CLP a été installé et compte 36
conseillers. Il est présidé par le Préfet du
Département de Mbour.
Outre cette autorité administrative, ce CLP comprend un
représentant de la Municipalité, un représentant du
Service des Pêches et une pléthore de collèges tels que
ceux des différents types de pêche (senne tournante, senne de
plage, filet dormant - casier, filet maillant et lignes), des
mareyeurs, des femmes transformatrices, des investisseurs et des
sages. A Mbour, le CLP n'a pas été encore installé.
I.1.3. Le repos biologique
C'est une forme de gestion des ressources marines qui consiste
à procéder à un arrêt temporaire de la
mortalité des espèces par captures.
Il a été d'abord initié au niveau de la
pêche industrielle depuis 1996 pour le cymbium. Depuis, il est
obligatoire et c'est en liaison avec la GAIPES que des périodes sont
définies selon les types de chaluts tous les ans.
Au niveau de la pêche artisanale, c'est le poulpe qui
est la principale cible cette année et c'est l' arrêté
ministériel N° 05801 80/MEM/DPM/MDT portant interdiction de la
pêche et du transbordement de cette espèce, qui en a défini
les contours. Ainsi, la pêche au poulpe est interdite dans les eaux sous
juridiction sénégalaise du 20 mars au 30 avril 2005 soit 40 jours
de fermeture momentanée. Et toute infraction est punie selon les
dispositions des articles 85 et 87 du code de la pêche.
Le repos biologique pour le poulpe a été
diversement apprécié. Nous y reviendrons dans le chapitre II.
Mais quoi qu'il en soit, il faut dire que le repos biologique est
une bonne stratégie de gestion des stocks puisqu'il permet leur
régénération et leur préservation.
Déjà à Nianing (localité
située entre Mbour et Joal, à 90 km au Sud de Dakar), le respect
du repos biologique du poulpe et du cymbium mis en place par les populations
elles mêmes a permis d'avoir d'excellents résultats surtout sur le
plan économique3.
3 Il s'agit d'une initiative communautaire soutenue
par la Coopération Japonaise sous la supervision du Préfet et
avec le concours du Service Départemental des Pêches Maritimes et
de Surveillance de Mbour. Il a débuté il y a plus d'un an. Les
périodes de repos (du 15 septembre au 15 octobre 2004) ont
été bien respectées par la quasi-totalité des
piroguiers. Et la commercialisation en commun des captures a permis d'augmenter
les revenus des pêcheurs de 72% (source : Bulletin d'information de la
DPM « Au Front » N°2, août 2005).
I.1.4. La campagne de réduction de la pêche
aux juvéniles
C'est une initiative de Océanium et du WWF soutenus par
le Ministère en charge de la pêche. Elle vise à
sensibiliser les communautés de pêcheurs et les écoles sur
les dangers de la pêche aux alevins. Cette campagne de mobilisation
sociale et d'information qui avait comme slogan « Légui doy
na » (ça suffit maintenant), s'est déroulée
d'octobre 2003 à janvier 2004 sur 13 sites de pêche artisanale
dont ceux de Mbour et de Joal où elle a été dirigée
par le Service Régional des Pêches maritimes dont le siége
se situe à Joal.
Les moyens de communication utilisés sont très
divers : vidéos-causeries, animations théâtrales et
projections du film documentaire « Ba kagne » qui traite des
méfaits de la pêche aux alevins sur l'équilibre de
l'environnement.
A Mbour comme à Joal, ont été
associés à l'évènement, les municipalités,
les GIE interprofessionnels chargés de la gestion des quais de
pêche, les leaders d'opinions ainsi que les radios locales telles que
« La côtière » à Joal, « Dunya
FM » et « Sud FM » à
Mbour.
Cette campagne a été bien suivie par les acteurs
de la pêche. La plupart des pêcheurs interrogés, à
l'exception des utilisateurs de sennes de plage et de filets dormants, ne
ramènent plus les espèces immatures. Les rares juvéniles
ou alevins qui sont capturées sont immédiatement remises à
l'eau. Ce qui n'est pas le cas pour les engins comme les sennes de plage ou les
filets dormants. Leur non sélectivité et leurs techniques
d'utilisation font que le tri des espèces ne se fait que suite aux
débarquements. C'est pourquoi, il n'est pas rare de voir des rejets
massifs de poissons immatures sur les plages. Ce qui contribue à la
pollution et à la dégradation de celles-ci.
I.2. Le système communautaire de gestion des
ressources halieutiques
En matière de régulation autonome ou de gestion
autonome des ressources halieutiques, Mbour semble être en avance sur
Joal. Les responsables du comité de gestion du quai de Mbour ont
élaboré depuis quelques temps des règles d'autogestion
à travers un code de conduite soumis actuellement à l'approbation
du Préfet du Département de Mbour.
A Joal, les mécanismes de gestion des ressources
halieutiques sont de deux ordres : le projet d'aménagement d'une AMP et
celui oeuvrant pour la conservation des tortues marines.
I.2.1. A Mbour
a. Identification des acteurs
Les principaux acteurs de la gestion des ressources
halieutiques au niveau communautaire sont regroupés dans un GIE
dénommé « And liguey téfess »
chargé de la gestion du quai. Il est composé de 5 organisations
professionnelles de renommée nationale (CNPS, FENAGIE, UNAGIEM, FENAMS,
et FENATRANS) et de 5 organisations locales (Batou téfess, And
liguey, Diarignon guedj gui, Goorgorlou et yakhanal guedj gui).
Le GIE « And liguey téfess »,
chargé du bon fonctionnement du quai, est sous l'autorité de la
municipalité qui contrôle ses actions et perçoit les
redevances annuelles après charges. Il est dirigé par un
comité directeur de 40 membres. Mais c'est le comité restreint de
gestion fort de 12 membres qui est chargé d'exécuter les
orientations du comité directeur surtout en matière de
prévention des conflits, de gestion des ressources et de
l'environnement, de la salubrité du quai et de sa
sécurité, de la formation des acteurs, etc.
b. Le code de conduite local
Il a été proposé en mars 2005 par le
comité de gestion des ressources halieutiques et de l'environnement du
GIE « yakhanal guedj gui ». Il a été
adopté par l'assemblée générale4
réunie le 05 avril 2005. Les promoteurs de ce code entendent «
appuyer l'Etat dans sa politique de protection, de conservation des
ressources halieutiques et de prévision de leur exploitation
». Par ailleurs, ils veulent inciter les acteurs à une pêche
responsable à travers la revalorisation des pratiques traditionnelles
entre autres.
Le code tire sa substance essentiellement du code de la
pêche de 1998.
4 L'assemblée générale du GIE « And
liguey téfess » est composé de 100 représentants soit
10 représentants pour chaque organisation professionnelle.
L'article 5 du code local traite exclusivement des conditions
d'exploitation des ressources. Ainsi, sont interdits sur tout le
périmètre du centre de pêche de Mbour :
y' L'usage de filets monofilemments ou multifilemments
y' La pêche, la détention et la commercialisation du
poulpe pendant les périodes de repos biologiques
y' La capture ou la détention de toute espèces
protégée (lamantin, dauphin, tortue marine, etc.)
y' La capture de poulpe de moins de 350 g, de même que
toute autre espèce immature y' L'utilisation d'une senne de plage de
maille inférieur à 50 mm
y' La pêche nocturne pour les sennes tournantes du 1 au 30
décembre
y' La commercialisation de tout produit en provenance d'autres
régions ou centres de pêche en période de « rush
» sur le quai de Mbour.
Dans le domaine de l'environnement côtier et marin, il est
interdit de rejeter des ordures et de déverser des eaux usées sur
toute la plage entre le quartier de Mbour maure et celui de Golf. L'extraction
de sable marin est aussi interdite.
Tous les acteurs officiant sur le quai sont tenus de respecter
ces dispositions réglementaires sous peine d'une amende allant de 3000
à 300000 f CFA.
Pour une restauration de l'équilibre de
l'écosystème marin, il est prévu une immersion de
récifs artificiels ainsi que l'aménagement d'une AMP pour le
repeuplement des stocks menacés.
I.2.2. A Joal
a. Identification des acteurs
Les acteurs de la gestion communautaire des ressources
halieutiques à Joal sont la municipalité et l'Interprofessionnel
de pêche appuyés par le WWF et l'UICN.
Compte tenu des compétences transférées,
dans le cadre de la décentralisation, la mairie accompagne les
initiatives en matière de gestion des ressources halieutiques. Sa plus
grande action reste liée à la définition de la zone de
débarquement fixée par arrêté N° 21 CJF. Elle
supervise la gestion du quai de pêche confiée à
l'Interprofessionnel de pêche qui regroupe tous les acteurs.
Le WWF et l'UICN sont des ONG dont les interventions portent
essentiellement sur la conservation de l'équilibre de
l'environnement. L'UICN oeuvre principalement pour la protection
des espèces menacées alors que le WWF, à
travers son bureau marin en Afrique de l'Ouest essaie de renforcer le
réseau d'AMP dans la sous-région et d'appuyer le secteur de la
pêche artisanale pour la promotion de pratiques de pêche
responsables et durables.
b. Le projet d'aménagement de l'AMP de
Joal
Les AMP sont devenues aujourd'hui un bon moyen de gestion des
ressources en ce sens qu'elles permettent de créer des conditions
propices à la régénération des stocks et au
développement des espèces. Le procédé consiste
à immerger des récifs artificiels dans une zone
déterminée qui sera ensuite fermée à la
pêche.
Au Sénégal, le WWF appuie le gouvernement dans
ses projets d'aménagement de 4 nouvelles AMP dont celle de Joal-Fadiouth
qui s'étendra de Ngazobil à Palmarin. C'est en collaboration avec
la municipalité que la dite zone a été identifiée
et officiellement cédée à l'occasion de la journée
«don à la terre» du 13 juillet 2005. Sont
associés à cette action, le poste de contrôle des
pêches maritimes et la communauté des pêcheurs à
travers l'Interprofessionnel.
c. La conservation des tortues marines
C'est un programme initié depuis 1999 par l'UICN. Il
est né d'un constat d'une intense commercialisation des tortues marines
en direction surtout des populations de l'île de Fadiouth, grandes
consommatrices de chaire de tortue. Ce qui entraînait la surexploitation
de ces espèces. C'est pour réduire la pression sur cette
espèce et décourager sa pêche que ce programme est
intervenu en mettant en place une stratégie de sensibilisation des
acteurs par le biais d'émissions radiophoniques de « La
côtière ». Ces initiatives ont connu un grand
succès puisque la chaire de tortue n'est plus commercialisée
à Joal-Fadiouth.
En somme, l'ensemble des stratégies
répertoriées précédemment peuvent être
classées selon 4 axes majeures : la régulation de l'accès
à la ressource, la protection, l'aménagement et la
sensibilisation.
Figure 3 : Les stratégies de gestion des
ressources halieutiques à Mbour et à Joal
1. Régulation de l'accès à
la
ressource
Permis de pêche Code de la pêche
Acteurs
Postes de contrôle Gendarmerie Organisations
professionnelles locales CLP
ONG (WWF et UICN)
Protection
Repos biologique
Conservation des tortues marines
Code de conduite de Mbour. L'article 5 interdit la capture et
détention de toute espèce immature ou protégée
comme le lamantin, le dauphin, la tortue marine, le poulpe (-350 g)
3. Aménagement Projet
d'aménagement de l'AMP de Joal
4. Sensibilisation
Campagne « légui doy na»
Emissions radiophoniques
Rappels faits par le services de pêche sur le respect des
prescriptions réglementaires sur la taille des espèces, les
engins de pêche, etc.
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