Chapitre I : Modes d'exploitation
Prés d'une dizaine d'engins de pêche sont connus
à Mbour et à Joal et peuvent être classés en deux
catégories : les filets généraux et les lignes.
I.1. L es filets généraux
Parmi les filets généraux, on distingue la senne de
plage, la senne tournante et les filets maillants.
I.1.1. La senne de plage
Ce type d'engin de pêche est utilisé dans les
zones très côtières où il peut être
manoeuvré à partir des plages. Comme source d'énergie, son
utilisation nécessite surtout la puissance musculaire. Les sennes de
plages ont généralement une longueur qui varie entre 200 et 1000
m pour une chute de 10 à 20 m.
L'impact de ce type de pêche est très
négatif sur la ressource car il est peu sélectif. Son maillage
fin (quelques fois appelé « moustiquaire ») fait que les
poissons capturés sont en majeur partie juvéniles et mesurent 2
à 15 cm.
I.1.2. Les filets maillants
Parmi les filets maillant, on a les filets maillant fixes et les
filets maillant encerclant.
> Les filets maillants fixes (filets
dormants ou mbal ser) : ils font partie des engins de pêche
artisanale les plus décriés à cause de leur non
sélectivité et de leur caractère non biodégradable
qui portent atteinte à l'environnement marin. Ils sont à base de
fils monofilemment de couleur souvent verte ou blanche et peuvent mesurer, pour
les filets de fond pour gros poissons, jusqu'à 90 m de long pour une
chute de 1,5 m. Ces types de filets sont souvent fixés au fond de la mer
pour barrer la route aux espèces de fond comme la sole qui peut
être facilement capturée. Pour les filets de surface, la longueur
varie entre 40 et 200 m pour une chute de 8 à 10 m. La pratique est
simple et ne nécessite des dépenses en carburant et d'efforts
importants. Ils sont relevés toutes les 12 ou 24 heures. Cependant, il
arrive que ces engins se perdent en mer. Dans ce cas, ils sont susceptibles de
pêcher continuellement. On les retrouve plus à Mbour qu'à
Joal.
Photo 4 : Pirogues à filets maillants fixes ou
dormant (« mbal ser »)
Cliché : M. D. LO, 2005
Photo 5 : Type de monofilemment usé
rejeté sur la plage de Joal
Cliché : M. D. LO, 2005
> Les filets maillants encerclant : C'est
une technique intermédiaire entre la senne de plage et la senne
tournante. La largeur de ces filets varie entre 250 et 450 m pour une chute de
7 à 12 m avec un maillage de 60 à 80 mm. Leur utilisation
nécessite l'emploi de pirogues de 12 à 15 m et consiste à
encercler les bancs de poissons suite au repérage de leur direction
à la surface de l'eau. Avec le resserrement du cercle formé, les
poissons sont maillés dans le filet en tentant de s'échapper. Une
fois dans la pirogue, ils sont démaillés un à un. Ce type
de pêche est permanent surtout à Joal par la présence de
l'espèce cible (sardinelle plate) dans les pêcheries artisanales
du Sud de la Petite Côte.
I.1.3. La senne tournante
C'est un engin très performant qui cible les poissons
pélagiques comme les sardinelles, les chinchards, les maquereaux, les
grandes caranges, etc. Elle a subi de grandes modifications tant du point de
vue de la taille de l'engin lui-même, que celle des pirogues. De 250
à 300 m de long pour une chute de 40 m au début des années
1970, les sennes tournantes sont passées à 400 m de long pour une
profondeur pouvant atteindre 48 m avec un maillage de 28 à 30 mm.
L'utilisation de cet engin nécessite l'emploi de deux pirogues dont les
tailles sont passées de 14 à 20 m au cours de ces vingt
dernières années. Le procédé consiste à
encercler le banc de poisson en le doublant dans la direction où ils se
déplacent. Puis on fait de sorte à fermer le filet en forme de
poche par la partie inférieure. Ensuite le contenu est vidé dans
la seconde pirogue de plus grande taille avec des épuisettes. A Mbour
comme partout sur la Petite Côte, cet engin exerce une forte pression sur
les ressources cibles car ayant une grande capacité de capture.
Photo 6 : Pirogues à senne tournante
Cliché : M. D. LO, 2005
I.1.4. Les lignes
On distingue principalement les lignes glacières, les
lignes simples et les lignes casiers à seiche.
Les lignes simples ciblent les poissons dits nobles comme les
dorades, les mérous, le pageot, les pagres. Ce sont des engins
très faciles à manier. Ils sont constitués par une ligne
mono fil avec des hameçons appâtés de morceaux de
sardinelles.
Leur utilisation se fait en plein jour et ne prend pas
beaucoup de temps. C'est pourquoi les pêcheurs qui pratiquent ce type de
pêche n'ont pas besoin de glace. Par contre les lignes glacières
nécessitent de grandes quantités de glace pour la conservation
des captures en raison de la durée des sorties qui est d'au moins 24
heures.
Photo 7 : Pirogue glacière
Cliché : M. D. LO, 2005
La pêche à la seiche est faite à l'aide du
casier en forme de parallélépipède.
D'autres types de pêche sont singulièrement
notés. Il s'agit de la pêche à la main, celle à la
voile et de celle au trémail qui est composé de 3 nappes de
filets superposés et qui cible les espèces de fonds et de demi
fond telles que le yet, le murex, les carpes, les soles, etc.
Chapitre II : Perception de la surexploitation
halieutique par les pêcheurs et étude des impacts
socio-économiques
Le milieu marin au Sénégal est soumis à de
grandes mutations tant du point de vue dynamique que biologique.
Dans ce chapitre nous n'évoquerons que les mutations
biologiques et leurs conséquences sur la vie économique et
sociale.
II.1. Perception de la surexploitation des ressources
halieutiques par les pêcheurs
L'une des mutations majeures les plus perceptibles par les
capitaines-piroguiers interrogés est la diminution des ressources
marines au sein du milieu naturel dans lequel ils travaillent.
Les pêcheurs de Mbour et de Joal appréhendent ce
problème à partir de trois critères : le volume des
débarquements, la durée des opérations de pêche et
la taille des espèces.
60 % des capitaines-piroguiers interrogés n'arrivent pas
à débarquer une quantité de poisson égale à
la moitié de ce qu'ils mettaient à terre il y a prés de
dix ans.
Le dépouillement des statistiques des postes de
contrôle des pêches maritimes permet de le confirmer pour la zone
de Mbour, mais pas tout à fait pour celle de Joal.
Tableau 7 : Evolution des mises à terre de Mbour
de 1992 à 2004
Année
|
Tonnage
|
1992
|
102 791,27
|
1993
|
99 145,53
|
1994
|
69 704,84
|
1995
|
58 908,455
|
1996
|
68 072,245
|
1997
|
58 006,245
|
1998
|
68 694,675
|
1999
|
39 357,985
|
2000
|
55 668,18
|
2001
|
ND
|
2002
|
ND
|
2003
|
56739,36
|
2004
|
59 680,36
|
Source : Poste de contrôle de Mbour /
ND : Données non Disponibles.
Les volumes globaux débarqués à Mbour ont
depuis 1992 diminué de 41,9 % et n'ont atteint que 59 680,36 tonnes en
2004. L'analyse de l'évolution des captures annuelles permet de
constater que la séquence 1992-1995 est la plus sévère car
la chute de production est continuelle. Le volume minimum est enregistré
en 1999 avec 39 357,985 tonnes de poissons débarquées. Cette
tendance globale de diminution est aussi vraie pour plusieurs espèces
considérées comme menacées par les pêcheurs
interrogés. Il s'agit principalement des mérous, des
badéches, du rouget, de la seiche, etc.
A Joal, nous n'avons pu disposer de suffisamment de
statistiques. Mais l'évolution des mises à terre montre une
irrégularité. Après une hausse sensible entre 1999 et
2001, une stagnation est enregistrée jusqu'en 2003.
Tableau 8 : Evolution des mises à terre (en
tonnes) à Joal de 1999 à 2004
Années
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
Tonnages
|
138228,55
|
145157,06
|
172210,22
|
133665,743
|
133665
|
159032
|
Source : Poste de contrôle de Joal
200000
150000
100000
Figure 2: Evolution des mises à terre à
Joal de 1999 à 2004
50000
0
1999 2000 2001 2002 2003 2004
années
En ce qui concerne l'évolution des espèces, il
faut remarquer que certaines d'entre elles connaissent des chutes de production
entre 1999 et 2004. C'est le cas par exemple des démersaux côtiers
tels que le rouget (-100%),le poulpe (-49,11%), le cymbium (-12,76%), etc.
Tableau 9 : Evolution de quelques groupes (en tonnes)
à Joal en 1999 et 2004
Années
Espèces
|
1999
|
2004
|
Evolution en %
|
Ethmaloses
|
23239,900
|
14877,622
|
- 35,98
|
Maquereaux
|
153,540
|
61,509
|
- 59,9
|
Rougets
|
1,030
|
0
|
- 100
|
Poulpes
|
2128,310
|
1082,971
|
- 49,11
|
Cymbium
|
2765,355
|
2412,398
|
- 12,76
|
Source : Poste de contrôle de Joal
En ce qui concerne la durée des opérations de
pêche, les pêcheurs ont le même point de vue dans son
allongement. En effet, en rapport avec l'éloignement des zones de
pêche, faute de ressources abondantes, ils passent plus de temps à
pêcher que d'habitude. En même temps on note que les volumes moyens
des prises en une heure de pêche chutent de plus en plus. L'étude
de 2001 conduite par ENDA DiaPol sous l'égide du
PNUE, a d'ailleurs considéré comme exemple les
badéches dont la prise moyenne nationale par kilogramme en une heure de
mer, est passée de 190 kg entre 1971 et 1975 à moins de 10 kg
vers 1998. Ce qui prouve en outre la réalité de la baisse de
productivité des pirogues mais aussi des menaces d'extinction qui
pèsent sur cette espèce à cause de sa forte
exploitation.
Le troisième critère sur lequel les
capitaines-piroguiers se sont appuyés pour montrer les problèmes
biologiques de l'écosystème marin, est la taille des
espèces capturées. Ils ont tous constaté la diminution de
la taille des espèces. Au cours de nos séjours à Mbour et
à Joal, nous avons constaté que certaines sardinelles mises
à terre n'atteignaient pas leur taille minimale de commercialisation qui
est de 20 cm.
En somme, l'analyse des critères dégagés
par les pêcheurs interrogés, permet de voir que ceux-ci sont bien
au fait des mutations biologiques du milieu marin.
Cependant, ces mutations ne sont pas forcément toujours
mieux perçues par les pêcheurs les plus anciens dans le
métier2. Nos enquêtes montrent que les pêcheurs
ayant entre 10 et 24 ans d'expériences (en particulier, ceux de Mbour)
et qui représentent 57,5 % des personnes interrogées, semblent
mieux connaître ce problème en raison d'une part de la pertinence
des réponses fournies et d'autre part, du fait que ce sont eux qui
capturent le plus souvent les espèces dites nobles ou qui
possèdent les plus grosses embarcations (les mieux
équipées et capables
2 Les pêcheurs les plus
expérimentés, si on se fonde sur l'échantillon
considéré, ont entre 35 et 39 ans d'expérience. Ils sont
au nombre de 5. Tous les pêcheurs interrogés ont au moins 10 ans
d'expérience.
d'aller dans les zones de pêche les plus
éloignées). Aussi ressentent-ils le plus les effets de la baisse
de productivité surtout sur le plan socio-économique.
Parmi les raisons évoquées par les
pêcheurs pour expliquer ces ruptures biologiques, on peut citer notamment
: le chalutage de fond, le non respect de la réglementation ainsi que la
violation des zones de pêche, l'accès libre à la ressource
avec comme corollaire l'effectif pléthorique des pirogues, etc.
Le chalutage de fond est une technique de pêche propre
aux bateaux de pêche industrielle. Les filets utilisés raclent le
fond marin et capturent simultanément beaucoup d'espèces. La
sélection de taille est faite au niveau de la poche terminale en
relation avec le maillage. Ce qui entraîne des rejets d'espèces
immatures déjà mortes.
Parmi ces filets, on peut notamment citer les filets maillant
droits à langoustes, les filets maillant dérivants à thons
long de 10 à 15 km avec une très longue chute, du chalut à
boeuf qui a une grande capacité de capture.
Le non respect de la réglementation se résume
à l'usage d'engins de pêche interdits par le code de la
pêche et la violation des zones de pêche.
La violation des zones de pêche est plus perceptible
avec les bateaux de pêche industrielle qui entrent souvent dans la zone
des 6 milles réservée à la pêche artisanale. Ces
incursions entraînent parfois des conflits liés à
l'accès à la ressource, à la destruction des engins fixes
et des embarcations artisanales.
L'utilisation d'engins de pêche tels que les
monofilemments et multifilemments est décrié par la moitié
des capitaines-piroguiers interrogés. Ceux-ci les jugent peu
sélectifs, non biodégradables et portent atteinte au milieu
puisqu'ils favorisent la sur-pêche.
L'accès libre à la ressource est aussi un motif
d'appauvrissement des stocks. Les capitaines- piroguiers que nous avons
interrogés estiment que les embarcations artisanales exercent de lourdes
pressions sur la ressource du fait que n'importe qui peut exercer le
métier de pêcheur au Sénégal ou même investir
dans le secteur sans avoir à payer de droits d'accès ou de taxes.
Ce qui implique la croissance du nombre d'embarcations d'année en
année. A Joal par exemple le parc piroguier est passé de 532
à 739 embarcations entre 1999 et 2004 (source : poste de contrôle
de Joal), soit une croissance de prés de 39 %. Ceci conforte la position
selon laquelle, la pêche artisanale a une part de responsabilité
dans la diminution des ressources halieutiques. Cela est d'autant plus vrai que
96,25 % des personnes interrogées le reconnaissent. Mais la
majorité
(48,75 %) pensent que le niveau de responsabilité est
faible comparé à la capacité de capture des chaluts
industriels qui va à l'encontre de la volonté des
autorités de pérenniser les ressources marines (Tableau 10).
Tableau 10 : Estimation du niveau de
responsabilité de la pêche artisanale dans la diminution des
ressources halieutiques par les capitaines-piroguiers
|
Mbour
|
Joal
|
Total
|
Niveau
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
V. absolue
|
V. relative
|
Très fort
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Fort
|
9
|
22,5
|
5
|
12,5
|
14
|
17,5
|
Faible
|
21
|
52,5
|
18
|
45
|
39
|
48,75
|
A. resp.
|
8
|
20
|
16
|
40
|
24
|
30
|
Sans réponse
|
2
|
5
|
1
|
2,5
|
3
|
3,75
|
Total
|
40
|
100
|
40
|
100
|
80
|
100
|
Source : Enquêtes personnelles, 2005. / A.
resp. = Aucune responsabilité
En ce qui concerne la pollution marine au niveau local, toutes
les personnes interrogées signalent les dépôts d'ordures
ménagères et les rejets de captures invendues sur la plage ainsi
que les rejets d'eaux usées dans la mer. Mais personne n'a pu
établir un quelconque rapport entre la diminution des ressources
halieutiques et ces formes de pollution.
II.2. Les impacts socioéconomiques
La surexploitation des ressources halieutiques n'a pas seulement
engendré des mutations biologiques.
Les acteurs de Mbour et de Joal, comme partout ailleurs au
Sénégal, ressentent de plein fouet les impacts de ce
problème environnemental.
L'ensemble des capitaines-piroguiers interrogés
déclarent que les revenus qu'ils tirent de l'activité de la
pêche ont considérablement baissé. Compte tenu de la
réticence de ces pêcheurs à vouloir communiquer le montant
exact de leurs revenus, nous n'avons pas été en mesure de pouvoir
quantifier cette baisse de revenus. Cependant, l'étude de 2001 conduite
par ENDA DiaPol sous l'égide du PNUE, indique que le tiers des
pêcheurs du pays vit aujourd'hui dans la pauvreté à cause
de la surexploitation halieutique.
Les sous-secteurs de la pêche souffrent aussi de la
diminution des ressources halieutiques. Avec la hausse du prix du poisson, la
transformation artisanale subit la rude concurrence du sous- secteur du
mareyage; ce qui représente une menace surtout pour la consommation
nationale si l'on sait que les produits halieutiques couvrent 75 % des
protéines animales.
Sur le plan social, la surexploitation engendre une concurrence
de plus en plus rude pour l'accès à la ressource et crée
des conflits entre pêcheurs artisans.
TROISIEME PARTIE :
PERCEPTION DES
STRATEGIES DE
GESTION PAR LES
PECHEURS ARTISANS
|
|