Section 2 : L'usage des moyens de paiement
sécurisés
La masse de la monnaie fiduciaire en circulation de part le
monde est sans cesse importante. Mais il faut reconnaître que cette
monnaie a perdu de l'importance et que la monnaie scripturale est
désormais plus usitée pour les opérations
économiques d'envergure. Le développement des instruments de
paiement autres que la monnaie fiduciaire est en effet impulsé par le
développement des échanges économiques108. On
comprend ainsi l'essor rapide de la monétique (cartes bancaire et
monnaie électronique) qui, bien que sous-tendu par le
développement technologique109, est dicté par la
108 Voir JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Droit commercial :
instruments de paiement et de crédit, entreprises en
difficultés, Dalloz, 6ème édition, 2003, P
3.
109 NYAMA (J.M), Op. Cit. P 103.
multiplication rapide des échanges et les mouvements
de personnes, de biens et de capitaux.
Au Cameroun et dans le secteur des COOPEC, le niveau
technologique ne permet pas de recourir à toutes les formes modernes
d'instruments de règlement. La monétique est quasiment
inexistante ici, tandis que le chèque bancaire, les virements, les
domiciliations et cessions de rémunération ainsi qu'autres
instruments de mobilisation sont mieux connus et plus utilisés. C'est
donc à ces instruments que les COOPEC du réseau CamCCUL ont
recours quand il s'agit de faire usage de la monnaie scripturale aux fins de
garantie du crédit. Cette démarche constituant en effet une
déviation de la nature juridique et de l'objet des instruments en
question, l'on observe de nombreuses irrégularités dans leur
emploi à ces fins. C'est essentiellement le cas lorsque les
chèques bancaires sont utilisés comme instruments de garantie du
crédit par les COOPEC (§1). L'usage des autres modes et instruments
de paiement et de crédit aux mêmes fins présente moins
d'irrégularités (§2).
§ 1 : Le recours aux chèques bancaire comme
instruments de garantie du crédit
Le chèque a été l'instrument de paiement
privilégié pendant longtemps. Son origine reste incertaine. Son
étymologie a été d'abord attribuée au verbe «
to check » qui signifie vérifier. Par la suite, l'on s'est
interrogé sur une possible origine arabe. Certains auteurs pensent qu'il
est plus plausible que le mot chèque vienne de l'arabe « shak
» qui signifie mandat110. Si l'idée de mandat de payer a
progressivement été abandonnée, c'est elle qui
sous-tendait pourtant la loi française du 14 juin 1865 qui a
créé le chèque.
L'idée contemporaine dominante en matière de
chèque est qu'il s'agit d'un titre bancaire dont la fonction unique est
le payement à l'exclusion totale de toute idée de crédit.
Toute possibilité d'usage de chèque aux fins de garantie est donc
écartée et les pratiques allant dans ce sens sont
réprimées. Le rappel de la réglementation en
matière de chèque (A) permet ainsi de se rendre compte que les
pratiques qui ont cours dans le réseau CamCCUL et qui consistent en
l'usage du chèque comme instrument de garantie du crédit sont en
marge de la légalité (B).
A - Rappel de la réglementation en matière
de chèque
Les sources du régime juridique du chèque
remonte à la loi de 1865, modifiée par une loi du 30
décembre 1911. A la suite de la signature des trois conventions de
Genève le 11 mars 1931, le législateur français a, en
usant de son droit de réserve sur certains points,
110 JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Op. Cit. P 5.
remplacé la loi de 1865 par un décret-loi du 30
octobre 1935 mis en application au Cameroun par un décret du 18
décembre 1936. Ce décret a reçu deux modifications
principales, en l'occurrence le renforcement de la répression des
infractions liées à l'usage du chèque par le code
pénal et l'introduction du chèque pré-barré et du
chèque de simple retrait par la décision n° 1/85 du 15
janvier 1985. Plus significative est l'évolution apportée par le
Règlement CEMAC n° 02/03/CEMAC/UMAC/CM du 28 mas 2003 relatif aux
systèmes, moyens et incidents de paiement. C'est ce dernier texte qui
fixe l'essentiel du régime juridique actuel du chèque au Cameroun
et dans l'ensemble de la zone CEMAC111.
Le chèque est un écrit par lequel une personne
(le tireur) qui a les fonds disponibles dans une banque ou un
établissement assimilé, donne au banquier (le tiré) de
façon irrévocable, l'ordre de payer une certaine somme à
une personne (le bénéficiaire). Aux termes de l'article 13 du
Règlement n° 02/03/CEMAC, le chèque doit obligatoirement
contenir les mentions suivantes :
· la mention de chèque insérée dans le
texte du titre et exprimée dans la langue utilisée pour a
rédaction ;
· le mandat pur et simple de payer une somme
déterminée ;
· le nom du tiré ;
· l'indication du lieu où le paiement doit
s'effectuer ;
· l'indication de la date et du lieu de création du
chèque ; et
· la signature du tireur.
On s'intéressera de façon particulière
à la date. A cet égard, il faut distinguer la date de
création de la date d'émission du chèque. La
première renvoie au jour où le tireur est supposé avoir
apposé sa signature sur le chèque tandis que la seconde est le
jour où il se dépossède matériellement du
chèque en le mettant en circulation. C'est la date de création
qui est portée sur le titre. La date d'émission ne constitue pas
une mention obligatoire, pourtant c'est elle la plus importante. C'est en effet
cette date qui sert de point de départ pour la computation des
délais de présentation du chèque à
l'encaissement112. Sa preuve aurait été facile si elle
faisait partie des mentions obligatoires. Ou alors le législateur aurait
dû suivre l'exemple de son homologue français en faisant de la
date de création du chèque
111 Sur les sources du régime juridique du chèque,
voir NYAMA (J.M.), Op. Cit., P 65 ; JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Op. Cit. P 5
et 6.
112 Art 43 Règlement n° 02/03/CEMAC/UMAC/CM
le point de départ de la computation des délais
de présentation113. Néanmoins, l'article 43 du
Règlement disposant in fine que « le point de départ des
délais (...) est le jour porté sur le chèque comme date
d'émission », il faut penser soit que cette date fait dès
lors partie des mentions obligatoires, ou alors que la date de création
vaut également date d'émission en l'absence de mention de cette
dernière.
L'absence de date (de création) entraînerait la
nullité du chèque. Dans la pratique, on observe plus souvent des
manipulations sur la date que l'absence de celle-ci. Le cas le plus
fréquent est la postdate pratiquée en vue de laisser au tireur le
temps de constituer la provision nécessaire. Il s'agit là d'un
artifice sans importance car « le chèque est payable à vue.
Toute mention contraire est réputée non écrite ». Par
ailleurs, défense est faite d'antidater les ordres sous peine de
faux114, et même que, « le chèque
présenté au paiement avant le jour indiqué comme date
d'émission est payable le jour de sa présentation » (art 42
Règlement n° 02/03/CEMAC/UMAC/CM).
Les délais de présentation du chèque
tels que prévus à l'article 43 du règlement sont donc des
délais maxima. Le délai de présentation est de 8 jours
pour les chèques émis et payables sur une même place, 20
jours pour les chèques émis et payables sur places
différentes mais dans l'un des pays de la CEMAC, 45 jours pour les
chèques émis dans un pays et payables dans l'un des autres pays
de la CEMAC et 60 jours pour les chèques émis en dehors de la
CEMAC115.
Le paiement à vue du chèque est une des
implications de sa fonction unique d'instrument de paiement, à
l'exclusion de toute idée de crédit116. C'est
également en raison de cette fonction que la provision du chèque
doit être préalable, suffisante et disponible à son
émission117. Constituent ainsi des infractions
réprimées d'une peine de 6 mois à 5 ans et / ou d'une
amende de FCFA 100.000 à 2.000.000118, les faits suivants
:
· l'émission de chèque sans provision ou avec
provision insuffisante ;
· le retrait de la provision postérieurement
à l'émission du chèque ;
113 Art L131-32 du code monétaire et financier
français.
114 Art 38 Règlement n° 02/03/CEMAC/UMAC/CM.
115 Art 42 Règlement n° 02/03/CEMAC.
116 JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Op. Cit., P 7.
117 Art 15 Règlement n° 02/03/CEMAC
118 Art 237 et 238 Règlement n°
02/03/CEMAC/UMAC/CM. Ces articles adoucissent la peine d'emprisonnement
prévue par le code pénal (Art 253 et 318) tandis qu'ils aggravent
l'amende.
· le tirage de chèques sur un compte
clôturé ou au mépris d'une interdiction bancaire ou
judiciaire;
· la défense faite au tiré de payer un
chèque en dehors des cas de vol, d'utilisation frauduleuse, de
contrefaçon ou de falsification et d'ouverture d'une procédure de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens à l'égard du
bénéficiaire ; et
· l'acceptation de chèque sans provision en
connaissance de cause.
L'usage des chèques dit «de garantie » est
donc interdit et la jurisprudence camerounaise n'hésite pas à
rejeter l'action pénale du bénéficiaire de mauvaise
foi119. Le chèque se démarque ainsi des instruments de
mobilisations et particulièrement de la lettre de change, bien qu'il
soit avec ceux-ci des effets négociables. Le caractère
préalable de sa provision et son paiement à vue constituent
l'essentiel de la distinction avec la lettre de change qui constitue elle un
instrument de crédit.
Contrairement à la lettre de change, le chèque
ne peut donc garantir un paiement. Toute pratique allant dans le sens contraire
est illégale.
B - Les pratiques illégales en cours au sein du
réseau CamCCUL
L'observation des pratiques dans le réseau CamCCUL
montre que les chèques sont utilisés aux fins de garantie. En
d'autres termes, l'emprunteur tire des chèques sur son compte avec une
banque ou un autre établissement habilité à émettre
des formules de chèques, en faveur de la COOPEC qui l'accepte sachant
parfaitement que la provision n'existe pas. Le chèque est remplie et
signée par le membre qui s'abstient toutefois de mentionner la date.
Plus tard, lorsque le membre ne respecte pas son
échéancier de remboursement, la date est portée sur le
chèque par le personnel de la COOPEC qui menace alors le membre de le
présenter et de le faire protester si la provision n'est pas
constituée. Pour éviter un incident de paiement avec son
établissement de crédit et les poursuites pénales dont il
pourrait être l'objet, le membre se hâtera de constituer la
provision ou de se mettre à jour quant à l'exécution de
ses engagements vis-à-vis de la COOPEC.
Conformément à la réglementation
rappelée, cette pratique est illégale et le membre aussi bien que
les officiels de la COOPEC qui s'y livrent sont passibles des peines
prévues. C'est une pratique qui tire avantage de l'ignorance des membres
qui, de façon surprenante et malgré l'usage régulier de
chèques, connaissent peu ou mal le régime juridique du
chèque. Cette pratique a le mérite d'effrayer de tels membres.
Cependant, on peut observer que certains membres sont obligés de
s'endetter à des taux usuraires pour éviter le
désagrément brandi. L'usage des chèques comme instrument
de garantie permet donc bon an mal an aux COOPEC du réseau CamCCUL de
recouvrer leurs crédits, mais il s'agit d'une pratique illégale
qui ne doit son succès relatif qu'à l'ignorance des membres et
qui expose la COOPEC et ses dirigeants aux poursuites pénales. Il est
toujours difficile de comprendre pourquoi les lettres de changes ne sont pas
utilisées à ces fins. Elles ont pourtant un régime
juridique aussi protégé que celui du chèque et sont par
nature des instruments de crédit. L'usage des autres modes et
instruments de paiement et de crédit qui existent dans les COOPEC doit
être encourager au détriment du chèque.
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