La démocratie gagne graduellement tous les secteurs de
la vie sociale. Longtemps conçue comme une notion politique, elle
s'étend progressivement à d'autres secteurs tels que la
gouvernance, l'environnement ou, plus significativement, l'économie.
Jadis considéré comme un espace d'élites et inaccessible
à la majorité, les services financiers s'ouvrent désormais
au grand nombre. Le développement de la microfinance permet aujourd'hui
à quelques 80 millions de personnes à travers le monde, dont 60%
de femmes, de bénéficier des services financiers classiques
d'épargne et de crédit et d'autres services
complémentaires1. Grâce au développement de
produits adaptés, les établissements de microfinance (EMF) ont pu
toucher une grande partie des personnes souvent restées en marge du
système financier classique représenté par la banque.
L'activité de microfinance bénéficie
d'une attention soutenue au plan international. Chaque année, de
nombreuses conférences sont organisées avec la présence de
grandes institutions financières, d'organisations politiques et des
représentants de diverses nations parmi les plus grandes. Ceci se
comprend facilement dans la mesure où le microfinancement est
présenté comme un outil de lutte contre la
pauvreté2. Cet objectif de lutte contre la pauvreté
traduit un mariage entre la démocratie financière
précédemment évoquée et la démocratie
sociale ou politique, le tout donnant à la microfinance une nature
singulière dans le champ global de la finance : outre l'exigence de
s'adapter à la situation précaire des personnes cibles, les
institutions agissant dans ce secteur doivent suivre un objectif qui n'est pas
purement financier, mais bien plus social.
Le contraste entre ces deux objectifs pourrait expliquer bien
des problèmes rencontrés par les établissements de
microfinance (EMF). Il est certainement à la base des difficultés
que ces institutions ont à garantir leurs créances. En effet,
participer à la lutte contre la pauvreté en faveur des personnes
aux conditions économiques précaires et s'assurer le retour de
toutes les créances sur ses personnes ne va pas sans complexité.
Pour
1 Banque Mondiale / CGAP,
www.cgap.org
2 Voir les travaux de la Conférence
Internationale de Paris sur la Microfinance et notamment l'allocution de M.
ABDOU DIOUF, Secrétaire Général de l'O.I.F,
www.elysee.fr; « Qu'est
ce que la microfinance », sur
www.microfinance.lu; EBE
EVINA (J-C), « Microfinance et lutte contre la pauvreté : mythe
ou réalité », FinancEco N°005 - Edition de Novembre
2007, disponible sur
www.financecoafridquecentrale.com.
Claudia Carbone, «avec le nombre croissant
d'activités de microfinancement, le besoin de sécurisation des
opérations de crédit devient de plus en plus
urgent»3.
Le cas des coopératives d'épargne et de
crédit (COOPEC) est plus sérieux. Etablissement de microfinance
(EMF) de la première catégorie, les COOPEC sont des
établissements qui collectent l'épargne de leurs membres et
l'emploient en opérations de crédit exclusivement au profit de
ceux-ci4. Elles correspondent en réalité à ce
qui est connu au niveau mondial comme les caisses populaires et dont la
philosophie de base est le regroupement de personnes à revenus modestes
qui ont difficilement, ou pas du tout, accès au secteur financier
formel, afin d'obtenir une synergie qui pourrait leur permettre de
réaliser des objectifs que chacun n'atteindrait pas individuellement.
Bien que la taille des COOPEC soit de plus en plus grande, celles-ci sont
fondées sur des bases sociales fortes. Elles sont dès lors plus
confrontées à la problématique globale du recours au
professionnalisme financier dans une ambiance de lutte contre la
pauvreté, problématique dans laquelle s'insère celle plus
spécifique de la garantie des créances de ces
établissements.
La question principale de ce travail est donc de savoir
comment les COOPEC garantissent leurs créances alors qu'elles ont
affaire à des personnes aux conditions économiques
précaires et généralement exclues du système
bancaire classique parce que ne pouvant remplir toutes les conditions
nécessaires pour y accéder. Quelles sont les garanties auxquelles
ces établissements ont recours dans ces circonstances? Comment
parviennent- ils à assurer efficacement le recouvrement à terme
ou au delà, des créances dont elles sont titulaires?
Le premier éclairage sur cette problématique
passe par des mises au point conceptuelles. Suivant la définition qu'en
donne le Lexique des termes juridiques, la garantie est un moyen de droit qui
permet au créancier de se prémunir contre le risque
d'insolvabilité du débiteur5. Mais en disant que la
garantie est un moyen de droit, cette définition peut amener à
penser que toutes les garanties sont des sûretés. Ces deux notions
ne sont pas synonymiques. Bien que la doctrine ne s'accorde pas sur les
critères de
3 CARBONE (C), « The Start-up-Fund: une
expérience originale de sécurisation des impayés
», Appui au Développement Autonome (ADA), Dialogue 1999. sur
www.globenet.org/horizon-local.
4 cf. Art 5 Règlement
N°01/02/CEMAC/UMAC/CONAC du 13 avril 2002 relatif aux conditions
d'exercice des activités de microfinance dans la Communauté
Economique et monétaire de l'Afrique Centrale et Art 3 Règlement
EMF 2002/21...relatif aux formes juridiques liées à chaque
catégorie d'EMF.
5 GUILLIEN (R) et VINCENT (J), Lexique des termes
juridiques, Dalloz 2003, 14ème édition.
distinction, le principe de la distinction en lui-même
est peu contesté6. Pour certains, tandis que les garanties
regroupent tous les avantages spécifiques à un créancier
visant à le prémunir contre l'insolvabilité du
débiteur, la sûreté procède pour sa part de
l'affectation d'un bien ou d'un patrimoine ainsi que de l'adjonction d'un droit
d'action accessoire au droit de créance7. Pour d'autres
auteurs, la distinction tient en ce que les sûretés
confèrent au créancier un second débiteur ou un droit de
préférence sur le prix d'un ou de plusieurs biens, ou encore un
droit de suite alors que les garanties visent toute mesure destinée
à assurer la formation ou l'exécution des
transactions8. Dans une démarche plus rigoureuse, d'autres
critères plus précis sont définis. Selon M. CROCQ, trois
caractéristiques principales se rattachent aux sûretés :
leur finalité est d'améliorer la situation du
créancier en remédiant aux insuffisances de son droit de gage
général sur le patrimoine du débiteur; leur effet
est la satisfaction du créancier par la réalisation ; elles
procèdent - leur technique - par adjonction d'un droit
accessoire à celui résultant de la position de créancier.
Les garanties seraient plus génériques et se
caractériseraient essentiellement par leur caractère fonctionnel
que l'on retrouve aussi bien dans les sûretés que dans de
nombreuses techniques du droit des obligations9. Les
sûretés ne sont donc qu'un « sous-ensemble » des «
garanties » et ce n'est que par « commodité » que ces
deux notions sont souvent utilisées comme synonymes10.
De même, une garantie ne prémunit pas
exclusivement contre le risque d'insolvabilité, mais plus largement,
contre la défaillance du débiteur, quelle qu'en soit la cause.
L'insolvabilité n'est définie par le lexique des termes
juridiques que sous l'angle pénal. Elle constitue alors un délit
résultant d'une augmentation de son passif par le débiteur ou
d'une diminution ou dissimulation d'une partie de son patrimoine en vue de se
soustraire à l'exécution d'une condamnation pécuniaire.
Le Petit Larousse Illustré définit
l'insolvabilité comme la situation de celui qui a fait faillite et qui
ne peut donc payer ses dettes11. De manière
générale, l'insolvabilité désigne donc la situation
d'un débiteur qui ne peut pas exécuter son obligation de payer
parce que n'en ayant pas les moyens.
6 Contra. CHARTIER (Y), Rapport de
synthèse in L'évolution du droit des sûretés,
Rev. jur. com., n° spéc.
Févr. 1982, P 150.
7 PICOD (Y), Leçons de droit civil, Tom
III / 1er Vol, Sûretés Publicité
foncière, 7ème édition, Montchrestien,
1999, P 2.
8 ISSA-SAYEG (J) (Coord), OHADA
-Sûretés, Bruylant, Bruxelles, 2002. P 1
9 CROCQ (P), Propriété et
garantie, LGDJ, 1995, cité par PICOD (Y), Op. Cit., pp 11 et 12.
10 PICOD (Y), Op. Cit., p 12
11 Le Petit Larousse Illustré,
2002.
Au regard de cette définition, la garantie ne couvre
pas le créancier seulement contre un risque d'insolvabilité. Elle
prémunit le créancier contre la défaillance à terme
échu du débiteur, quelle qu'en soit la cause : qu'il soit
décédé, que son patrimoine ne soit pas assez fourni pour
le payement de sa dette, qu'il soit de mauvaise foi et ne souhaite pas «
honorer ses engagements », etc. C'est dans ce sens qu'en
définissant les différentes catégories de
sûretés, le législateur préfère la notion de
«défaillance» à celle d'
«insolvabilité» plus largement utilisée par la
doctrine12.
Il faut dès lors comprendre une garantie dans le cadre
de notre travail comme toute technique, tout moyen juridique par lequel le
créancier se prémunit contre la défaillance de son
débiteur.
Quant à la créance, elle est définie par
le Lexique des termes juridiques comme un droit personnel,
généralement le droit de remettre une somme d'argent. La
définition qu'en donne le dictionnaire du site
www.droit.pratique.fr nous
paraît plus convenable dans le cadre de cette analyse. La créance
est alors présentée comme le droit en vertu duquel une personne,
le créancier, peut exiger d'une autre, le débiteur,
l'exécution d'une obligation, généralement la remise d'une
somme d'argent. Dans les COOPEC comme dans la plupart des établissements
qui pratiquent l'épargne et le crédit13, les
créances sont souvent liées à l'activité de
crédit, les autres créances telles que le loyer, les charges de
fournisseurs payées d'avance ou même les créances fiscales
n'étant pas nées directement de leurs activités
principales. On entendra donc par créances ici, les créances
nées de l'activité de crédit des COOPEC. Le Lexique de
banque définit le crédit comme « une opération
par laquelle une entreprise bancaire met à la disposition d'une personne
une somme d'argent moyennant intérêts »14 . Le
lexique des termes juridiques en donne une définition plus
générale. Selon celui-ci, le crédit s'entend de «
tout acte par lequel une personne met ou promet de mettre des fonds à la
disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de
celle-ci, un engagement par signature »15 . Le
législateur complète cette définition en précisant
que les fonds ou l'engagement sont donnés à titre onéreux
et que les opérations de crédit-bail ainsi que toute
opération de location assortie d'une option d'achat sont
assimilées à une opération de crédit16.
Le crédit désigne donc une opération par laquelle
12 Cf. art 2 AU-OS
13 Etablissement de crédit,
établissement financier, établissement de microfinance.
14
www.fbf.fr
15 GUILLIEN (R) et VINCENT (J) Op. Cit.
16 Art 6 Annexe à la Convention du 17 janvier
1992 portant Harmonisation de la Réglementation Bancaire dans les Etats
de l'Afrique Centrale.
des fonds sont mis immédiatement à la
disposition d'une personne ou un engagement pris en sa faveur, à charge
pour le bénéficiaire de rembourser lesdits fonds ou de payer le
prix de l'engagement de manière différée, augmenté
généralement des intérêts représentant un
pourcentage du montant octroyé ou garanti, des pénalités
en cas de retard et des commissions. La prestation du
bénéficiaire ou débiteur est donc différée
par rapport à celle du créancier qui accepte ainsi de recevoir
satisfaction à risque. C'est le recouvrement de l'ensemble de la
créance constituée au cours d'une opération de
crédit et affectée du risque qui doit donc être
garantie.
L'étude de la problématique de la garantie des
créances des COOPEC ainsi présentée ne manque pas
d'intérêt. Elle participe de la recherche sur les voies de
pérennisation de ces établissements. En effet, si elle
était incapable de recouvrer ses créances, une COOPEC ne pourrait
survivre bien longtemps. Son actif serait affecté de pertes continues
conduisant finalement à sa liquidation. Par suite, les objectifs sociaux
de lutte contre la pauvreté et d'amélioration des conditions de
vie des millions de personnes que ces établissements se sont
fixés ne seraient pas atteints. Au plan strictement juridique, cette
problématique permet de savoir si les sûretés
organisées par l'Acte uniforme sont adaptées à la
situation des COOPEC, et comment les y adapter le cas
échéant17. Enfin, l'examen de la garantie des
créances des COOPEC est une porte d'entrée idoine pour visiter le
gigantesque réseau de COOPEC que constitue la Ligue des Caisses
Populaires Coopératives du Cameroun (CamCCUL) Ltd.
Constituée de 191 COOPEC dont certaines
constituées depuis 1963, CamCCUL existe légalement depuis 1968,
date de son premier enregistrement. Il s'agit du réseau de microfinance
le plus étendu au Cameroun, et parmi les plus grands par son actif, son
encours de crédit et le nombre de membres. Les experts du secteur de la
microfinance le présente comme le réseau le plus important du
Cameroun18. Au 31 décembre 2006, 209.050 personnes sont
membres des coopératives du réseau CamCCUL. A la même date,
l'encours de crédit dans le réseau est d'un peu plus de FCFA
29.000.000.000 (vingt neuf milliards), les parts sociales et l'épargne
se situent au delà de FCFA 44.000.000.000 (quarante quatre milliards).
L'actif total consolidé du réseau CamCCUL en 2006 est de plus de
FCFA 53 milliards19. De sources internes, elle a été
présentée par la COBAC en 2005 comme étant le plus vaste
réseau de microfinance en Afrique Centrale. D'après cette
17 Acte uniforme du 17 avril 1997 portant
organisation des sûretés, J.O. OHADA, n° 3 du 17 avril
1997.
18 Voire EBE EVINA (J-C), Op. Cit.
19 Rapport annuel d'activité 2006
source, elle contrôle plus de la moitié du
secteur au Cameroun et un peu plus de 36% dans la CEMAC. Enfin, le
réseau CamCCUL détient environ 75% du capital social de la Union
Bank of Cameroon (UBC) PLC20. C'est dans le cadre de ce
réseau qui couvre tout le territoire national par ses bureaux locaux et
ses affiliés, et donc riche de réalités diverses que la
garantie des créances des COOPEC sera examinée.
De prime abord, il faut dire relativement à la
question posée que la littérature en matière de
microfinance lui consacre jusqu'ici peu de développements. Il est ainsi
fréquent de lire au détour d'un paragraphe que les populations
cibles du secteur sont incapables de « remplir les conditions
exigées par ces institutions [banques] (documents d'identification,
garanties, dépôt minimum etc.)21.» ; ou que
«les garanties ne sont pas adaptées à leur situation
»22, ou encore que «le membre ne peut non plus offrir
certaines garanties parce qu'il est pauvre»23, etc. sans autres
analyses24. De telles affirmations ne sont peut-être pas
fausses, mais restent superficielles et n'apportent pas
d'éléments de réponse au problème. La question est
par contre chaque jour davantage considérée avec beaucoup de
sérieux par les acteurs du secteur. Elle commence ainsi à faire
l'objet de réflexions systématiques en leur sein. Cette
observation est particulièrement fondée sur les démarches
entreprises par les EMF, et singulièrement par les COOPEC. C'est le cas
CamCCUL qui a souvent interpellé le gouvernement afin que les actions de
soutien administratif et législatif soient entreprises au niveau
national ou de la Communauté OHADA25. En l'état
actuel, on note de nombreux efforts dans le réseau dans la mise en
oeuvre du droit civil du crédit tel qu'organisé par l'Acte
Uniforme OHADA relatif aux sûretés. Les hypothèques, gages
et autres nantissements y sont désormais d'un usage quasi quotidien.
Mais les difficultés qui s'y rattachent sont tout aussi
régulières et l'on comprend la tendance des COOPEC de ce
réseau à rechercher d'autres mécanismes de garantie de
leurs créances. L'exigence d'un minimum d'épargne à
affecter en garantie du crédit et le développement d'un
système
20Rapport annuel d'activité 2005
21 « Qu'est ce que la microfinance? »,
www.lamicrofinance.org
22 NOWAK (M), fondatrice de l'Association pour le
droit à l'initiative économique (France) sur
www.lamicrofinance.org
« qu'est ce que la microfinance ? »
23 (traduction) « the member can (neither)
provide some collateral because he is poor". H.M. ABONO AWANKA, reaching the
poor with micro-credit: the missing link. Institutional Development and
Governance Issues Involving the Cameroon Cooperative Credit Union Movement,
Government, Regional and International Organizations, 140 PP, Dschang
University Press, 2006.
24 Contra. LHERIAU (L), Le droit des
sociétés financières décentralisées dans
l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, Thèse de
Doctorat en droit privé, Université Picardie Jules Verne, Juillet
2003, P 454 & s. L'auteur consacre une section entière à la
question des garanties.
25 Voire Inter-Cooperation, Magazine
trimestriel du réseau CamCCUL, N° 0001 - Mai-Juil 2007 et N°
0002 - Oct-Dec.2007 De telles actions ne sont pas de l'initiative exclusive du
réseau CamCCUL ; aussi bien d'autres EMF que les organisations
professionnelles du secteur de la microfinance plaident la même cause.
d'assurance sont quelques illustrations de la recherche de
mécanismes alternatifs et spécifiques hors du champs des
sûretés classiques.
La première réponse du réseau CamCCUL au
problème de la garantie des crédits octroyés est donc
classique et consiste au recours aux sûretés organisées par
l'Acte Uniforme OHADA (première partie). Au delà, il fait recours
à d'autres garanties qui se veulent plus spécifiques et plus
adaptées aux acteurs en présence (deuxième partie).