PARTIE II : LES ENTRAVES A LA LIBERALISATION DES
ECHANGES INTRACOMMUNAUTAIRES
CHAPITRE I : LES ENTRAVES RESULTANT DE LA VIOLATION
DES DISPOSITIONS CONVENTIONNELLES ET ASSIMILEES
Dans les différents rapports annuels, le
Secrétariat Général puis la présidence de la
Commission n'a cessé de dénoncer les violations des dispositions
de l'article 36 et 41 relatives aux droits et taxes liés à
l'importation, à la subsistance de contingentement des produits du cru
et de l'artisan traditionnel, au non respect du programme d'élimination
des droits à l'importation sur les produits industriels accolés
au régime préférentiel. Les rédacteurs du
Traité se sont surtout préoccupés des problèmes
tarifaires et non tarifaires. Les principes qu'ils ont posés ont connu
et connaissent des difficultés d'application à cause des
tendances protectionnistes, pour ne pas dire égoïstes,
manifestées par les Etats membres.
Dans le cadre de ce chapitre, nous traiterons respectivement des
obstacles tarifaires et ceux non tarifaires.
SECTION I : LES OBSTACLES TARIFAIRES
La CEDEAO n'a pas supprimé intégralement les
barrières tarifaires. Pour favoriser les échanges des produits
industriels originaires de la Communauté, elle les soumet au
régime préférentiel de la TPC. Les tarifs douaniers ont
traditionnellement deux fonctions à savoir la protection de
l'économie et la fourniture des ressources budgétaires aux
Etats.
Ayant réduit ou supprimé les barrières
douanières, la CEDEAO a amoindri leur rôle, ce qui ne va pas sans
poser de difficultés. Au niveau de la Communauté, il n'est
malheureusement pas rare de voir certains Etats ignorer les dispositions
conventionnelles se rapportant aux régimes applicables aux exportations
et importations.
A - Le rétablissement des barrières
douanières : la majoration du taux de la TPC
En matière d'échanges internationaux, la
doctrine libérale repose sur le libre échange, ce qui favorise
les Etats développés grâce au jeu de l'avantage comparatif.
La doctrine protectionniste (adoptée par les Etats sous
développés en général et même certains Etats
développés), quant à elle, s'oppose à la
première et considère que l'optimum national ne peut être
atteint dans tous les cas par la concurrence pure et parfaite. La doctrine
CEDEAO se situe à la limite de ces deux doctrines par le jeu de la TPC.
Le taux de cette taxe est constamment majoré. Les produits du cru et de
l'artisanat traditionnel qui en principe, circulent en franchise de tous droits
et taxes d'entrée, sont parfois imposés.
Comme nous l'avons souligné, l'agrément à
la TPC permet aux produits bénéficiaires de ce régime
d'être plus compétitifs au niveau des prix. La TPC permet de
protéger les produits industriels communautaires contre ceux de
l'extérieur. La majorer reviendrait à ébranler les efforts
de la Communauté dans l'optique d'accroître les échanges
intra CEDEAO. Nous constatons malheureusement que des Etats, et pas des
moindres, empruntent cette voie. C'est pourquoi, Jacques RIBOUT 12
dans son rapport de la conférence des Directeurs Généraux
des organismes nationaux chargés de la promotion du commerce
extérieur tenue à Bamako, affirmait qu'une éventuelle
réévaluation des taux de la TPC pourrait être dangereuse.
Il se justifie en invoquant les plaintes de certains industriels quant aux taux
assez élevés de la TPC applicable à certains produits,
entraînant leur non compétitivité par rapport aux produits
d'Europe et d'Asie. Dans la logique de l'esprit du Traité, la TPC doit
évoluer vers la baisse.
Le cas ci-dessous exposé, concerne le
relèvement des taux effectué de concert avec les autres Etats
membres .Qu'en est-t-il lorsque la réévaluation se fait
unilatéralement ?
Pour élever le taux de la TPC, les Etats
procèdent à une refonte de leur fiscalité
globale applicable aux produits importés des pays tiers13
, et automatiquement un ajustement de la
12 Expert économiste, consultant, Mr Kelvirgate
LTD, détaché auprès de la CEAO pour identifier les
différents obstacles à la promotion des échanges
communautaires.
13 Il suffit de se référer aux
éléments pris en compte dans la décision C/DEC/3/6/88
portant définition de la procédure de l'agrément des
produits industriels et entreprises
taxe préférentielle s'impose. Si les Etats
manifestent une tendance au relèvement des taux TPC ou même
à sa méconnaissance, cela tient à deux raisons :
y' faire face à la concurrence communautaire. Le cas du
`'Vinaigre malien `'se situe dans cette optique. Le Sénégal aussi
imposait fortement ce produit.
y' la crainte d'être le principal pourvoyeur du FCCD,
corollaire de la TPC (le taux de cette taxe préférentielle est
négocié entre les Etats Membres).
Le premier argument ne résiste pas à la
critique. Non seulement le taux TPC est fixé en tenant compte de
plusieurs éléments qui garantissent les productions nationales,
mais le principe de l'avantage comparatif devait inciter les Etats à
préférer certains produits des autres pays membres. Le second
argument relève la méconnaissance de l'effet de l'accroissement
des exportations sur l'économie de l'Etat exportateur et
l'égoïsme de certains pays.
Outre la majoration des taux de certains produits
agréés, on note la violation du régime applicable aux
produits du cru et de l'artisanat traditionnel.
B - Le rétablissement des
barrières douanières : la taxation des produits du cru et de
l'artisanat traditionnel
Les produits du cru et de l'artisanat traditionnel
bénéficient d'un régime de franchise totale des droits et
taxes d'entrée. Ce principe, nettement affirmé par l'article 36
du Traité Révisé, ne connaît pas une application
parfaite, bien que la nature ait spécialisé les productions des
Etats membres. Dans le cadre de ces entraves, il faut noter deux niveaux :
y' d'une part, un relèvement parvenu à la suite de
l'adoption d'une loi modifiant la fiscalité interne ;
y' d'autre part, un rétablissement des droits de
douane.
Dans le premier cas, on pourrait citer le dernier exemple en
date, la difficulté pour les armateurs sénégalais
d'écouler leurs productions de poisson sur le marché ivoirien.
Cet obstacle doit être spécifié car la Côte d'Ivoire
est aussi producteur du poisson. Le Traité soumet les produits du cru
importés à la fiscalité intérieure de l'Etat
consommateur, ils sont frappés des mêmes taux que ceux de
l'espèce produite localement si l'on se réfère aux
dispositions de l'article 40 du Traité
Révisé. A priori, il ne saurait donc y avoir de discrimination.
Mais celle-ci pourrait par contre survenir si la loi établissait une
distinction rigoureuse suivant l'espèce des produits halieutiques, de
sorte que les productions sénégalaises soient imposées
plus lourdement. L'habileté des juristes fera ici des victimes !
Dans le second cas, il s'agit d'une violation directe des
dispositions du Traité. On pourrait citer les difficultés
liées au non respect du modèle harmonisé du certificat
d'origine UEMOA/CEDEAO ; or la CEDEAO l'a initié puis émis pour
éviter les doubles impositions aux citoyens de la Communauté,
dans le respect de l'esprit et la lettre de l'article 40 du Traité
à son alinéa 5.
Il faut faire remarquer que certains produits
bénéficient d'une dispense en ce qui concerne l'exigence de
marquage à savoir les produits de l'agriculture et de l'élevage.
Dans le cas d'une absence de marquage, ils sont imposés. Ce qui
constitue une violation des dispositions du Traité de la
Communauté. Bien souvent les pays importateurs ne font pas recours
à l'article 13 alinéas 3 du protocole A/P1/1/03 qui
prévoit le bénéfice des avantages liés à
l'origine, sous réserve de la constitution par l'importateur, d'une
caution garantissant les droits et taxes en vigueur dans l'Etat importateur.
Ces Etats appliquent tout simplement la fiscalité de porte de droit
commun comme s'il s'agissait de produits provenant des pays tiers. Des
douaniers ivoiriens, avec qui nous avons eu des entretiens, nous ont
confirmé la pratique des taxations des produits du cru et de l'artisanat
traditionnel. Ils ajoutent cependant, que ces cas deviennent « de plus en
plus rare ».
Dans le premier cas, il s'agissait des produits maliens qui,
faute de marquage, acquittaient des droits et taxes d'entrée. Le
certificat, prouvant l'origine communautaire, permet l'entrée en
franchise des produits concernés. L'attitude de ces douaniers ne
révèle t-elle pas un excès de zèle (puisqu'ils
savaient que ces produits ne supportaient pas de taxe d'entrée) ?
Où peut-on considérer que la Cote d'Ivoire étant en
guerre, tout est permis ? Le plus souvent, ce sont les commerçants
»traditionnels», qui ignorant toutes les dispositions
conventionnelles et ne sachant ni lire ni écrire, qui en paie les
frais.
Dans la Communauté, on constate des sur-taxations indues
: l'application de la tarification se fait parfois à la hausse. Ce
qui ne peut cacher une quelconque connivence entre le douanier
et l'importateur. Des responsables de douanes reconnaissent d'ailleurs qu'il
s'agit d'une
mauvaise application de la réglementation qui
résulte du fait que certains douaniers exigent des certificats
d'origine. Or, pour les produits du cru et de l'artisanat traditionnel, cela
n'a pas lieu d'être depuis 2002 et qu'en leur absence, le droit de douane
est appliqué. Dans certains cas, la distinction entre importation CEDEAO
et de pays tiers n'est pas faite.
Des sous-taxations sont aussi fréquentes ; il est dans
l'intérêt de l'importateur d'avoir une minoration du tarif
appliqué. Il est toutefois difficile de décrypter, selon les
provenances, le favoritisme dont bénéficie un importateur. Sans
doute peut-on seulement expliquer les traitements de faveur par la
capacité d'influence du commerçant sur les douaniers ?
Dans le second cas, des voyageurs en partance pour la Cote
d'Ivoire, et en possession de plus de deux toiles tissées par des
artisans burkinabés, se sont vus astreints à payer des taxes,
à défaut, les marchandises étaient purement et simplement
confisquées. L'attitude des douaniers n'est-elle pas motivée par
la crainte de voir ces articles ne pas supporter la fiscalité interne
car n'étant pas importés par des commerçants, au sens
juridique du terme ? Ou plutôt de profiter de la situation pour se
remplir les poches ? Actuellement dans la Communauté, deux tarifs sont
en vigueur, celui des douaniers et celui d'usage TPC qui permet d'avoir la
fiscalité globale en régime préférentiel applicable
aux produits agréés.
Les obstacles tarifaires constituent, à n'en pas
douter, un handicap à la promotion des échanges, mais les
entraves non tarifaires n'en constituent pas moins, pour ne pas dire le sont
encore plus. La suppression des droits et taxes à elle seule ne suffit
pas pour engendrer des échanges ouverts entre les Etats membres. Elle
doit être accompagnée d'autres mesures qui facilitent la
circulation des produits.
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