Etre une femme en Algerie, action sociale( Télécharger le fichier original )par Liliane Mébarka GRAINE Université Paris 8 - St Denis (93) - Doctorat en sociologie 2006 |
A- LE CADRE FAMILIALÉtudier la famille algérienne exige une investigation à partir de plusieurs approches distinctes et cependant complémentaires :
Durant ces dernières décennies, il y eut quelques travaux concernant la sociologie de la famille algérienne. Les auteurs de ces travaux se sont intéressés : - Soit à l'étude des caractéristiques sociologiques : taille du groupe domestique, structure et relations de parenté (L. Debzi, R. Descloitres, 1963 ; R. Bazagana, A. Sayad, 1974 ; C. Lacoste-Dujardin, 1976 ; M. Boutefnouchet, 1979), - Soit à des thèmes démographiques : l'âge au mariage, la polygamie et la fécondité (M. et F. Von Allmen-Joray, 1971 ; L. Tabha, 1972 ; J. Vallin, 1973 ; J. Vallin et D. Tabutin, 1973 ; J. Vallin et G. Négadi, 1973 ; D. Tabutin, 1974 ; M. Garenne, 1979 - sous l'égide de l'I.N.E.D. -, de même que M. Von Allmen, 1974 ; M. Khelladi, 1982 - sous l'égide de l'Institut National d'Études et d'Analyses pour la Planification, ex. A.A.R.D.E.S.- Alger). Quelques brèves définitions sont, à ce stade, nécessaires.
B- LES CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES DE LA FAMILLE ALGÉRIENNE La famille algérienne traditionnelle est une famille étendue qui rassemble les caractéristiques sociologiques propres au bassin méditerranéen. 1- LA FAMILLE : UN GROUPE COMPLEXE D'aucuns s'accordent à dire que la taille du groupe domestique traditionnel était grande et qu'on y trouvait plusieurs générations : parents, enfants, ascendants et collatéraux. Néanmoins, aucun document officiel d'archives ne permet de donner avec exactitude la taille de ce groupe et prouver aussi que c'est ce type de famille qui prédominait réellement. M. Boutefnouchet 94(*), qui défend lui-même l'idée de la grande famille algérienne, a procédé par questionnaire et a fait appel à la mémoire des sujets interrogés, démarche toutefois légitime pour un sociologue non-historien. D'après son enquête 95(*) réalisée à Alger, Oran et Annaba, la proportion des familles restreintes est sensiblement égale à celle des familles composées : respectivement 51,3 % et 48,7 % 96(*). De nos jours, même si la famille algérienne ne regroupe plus la même prétendue quantité de générations, elle n'a pas vu pour autant sa taille se réduire de façon considérable pour passer d'une famille étendue à une famille restreinte. T. Lauras-Locoh va également dans le même sens puisqu'elle constate, en comparant les données issues des recensements de 1966 et 1977, que la taille des ménages algériens passe de 5,9 à 6,6 personnes. Elle rejette aussi bien l'idée d'une nucléarisation de la famille algérienne que de la famille africaine en général. Selon elle, c'est plutôt vers une famille nucléaire élargie avec un noyau familial central autour duquel s'agrègent d'autres membres de la famille plus éloignés que s'acheminent les arrangements domestiques 97(*). La raison souvent invoquée pour expliquer le phénomène de non-nucléarisation de la cellule familiale en Algérie ou dans d'autres pays musulmans, comme le Maroc, est l'insuffisance de logements. On peut citer quelques illustrations pour le cas de l'Algérie. Ainsi, un jeune ménage cohabite avec les parents même après le mariage. Dans les grandes métropoles, les familles accueillent un parent venu d'une autre ville, d'un autre village pour qu'il puisse exercer sur place une activité professionnelle. En cas de travail à l'extérieur d'une mère de famille et d'un manque d'équipements socio-collectifs (crèches, garderies), on accueille volontiers les grands-parents ou une tante pour garder les petits enfants. Au manque de logements s'ajoute incontestablement une autre raison de non-nucléarisation de la famille algérienne : le recul de l'âge au mariage. En effet, les jeunes adultes sont parfois obligés de vivre chez leurs parents en raison du prolongement de leurs études ou du chômage. Cela étant, il convient de signaler que le maintien des groupes domestiques complexes ne signifie en rien le maintien d'une situation antérieure (traditionnelle) : c'est au contraire un signe de crise économique et sociale 98(*). 2- UNE STRUCTURE FAMILIALE PATRIARCALE La forme d'organisation familiale traditionnelle était le patriarcat : seul le père ou l'aïeul était dépositaire de l'autorité ; la femme, pour sa part, était totalement soumise. La structure était agnatique puisque la filiation était patrilinéaire et allait de père en fils. Le mariage était endogame : on se mariait avec la fille de l'oncle paternel. Il convient de remarquer que ce type de mariage (endogame ou mariage parallèle, côté agnat) ne correspond pas tellement au système berbère (kabyle) où l'on se marie plutôt avec des partenaires issus de la parenté maternelle. La structure était caractérisée également par l'indivision : les biens étaient inséparables et se transmettaient de père en fils ; les filles, quant à elles, quittaient le domicile familial à leur mariage. Ces dernières décennies, l'Algérie, comme beaucoup d'autres pays sous-développés, n'a pas échappé à différentes mutations : exode rural, effets de l'industrialisation, etc. Ces mutations ont affecté également l'organisation familiale. L'enquête de M. Boutefnouchet 99(*) montre que le patriarcat ne revêt plus la même forme et n'est que symbolique. Le père, et encore moins le grand-père, n'est plus le seul dépositaire de l'autorité comme naguère, les décisions sont prises en concertation avec la mère salariée ou avec les enfants devenus jeunes adultes. L'épouse exige de plus en plus de relation avec sa famille d'origine et les enfants ne sont plus obligés de se conformer, en matière de choix de conjoints, à la règle de "la République des cousins" qui consiste, selon G. Tillion 100(*), à se marier avec la fille de l'oncle paternel. Enfin, l'indivision connaît l'évolution la plus importante : le patrimoine indivis agraire existe de moins en moins, les enfants, descendants mâles, quittent la terre et émigrent le plus loin possible à la recherche d'un emploi salarié. 3- LE SYSTÈME MATRIMONIAL Le témoignage ethnographique "Permet d'affirmer que le bédouin répugne à l'idée de marier sa fille en dehors du cercle de la parenté agnatique" 101(*). À l'origine de ce refus, il semble qu'il y ait les fréquentes dissensions qui opposent les uns aux autres, les membres d'une même tribu et parfois d'un même clan. "Donner sa fille en dehors de son groupe, c'est la couper de ses liens très étroits qu'elle a tissés avec les membres de sa "Osra" (famille), (...) et la livrer à un autre groupe, tout aussi compact, qui ne l'intégrera jamais ou l'incorporera mais au prix d'une annihilation de tout ce qui faisait sa vie relationnelle jusqu'alors" 102(*). Il ne me semble pas qu'il y ait exagération lorsqu'on voit ce genre de survivances, même actuellement, au niveau des grandes familles citadines, donc éloignées des conditions de vie hostile de la montagne mais qui gardent malgré tout cet esprit de clan, ce mépris et cette hostilité à l'égard de tout ce qui n'est pas le groupe d'appartenance. Un exemple concret : un mariage entre une Kabyle et un Arabe (d'une autre région de l'Algérie) sera un désastre (même un déshonneur) pour les donneurs ou les preneurs (belles-familles et le village). Combien de couples se sont vus confisquer leur bonheur (unions refusées, drames...) au nom d'une tradition, pas d'unions hors de la famille, du village ou de sa région... Dans un tel régime matrimonial, les véritables protecteurs de la femme sont les agnats, c'est pourquoi le mariage en dehors du groupe est d'autant plus désavoué que les preneurs nomadisent loin du secteur fréquenté par les donneurs. D'autre part, étant donné la solidarité qui existe à l'intérieur de chaque groupe et l'esprit belliqueux des Algériens qui les rend prompts à s'élever les uns contre les autres, prendre une femme d'un groupe étranger devient dangereux pour les preneurs et humiliant pour les donneurs. On peut déjà tirer un certain nombre de conclusions dont la plus déterminante est que les caractéristiques de la vie des montagnards kabyles favorisent la cohésion du groupe. Ce qui donne naissance à ce que G. Devereux appelle: "Une Gemeinschaft : une communauté à solidarité organique qui se meut au même diapason. Toute atteinte portée à l'un de ses membres est ressentie par l'ensemble et provoque la réaction du tout". Dès lors, les Kabyles montagnards, avec des règles rigides et si prompts à répondre à l'appel du sang, le faisaient d'autant plus lorsqu'on touchait à ce qu'ils considèrent comme étant l'élément le plus faible, le plus central du groupe : la femme. Ils seront donc le bouclier, le premier voile de la femme dans le sens d'une protection (Hidjâb). 4- DES LIENS DE PARENTÉ CONSERVÉS Dans la famille algérienne traditionnelle, le réseau de parenté était très vaste et se prolongeait sur plusieurs parentales : primaire, secondaire, maternelle ou par alliance, par lignage... Désormais, le dialogue est plus libre entre les conjoints : "Il a tendance à l'être aussi entre père et fille, de même qu'entre frère et soeur" (N. Virgin, 1986, p.80). Par ailleurs, les relations inter familiales se renforcent en direction de la parentale par alliance (oncle maternel), parfois aux dépens de la filiation agnatique (oncle paternel). Ce dernier, oncle paternel, se substitue de moins au père, comme le voulait l'idéologie traditionnelle, de même que ses enfants ne jouissent plus du statut privilégié de frères et soeurs. Quelques remarques sont à signaler pour mieux comprendre la famille algérienne. Celle-ci est un élément important par rapport au sujet de cette recherche. Il n'y a pas une spécificité de la famille algérienne. Celle-ci est influencée aussi bien par la culture musulmane : droit malékite, par l'espace méditerranéen : système patriarcal, que par une série de changements et de bouleversements qui affectent les pays sous-développés dans leur ensemble : exode rural, croissance démographique, crise de logement, etc. La famille algérienne ne trouve pas sa place dans la conception sociologique traditionnelle qui répertoriait les groupes domestiques selon leur taille pour aboutir à une classification simple de type "famille étendue", "famille nucléaire". La famille algérienne s'explique moins par sa dimension que par sa nature, ses fonctions et ses nouveaux liens avec le groupe de parenté. Elle est prise dans un mouvement dialectique. Et pour reprendre l'expression de T. Lauras-Locoh à propos de la famille africaine, je dirai que la famille algérienne "fait du neuf avec du vieux". On observe, en effet, l'apparition de familles "composées" ou à mi-chemin entre élargies et restreintes, le maintien des comportements d'entraide et de solidarité entre générations, la persistance de l'idéal de forte fécondité et bien d'autres comportements que l'on s'attendait à voir disparaître. La famille algérienne résistera au changement. Le changement touche difficilement quelques aspects de la vie familiale, en particulier ceux qui relèvent des relations inter-sexuelles. 5- LE FOYER CONJUGAL ET LES RELATIONS La timide, difficile et conflictuelle apparition du foyer conjugal au sein de la grande famille a abouti, depuis longtemps, dans les milieux urbains, à la reconnaissance de la famille conjugale, occupant un logement différent de celui du couple des aïeux et ceux des frères. Cette rupture de l'espace familial induit une rupture de la prégnance familiale, permettant certaines innovations quant au rythme de vie, au contenu et à la forme des fréquentations, surtout quant à une façon différente de vivre le couple et son intimité. L'autonomie spatiale permet au couple (plus ou moins, selon les individus, les familles et les milieux) de se soustraire à l'autorité du père et à l'influence de la mère. Les rôles sociaux, les prérogatives et les responsabilités des parents, des couples et des fils sont distribués en fonction des finalités, des situations et de différents critères. Toutefois, dans les classes moyennes et populaires des villes, la crise du logement rend difficile le total éclatement de la grande famille. Un fils marié doit souvent attendre de nombreuses années avant d'entrer en possession de son propre logement. Il en résulte qu'au foyer des parents, demeurent, pour une durée variable, outre les enfants célibataires, un ou deux fils mariés. C'est là une situation devenue anachronique et péniblement subie. Les difficultés et les conflits qu'elle engendre sont d'une rare acuité. En milieu rural, les problèmes se posent en d'autres termes : moins l'impossibilité matérielle de l'édification de nouveaux logements (en auto-construction) que l'attachement persistant des fils au modèle traditionnel. Quoi qu'il en soit, même lorsque la situation sociale et économique de la famille permet à chaque fils de vivre dans son propre logement, la mère ira nécessairement, à la mort du père, habiter chez l'un de ses fils mariés. Quant à la famille des milieux des cadres, elle semblerait peu se distinguer de la famille occidentale de par son mode de vie, son organisation et ses aspirations. On pourrait même conclure à des différences plus importantes entre l'ancienne famille traditionnelle et celle des sphères intellectuelles qu'entre celle-ci et la famille occidentale, c'est-à-dire l'ampleur des mutations qui ont transformé les structures familiales. Pour autant, cette similitude, aussi fondée soit-elle par certains aspects, demeure à la superficie des êtres et des faits. La réalité de la famille et de la femme algérienne révèle des ambiguïtés importantes, des équivoques souvent difficiles à concilier. Contradictions entre les changements voulus et les nécessités assumées de la vie moderne à laquelle les Algériens exigent de participer et entre leur héritage auquel ils ne pourraient totalement renoncer sans devoir s'amputer de leurs racines ni renier leurs horizons intérieurs. Cette complexité aussi difficile à vivre soit-elle, collectivement et individuellement, est cependant source de grande richesse. Les couples algériens "modernes" aspirent à une "vie familiale" (au sens conjugal ou en bonne intelligence avec eux-mêmes et leurs enfants, attentifs à leur scolarité, leur évolution, leur intégration dans la société, préoccupés de leur avenir). Dans leurs rapports, les époux se montrent soucieux de la qualité affective de leur vie, s'efforcent à la communication et tentent d'établir des rapports non seulement de respect mais aussi de confiance réciproque, d'affection et d'amour, même si le mot est rarement prononcé. Il est bien évident que cette vision de la pratique de la famille s'accommoderait difficilement de la polygamie. Effectivement, celle-ci, de plus en plus rare en milieu urbain, n'existe quasiment plus dans les sphères précitées. Toutefois, cet idéal de relation conjugale n'apparaît pas incompatible avec les principes éthiques traditionnels de prudence et de réserve, bien enracinés et persistants, et dont la mise en pratique s'atténue, bien sûr, de toute l'importance des changements assumés et de la valeur accordée à l'existence intrinsèque du couple et de sa vie intime. Ainsi, n'est-il pas imaginable que les jeunes époux s'interdisent, comme jadis, de s'adresser la parole, de se regarder en face, etc. ? Tous ces comportements extrêmes ont disparu ou presque, du moins ne persistent-ils que dans les milieux populaires, souvent marginalisés et dont l'accès au changement est récent. Chez les jeunes couples, la réserve et la pudeur constituent davantage un état d'esprit visant à préserver leur intimité, leurs affections et le respect mutuel qu'ils se vouent. Un époux évitera de parler de sa femme en public mais il le fera avec ses amis, il ne confiera pour autant rien, ou presque, de sa relation affective. S'il le faisait, son attitude serait considérée comme déplacée, irrespectueuse envers sa femme et gênerait donc son interlocuteur. Tous ces comportements ont une finalité proche de celle qui prévalait en milieu traditionnel. Les femmes parlent plus facilement de leur vie de couple, de leur intimité dans un cercle d'amies ou dans un groupe de femmes. Aujourd'hui comme hier, mais sur un mode différent, ce qui relève de l'intérieur, de l'intime, de la maison, doit être protégé de l'extérieur, du public, du social et surtout du regard extérieur. C'était là le sens du voile traditionnel. Mais c'est là aussi la finalité première des actuelles conduites de réserve et de pudeur constituant à voiler, à protéger du regard extérieur ce qui concerne l'intimité, la vie affective. De nos jours, c'est essentiellement par l'Islam qu'est justifié et renforcé ce refus du regard porté et c'est en référence à l'Islam aussi qu'est légitimée cette pérennité de l'éthique de la réserve et de la pudeur. "Suprême et intangible légitimation plaçant ces anciennes valeurs populaires sous l'égide de la religion. Certes, l'éthique traditionnelle se situait avec le sacré dans une relation singulièrement dense. Mais ce "sacré essentiel", fondement des anciennes cultures populaires, n'ose plus avouer des continuités aléatoires dans le monde actuel" 103(*). De nos jours, le sacré est sommé de se confondre avec l'Islam en tant que force unificatrice visant à rassembler les hommes de toutes les régions dans une même communauté de croyants. À l'opposé, le "sacré essentiel" des cultures populaires est frappé par l'idéologie dominante de l'arabo-islamisme, d'un rejet dubitatif accusé de dispersion, voire de division, trop enraciné qu'il est de manière dense dans chaque terroir. En se plaçant sous l'égide de l'Islam, la reconduite de certaines valeurs de l'éthique familiale veut éviter l'inconfort du porte-à-faux entre le passé et le présent, échapper au malaise engendré par la reproduction de conduites coupées de leurs logiques internes.
Toute la société incite le jeune foyer à une procréation rapide et répétitive. Les parents du mari, mais aussi de la femme, assaillent le couple d'allusions d'abord discrètes puis de plus en plus pressantes, au fur et mesure que les mois passent sans apporter la nouvelle tant attendue de la première grossesse. Les collègues, les voisins, les amis sont eux aussi à l'affût de l'événement. La jeune femme, qui craint toujours la menace de la stérilité (l'ancienne malédiction), se trouve prise au piège de cette espérance collective et pressante, de ces regards lourds d'attente et d'interrogations. À moins, cas fréquent, qu'elle ne soit la première à désirer la venue de l'enfant qui lui garantira, non plus tant comme jadis sa place dans la société, le lien conjugal. Plus ou moins ouvertement, selon les milieux, on souhaite un garçon en première naissance. Même dans les sphères intellectuelles où on n'osera pas avouer un tel désir, les couples chez qui la naissance d'une première fille est accueillie avec une joie aussi totale que celle d'un garçon demeurent, sinon rares, du moins minoritaires. Ailleurs, la préférence pour une primogéniture masculine est nettement exprimée par le mari et la femme formule, au secret d'elle-même, le même souhait. La situation devient critique, sinon dramatique, lorsque se succèdent dans le nouveau foyer les naissances d'une fille. Les naissances se multiplient alors jusqu'à obtenir celle du petit mâle tant désiré. En milieu paysan, cet ensemble de conduites aboutit à une réelle augmentation du nombre d'enfants par famille. La situation est identique dans les milieux urbains marginalisés (provenant essentiellement de l'exode rural) où les maisons de huit enfants à dix ne sont pas rares. Dans les sphères intellectuelles, pourtant conscientes du problème démographique qui se pose à l'Algérie, exceptionnels sont les couples qui se limitent à deux enfants. Ils préfèrent en avoir trois pour le moins, plus souvent quatre à cinq. Dans les milieux populaires des grandes villes, dans les milieux religieux et ruraux, c'est l'Islam qui constitue la première et ultime justification de la procréation : légitimation d'un principe fondamental de l'éthique traditionnelle par substitution de l'argument religieux à une finalité à caractère social devenue inopérante. L'avortement est donc interdit. À la légitimation religieuse s'ajoutent d'autres justifications se voulant rationalisantes et qui ont cours surtout chez les cadres. Elles sont d'abord d'ordre affectif : "Une famille nombreuse est une famille vivante et puis la maison ne se videra jamais, il y aura toujours un enfant avec nous" ; "Il y a une part d'égoïsme chez les parents qui refusent à un enfant la compagnie de plusieurs frères et soeurs*" ; ou revendiquant une logique d'ordre économico-humaniste : "Nous avons les moyens d'élever confortablement trois ou cinq enfants et de leur offrir une bonne éducation, nous devons le faire" 104(*). Cet ensemble d'attitudes relatives à la fécondité et à l'enfantement apparaît surtout difficilement conciliable avec les ambitions nouvelles de la famille et de la femme ainsi qu'avec la crise actuelle du pays (terrorisme, cherté de la vie, dévaluation de la monnaie algérienne). Presque tous les couples pratiquent plus ou moins bien l'espacement des naissances en utilisant différents moyens contraceptifs modernes, quel que soit le milieu (malgré les pénuries des contraceptifs répétitifs). La femme, qui aspire à une vie sociale et professionnelle active en même temps qu'à une relation conjugale de qualité, est consciente que la responsabilité de plusieurs enfants constitue un frein important à l'accomplissement de ses desseins. Dans les centres urbains, la vie quotidienne avec ses multiples et lancinantes difficultés a tôt fait saper les volontés les plus solidement arrimées. Dans ces conditions, la femme est souvent obligée d'abandonner une profession à travers laquelle elle arrivait à réaliser une part de ses aspirations. Engluée dans les innombrables tâches de la vie domestique auxquelles l'homme, par conformité culturelle, participe peu ou pas du tout, son horizon se ferme lentement. Elle en éprouvera une secrète amertume qu'elle avouera difficilement et qui rejaillira fatalement sur la qualité de sa relation conjugale. Cependant, ses enfants, qui l'entourent bruyamment et affectueusement, satisfont en elle des aspirations et des besoins authentiques qu'elle ne pourrait sacrifier sans déchirement. C'est là une contradiction fondamentale et complexe à laquelle chaque femme algérienne se trouve confrontée. 6- RÔLES DE LA FILLE/BRU/MERE ET DE LA MERE ÂGEE
Les deux rôles qui nous intéressent sont ceux de la bru et de la mère âgée. Le cas de cette dernière est tout à fait particulier dans la culture arabo-musulmane. Signalons que mon intention est de faire un parcours sommaire concernant le rôle familial de la femme car il n'est pas question de représenter les différents domaines que recouvre l'organisation domestique, encore moins d'évoquer la participation respective du mari et de la femme dans chacun de ces domaines. L'attachement des mères au modèle de la femme unique responsable de la tenue du foyer, même si elle doit, comme l'homme, exercer une activité professionnelle à l'extérieur, est encore tenace puisque seule une minorité des mères interviewées s'inquiètent d'impliquer également les garçons dans les travaux domestiques. Et lorsqu'elles le font, elles ne leur demandent qu'une contribution symbolique et occasionnelle : mettre le couvert, faire quelques courses, ranger de temps en temps leur chambre et, exceptionnellement, faire la vaisselle. Mais on est loin de la situation qui prévalait dans leur jeunesse. Toutes les femmes analphabètes qui ont des frères ou des enfants scolarisés, plus ou moins longtemps, devaient rester à la maison pour aider aux travaux agricoles et ménagers. Les autres, qui sont scolarisées, pour la plupart tenues - avant de préparer leurs devoirs - d'assurer une partie des travaux domestiques et, pour certaines, de servir leurs frères pendant que ces derniers jouaient dehors ou se détendaient devant la télévision. Seules quelques-unes (parmi les mieux dotées culturellement et professionnellement) ont eu elles-mêmes des mères- et parfois des pères - suffisamment clairvoyants face aux changements socio-économiques pour être moins conformistes et adopter une attitude éducative mieux adaptée à la nouvelle situation à un moment où la pression à la conformité au modèle dominant était encore importante. a- RÔLE DE LA FILLE/ BRU/MÈRE La question qui s'impose est d'une cruelle simplicité: "comment peut-on être une femme algérienne ?". "Mais, je suis Algérienne ! Je suis la fille de..., la bru de..., la mère de..., demain la belle-mère de... Non seulement on peut être algérienne mais encore, on peut l'être bien. On peut survivre et même vivre, lutter et même rire. Il me suffit de jeter un regard rétrospectif sur ma propre vie pour comprendre que toutes ces femmes qui ont vécu et qui vivent encore en Algérie - puisqu'il s'agit bien de cela - représentent, prises dans leur ensemble, une force extraordinaire, une force consciente de ses pouvoirs, pleine de possibilités et de perspectives. Déjà en action. Malheureusement, ces femmes prises individuellement sont engluées dans leurs vies familiales, sentimentales et, dès la naissance, dans un périmètre, un espace dûment signifié, décrit, limité. Les rares pionnières ont dû, il y a seulement une génération ou deux, tout inventer, sortir des chemins battus, se faire montrer du doigt, se voir rejetées parfois. Rien ne les préparait à cette révolution de chaque jour, dans une vie enfin choisie où elles ne voulaient plus baisser la tête et obéir. Du spartakisme féminin, en quelque sorte, car, avant d'être une femme, l'Algérienne vit des années petite et adolescente en tant que fille, un destin lourd et d'avance tracé. Toutes les filles qui continuent leurs études ont de la chance, les autres sont déjà bien programmées pour être des épouses honorables : modestes, obéissantes et bonnes maîtresses de maison. La marge de manoeuvre d'une petite fille désirant, plus ou moins confusément, sortir du chemin tracé est évidemment très étroite. Cette détermination - pourtant forte - à vivre sa propre vie, imprimera à son âme un très fort complexe de culpabilité. Même en cas de réussite, elle aura toujours l'impression d'avoir failli à ses premiers devoirs. Cette fillette devient jeune fille et va bientôt passer du giron de sa mère - socialement - à celui de sa belle-mère, dans le cas d'une exogamie normale. Obéissante et modeste, elle devra continuer d'obéir et d'être modeste. Sortie d'une famille où elle était entourée, limitée par un père, une mère, des frères et des soeurs; elle entrera dans une famille semblable où elle aura à servir et à respecter des personnages différents dans les mêmes rôles : le beau-père, la belle-mère, les belles-soeurs et les beaux-frères. Et les personnages masculins de sa nouvelle maison jouent exactement le même rôle que ceux qu'elle a "abandonnés" : ils ont toujours raison ! Sa vie n'a pas changé sur le plan individuel même si le mariage - dans de bonnes conditions "d'honneur"- représente aux yeux de tous une promotion sociale. Sa vie s'est même compliquée parce qu'elle entretient avec l'un des hommes de la maison, c'est-à-dire son mari, des relations intimes dont elle n'avait qu'une idée vague et sans doute erronée quand elle était jeune fille. Cet homme, qui est son époux, est le fils d'une femme qu'il aime et respecte en premier : sa mère. La fille est devenue femme : elle patiente.
Alors, la nouvelle épousée patiente et travaille. Elle sait qu'elle reste l'étrangère et le restera jusqu'à ce qu'elle ait fait ses preuves : la naissance de plusieurs garçons. Elle reste en principe modeste et travailleuse en attendant d'être enfin entourée par une armée de mâles, grandissant en âge et en nombre, avant de pouvoir elle-même s'exprimer. Pour l'heure, elle continue de baisser la tête devant sa belle-mère et elle peut même entrer dans cette attitude "servile" du véritable respect et d'une grande affection. La belle-mère est le véritable chef de la maison intra-muros. Elle cumule les rôles de surveillante, de régisseur, de refuge, courroie de transmission des us et coutumes, enfin d'alliée objective du pouvoir masculin et sa représentante. Quant au "mari-fils de l'autre", s'il fait couple, ce n'est pas avec sa femme, c'est avec sa mère. Depuis toujours. Il reste immature car la mère prend toutes les décisions internes. De plus, il vit à l'extérieur de la maison . En effet, il parle à sa mère, il conte à sa mère, il demande ses conseils ou son avis à sa mère. Cette triade "mère-fils-bru" est largement déséquilibrée en défaveur de la bru. Dans ce rapport très dense mère-fils, elle reste le témoin exclu. Et, dans la journée, tout en s'adonnant à ses multiples tâches ménagères ou d'éducation des enfants, elle doit feindre l'indifférence vis-à-vis d'un homme auquel elle est liée par l'état civil, qu'elle l'aime ou qu'elle le déteste. La jeune bru qui vit avec sa belle-famille va ligoter ses garçons dans un amour absolu et craintif qu'ils lui porteront toujours. Au détriment, plus tard, de leurs épouses. La malédiction est ainsi sans cesse renouvelée. Il faut dire que l'idée de couple est tout à fait neuve. Cette unité d'amour était parfaitement inconnue au sein de la tribu et elle commence, après l'éclatement de celle-ci pour cause de modernisation, à s'imposer de façon très timide. Pourrait-on dire alors que le seul couple d'amour traditionnellement reconnu est celui que forment la mère et le fils ? La mère régnante se sait unique. Ses enfants, filles et garçons, la savent unique. C'est une qualité absolue qu'aucune bru, même affectionnée et respectée par sa belle-famille, ne peut neutraliser. Chez la belle-famille, précisément, elle est ressentie comme pièce interchangeable ! En système traditionnel, elle pouvait être brutalement répudiée si elle déplaisait à la Reine Mère et remplacée quelques jours plus tard. Une pondeuse s'en va, une pondeuse s'en vient. Elle se trouvera "marâtre" avant même d'être mère : elle a à s'occuper immédiatement des enfants de la bru précédente qui n'ont pu suivre leur mère. Le cas de répudiation pour cause de stérilité (réelle ou supposée) est tellement connu que je n'y insisterai pas. Depuis quelques années cependant, les épouses demandent et obtiennent le divorce pour cause de "mamisme" (comme disent certains juges : "divorce pour incompatibilité d'humeur avec la famille", comme si la belle-mère représentait la famille ou que le divorce dépendait de l'entente avec elle. En Algérie, on divorce beaucoup à cause de la belle-mère. L'exercice du pouvoir est un art difficile et subtil qui demande une grande sérénité et beaucoup de désintéressement. Tout se passe comme si cette Reine Mère prenait sa revanche par le pouvoir sur une enfance inexistante et une adolescence pleine de devoirs et de travaux, deux stades de la vie où elle n'a jamais pu s'exprimer. La situation de mère l'a, par la suite, accablée dans la lourdeur et la multiplicité des tâches. Et elle a patienté, comme sa bru le fait devant elle, en attendant le moment d'imposer sa propre volonté. Si la bru est une étrangère à la région, avec un passé inconnu, une famille lointaine et une culture différente. Elle fait ce qu'elle peut par amour, pour se fondre dans le décor mais elle tient à son mari et elle le fait savoir. Comment deviner si elle résistera jusqu'au bout ou bien si elle attend l'occasion de tirer son époux en dehors de la famille pour raisons professionnelles, par exemple ? Depuis les indépendances, quelques cas de couples heureux émergent et qui représentent un grand espoir de changement (rarement avec la bénédiction de la belle-mère. En système traditionnel, la Reine Mère peut se mettre à apprécier sa bru pour ses qualités propres parce qu'elle aime son fils comme une mère et veut le voir content, heureux. La triade s'en trouve équilibrée et chaque protagoniste y trouve ce qu'il est en droit d'espérer mais, en général, c'est l'éclatement de la tribu qui a permis la création du couple d'amour ainsi que l'exode rural, les appartements citadins et exigus, la scolarisation efficace des filles, l'ouverture à la modernité... La belle-mère n'est plus physiquement présente même si, parfois, elle vient et s'impose, téléphone ou envoie des émissaires pour exprimer sa volonté. Par ailleurs, le couple marié se choisit de plus en plus avant les épousailles et c'est en tant que tel qu'il affrontera éventuellement la belle-famille. Dans les familles où il y a plusieurs garçons, le dernier, marié ou pas, se devra de rester avec ses vieux parents. La belle-mère, malmenée par cette ouverture au monde des uns et des autres qu'elle vit sans doute comme une trahison, se consolera ainsi : elle exercera son pouvoir sur la dernière bru mais rares sont les mères et les belles-mères qui se remettent en question. Il y a même des mères plus révolutionnaires que leurs filles ou que leurs petites-filles ! Elles ont fait la révolution, voyagé, choisi leur amoureux à une époque où cela ne se faisait pas. Ou bien, elles se sont mises à réfléchir après leur mariage et renié le rôle d'outil de transmission de la volonté des hommes. Alors, elles se sont mises à construire leur vie et à aider leurs enfants dans ce sens, quel que soit leur sexe. Dans ce cas le problème se situe dans la libération de l'homme et de son émancipation et pour dans une société mature où les soeurs, les mères et les épouses, sans oublier les collaboratrices, sont des personnes responsables, libres, capables de faire la même réflexion et le même travail que les hommes : en un mot, des citoyennes ! - LA BRU Une fois mariée, la règle voulait que la jeune fille ou la jeune femme n'appartienne plus à sa propre famille mais à celle de ses beaux-parents à qui elle doit se soumettre : épouse fidèle et soumise à son mari, bru passive et résignée devant sa belle-mère et respectueuse à l'égard de tous les autres membres de sa belle-famille. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la formule reproductrice-ménagère, loin de dévaloriser la femme, pouvait parfois jouer en sa faveur. La femme savait bien d'ailleurs - l'éducation reçue chez ses propres parents la préparait également - qu'en se conformant à la règle idéologique traditionnelle, elle assurerait sa future "réussite sociale". On comprendra d'autant mieux l'importance que revêt l'aptitude à la procréation dans le groupe domestique traditionnel mais aussi le souhait de voir naître des garçons si l'on se souvient qu'il s'agit là d'une famille agnatique où l'héritage se transmet de père en fils en raison du patrimoine indivis. Cela étant, plus la femme avait des garçons, plus elle renforçait son statut et consolidait sa position dans le dispositif familial. De plus, si, selon beaucoup d'observateurs, ce sont les maris qui revendiquent des garçons, il convient d'ajouter que ces garçons représentent un facteur de stabilité et d'assurance vieillesse pour leur mère.
"Il est tout à fait normal que, frustrée de tant de joies, (...), la femme reporte sur ses enfants son trop-plein affectif (...). Certes, une fois devenus grands, les garçons assureront la descendance de la famille (...) ... la protéger durant sa vieillesse et même jusqu'à la fin de ses jours" 105(*). Si la fonction "reproductrice" relève de l'aptitude physiologique et véhicule, pour quelques esprits, une valeur sacro-sainte, la seconde fonction, "ménagère", nécessite simplement une capacité à entretenir convenablement un foyer. Cette capacité doit évidemment être acquise dans la famille d'origine. Une fois mariée, la femme sait que le ménage, la cuisine et les enfants représenteront son lot quotidien. Il est important d'ajouter que, même de nos jours, le rôle de la ménagère algérienne n'a pas changé : les activités sont souvent accomplies de façon archaïque, en raison d'un équipement médiocre ou d'un manque d'équipement électroménager. Il est un dernier point qui concerne la bru. Il s'agit de son pouvoir de décision. Manifestement, la femme ne pouvait prendre de décision sans avoir recours à son mari ou à sa belle-mère ; or, ces derniers temps, de plus en plus de chercheurs prétendent le contraire et défendent la thèse "d'un pouvoir implicite" ou "d'un contre-pouvoir féminin dans le groupe familial traditionnel" 106(*). b- LA MÈRE ÂGÉE : ACTEUR SOCIAL ET PRINCIPAL En milieu traditionnel, en dépit des conditions dans lesquelles elle vivait - mariage précoce, nombreuse et éreintante progéniture, interminables travaux domestico-ménagers, résignation et soumission à la belle-mère -, la femme savait que sa trajectoire sociale varierait. Elle savait qu'à son tour, elle deviendrait grand-mère respectée et vénérée mais aussi détentrice de pouvoir. C'est une fin de parcours ou un aboutissement commun vers lequel convergent les femmes lorsqu'elles ont eu des garçons, en particulier. Ceci prouve qu'en milieu algérien comme dans les milieux arabo-musulmans 107(*) ou même en Calabre : Italie du sud 108(*), "vieillesse rime avec valorisation sociale et trop plein affectif ". D. Behnam souligne que : "Si, en Occident, la vieillesse représente le troisième âge de la vie et coïncide avec la retraite(...), dans la vision africaine, basée sur une conception de vie éternelle, la vieillesse est définie en tant que continuité de la vie". Les personnes âgées sont privilégiées en tant que lien entre les enfants et les ancêtres disparus. T. Lauras-Locoh remarque également qu'en Afrique - y compris au Maghreb -, "entretenir des personnes âgées correspond à une norme d'éducation que nul ne peut transgresser" 109(*). La mère âgée, contrairement à la bru qui demeure sous l'emprise du mari et de la belle-mère, se sent totalement libre et éprouve une sécurité remarquable. Elle jouit, en raison du respect qui lui est dû, d'une très grande autonomie. Il lui arrive de sortir de la maison et de se déplacer dans l'espace extérieur qui fut naguère réservé exclusivement aux hommes (de s'asseoir sur les lieux publics ou devant la maison, de faire les courses). La mère âgée a la possibilité de se déplacer sans difficulté. Elle devient alors une sorte de médiateur entre les différentes familles, surtout en matière d'épousailles. Elle est capable de dénicher la jeune fille mariable et le père ne fait qu'examiner ses propositions. À l'intérieur du groupe domestique, elle détient un pouvoir de décision que nul ne peut contester. Ainsi, elle devient conseillère privilégiée auprès de son fils et oeuvre pour la soumission future de ses petites filles. Bref, elle est à la convenance de la société traditionnelle : jeune, elle a intériorisé les obligations qui lui ont été imposées et accepté les valeurs masculines comme imminentes ; âgée, elle préfère, en dépit des droits qu'elle a acquis et du statut qui lui est conféré, pérenniser l'hégémonie masculine. "D'aucuns estiment que le pouvoir que la femme âgée détient est autre que celui des hommes qui lui serait délégué. Aussi est-il ambigu. Et l'on parle de femmes patriarcales ou bien de matriarcat au service d'un patriarcat" 110(*). Face à la position pour le moins privilégiée qu'accorde la culture arabo-musulmane à la femme âgée, A. Boudhiba a tenté d'apporter quelques réponses. Selon cet auteur, "Le pouvoir de la femme âgée ne serait que le revers de son impuissance sociale, tandis que sa valorisation tient, pour sa part, à l'extrême pudeur des hommes envers leur mère par survivance de leur désir maternel inconscient". Il parle "du culte de la mère dans les sociétés arabo-musulmanes" 111(*). Néanmoins, il nous faut remarquer que la relation privilégiée mère-enfant, et plus précisément mère-fils, n'est pas propre aux milieux musulmans et méditerranéens mais se retrouve dans d'autres sociétés comme le souligne B. Marbeau-Cleirens, psychanalyste française, montre combien "Les hommes sont envahis aussi bien par un attachement et une fascination à l'égard de leur mère que par une faiblesse, une angoisse, voire une terreur" 112(*). Ce qui est sûr, enfin, c'est que, en Algérie, la mère âgée occupe une position prestigieuse dans le dispositif familial traditionnel. Ceci est la preuve de la pluralité et de la diversité des statuts et des rôles que la société prescrit à la femme depuis sa naissance jusqu'à sa mort. À ce propos, Breteau et Zagnoli, en étudiant le statut de la femme dans deux communautés rurales méditerranéennes, en Calabre et au nord-est Constantinois (Algérie), remarquent que : "Dans les deux cultures, le devenir de l'homme et celui de la femme connaissent des destins... relativement communs, divergent ...à un moment de la vie pour s'engager, plus tard, dans une large convergence de type asymptotique, (...). Ce mouvement divergent-convergent est dû aux variations de la trajectoire sociale qu'effectue la femme(...): alors qu'un homme, (...) demeure fondamentalement un homme, la femme est donnée comme un être à phases, un être à métamorphoses" 113(*). À l'instar de ces deux auteurs, on peut noter que, si l'itinéraire existentiel de l'homme est linéaire, celui de la femme connaît des retournements. Ce qui permet alors de parler "d'unicité" de l'homme et de "multiplicité" de la femme. La représentation, ou les représentations, en tant que modèles intériorisés que le sujet construit dans son environnement est intéressant à voir... "Ces modèles sont utilisables par l'individu en tant que sources d'information et instruments de régulation et de planification de ses conduites" 114(*). Il s'agit d'un phénomène mental ou cognitif individuel et non d'un phénomène collectif. Dans ce deuxième cas, on parle plus précisément de "représentation sociale" : forme de "connaissance élaborée et partagée par un groupe social et lui servant de codes de conduite" 115(*). En travaillant sur l'imaginaire arabo-musulman, je me suis rendue compte que les défauts de la mère sont souvent déplacés sur la belle-mère. Les contes populaires, les romans, les rêves, les imaginaires saisonniers, les expressions proverbiales : tout ce dispositif de contrôle extériorise et illustre la tendance qui consiste à surcharger la marâtre, belle-mère acariâtre, qui est censée nourrir, à l'égard des enfants de son mari ou de sa soeur, une passion meurtrière, passion qui a d'ailleurs inspiré les tragiques de tous les temps. La mère algérienne est, de ce point de vue, le premier paraphe de savoir qu'un garçon puisse identifier dans ses premiers tâtonnements, elle est aussi un pôle de stabilité de ses émois. Mais, dans la mesure où, par sa force intrinsèque, elle inquiète les hommes, ces derniers chercheront par tous les moyens "à la réduire ou à la nier, d'où l'angoisse et la misogynie" 116(*). Dans ce domaine, les textes arabes, et algériens en particulier, sont très éloquents : "La misogynie y est cultivée comme une vertu de premier plan, presque comme une distinction phallocratique que ni les théologiens, ni les savants, ni même les poètes (censés être plus ouverts à l'écoute de l'autre et en particulier à la femme, la dulcinée, la muse - encore des représentations) ne remettront en question" 117(*). La fille et la mère sont des normes familiales de transmissions et de mutations dans la famille algérienne, c'est-à-dire, et d'une certaine façon, de s'instrumenter elle-même pour se transformer en l'un des moyens par lequel s'exerce la loi du père (chef de famille) dont elle est pourtant la première victime expiatoire. C'est à ce deuxième niveau proprement sociologique et éducatif que des chercheurs réservent quelques remarques pour faire le point sur cette question qu'ils appellent "les modèles féminins de construction identitaire". C- MODÈLES FÉMININS D'ASSIGNATION IDENTITAIRE EN ALGÉRIE Disons, que les modèles qui intègrent un code de valeurs formé autour de notions éducatives clés, ayant pour objectif principal la reproduction d'un modèle féminin, sont construits sur la base de prénotions sociales et éducatives qui résument une certaine idée partagée de l'ontologie. J'illustre ici mon propos à partir d'une seule valeur éducative mais fondamentale, en l'occurrence, la notion de "hachma". Norme éducative très différenciatrice des sexes, cette notion signifie d'abord "pudeur, modestie, réserve" et tient à la fois du sens mythique - elle résume la qualité fondamentale de l'idéal féminin tel que collectivement fantasmé - et de l'impératif religieux catégorique 118(*). L'éducation de la fille en milieu algérien s'instruit essentiellement de ces représentations normatives aux confins du mystique et, pour autant que celles-ci font de la sexualité de la femme un élément essentiel dans l'organisation de la vie en société, on peut en déduire, en bonne logique, que la notion de "hachma" signifie d'abord pudeur et, plus précisément, pudeur sexuelle. C'est ce qui explique que l'obligation faite à la femme de voiler à l'homme les parties sexuellement suggestives de son corps constitue un impératif catégorique explicite, c'est-à-dire en somme une "doxa", un indiscuté. A. Demeerseman (1967) écrit que "La notion de "hachma" signifie pudeur, mais... elle veut dire aussi réserve et même honte (`ayb)". Celle-ci renvoie, écrit à son tour L. de Premare (1975), au "sentiment d'angoisse et de la culpabilité devant la faute ou le déshonneur" 119(*). Donc, de même qu'elle traduit un sentiment de honte éprouvé devant un acte, un geste ou une attitude répréhensibles, "la hachma" peut suggérer aussi l'interdit associé à toute action jugée honteuse (`ayb) car moralement proscrite (harâm). Replacé dans cette logique socio-religieuse, le culte de l'honneur dans la famille algérienne va ainsi représenter pour la mère le pôle de référence de sa stratégie éducative à l'égard des enfants de sexe féminin. Mais le succès de celle-ci reste, cependant, tributaire de l'observation scrupuleuse d'un certain nombre de conduites qui supposent toutes une soumission illimitée (tâ`a) à l'autorité parentale. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les signes indiciels de la réussite de cette éducation peuvent fort bien résumer, chez la fille, un tableau d'allure phobique : peur panique du père et du représentant de l'autorité en général, timidité excessive devant l'étranger et, surtout, angoisse expectante face à la perspective d'une faute toujours possible. On aura compris que, dans ce registre de phobie, mère et fille en Algérie subissent de concert la permanence d'une violence symbolique, résidu normalisé de la culture phallocentrique car si la mère est bien la force disciplinante en tant qu'elle est l'assignation principale des normes éducatives de la fille, elle est aussi et, en contrepoint de cette fonction de pouvoir dont elle tire maints bénéfices secondaires, la première victime de la norme masculine face à laquelle son attitude paraît, pourtant, toujours paradoxale, mitigée : alors même qu'elle en conçoit l'abus et l'hégémonie traditionnels, elle en devient le vecteur essentiel dans sa transaction éducative avec la fille comme si sa propre identité ne pouvait finalement s'exercer que dans une forme socialisée et sexuellement différenciée d'identification passive à l'agresseur, soit aux normes sociales et religieuses, au mari, au fils etc. et dont elle s'érige en police de la loi. Aussi, la mère en Algérie acquiert-elle, en cette occurrence, la fonction peu enviable d'instrument de la norme (hachma et notions corrélatives) et dont le véritable objet - on l'aura compris - est de l'installer dans un mouvement dialectique d'échange et de reproduction symbolique (à travers l'éducation qu'elle reçoit et qu'elle donne à son tour) et qui a pour effet d'inhiber sa féminité c'est-à-dire, en fin de compte, de verrouiller sa sexualité. Dignité, honneur, pudeur et surtout respect absolu de l'ordre et de l'autorité masculine ne représentent-ils pas dans la culture musulmane les principaux fondements d'un système éducatif dont l'objet véritable est d'inféoder la femme à l'homme ? Ces valeurs et bien d'autres s'acquièrent tôt dans la vie de la petite fille et si leur didactique se fait selon une évolution linéaire, celle-ci reste, cependant, courte en ceci que la puberté et l'adolescence ne sont guère conçues comme phases du développement (et cela que l'on se place d'un point de vue génétique ou psychanalytique) mais correspondent, précisément, à son aboutissement. En conséquence de quoi, la pratique sociale traditionnelle ne justifie l'existence de la jeune fille que par une seule finalité, celle de son mariage et, autant que possible, de son mariage précoce car ne fait vraiment honneur au groupe que la jeune fille (`adrâ') qui convole, très tôt, en justes noces, moment essentiel du processus éducatif grâce auquel la fille peut enfin espérer réaliser sa complétude narcissique, c'est-à-dire son accomplissement total. Dans cet ordre d'idées, le tabou de la virginité qui a marqué l'histoire de l'humanité est encore très prégnant en Algérie et quelles que soient la teneur et l'intensité des changements socioculturels qui s'y jouent, le mythe est toujours là, culturellement invariant et psychologiquement envahissant. Je peux dire, pour terminer, un mot de l'éducation religieuse à laquelle la mère soumet sa fille : en tant que support du système de représentation du groupe qui y puise l'essentiel de ses modèles éducatifs, l'éducation religieuse a pour fonction psychologique d'initier précocement la fille à un faisceau d'interdits dont l'intériorisation procède d'une représentation manichéenne du bien et du mal. D'ailleurs, à l'appui de cette éducation religieuse prévaut une référence constante tant aux textes de la loi coranique qu'aux modèles féminins islamiques. Les femmes du Prophète sont la référence que la tradition évoque volontiers pour vanter les mérites d'une femme accomplie. Parallèlement, les légendes et les pratiques magiques qui impressionnent l'imaginaire de la petite fille sont régulièrement contées dans le même but éducatif d'évitement phobique de toutes les tentations futures, en particulier celles à coloration sexuelle et que la tradition réprime. Il serait pourtant réducteur de considérer que ces notions de "hachma" (pudeur), de "`ayb" (honte) etc. recouvrent exclusivement les représentations collectives des conduites féminines. Les garçons sont aussi intimement concernés mais dans une perspective de rôles et de conduites différente. La pudeur et la honte sont, en effet, des sentiments indissociables des attitudes que doit manifester un jeune homme respectueux des usages : lorsqu'il croise, par exemple, une jeune femme, il doit veiller à ne pas l'indisposer en évitant de porter sur elle un regard insistant et indiscret. En contrepartie de cette conduite d'évitement, il peut s'attendre à ce que les autres se comportent de même à l'égard de sa mère ou de sa soeur. Contrairement aux stéréotypes répandus quant à l'excès de pudeur de la fille algérienne par opposition à la trop grande virilité dont ferait preuve le garçon, il y a une troisième notion, intermédiaire celle-là, qui borne les limites à ne pas transgresser. Cette dernière notion est celle du "nîf" ou de "kdâr" que traduisent respectivement les termes d'honneur et de respect. L'honneur familial comporte aussi bien la défense de l'intimité (horma) du groupe restreint que celle du groupe élargi (le voisinage, la communauté ...). Respecter la pudeur d'autrui c'est travailler, dans un système d'échanges symboliques, au respect de la sienne propre. L'autorité que doivent exercer les aînés (pères, frères, cousins... ) sur les plus jeunes, et sur les filles en particulier, ne doit en aucun cas souffrir d'équivoque ni être contestée alors même qu'elle peut être parfaitement contestable. Telle est la règle sans laquelle les mécanismes de reproduction des valeurs familiales risquent d'être gravement altérés avec, pour corollaire, les dangers qu'une telle situation ferait encourir à la cohésion et à la solidarité familiales. L'autorité du groupe revient au patriarche et, à sa mort, au plus âgé de ses enfants ; mais, souvent, c'est au plus capable que reviendra cette autorité, ce qui ne va pas sans conflits. En effet, le statut de chef de famille n'étant pas institué, c'est le plus fort qui va le prendre de fait. III - LA FEMME ET LA SEXUALITÉ A- ENTRE TABOUS ET PERVERSIONS On constate que la problématique de la sexualité commence, ces dernières années, à revêtir une importance particulière dans le cadre des recherches et des études engagées autour d'elle. "Plus la contrainte religieuse est grande, plus le refoulement sexuel est accru (...). L'enthousiasme religieux qui insiste à châtier toute contravention au nom de la religion est toujours motivé par des pulsions sexuelles..." 120(*). Cette problématique est prise dans sa particularité spécifique ou considérée sous l'angle de ses rapports avec d'autres phénomènes sociaux à partir d'une vision socio-idéologique donnée. Il est certainement inutile d'affirmer que beaucoup d'ouvrages littéraires ayant abordé la question sexuelle, dans sa forme ou dans son fond, ont toujours été prohibés et considérés comme des tabous qui nécessiteraient une autopsie. En Algérie, des ouvrages (des disques ou cassettes) ont fait l'objet de saisie ou encore d'interdits de paraître sur la base de reliquats culturels et d'arrières plans sociologiques dont la concrétisation effective se traduit toujours par la langue de la réprimande "réglementaire" et de la répression "légitime". Partant de cette incompatibilité discordante entre le tabou sexuel et l'acte littéraire s'y rapportant, il est utile de faire l'approche de la nature de la problématique de la sexualité en posant, de prime abord, les questions suivantes : Pourquoi cette sexualité ? Pourquoi l'intérêt porté sur elle ? Pourquoi se cantonne-t-on précisément dans cette partie interdite du discours du soi intime ? Pourquoi aussi l'aborde-t-on avec beaucoup de circonspection et de méfiance à chaque fois qu'on tente de reconnaître en elle un aspect fondamental de notre personnalité, une composante essentielle de notre développement psychologique et une nécessité de notre croissance biologique ? Pourquoi et comment est-elle masquée et travestie dans son contenu ou encore occultée dans son essence ? Est-elle une exception tout à fait différente des autres phénomènes humains ? Est-ce que le bannissement de la sexualité du champ des connaissances est dû à sa nature objective ou bien à la subjectivité du chercheur ou encore à d'autres formes de censure ? La plupart des religions ont proclamé, sans équivoque, l'infériorité de la femme en l'inculpant du péché mortel (le péché du corps) autour duquel elles ont tramé une quantité de mythes et de superstitions qui confèrent à l'acte sexuel toutes sortes de sacrilèges et de qualificatifs infâmes et qui n'était admis, désormais, que dans les limites du mariage sacré "ou légitime". B- L'AMOUR ET LA SEXUALITÉ J'aborde ici les notions d'amour et de sexualité véhiculés par un biais que nous procurent les pratiques éducatives. Leur dureté et leur mise en oeuvre ne peuvent qu'impressionner durablement tout individu et inhiber en lui tout désir de transgression. Il est permis de dire d'emblée que l'éducation sexuelle en tant que telle est inexistante en Algérie. L'éducation de l'enfant incombe principalement à la mère, accessoirement aux autres femmes de la maison, mais en aucun cas au père. Ce dernier est seulement dressé en permanence par la mère comme une menace. De fait, le père n'intervient qu'en dernier recours et seulement pour infliger le châtiment qui se joue comme un drame. Les parents ne jouent aucun rôle dans l'éducation sexuelle de leurs enfants, celle-ci se fait plus tard entre garçons ou entre filles, en passant par l'observation des animaux. Au bout du compte, la fille retient surtout qu'elle doit sauvegarder sa virginité. Cette obsession de la virginité hante les esprits en permanence ; les propos des femmes montrent à quel point la fille est un sujet d'angoisse : " La fille fait notre tourment depuis sa naissance jusqu'au jour de son mariage. C'est comme une bombe...". La relation imaginaire entre sexualité et sang virginal interdit à la fille pubère de parler de ses premières règles à sa mère et la conduit à se confier aux jeunes filles plus âgées. La menstruation est liée à la saleté corporelle puisqu'on la désigne par le verbe "laver" (en kabyle et en arabe dialectal) et impose une distanciation par rapport aux lieux et aux rites sacrés, l'interdit du jeûne durant le mois de Ramadan et l'abstinence des relations sexuelles. Les règles éducatives ont pour but de faire du garçon, un garçon doué des trois qualités fondamentales que sont l'honnêteté, l'esprit de famille et le désintérêt pour les femmes et la sexualité et de la fillette, une femme obéissante, soumise, polie, respectueuse et surtout effacée. Cette attitude sévère n'a d'autre but que de faire intérioriser à l'enfant l'interdit de la sexualité et aussi l'idée que celle-ci n'est pas son affaire mais celle de la société. Le mariage est l'institution qui canalise les pulsions sexuelles. On payait (et encore parfois aujourd'hui) de sa vie toute union sexuelle extra-conjugale, du moins pour ce qui concerne les femmes. Le déshonneur du père par sa fille est plus dramatique de tous. Il l'est bien plus que celui du mari trompé car, si l'épouse n'est qu'une alliée qu'on peut renvoyer chez elle en faisant retomber la honte sur la famille, la fille est une personne de la lignée et sa faute en "éclabousse" tous les membres. G. Devereux, à partir du travail devenu classique de C. I. Lévi-Strauss 121(*) sur l'échange et la circulation des femmes et l'analyse d'un cas clinique, a montré que "le possesseur" d'une femme (père, frère, mari) ne peut concéder à un autre homme qu'au prix d'un "contre-don" symétrique, selon la loi du talion : oeil pour oeil, femme pour femme. Les rites complexes de la cérémonie du mariage ont pour but moins d'allier deux familles que de nier l'hostilité qu'engendre la cession d'une famille. "Être l'objet du coït souille l'honneur de la femme, mais encore plus, et même d'abord, celui des hommes de sa famille" car, du point de vue fantasmatique, "faire l'amour avec une femme, c'est le faire avec son époux, son père, ses frères ; c'est les dégrader, les châtrer, les féminiser"(1). Le fait que sa fille, sa soeur ou son épouse couche avec un autre homme est vécu par "le propriétaire" comme une agression homosexuelle venant de cet homme. Ce que la société réglemente "concerne non les rapports entre hommes et femmes mais les rapports des hommes entre eux puisque les transactions se font entre hommes : les femmes en constituent simplement l'objet" 122(*). Chaque homme et chaque femme vivent, non dans l'expectative de connaître l'amour, mais dans celle du mariage, institution à laquelle on ne saurait échapper. On a dit que le célibat représente un grand malheur pour la famille. L'union matrimoniale fait d'une pierre deux coups puisqu'elle permet non seulement la procréation nécessaire à la pérennité de la famille, du clan mais également la canalisation des pulsions sexuelles d'une manière réglementaire conforme à l'idéal social.
La langue peut renseigner sur les concepts pouvant s'apparenter à ce que l'on nomme "le sentiment amoureux", si toutefois un tel sentiment est conceptualisant dans une société foncièrement basée sur les rapports communautaires niant l'individu. La morale courante ne permet pas d'exprimer le frissonnement intime que peuvent communiquer les êtres et les choses au moi sensible de l'individu. L'émotion et le bouleversement intérieur demeurent secrets car ils paraissent dérisoires au regard des valeurs collectives. Les Kabyles n'accordent qu'une place marginale au sentiment amoureux ou, plutôt, pour parler comme G. Devereux 123(*), l'item culturel "amour" n'appartient pas au courant principal de la culture. Cette formulation a le mérite de ne pas limiter l'analyse des données sociologiques à leurs fonctions explicites et tient compte des contradictions inhérentes à tout système ; en outre, elle laisse supposer que ce sentiment spécifiquement humain existe d'une manière ou d'une autre dans toutes les sociétés humaines, lesquelles doivent nécessairement lui offrir une "niche" dans laquelle il peut s'insérer. L'amour dans la culture kabyle, s'il n'est pas ouvertement valorisé comme peut l'être d'autres sentiments plus "nobles", n'en constitue pas moins un idéal individuel. Ces deux matrices mutuellement contradictoires se complètent car elles actualisent cette ambivalence fondamentale envers ce sentiment lorsqu'il survient chez un membre d'une famille à laquelle il pose problème face à la société. L'amour, parce qu'il renvoie à la liberté sexuelle, cristallise l'agressivité normalement refoulée des membres de l'entourage vis-à-vis de leurs propres ascendants qui les en ont frustrés et qu'ils refusent à leur tour d'accorder à l'un des leurs. Le négativisme social de la magie féminine émerge clairement sous ses deux aspects puisque, soit qu'elle suscite l'amour, état fortement condamné et lui-même conçu comme "désordre" s'apparentant à la folie, soit qu'elle le détruise dans sa légitimité, elle tend à saper la structure sociale dans sa reproduction. Si la magie est le secret de la parole féminine, la parole magique serait-elle une parole amoureuse ? "Les conduites magiques ne répondent pas à une motivation amoureuse et l'érotisme exprimé dans les rites n'est qu'un moyen et non une fin. (...). La motivation essentielle opérant dans la magie négative (celle qui sépare les couples) est incontestablement la jalousie. (...). C'est à coups d'ensorcellement et de désensorcellement que les femmes règlent leur vie sociale et relationnelle" 124(*). La jalousie est organisée dans un ensemble de valeurs et de normes et, en tant que telle, est une composante implicite des rapports familiaux et villageois. La magie de l'amour en tant que pouvoir féminin s'applique au domaine le plus intime de la vie, justifiant ainsi son investissement par les femmes. Cette magie féminine, transmise par voie féminine et s'adressant à une clientèle féminine, refait le monde de telle façon qu'il fonctionne à sens inverse : la femme active s'oppose à l'homme passif sur lequel elle agit à sa guise ; capable de lui insuffler l'amour et la haine, il ne possède aucune arme pour se défendre. Si les représentations structurales du monde ont pour point initial la séparation des contraires que l'action humaine tente de réunir par des rites pour assurer son renouvellement, la magie d'amour, elle, permet non seulement d'unir mais aussi de désunir, donc de manipuler le monde. La transgression des tabous inhérents à la magie constitue, en quelque sorte, sa raison d'être où les femmes trouvent leur revanche dans une société qui les conçoit dangereuses. Si les croyances magico-religieuses sont les mêmes pour tous les membres d'un groupe donné, elles demeurent seulement des croyances pour la plupart des membres de ce groupe. Ce qui différencie la magicienne des autres membres de sa communauté, c'est qu'elle a transformé ces croyances en expérience. La femme se sent continuellement observée par les autres et ne peut échapper à cette tyrannie du regard. De son point de vue, cette observation constante ne peut se motiver que par un sentiment jaloux et la préméditation d'un mauvais coup magique qui sera porté contre elle. Les Kabyles croient aux esprits, aux génies et autres êtres surnaturels mais ne racontent pas qu'ils ont vérifié leur existence tangible.
L'homosexualité féminine, bien qu'il soit difficile d'affirmer son existence réelle, ne laisse subsister aucun doute quant à la présence de fantasmes s'y afférant. On la perçoit à travers le langage et les expressions des femmes lorsque celles-ci se trouvent entre elles. La société algérienne ne laisse pas à l'individu la liberté de choisir son objet d'amour, celui-ci est amené à n'aimer que lui-même. La femme kabyle, dans sa quête d'amour qu'elle souhaiterait trouver chez son mari, est loin de répondre à un quelconque attachement pour lui. Son besoin est moins d'aimer que d'être aimée. Elle veut faire que "son mari l'aime comme elle s'aime elle-même"125(*). L'amour véritable, elle le développera plus tard pour ses enfants (mâles) desquels elle ne parviendra jamais vraiment à se détacher ni à accepter qu'ils portent leur affection sur ses futurs brus.
La sexualité de la femme est complètement niée. Sa sexualité et son sexe n'existent que pour la jouissance de l'homme. Le rôle qui lui est imposé dans l'acte de l'amour est essentiellement passif. Selon le discours masculin, les sexes ne sont pas égaux, il y a un sexe fort et un sexe faible. Dans le discours féminin, les femmes se décrivent comme une race de géantes butant quotidiennement et directement contre les "monstres" destructeurs que sont le chômage, la pauvreté et le travail dégradant. Le rapport des sexes est toujours inextricablement et inconditionnellement lié au rapport de classes (les intellectuels, les analphabètes...). Toute une littérature maghrébine traite du problème de la sexualité. A. Boudhiba 126(*) a placé la sexualité dans la vision islamique. Pour lui, c'est une "synthèse harmonieuse et un ajustement permanent de la jouissance et de la foi". Il s'agit d'une étude approfondie et non exhaustive, à mon avis, dans laquelle le concept est confronté avec les comportements conscients et observés hier et aujourd'hui. Dans son article "Virginité et Patriarcat", Fatima Mernissi 127(*) analyse les contradictions internes des relations hommes / femmes, contradictions nécessaires aux privilèges de l'homme maghrébin mais qui peuvent pousser la femme à lutter sans relâche en ayant recours à des pratiques telles la virginité artificielle, par exemple. Ce thème a aussi été approfondi dans l'ouvrage de A. Gaudio et R. Pelletier 128(*) qui nous apportent quelque lumière sur la place de la femme dans l'interprétation de la loi coranique : de la réclusion féminine au mariage forcé, du port du voile à la virginité obligatoire, du harem à la peine de mort pour adultère. D'après mes entretiens et les diverses discussions avec les femmes durant mes séjours en Algérie que les pratiques magiques et la sorcellerie ne sont pas absentes dans les rapports sexuels des Algériens dans la mesure où elles sont une arme qui contribue, pour certaines femmes, à acquérir une place dans l'acte de l'amour, afin d'être considérée et respectée. C- LE TABOU DE LA VIRGINITÉ Dans le milieu algérien, la vie sexuelle est canalisée vers le mariage. Tout projet sexuel en dehors des liens sacrés du "nikâh" est considéré comme "zinâ" (prostitution) et donc illicite. Le mariage, quant à lui, est centré sur la virginité de la jeune fille, signe et symbole de l'honneur même de la fille et de sa famille. La société patriarcale a dicté aux jeunes filles qu'elles doivent rester vierges jusqu'au mariage. La perte de la virginité est un délit honteux qui ne peut être "lavé que dans le sang", comme on dit dans les pays arabo-musulmans, en général. Si la virginité est une règle de morale que seules les filles doivent respecter, les mères, de leur côté, défendent ce "privilège" en surveillant étroitement leurs filles. La mère, responsable de l'éducation de ses filles, marquée par l'éducation qu'elle a subie elle-même, conditionnée à voir dans la virginité le seul trésor de toute jeune fille, perpétue la tradition en veillant jalousement sur la virginité de ses filles. Privée de sa liberté quant à son propre corps, la mère ne peut que priver les autres de cette liberté. Inconsciemment donc, elle refuse à ses filles ce que la société lui a refusé. "... L'éducation des filles dans les familles (...) qu'elles se tiennent à bonne distance de l'homme et on leur inculque de prendre garde et de ne pas s'exposer au danger en croyant aux subterfuges employés par les hommes" 129(*). Les femmes perpétuent la tradition concernant la virginité et confirment que l'hymen de la jeune Algérienne est l'affaire du groupe auquel elle appartient. Toujours exposé au regard et au jugement des autres, l'individu algérien n'a de signification que dans le corps social. Son individualité, sa personnalité sont catégorisées au sein d'ensembles organisés. Dans une société patriarcale conservatrice, la revendication d'une identité originale est conçue comme une affirmation de soi, une revendication de sa différence. Or, pour la société algérienne, la seule image positive consiste à adopter des comportements conformistes qui, seuls, peuvent permettre la valorisation et la reconnaissance sociales. Conditionnée à vivre selon l'image que la société leur impose, les jeunes filles répondent, en grande partie, aux attentes du groupe. "Passivement à des actes aliénants comme le fait d'accepter des visites médicales pour rassurer la mère sur l'état de leur hymen... Cette situation montre que les jeunes filles sont obligées..." 130(*).
Dans les opérations d'éducation de la fille travaillent tous à faire naître en elle une angoisse particulière bien connue des ethnologues et psychanalystes. R. Toualbi dans sa thèse a dit : «l'angoisse du tabou de la virginité». " (...) , quel que soit le niveau socio-économique et d'instruction atteint par nos enquêtées (jeunes filles), l'obligation de la virginité, impliquant l'interdit de la sexualité pré-conjugale, occupe une place centrale dans leurs représentations et dans leurs appréhensions régulièrement dysphoniques, portant sur la sexualité et ses avatars... " 131(*). L'un des buts essentiels de l'éducation de la fille en milieu algérien est de la préparer tôt aux sacres du mariage en la fixant, dès l'orée de sa vie, sur la crainte obsessionnelle de la perte de la virginité, tabou dont la mère est l'assignataire principale. Dès lors que cet incident forme tout un sécable d'une représentation communautaire du code de l'honneur (horma), il est, à ce titre, collectivement investi d'une valeur située aux confins du mystique si bien que, pleinement enserrée dans ce registre symbolique, la jeune fille n'ignore pas qu'elle est la dépositaire d'un impératif catégorique essentiel : c'est dans le rituel d'offrande, soit à proprement parler dans la blessure subie, que s'accomplissent en dernière instance l'acte purificateur et l'agrégation sociale mettant fin aux épreuves de socialisation de la femme en Algérie. La mère, qui entretient dans ce registre particulier un rapport quasi- symbiotique avec la fille, y puise, à son tour et comme par ricochet, un motif insigne de glorification personnelle, l'assentiment du groupe - et elle le sait - lui étant également en cette occasion destiné. Il s'agit donc bel et bien d'une "mise à l'épreuve" solennelle dans laquelle sont évalués, au moyen du respect dévolu à un tabou - celui de la virginité -, les mérites éducatifs de l'endogroupe, ici véhiculés par le personnage central : la mère. De là vient l'angoisse dont celle-ci fait preuve, au lendemain des noces, dans sa quête toujours anxieuse d'indices visuels confirmant a posteriori le respect de ce tabou. Ce rituel persiste tant et si bien, en Algérie et qu'au Maroc, qu'il revêt, dans certaines de ces régions, un niveau d'ostentation tel que L. de Premare (1973) se dit frappé par : "L'apparente contradiction d'une attitude collective, qui entoure habituellement la jeune fille sur la vierge du "voile de la honte", centre l'éducation de la fillette sur la pudeur et la réserve et qui, cette nuit-là, semble au contraire exposer l'intimité de l'épouse aux regards de l'entourage" 132(*). Ce constat peut, en effet, intriguer celui qui s'en tient à une lecture de surface mais cette contradiction disparaît aussitôt la question de la virginité replacée dans le contexte réel qui est le sien, le contexte psychologique et symbolique proprement dit. Disons que, pour autant qu'elle s'apparente comme ici à un exhibitionnisme sexuel, la publicité entourant la défloration nuptiale correspond en réalité, dans l'économie des échanges symboliques intergroupes, à une double nécessité : d'une part, au besoin de confirmation des qualités morales et sociales de la famille de la jeune fille et dont "la marque de fabrique" 133(*) est, pour ainsi dire, reconnue ce jour-là et, d'autre part, à l'obligation faite au groupe étranger contractant de confirmer publiquement son assentiment quant à l'alliance ainsi réalisée. L'obsession des mères algériennes à vouloir préserver à tout prix l'intégrité physique de leurs filles est-elle, dans ce registre paranoïaque, parfaitement compréhensible comme l'est non moins leur propension à s'entourer, à cet effet, de mesures conjuratoires et de protections diverses. La plus connue au Maghreb est celle de la "ferrure" (R'bît en arabe). Rituel magique dont le principe général est d'induire l'inhibition sexuelle sur le couple, la ferrure s'accomplit invariablement aux détours d'un cérémonial dont les maîtres d'oeuvre sont de vieilles femmes à la réputation bien établie. Ce n'est que quelques jours avant les noces que la mère fait lever le sortilège et que l'inhibition est sensée disparaître. La clinique psychopathologique nous en révèle l'incidence formée pour l'essentiel d'impuissance psychosexuelle chez l'homme et de frigidité chez la femme134(*). Cette pathologie circonstancielle me paraît résulter de l'aptitude de certains sujets (hommes et femmes) à "subjectiver" cette croyance qui fonctionne alors selon les principes de la pensée magique : le sortilège sitôt connu ou pressenti, il se produit sur le couple une sorte d'équivalence symbolique entre l'intention et l'action, l'interdit et l'empêchement, processus inconscients qui vont mettre en branle les mécanismes habituels inhibiteurs de la sexualité 135(*). Les symptômes cliniques de cette action sont maintenant bien connus : ils se résument à un défaut d'érection chez l'homme et à un vaginisme de type hystérique chez la femme. Si le tabou de la virginité peut paraître aujourd'hui en passe d'être relégué à l'arrière plan des préoccupations conscientes des jeunes en milieu urbain, il n'en reste pas moins qu'il continue de peser d'un poids important sur leurs représentations inconscientes de la sexualité. "Les conduites de dénégation et de rationalisation qu'il persiste à produire dans leurs propos mitigés autour de cette question ou le recours en plus signalé à la chirurgie réparatrice de l'hymen indiquent, à ne pas s'y tromper, la persistance voire la résurgence du tabou dans les conduites et représentations collectives" 136(*). Voilà là un bel exemple de discordance entre, d'une part, la représentation culturelle de l'identité et la pratique et, d'autre part, de conduites de novation qui, pour autant qu'elles sont réellement désirées, sont inconsciemment verrouillées par une culpabilité sous-jacente de dénaturation identitaire. A l'approche du mariage certaines jeunes filles vont se refaire l'hymen à un prix exorbitant chez les chirurgiens (interdit par la loi mais bon nombre de chirurgiens pratiquent ce genre d'interventions). Il me semble pouvoir dire, pour terminer, que l'un des aspects essentiels de l'éducation de la fille en Algérie tourne autour de la thématique sexuelle et de ses interdits. Le respect du tabou de la virginité représente, sans aucun doute, l'un des éléments fondamentaux de cette éducation et qu'il cristallise, tant d'angoisse et de fantasmes collectifs, mais il serait faux de croire qu'il est seul à le faire. La sexualité n'acquiert, en Algérie, cette valeur mythique dans les représentations collectives qu'en tant qu'elle forme une partie insécable d'un tout culturel sanctifié car tirant sa source d'un dogme religieux plus ou moins bien vécu, plus ou moins interprété. D'autres valeurs aussi importantes que la sexualité, telles que le code de l'honneur, la solidarité familiale, l'organisation des rapports inter-sexuels, etc., intègrent ce "sanctuaire" culturel qui a pour effet, au plan psychologique, de restreindre considérablement la marge de liberté laissée à la mère comme à la fille d'inscrire leurs trajectoires vitales dans une perspective autonome, moderniste. À ce sujet, les observations pour l'Algérie ont rejoint conjointement celles de D. Jeambar 137(*) pour la Tunisie et de S. Naâmane-Guessous 138(*) pour le Maroc et montrent à quel point le tabou de la virginité a la vie dure au Maghreb. Ni le facteur temps, ni les processus de changement socioculturels qui travaillent cette région du monde ne semblent avoir réussi, jusque-là, à réduire la charge symbolique que ce tabou exerce sur les représentations collectives. Dès lors, les attitudes culturelles cessent d'être modernistes, éclectiques ou ambivalentes mais se transforment brutalement en conduites de sacralisation de l'ancien régime qui sert de matrice à la formation d'une identité originelle pure, et débarrassée de toute aspérité culturelle novatrice. Dans la mesure où leur système de représentation apparaît régulièrement coincé entre des sollicitations culturelles contradictoires, leur adaptation psychosociale est, de ce fait, plus laborieuse et, sans doute, plus incertaine. Enfin et compte tenu de l'enrichissement actuel de la société algérienne vers un traditionalisme plus affirmé, il est à craindre que des groupes de jeunes ne s'en laissent finalement convaincre, le retour vers les origines culturelles pouvant représenter pour eux l'issue la moins pénible, en termes psychologiques, à la résolution des contradictions véhiculées par l'hétérogénéité culturelle. Bien différentes me sont apparues, de ce point de vue, les attitudes féminines qui relèvent du même niveau d'acculturation. Je dirai que, dans l'ensemble, celles-ci s'expriment autour de motivations lancinantes et compulsives où un fort désir de changement apparaît souvent en réaction à un sentiment de " victimisation" et de persécution. La condition féminine négativement appréhendée dans des rapports d'inféodation culturelle à l'autorité masculine explique une bonne part des conduites auto-dépressives et suscite, en compensation, la détermination des filles à lutter contre la suprématie sociale de l'homme. Dans la logique conflictuelle de cette relation inter-sexuelle, les conduites féminines s'insinuent, dans bien des cas, sous la forme de manifestations réactionnelles où les attitudes de protestation, de rejet et de défi prévalent pour afficher un modernisme outrancier. Si nous voulions schématiser à l'excès, nous dirions que les jeunes filles sont capables d'exprimer, dans une même unité de temps, des conduites à la fois traditionalistes et modernistes (comme Malika, Chabha ou Melha...), un tel syncrétisme de valeurs correspondant à l'attitude la plus fonctionnelle dans le traitement des situations de crise qui les interpellent. Ce revirement est justement en train de se produire avec les classes moyennes de la société algérienne dont l'alignement inattendu des positions sur celles résolument traditionalistes des classes populaires laisse le chercheur perplexe. La fixation de plus en plus perceptible des classes moyennes dans une sorte de traditionalisme culturel de désespoir apparaît, en outre, en concomitance avec l'émergence dans la société du fondamentalisme religieux. Ne peut-on alors penser que celui-ci est venu à point nommé pour combler un "vide" culturel et idéologique laissé par le biculturalisme, lequel révèle ainsi ses limites - voire sa faillite - à organiser là où il existe, un modèle socioculturel stable et fonctionnel ? Car, à bien y regarder, l'islamisme algérien pourrait fort bien traduire le symptôme le plus visible Rappelons qu'en Algérie où, du fait de la forte montée de l'islamisme, la question culturelle et identitaire a pris une tournure dramatique, ce sont surtout les femmes et les mères qui portent ensemble la revendication d'une société de progrès et de liberté. Ce n'est donc pas par hasard si, dans la hiérarchie de leurs exigences, c'est encore le "Code de la Famille" porteur de graves disparités inter-sexuelles qui recueille les scores les plus accablants de leurs récriminations. La raison en est que les femmes, qui ne sont pas dupes d'appartenir à une société aux valeurs versatiles, savent aussi que celle-ci est en état de trop grave dérèglement pour qu'elle puisse correctement les défendre. Elles prennent d'autant plus conscience de la nécessité de s'organiser et de lutter qu'elles pressentent obscurément que, pour elles, il s'agit véritablement du combat de la dernière chance ! Mais la question n'est pourtant pas aussi simple. Diversement appréhendée selon un système de représentation propre à chaque groupe social - lorsque le même groupe n'en renferme pas plusieurs à la fois -, l'identité en Algérie, et comme sans doute ailleurs dans le reste des pays du Maghreb, n'est pas de forme moniste ! Nous voulons dire qu'à la culture démocratique légitimement revendiquée par ses chantres habituels, il faudra aussi songer à ajouter le poids réel de celle à caractère ontologique, c'est-à-dire islamique qui représente aujourd'hui une partie non négligeable de la revendication d'autres femmes, algériennes et maghrébines. D- SEXUALITÉ, VIRILITÉ ET FÉMINITÉ Pour certaines femmes, la virilité et la féminité ont des connotations négatives parce que chargées de préjugés. Les définitions sont faussées par les réalités sociales. Elles sont institutionnalisées pour préserver la société de tous les maux. Parmi les plus graves : la femme dont le pouvoir maléfique est capable d'annihiler l'homme, la société et la religion. Ainsi, la virilité et la féminité dans l'imaginaire algérien sont synonymes de supériorité et d'infériorité. Ce genre de discours instaure la séparation des sexes, mettant ainsi l'homme à l'abri des dangers inhérents à la femme et à son pouvoir de séduction qui est si considérable.
La virilité et la féminité, telles qu'on les comprend et qu'on les explique dans la société algérienne, servent à asservir la femme par un système d'exploitation injuste qui vise non seulement le côté juridique mais aussi sexuel. Cette double exploitation maintient la femme dans un état d'infériorité par rapport à son compagnon. En Algérie, la virilité est assimilée à la force, à la rigueur, à la violence, parfois à l'intelligence. La féminité est assimilée à la soumission, à la honte, à l'effacement, parfois à la beauté. La première condition à remplir par un individu pour être accepté par le groupe est d'être "un homme", c'est-à-dire sans faiblesse par rapport aux femmes. La conviction religieuse, le savoir, la compétence et l'honnêteté ne viennent qu'en seconde position. Malika, Katia, Melha, Chabha témoignent d'une situation dramatique où la femme est prise au piège du discours masculin, coincée entre un modernisme sans âme et un traditionalisme sans âge. Cette situation installe toute l'Algérie dans des conduites conflictuelles et des structures ambivalentes et l'individu se trouve placé dans une situation de changement et / ou d'évolution culturels, à la fois engagé dans le temps du progrès et bloqué dans les normes et activités antérieures. Chabha dénonce les rapports de force instaurés entre les sexes. La polygamie, l'héritage, la répudiation... font la fierté des mâles qui vantent leur propre virilité. Cloîtrée dans sa maison, cachée derrière un voile (l'épouse, la mère...), la femme est privée de tout critère d'évaluation et de jugement quant à la valeur réelle de l'homme. Pour elle, tout homme est naturellement viril du fait de sa condition biologique. Il est homme, donc viril. C'est pour cette raison que le mâle algérien (arabo-musulman, en général) préfère une épouse vierge à une femme expérimentée, plus à même de saisir les points forts et les points faibles de l'homme. "Cela explique pourquoi les femmes divorcées et les veuves n'ont qu'une valeur réduite sur le marché du mariage" 139(*). Souvent, la virilité est assimilée à l'agression verbale ou physique de toute femme qui s'aventure dans les espaces qui ne lui sont pas réservés. La plupart des femmes s'élève contre cette injustice. Le témoignage que rapporte Naoual El Saadaoui sur les années quarante au Caire reste toujours d'actualité dans la majorité des pays arabo-musulmans. Elle écrit ceci à ce propos : "La ségrégation entre hommes et femmes était si stricte qu'une femme qui avait l'audace de sortir de sa maison devait s'attendre à être malmenée par les hommes. (...). " 1 "Enfermées dans des préjugés sociaux, la virilité et la féminité confinent les femmes dans des limites très strictes et entourent le monde masculin (... )" 140(*). À travers la littérature arabe, il ressort que les rapports à la femme étaient empreints de moins d'agressivité et que les hommes admettaient l'existence du désir sexuel aussi bien chez l'homme que chez la femme. "Les mille et une nuits" sont une longue succession d'amours ardentes, de séductions et de belles femmes n'obéissant, à aucun moment, aux valeurs morales ni aux lois religieuses. Il me semble que l'ambivalence de l'homme par rapport à la femme (peur/désir) provient du fait que le mâle viril est misogyne, que la féminité en Algérie est le problème de toute société fondée sur le patriarcat et la division en classes est caractérisée par d'immenses écarts entre les différents groupes sociaux. "La société algérienne réserve à une minorité le droit de jouir d'une grande liberté sexuelle et des plaisirs de la vie ; les autres, hommes et femmes, sont contraints de se plier à un code moral (et à des traditions très strictes) qui, souvent, ne leur permet de choisir qu'entre l'abstinence et la mauvaise conscience " 141(*). Concernant les jeunes filles (interviewées ou les autres), leur expérience sexuelle est pauvre ou inexistante. Conditionnées à faire abstraction de leur corps et à renoncer à leurs désirs, elles grandissent dans la haine du corps et dans le refoulement. Dans le milieu kabyle, ou tout simplement en Algérie, tout est mis en oeuvre pour nier la sexualité de l'individu. L'éducation basée sur la répression est une institution destinée à dresser le sujet en vue de lui faire intérioriser les normes de la société dans la négation de sa personnalité et de son individualité. Malgré la part de liberté que Malika, Melha, Chabha, Katia... ont acquise, elles demeurent, sur le plan sexuel, conditionnées par les conduites sociales et les traditions. Comme F. Mernissi le souligne dans son ouvrage : "Sous l'Islam, (...) la sexualité est présentée comme obéissant à des règles. Le code unique et spécifique de la loi islamique proscrit la fornication qui est considérée comme un crime. Pourtant, ce qui est curieux dans la sexualité musulmane en tant que sexualité civilisée est la contradiction fondamentale entre la sexualité de la femme et celle de l'homme : s'il est vrai que promiscuité et laxisme sont la marque d'un certain barbarisme, alors la seule sexualité qui ait été civilisée par l'Islam est celle de la femme. " 142(*). La vie sexuelle du sujet est fondamentalement influencée par celle de son entourage. La maman de Khadidja, Fariza, paraît être une figure sexuelle négative puisqu'elle représente le triomphe de l'ordre sur le désordre. La sexualité, surtout celle de la femme, est considérée comme un danger car la femme est l'incarnation et le symbole du désordre, elle est fitna, la polarisation de l'incontrôlable, la représentation des dangers destructeurs de la sexualité. En fait, ce n'est pas la sexualité qui est attaquée dans le milieu arabo-musulman, mais la femme : force destructrice de l'ordre social. E- LES PROSTITUÉES : FEMMES LIBRES "La transgression rend les normes apparentes. Les réactions émotionnelles engendrées par les transgressions servent à confirmer la règle. Autrement dit, ce qui est spatialement et socialement périphérique, est symboliquement central" 143(*). Les prostituées se meuvent dans l'espace public d'une façon qui est associée au comportement masculin. Elles se tiennent dans la rue et voyagent passablement afin d'éviter de rencontrer des hommes de leur famille en travaillant. Elles adoptent des symboles du groupe dominant ; par ce moyen, elles revendiquent du pouvoir. On peut se demander dans quelle mesure elles dérangent la hiérarchie sociale et spatiale entre les genres et si elles défient l'ordre social établi qui sanctionne l'inégalité entre les hommes et les femmes ? Les prostituées s'approprient les codes du comportement masculin : elles se tiennent plus larges, elles empruntent l'espace public sans gêne, elles fument et boivent en public, elles voyagent ; bref, elles sont visibles et audibles. Curieusement, on observe, en Algérie, que les prostituées, lorsqu'elles adoptent les symboles qui donnent du prestige aux hommes, ne jouissent pas d'un respect similaire. Au contraire, elles sont stigmatisées et socialement rabaissées. Leur statut social ne coïncide pas avec leur statut économique. Une jeune prostituée peut gagner autant qu'un professeur universitaire mais elle n'aura jamais un statut social. Les prostituées et les danseuses de cabarets, tout en transgressant les codes de la bienséance féminine, contribuent à confirmer la norme. Elles sont, en quelque sorte, un mal nécessaire pour apprendre aux femmes honorables à se contenir dans l'espace qui leur est culturellement assigné car, si le femmes se hasardent au-delà des limites de leur genre, elles se font traiter de filles de moeurs légères ou de... Sur ce point , les femmes "libres" se sont appropriées des codes spatiaux masculins. De ce fait, elles pourraient déranger la hiérarchie entre les genres. Mais, l'inversion symbolique fait que les symboles qui accroissent la virilité des hommes diminuent la respectabilité des femmes. Les femmes qui transgressent les codes sont déclassées et stigmatisées. Par peur d'être associée à elles, toute femme algérienne soucieuse de sa respectabilité observera la conduite et le comportement corporels et spatiaux qui sont considérés comme bienséants dans son contexte culturel. L'imitation du comportement "masculin" des prostituées, des femmes "libres" n'est donc nullement subversif mais sert, en fin de compte, à maintenir la domination masculine et le statu quo. Il faut signaler que beaucoup de femmes fument (mais jamais en public), sortent, voyagent, ce n'est pas pour autant qu'elles sont considérées comme des femmes légères : on les classe parmi les femmes modernes, généralement, elles ont atteint un niveau d'études supérieurs et travaillent (souvent ont des postes assez élevés). IV- LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ
A- LES CONDITIONS DE VIE DES FEMMES CLOÎTRÉES AU FOYER Les femmes représentent la majorité écrasante de la population féminine adulte. En 1996, sur plus de 8,27 millions de femmes âgées de plus de 16 ans, environ 6,02 millions (soit 72,74 %), étaient considérées par l'Organisation Nationale de la Santé (O.N.S.) comme femmes au foyer. Ces 8,27 millions de femmes adultes se répartissent ainsi : Répartition de la population féminine âgée de 16 ans et plus selon la situation matrimoniale (en millions) 144(*)
Il est ironique que les statisticiens de l'O.N.S. présentent les femmes au foyer, qui consacrent plus de 16 heures par jour à leurs tâches domestiques, comme des "inactives". Aujourd'hui, face à 5,08 millions de personnes occupées (4,33 millions hommes et 625 000 femmes), 6,41 millions de femmes sont à l'oeuvre dans leurs foyers respectifs. La plupart d'entre elles se lèvent les premières et se couchent les dernières chaque jour. La plupart de ces femmes au foyer ne bénéficient pas de certaines facilités de la vie moderne. Elles ne quittent le domaine privé que pour des visites familiales, mariages ou circoncisions, accompagnées de leurs maris, de leurs fils ou filles ou de leurs belles-mères. Il faut ajouter à cela la corvée de l'eau (par manque d'eau en Algérie, des coupures d'eau sont quotidiennes, parfois pour trois jours). Les femmes cloîtrées ressentent fortement cet "emprisonnement" inacceptable et humiliant. "La claustration", rapporté par Hélene Vandevelde-Baillière, dont se plaignent souvent les femmes, signifie être tenue enfermée dans la maison ou, lorsqu'il est obligatoire de sortir ou que l'on y est autorisée pour un acte précis, cette sortie est surveillée et contrôlée. La femme qui est tenue cloîtrée ne pourra donc jamais sortir seule : "Les femmes sortent en groupes par famille ou la belle-mère accompagnant sa belle-fille, à moins que ce soit le mari (à défaut, le fils aîné) ; les femmes âgées seulement peuvent aller et venir relativement librement. Il y a une sorte de non-confiance radicale envers la femme ; s'y ajoutent l'idée de la protection dont elle aurait besoin et l'idée encore persistante qu'une femme d'un certain rang ne doit pas avoir de charges à l'extérieur, donc n'a pas à sortir" 145(*). Ainsi, les femmes cloîtrées au foyer vivent pratiquement dans un isolement quasi-complet et rationnellement injustifiable. Les résultats de recherche de Vandevelde-Baillière montrent que la moitié de la population féminine ne bénéficie même pas des sorties quasi-obligatoires trois fois par an, et assez peu de rapports de voisinage libres : ceux-ci ne sont admis que lorsque les voisins sont membres de la même grande famille, on comprend alors que les femmes puissent employer des termes aussi forts que "prisonnière" ou "enterrée vivante" pour définir leur propre situation et que la satisfaction des quelques jeunes femmes libres d'aller et venir soit si vive. Elles sont devenues le modèle à suivre pour les autres, notamment les jeunes à qui "la claustration apparaît alors comme insupportable et qui luttent pour s'en affranchir" 146(*). Dès lors, les grossesses, par exemple, deviennent des événements qui meublent leur morne vie. En effet, elles constituent la seule période où les femmes bénéficient de quelques égards attentionnés de la part du mari, de la belle-famille, des parents et enfin de la société néopatriarcale. Souvent d'ailleurs, les femmes, accouchant dans les centres médicaux, espèrent prolonger leur séjour médical en ces lieux. Elles avouent aux sages femmes qu'elles préfèrent demeurer au centre médical où elles peuvent se reposer et changer de cadre plutôt que de rentrer au foyer où leurs tâches et leur claustration les attendent de nouveau. Sans doute, ces femmes préfèrent-elles rester à l'hôpital en raison de l'exiguïté de l'espace domestique engendré par la crise de l'habitat. Ce qui fait que la majorité des femmes au foyer vivent dans une sorte "d'univers concentrationnaire" 147(*). En somme, la condition de la femme dans la société algérienne contemporaine ne milite pas en faveur d'une limitation par l'auto-règlementation des naissances. Par exemple, le taux de fécondité pour les femmes en âge de procréer (de 15 à 49 ans) était de 250 pour 2 000, ce qui signifie qu'une femme en âge de procréer sur quatre était enceinte et une deuxième allaitait. Mais comment, s'interroge le Dr Jacqueline Des Forts, "une femme qui n'a pas été à l'école et qui ne sort jamais de chez elle peut-elle remplir sa vie autrement que par sa fécondité ?". L'enquête démographique de 1968-1970 montrait déjà qu'avant le débat de "l'ère de la contraception médicale en Algérie ce qui est universellement reconnu, plus une femme est instruite et moins elle a d'enfants 2(*)". En 1986, le taux de fécondité s'élevait à 9 enfants, et baissait à 7 enfants en 1992. Ce qui explique que, durant les premières décennies de l'indépendance, l'Algérie a connu une moyenne annuelle de croissance démographique de 3,2 %, l'un des taux les plus élevés du monde. Au 1er janvier 1998, la population algérienne totale a atteint plus de 29,3 millions de personnes contre 8,4 millions à la veille du déclenchement de la Révolution du 1er novembre 1954. Cette croissance démographique galopante a induit des effets dans tous les domaines de la vie sociale du pays, en particulier sur la demande de logement, de l'éducation, de la formation, de l'emploi, de la nutrition, de la santé... Les détenteurs du pouvoir et leurs fouqahas, qui s'acharnent à ériger la Charia en obstacle bloquant l'évolution de la femme, sont en partie responsables de cette croissance vertigineuse de la population car ils ont réussi à réduire les femmes à de simples machines à produire des enfants. Pour eux, la fonction de la gent féminine est de : "Procréer, materner, allaiter... accumulant les grossesses à une fréquence rapprochée, allaitant pendant longtemps (deux ans voire plus), la grande multipare est une femme qui, à la fleur de l'âge, vers trente ans, apparaît vieille physiologiquement, épuisée déjà sur les plans nutritionnel et somatique..." 148(*). La fréquence des anémies parfois sévères et des carences nutritionnelles a été relevée dans plusieurs études. "De plus, la multipare est fragilisée aux infections et grossesses diverses. Or, en réalité, la grande multiparité a un impact profond sur les conditions de la maternité... " 149(*) .
La surmortalité maternelle est due au mariage précoce et aux premiers rapports sexuels sans contraceptifs qui entraînent de nombreuses grossesses successives. En effet, de 1962 à 1996, le nombre moyen d'enfants par femme s'élevait à sept. Les fréquences des accouchements sont aussi : "Des facteurs de risque de cancer du col de l'utérus. Il s'agit du cancer le plus fréquent chez les femmes du Tiers-Monde. Les décès causés par ce type de cancer devraient être comptabilisés en tant que mortalité maternelle à long terme. En Algérie, entre 1966 et 1975, sur 19 884 cas de cancers diagnostiqués dans les laboratoires d'Alger, Oran et Constantine, 3 002 étaient des cancers du col de l'utérus et le taux d'incidence annuelle, c'est-à-dire le nombre annuel de nouveaux cas, était estimé à 80 pour 100 000 femmes âgées de 50 à 60 ans (presque 1 %)" 150(*). Cette présentation des faits nous amène encore une fois à avancer que la domination masculine est contraignante pour les femmes algériennes et des pays arabes, ceci parce qu'il n'y a pas d'État de droit, ce qui signifie que même les hommes ne sont pas des citoyens à part entière. La lutte des femmes, pour être efficace, ne devrait pas, du reste, avoir pour cible les hommes en général mais le régime qui, enraciné dans la force et non le droit, perpétue la domination masculine dans ses traits les plus archaïques. Présenter la domination masculine comme une contradiction politique opposant des hommes oppresseurs à des femmes opprimées procède à une confusion méthodologique qui donne à tout conflit un contenu politique. Cette confusion mène à une impasse parce que politiser la revendication féminine revient à la stériliser en en faisant un courant politique parmi d'autres, ce qu'elle n'est précisément pas. Lui donner une spécificité politique n'offre, en outre, aucune perspective au combat des femmes pour une égalité juridique dans la citoyenneté. Le but du combat des femmes en Algérie n'est pas de conquérir le pouvoir mais d'acquérir la citoyenneté dans le cadre d'un État de droit. La citoyenneté est déniée aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Le Code de la Famille n'est pas un instrument qui empêche seulement les femmes d'être citoyennes, il est la négation même de l'État de droit et de la citoyenneté en général. Il est l'expression de la résistance de la sphère domestique à la régulation juridique de l'État. En conclusion à ce chapitre, le régime en Algérie n'a aucun intérêt à une évolution comme il n'a pas intérêt à la reconnaissance d'une sphère privée qui affirme l'autonomie de l'individu, car celle-ci aurait entraîné la revendication de la liberté politique dans l'espace public. Il y a une dialectique des espaces privé et public qui façonne l'un et l'autre et qui veut que l'un n'aille pas sans l'autre. Or, la juridiction des rapports familiaux (mariage, divorce, héritage, adoption...) marque la reconnaissance de l'espace privé dans lequel l'individu, sujet de droit, est protégé par la puissance publique. L'existence d'un espace privé suppose que la sphère domestique soit régie par le droit étatique et non par la conscience religieuse, ce qui implique que l'autorité publique trouve sa finalité dans la protection de l'individu par le droit. L'espace privé (à ne pas confondre avec la sphère domestique ou même celle de l'intimité) n'est pas un lieu topographique, il est l'interaction avec autrui dans tous les aspects de la vie sociale, à l'exception de ceux qui impliquent la lutte politique pour la conquête du pouvoir. L'espace privé est une construction juridico-idéologique constitutive de l'espace public où se manifestent les comportements privés et où s'exercent les libertés civiques d'individus appréhendés dans leur abstraction universelle. L'espace public quant à lui, il ne s'oppose pas à l'espace privé, au contraire, il se structure autour de lui pour assurer la liberté de conscience individuelle de chacun. Sans espace privé, il n'y a pas d'espace public et sans celui-là, il n'y a pas de libertés publiques à préserver dans celui-ci. Ce qui constitue fondamentalement l'espace public, ce qui lui est constitutif, ce qui est, dirions-nous, sa finalité, c'est la sphère privée, son autonomie morale et sa liberté de conscience. CHAPITRE III LA FEMME ET LA SCOLARISATION I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON ÉVOLUTION La politique éducative de l'Algérie indépendante a-t-elle réussi à mettre fin à la ségrégation et à la discrimination pratiquées par la société algérienne contre le sexe féminin ? A- LA FAIBLE SCOLARISATION DES FILLES DANS L'ALGÉRIE TRADITIONNELLE La société algérienne traditionnelle ne semble pas avoir favorisé la scolarisation des filles. Cependant, de rares femmes lettrées ont été signalées ici et là dans le passé lointain et récent de l'Algérie. Par exemple, Bédjaïa a connu une poétesse nommée Aïcha Bent Omar El Hosseïni qui a vécu au XIV ème siècle. Durant le XV ème et le XVI ème siècles dans la société rurale, "la femme, non seulement jouit d'une grande liberté, mais exerce souvent une grande autorité" 151(*). L'école de type moderne a été introduite par les français pour les besoins de la colonisation. En effet, quatre écoles coloniales en faveur des jeunes filles musulmanes ont été installées vers 1850. Le but avoué était d'enseigner l'arabe, le français et les travaux manuels (couture, broderie, cuisine, etc.). Consciente que la finalité réelle de cet enseignement était de diffuser un mode de vie et de pensée qui lui était étranger, la population refusait d'y envoyer les fillettes. Néanmoins, à long terme, l'école coloniale a fini par en attirer un nombre quand bien même limité. Ainsi, "en 1887, plus de 910 filles fréquentaient l'école primaire dont 234 à l'école maternelle. L'effectif féminin est ensuite passé à 1 090 en 1891" 152(*). Cependant, la plupart d'entre elles étaient des orphelines abandonnées dont l'éducation a été confiée à des religieuses missionnaires. Une fois livrées à elles-mêmes, ces filles n'ont pu être intégrées ni à la société colonisée, ni à la société colonisatrice. En effet, "faute de mariage, certaines de ces pionnières de l'éducation coloniale ont été contraintes à la prostitution" 2(*). En dépit d'une résistance obstinée contre l'envoi des filles à l'école coloniale, on y trouvait 2 667 en 1907 contre 30 661 garçons. En 1939-40, le nombre des élèves algériens inscrits dans les écoles primaires et maternelles aurait été de 114 000 dont 22 000 fillettes 3(*). Pendant la première moitié du XX ème siècle, l'évolution des effectifs féminins s'est avérée très lente. En 1954, le nombre de filles n'a atteint que 76 610 et celui des garçons 218 000, de plus, 952 filles et 5 308 garçons seulement poursuivaient des études secondaires dans les établissements coloniaux. À l'université, il n'y avait que 19 étudiantes contre 570 étudiants. Trois d'entre elles poursuivaient des études en droit, trois en sciences, trois en pharmacie, cinq en médecine et huit en lettres. L'une des raisons de l'opposition des parents à l'envoi de leurs filles à l'école durant la période coloniale a été décrite par la romancière Assia Djebbar dans un texte autobiographique : "Dès le premier jour où une fillette "sort" pour apprendre l'alphabet, les voisins prennent le regard matois de ceux qui s'apitoient dix ou quinze ans à l'avance : sur le père audacieux, sur le frère inconséquent. Le malheur fondra immanquablement sur eux. Toute vierge savante saura écrire, écrira à coup sûr "la" lettre. Viendra l'heure pour elle où l'amour qui s'écrit est plus dangereux que l'amour séquestré... Pour combattre la misogynie omniprésente au sein de la société algérienne colonisée d'alors, le Cheikh Ben Badis, qui était beaucoup plus en avance que ses disciples bornés et figés, a eu la perspicacité d'affirmer : "éduquer un homme, c'est éduquer un seul individu ; éduquer une femme, c'est éduquer toute une famille". Et les écoles qu'il a fondées étaient mixtes, ouvertes à la jeune fille algérienne. Le Cheikh était convaincu que la mixité finira, tôt ou tard, par persuader les garçons, les futurs hommes que les filles, les femmes de demain, ne sont ni "les filles du diable" (Iblîs), ni "les soeurs de Satan" (Chaytân), mais leurs véritables partenaires ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs, c'est-à-dire égaux. Et, grâce à l'intelligence de Ben Badis, les écoles libres musulmanes créées et organisées par l'association des Oulémas ainsi d'autres associations privées à travers tout le territoire ont été fréquentées graduellement par des milliers de jeunes élèves filles et garçons puisque la plupart de ces "Médrsas" étaient mixtes. Cette éducation visait, non seulement à contrecarrer le processus d'acculturation, mais à répandre la culture arabo-musulmane dans le pays. D'après les organisateurs de cet enseignement, la connaissance de la langue arabe, de l'histoire, des institutions et des doctrines théologiques musulmanes ainsi que l'étude systématique du Coran et du hadith permettent aux jeunes filles, comme aux jeunes gens, de sauvegarder les traditions arabo-musulmanes. Ainsi, l'idée du droit des filles à l'éducation a donc été admise par les représentants réformistes de l'orthodoxie musulmane. Cet état de fait a facilité aux filles, après l'indépendance, un accès relatif à l'école, malgré la persistance de préjugés populaires. Néanmoins, les femmes algériennes étaient, durant la période de colonisation, doublement opprimées et exploitées par le colonialisme français qui a non seulement dépossédé la majorité du peuple algérien de ses moyens de subsistance mais il a aussi imposé à ses membres le statut de l'indigénat déniant aux deux sexes, femmes et hommes, les droits civils les plus élémentaires par leurs propres familles (pères, frères, époux) au nom des saintes traditions berbéro-arabes et islamiques quasi-esclavagistes. En effet, l'inégalité entre les femmes et les hommes colonisés se reflétait par les taux différentiels d'analphabétisme puisque ce dernier touchait, en 1948, plus de 90 % des adultes masculins et féminins, bien que la proportion des femmes fut beaucoup plus élevée : 98 % (selon les statistiques officielles datées du premier novembre 1961), l'effectif des enfants scolarisés ne s'élevait qu'à 306 737 sur un total de 2,4 millions d'enfants de 6 à 14 ans d'âge scolaire (soit 12,7 %). Ce qui a rendu la tâche des autorités de l'Algérie post-indépendance extrêmement difficile. En 1958, le taux d'analphabétisme s'élevait à 89 % contre environ 60 % en 1830. Les femmes étaient plus affectées par ce fléau social, aggravé par le système colonial, que les hommes : seules 4,5 % d'entre elles savaient lire et écrire ! Sur 773 971 fillettes âgées de six à treize ans, seules 82 879 (soit 10,7 %) étaient scolarisées dans le primaire, représentant une fille pour trois garçons. La proportion des filles dans les collèges et les lycées ne s'élevait qu'à 14,4 %. Sur les 589 étudiants inscrits dans les universités, il n'y avait que 22 étudiantes. B- L'ÉCOLE ET L'ACCULTURATION L'école coloniale en Kabylie a été introduite dès 1850 afin de planifier l'acculturation 153(*) des populations hostiles de cette région. Les Jésuites et par la suite les Pères Blancs (1872) firent de l'enseignement la pièce maîtresse de l'apostolat. En 1885, une section École Normale fut créée avec l'espoir d'en faire une pépinière d'instituteurs kabyles. Dès 1883, une partie de la Bible avait été traduite en kabyle sous le titre Bibli a Kabyli 154(*). Ces initiatives se faisaient avec l'accord de l'autorité militaire supérieure qui y voyait une "action salutaire (...) dans la conquête morale du peuple" 155(*). Cependant, il ne faut pas se leurrer car le fameux privilège scolaire dont aurait bénéficié la Kabylie ne concernait, en réalité, que quelques centres urbains et les agglomérations des gros villages. C'était une infime minorité d'enfants qui était touchée (filles et garçons). "La réussite scolaire relativement plus élevée tient plus à des déterminations socioculturelles internes qu'à une politique scolaire française... " 156(*). Cette appropriation de la culture de l'autre déclenche immédiatement le phénomène de l'acculturation. L'école reste le pilier central de tout projet d'acculturation. II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE Dès l'indépendance, l'école algérienne, qui s'était donnée pour objectif la scolarisation totale, a été confrontée à un phénomène de déperdition scolaire (ou échec) d'une importance considérable. Ceci constitue un élément d'interrogation et d'interpellation. l'Algérie a subi, plus peut-être que la métropole (la France), les rigueurs de la norme culturelle et linguistique. En Algérie, l'échec, en regard aux ambitions de la politique scolaire, est réel et s'explique par deux catégories de facteurs aggravants : le multilinguisme et la situation historico-économique. Une économie scolaire marquée par le boom démographique avec, comme conséquence, l'instauration de la double vacation (école à mi-temps permettant au même enseignant d'assurer la responsabilité de deux classes) ou des classes surchargées (jusqu'à 48 élèves). Or, le modèle de l'école héritée et la très forte demande scolaire consécutive à la politique scolaire totale se traduisent par de nombreux problèmes pédagogiques. ; ainsi, pour remplir son contrat social, l'institution académique se doit de former en hâte un corps enseignant sur le tas (moniteurs, instructeurs...) se contentant d'un personnel peu qualifié.
Pour l'élève algérien, le français est à la fois une langue étrangère et une langue "algérienne", c'est l'objectif à atteindre quand bien même il est difficilement maîtrisable pour les élèves sortant du cycle obligatoire. L'arabe, quant à lui, est revendiqué au titre de la culture et de l'histoire, au nom de l'efficacité aussi dans la mesure où il n'engendre guère de difficultés scolaires, il demeure fonctionnellement un appui à la langue prédominante dans l'accession sociale. De nombreux travaux consacrés à l'étude des manuels scolaires fabriqués par l'I.P.N. (Institut Pédagogique National) ont été effectués par les chercheurs algériens. Tous soulignent que ces outils de travail de nos élèves offrent malheureusement une image souvent dévalorisée de la femme. Il y a, en effet, comme le disent Christine Achour et Dalila Morsly 157(*) : "(...) Instance sur une conception traditionnelle du rôle de la femme, sur les activités qu'elle peut ou doit exercer, sur la fonction dans la société (...), c'est-à-dire que les manuels enfoncent les mêmes clous que les parents, la famille et l'environnement". Il est à se demander conséquemment si cela n'entraîne pas inéluctablement l'intériorisation de cette image chez nos élèves. Par ailleurs, les mères surmenées par l'ampleur des tâches ménagères ne peuvent assumer les besognes matérielles qu'au détriment de leurs missions d'éducatrices et rejettent les enfants vers les dangers de la rue. Devant cela et dans la plupart des cas, le père, confronté à des difficultés économiques, n'assume pas le rôle qui lui est dévolu, il se limite à assurer la nourriture quotidienne et le logement et se désintéresse du travail scolaire de ses enfants. L'école algérienne est en crise. Le système de l'école fondamentale est un échec (instauré en Allemagne pour les enfants en difficulté). Aujourd'hui, on a encore opté à un autre modèle. Que peut-on faire avec des enfants (filles ou garçons) qui ont été témoins de l'assassinat de leurs parents, de leurs institutrices ? Que peut-on faire avec des enfants qui banalisent la mort et la côtoient ? Que deviendra cette jeunesse demain ?
* 94 M. BOUTEFNOUCHET, Les travailleurs en Algérie, Alger, édit. S.N.E.D., 1979. * 95 Ibidem. * 96 Op. cit., p. 127. * 97 T. LAURAS-LOCOH, & P. CANTRELLE, "Facteurs culturels et sociaux de la santé en Afrique", Revue N° 10, édit. C.F.P.D., 1990, p. 536. * 98 Martine SEGALEN, Mari et Femme dans la société paysanne, édit. Flammarion, Paris, 1981, p. 29. * 99 M. BOUTEFNOUCHET, op. cit. * 100 G. TILLION, op. cit. * 101 J. CHELHOD, Introduction à la sociologie de l'Islam, de l'animisme à l'universalisme, édit. Besson-Chantemerle, 1958. * 102 Ibidem. * 103 Z. ZEMOUM, "De la continuité révolutionnaire", Revue Révolution Africaine, Hebdomadaire, n° 884, 1982. * 104 * N.B. : Toute jeune, j'ai toujours entendu ces phrases par des couples, par mes propres parents. * 105 - A. BOUDHIBA, La sexualité en Islam, édit. PUF, Paris, 1975, 1977, p. 263. - Yvonne CASTELLAN, Initiation à la psychologie sociale, édit. A. Colin, 7ème édit, 1986, p. 29. * 106 - Amel RASSAM, Peoples and cultures of middle-East, Prentice-Hall, Angleterre, 1983. - D. BEHNAM, "L'impact de la modernité sur la famille musulmane", In Familles musulmanes et modernité, le défi des traditions, édit. Publisud, Paris, 1986. - M. BOUTIRA, 1987. * 107 A. BOUDHIBA, op. cit. * 108 C. H. BRETEAU, N. ZAGNOLI, op. cit. * 109 T. LAURAS-LOCOH, op. cit., p. 535. * 110 Ibid. * 111 Ibidem. * 112 B. MARBEAU-CLEIRENS, Les mères imaginées : Horreur et vénération, Préface de Jacques BRIL, édit. Les Belles Lettres, Collection Confluents psychanalytiques, Paris, 1988. * 113 BRETEAU et ZAGNOLI, 1989-1990, pp. 276-277. * 114 D. MARTINS, 1991. * 115 W. DOISE, A. PALMONARI, Étude des représentations sociales, édit. Delâchaux et Niestlé, Paris, 1986. * 116 Malek CHEBEL, "Le maternel", In Femmes de Méditerranée, Paris, Karthala, 1995. * 117 Ibidem. * 118 CORAN, Sourate XXIX, Al-`Ankabût (L'Araignée), Verset 31. Sourate XXXIII, op. cit., Verset 57. * 119 L. DE PREMARE, La mère et la femme dans la société familiale traditionnelle au Maghreb, Bull. de Psycho. XXVIII 314, Paris, 1975. * 120 Madani GUERSSI, "Abdelwahhab EL FAKIHI", traduction de l'arabe en français, Journal Le Chroniqueur du 22 au 28 Août 1991, Alger. * 121 C. I. LEVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, édit. Mouton, Paris, 1947, 1981. * 122 G. DEVEREUX, "Considérations ethnopsychanalytiques sur la notion de parenté", In Ethno-psychanalyse complémentaire, édit. Flammarion, Paris, 1957, 1972. * 123 G. DEVREUX, "La psychanalyse instrument d'enquête ethnologique, Données de fait et implications théoriques", In Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, 1957, 1977, pp. 1-83. * 124 Titouh Tassadit YACINE, L'Izli ou l'amour chanté en kabyle, édit. de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1988. * 125 S. FREUD, "Pour introduire le narcissisme", In La vie sexuelle, édit. PUF, Paris, 1914, 1977, pp. 81-105. * 126 A. BOUDHIBA, Islam et Sexualité, thèse de l'Université Paris V, le 5 juin 1972. * 127 F. MERNISSI, "Virginité et Patriarcat", In revue LAMALIF, Maroc, janvier 1979. * 128 A. GAUDIO et R. PELLETIER, Femmes d'Islam ou le sexe interdit, édit. Denoël, Paris, 1980. * 129 Naoual EL SAADAOUI, Face cachée d'Ève. Les femmes dans le monde arabe, édit. Des Femmes, coll. "Pour chacune", Paris, 1982, p. 91. * 130 J.-P. CODIOL, op. cit. , 1980. * 131 R. TOUALBI, Modèles conjugaux et représentations culturelles des jeunes en Algérie, Thèse de Doctorat d'État ès-Lettres et Sciences Humaines, Paris, 1994. * 132 L. De PREMARE, La mère et la femme dans la société familiale traditionnelle au Maghreb, édit. Bull. de Psycho. XXVIII 314, Paris, 1975, p. 91. * 133 J.CAZENEUVE, Sociologie du rite, édit. PUF, Paris, 1971. * 134 Mahmoud Boucebci, , Psychiatrie, société et développement, édit. SNED, Alger, 1979, 1982. * 135 Mahmoud BOUCEBCI, ibidem. * 136 Ibid. * 137 D. JEAMBAR, La femme face au Coran, édit. Le Point N, Paris, 1989. * 138 S. NAÂMANE-GUESSOUS, Au-delà de toute pudeur, Thèse de doctorat de 3ème cycle à Paris VIII. * 139 Naoual EL SAADAOUI, op. cit., pp. 295-296. * 140 Ibidem. * 141 Ibidem, p. 298. * 142 Fatima MERNISSI, op. cit., pp. 29-30. * 143 Barbara BABCOK, "The reversible world : symbolic inversion", In Art and society, Ithaca : Cornell University Press, 1978. * 144 Source : O.N.S., Femmes et activité, n° 254, 1er Trimestre 1996. * 145 Hélène VANDEVELDE-BAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1994, p. 160. * 146 Ibid. * 147 Dr J. DESSFORTS, Le droit de vivre et de bien vivre pour celles qui donnent la vie : Femmes et développement, édit. CRASC, Alger, 1995, p. 105. * 148 Docteur BOUCEBCI, psychiatre algérien, assassiné par les intégristes. * 149 M. BOUCEBCI, Psychologie suicide en Algérie, Les temps Modernes, juillet-août, 1982, p. 204. * 150 J. DESS FORTS, op. cit., p. 105. * 151 DHINA, Les États de l'Occident musulman au XIII ème, XIV ème et XV ème siècles, édit. O.P.U., Alger, 1984, p. 111. * 152 GORDON, p. 43. * 2 Ibidem, p. 45 * 3 Ibidem . * 153 "À force de tâter toutes les blessures de la différence, de vivre déchiré sur le tranchant qui césure le Nous des Autres, je finis par supporter avec peine d'être à la fois ceux-ci et ceux-là, au point d'être mal assuré de mon identité", Jean AMROUCHE, L'éternel Jugurtha, Marseille, 1985, cité par K. DIRECHE-SLIMANI. * 154 "Bureaux Arabes", In Encyclopédie Berbère, n° 11, Paris, 1992. * 155 Ibid. * 156 Salem CHAKER, Imazighen Ass-a, (Les Berbères aujourd'hui), édit. Bouchène, Alger, 1990. * 157 Christine ACHOUR et Dalila MORSLY, "La femme en images et en mots", In La femme et la culture, Revue El Djazairia, Alger. |
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