B- Le pourparler proprement dit
Le pourparler a un double objectif : d'abord la
réintégration du ravisseur dans sa famille d'origine, ensuite sa
réconciliation avec la famille de la fille pour éviter la
vengeance.
Une remarque s'impose. Nous avons choisi d'aborder cette
approche pour pouvoir démontrer l'évolution du pourparler dans la
période même que nous étudions. Cette évolution
résulte des actions du prince Ali qui s'est fait d'abord rejeter par ses
parents musulmans, et qui, ensuite, a pu réintégrer sa famille
après atténuation des règles du droit musulman en
matière de mariage.
Nous sommes dans la période de la constitution du
Royaume Antemoro. Les premiers sultanats musulmans ne pouvaient pas encore
appliquer à la lettre la loi islamique. La réintégration
du prince Ali dans sa
famille ne dépendait pas de son père, qui ne
pouvait pas décevoir son allié dont la femme a été
enlevée.
Pour mieux comprendre, nous allons reproduire le passage du
manuscrit, commenté par JULIEN, relatif à ce sujet : «
L'abord de Ramakararube est cordial, les questions qu'il pose
précises et nettes. Son fils Ali, a encouru son ressentiment pour avoir
suborné la femme de son parent (...)
-Comment en pareil cas se règlent les violations de
la loi matrimoniale ? demandent les deux négociateurs.
-Notre loi, sur ce point, répond Ramakararu, est
très sévère, mais je n'oublie pas que nous sommes ici des
étrangers et qu'elle doit nécessairement s'adapter aux
circonstances.
-Enoncez-nous donc la stipulation de cette loi afin d'y
satisfaire autant que possible. Et Ramakararube, parle d'abord d'une correction
: cent coups de verge. Mais (les deux négociateurs) n'entendent point de
cette oreille. Ils veulent bien payer une amende, mais point que des coups
soient distribués »
40
Ramakararube estimant équitable cette
manière 41 de dédommager l'Andriambuadziribe
se décide à le convoquer. »
Nous remarquons qu'il y a lieu d'abord de satisfaire le
côté lésé par l'enlèvement,
c'est-à-dire celui d'où vient la femme enlevée, avant de
s'occuper du sort du ravisseur.
40 JULIEN, Pages Arabico-madécasses, Paris
1929, p.93
41 Nous verrons dans le paragraphe suivant les
propositions des négociateurs
JULIEN poursuit la traduction et annonce qu' « il
dépêche auprès de lui des messagers (...) »
Quelques explications préalables sont
échangées sur le but de la visite, après quoi, les
habitants de la Manampatra 42 sont réunis en grand
conseil. »
Ramakararobe assiste d'après le manuscrit à la
grande réunion.
« Puis il ne s'indigne pas que son fils Ali se soit
si mal comporté à son égard. S'il l'a convoqué,
lui, l'outragé, c'est afin qu'on s'entende à l'amiable sur les
détails d'une nouvelle loi à établir sur le mariage, loi
qui sera moins rigide que celle des Musulmans, car la loi islamique est bien
stricte pour le pays de Matatana. »43
JULIEN poursuit son commentaire. « Pressé de
faire connaître les prescriptions de sa règle à lui,
l'Andriambuadziribe énonce une sorte de loi du talion (...)
»
Après avoir insisté une fois encore sur la
rigueur des règles matrimoniales musulmanes, comprenant sans doute
qu'user de conciliation serait pour lui moins dommageable, l'Andriambuadziribe,
ayant réfléchi quelques instants, ajoute :
- Vous êtes, vous autres, les maîtres de ce
pays ; nous sommes, nous, que des étrangers. Nous ne saurions vous
imposer notre loi. Voyez donc vous- mêmes et faites pour le mieux.
»44
JULIEN poursuit son commentaire en disant qu' « il
apparaît dès lors que la cause d'Ali est gagnée. Non
seulement les tribus qui l'ont élu roi verseront une amende
atténuée, mais elles auront imposé à
l'Andriambuadziribe, sa victime, une sorte de reconnaissance de
vassalité. »
42 Manampatra, une région dans le pays de la
Matatana.
43 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.94
Nous comprenons à travers ces lignes pourquoi le
mariage par rapt se pratiquait encore récemment. Le prince «
rebelle » qui pratiquait la coutume autochtone en faisant le rapt est
devenu roi de plusieurs tribus. Il a réussi à atténuer
l'application de la loi islamique dans la religion, au bénéfice
du droit coutumier du mariage pendant l'époque de la constitution du
Royaume Antemoro.
Bref, voilà ce que l'on peut dire sur le rapt et le
pourparler. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons essayer de
décrire le mécanisme du fonctionnement de la
société autochtone.
Le système est basé sur l'idée de
communauté d'une part, et sur la croyance en la continuité de la
vie terrestre avec l'au-delà de l'autre.
C'est pourquoi, le mariage par rapt ou mariage par
enlèvement concerté rompt l'équilibre social et
l'équilibre cosmologique dans la croyance traditionnelle.
A partir de l'idée que le droit est un système
de contrôle social établi dans le but de maintenir un ordre dans
une société, l'ordre dans la société autochtone est
réalisé par le respect de ces deux équilibres qu'on a
cité plus haut. Le rapt rompt ces équilibres. Le mariage est
consommé dès lors qu'ils sont de nouveau rétablis.
44 JULIEN, Idem.
|