2- La réapparition
Le coupable étant rejeté par ses parents, la
famille de la fille traque les fugitifs. Au bout d'un moment, ils abandonnent
la recherche et ils les laissent face à leur destin.
30 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, 1908, Les Taimoro
Quand tout danger est écarté, les remords
apparaissent. C'est pour se repentir que les fugitifs retournent chez leurs
parents. Pour en donner une illustration, revenons à l'histoire du
prince Ali.
JULIEN a traduit qu' « il anéantira le
monstre, mais il ne peut taire ni ses remords ni ses appréhensions. La
vision de la colère paternelle le hante. Il explique alors le crime
qu'il a commis et affirme que ses jours sont comptés si son
père31 peut exercer sur lui sa vengeance. » 32
Tel est donc l'objectif de la réapparition après
la fuite des futurs époux. Cette partie de l'histoire du prince Ali nous
a permis d'apprendre que les futurs quittent d'abord le domicile familial avant
de l'intégrer. Nous pouvons en déduire que la formation du
mariage autochtone était précédée de la simulation
de rapt.
§2- LES POURPARLERS
La réapparition des fugitifs que nous avons eu
l'occasion d'analyser précédemment ne se fait bien
évidemment pas spontanément. Elle résulte d'un long
processus entamé dans l'espoir de retrouver la réconciliation. Ce
processus est le pourparler. Il se fait en deux étapes. D'abord, il faut
que les fugitifs avisent les anciens. Ensuite, ceux-ci font la
réconciliation.
A- Les phases préalables au pourparler.
1- L'information des anciens.
Dans la cellule sociale autochtone, les anciens étaient
souvent élus chefs de tribus. JULIEN nous rapporte l'existence de
notables et de
31 Père signifie ici que le mari de Rasua, par
son âge, eût pu être le père d'Ali.
32 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris,
1929, p.92.
représentants de clans dans le manuscrit qu'il a
traduit33 : "les deux notables et les représentants des
huit clans sont unanimes 34 (...) " .
Pour faciliter la compréhension de notre exposé,
nous allons regrouper ces catégories de personnes sous le nom
d'anciens.
Les anciens serviront d'intermédiaires entre le ravisseur
et ses parents dans un premier temps. Ensuite ils négocient avec l'aide
de ces derniers, le compromis. C'est-à-dire que le rapt porte atteinte
à beaucoup de relations. Comme nous l'avons vu plus haut, la relation de
la famille du ravisseur avec celle de la fille sera conflictuelle si la
première ne rejette pas le coupable. La réintégration du
coupable dans sa famille d'origine ferait renaître le conflit.
D'où la nécessité de l'intervention des tiers pour le
résoudre. A vrai dire, les anciens appuient le coupable pour sa
réadmission dans sa famille. Le ravisseur aura besoin du soutien des
parents de la fille ou du mari lésé de la femme enlevée,
pour que la nouvelle union soit légitime.
Ces derniers sont cependant avisés de l'affaire par
leurs amis ou parents des fugitifs lorsque ceux-ci désirent
arrêter d'être en cavale, car ils craignent en permanence la
vengeance de la famille ou du mari lésé par l'enlèvement
concerté.
Le fait même de mettre au courant les anciens de
l'affaire peut interrompre la recherche des fugitifs. Ce sont en effet les
familles de la fille elles-mêmes qui font l'investigation et qui traquent
le ravisseur. Comme ces familles appartiennent forcément à un
groupe social de terminer, ils suivent les directives de leurs chefs à
qui les anciens s'adressent en premier avant d'arriver chez les familles.
33 JULIEN, "Arrivée a Madagascar de Mohamed
(Hamadi), le grand Mohadjar, qui se fait appeler Andriambuadjiribe (...)" ,
in Pages Arabico-madecasse, Paris 1929,p.92.
34 JULIEN, Ibd.
Revenons sur l'histoire du prince Ali. Après qu'il ait
fait part du « crime » qu'il a commis, qui est ici la subornation de
la femme de l'allié de son père, aux anciens, ceux-ci le
rassurent en disant : « soyez bien tranquille(...) nous faisons de
cette question notre affaire (...) » 35
Aussitôt, « ils partirent tous ensemble, pour
se présenter à Ramakararu, le père d'Ali. » 36
C'est un dénommé Imanangati qui « prit le commandement
de ceux qui partaient pour aller auprès de Ramakararu. » 37
A travers ces quelques passages du manuscrit, nous apercevons
que ce sont les tiers qui entament la première démarche vers la
réconciliation.
Comme les anciens dont on fait allusion ici sont les
autochtones, nous pouvons en déduire que non seulement la pratique du
mariage par enlèvement concerté est chose courante chez eux, mais
aussi ils privilégient le dialogue pour régler les litiges.
D'où leur volonté de se présenter auprès du
père du ravisseur.
Bref, les anciens interviennent après que
l'enlèvement ait été consommé et avant que la
réapparition des fugitifs n'ait lieu. « Après quelques
jours, pendant lesquels les parents freinent aux plus actives recherches, les
fugitifs réapparaissent » 38 disait JULIEN.
L'exemple du Prince Ali illustre le comportement des
premières familles musulmanes implantées dans la région du
Matitanana. Mais dans la société matriarcale autochtone, ce sont
les parents de la fille enlevée que les anciens envoyaient chez le
ravisseur pour faire la réconciliation.
35 JULIEN, Institutions politiques et sociales de
Madagascar, 1908, Les Taimoro.
36 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.93
37 JULIEN, Traduction du deuxième manuscrit,
Pages Arabico-madecasses, 1929, p.39
38 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.40
Ayant appris la nouvelle de la part des anciens, la famille de la
fille ne peut rester indifférente. Elle va faire une enquête.
2- L'enquête
Afin de simplifier notre description, nous allons supposer que la
fille enlevée a été « réservée »
par le chef du village pour devenir son épouse.
Nous avons vu que le chef a des privilèges sur les filles
nubiles qui sont ses femmes potentielles.
Au cas où il a réservée une fille en faisant
le « misonjo »39, les parents de celle-ci doivent la
surveiller.
Mais la fille concernée elle-même peut être
l'instigatrice d'une simulation de rapt dont le futur « n'est que
complice » comme disait JULIEN. Souvent, la mère est au
courant du projet. Elle peut même l'encourager à s'écarter
de l'emprise du chef du village.
D'où la nécessité de l'enquête. Ce
sont les représentants de chaque famille de la fugitive qui la fait dans
le but de déterminer s'il n'y a pas eu de complicité à
l'intérieur même de la maison.
Deux cas peuvent se présenter : tantôt, il y a
complicité de la mère, tantôt il y a négligence des
parents.
Si la mère avoue qu'elle est complice, elle sera
sanctionné par les familles et devra racheter sa faute en payant une
amende. Dans le cas
39 Le « Misonjo » est une institution
autochtone qui permet à un homme de réserver une femme pour un
mariage ultérieur. La réservation n'implique aucune
cérémonie et se fait tacitement. Voir à ce sujet,
ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.
contraire, la négligence des parents sera reconnue et
ils doivent payer ensemble l'amende. Ce rachat a pour objectif de maintenir la
solidarité familiale devant le problème. A partir du moment
où cette solidarité est de nouveau liée, la famille
élargie de la fille parle d'une même voix.
A l'image de l'histoire de Ali, les émissaires du
ravisseur pour la réconciliation sont dirigés par une personne
parmi les anciens ou les notables qui prend le « commandement » de la
mission.
Bref, la grande famille de la femme parlent avec une seule
voix, d'un côté, de l'autre les émissaires venus
négocier. Le pourparler pourra désormais avoir lieu.
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