CHAPITRE I : LA FORMATION DU MARIAGE
SECTION I : LE RAPT ET LE POURPARLER
§1 : LA SIMULATION DE RAPT
Nous avons vu que lorsque deux jeunes gens sont d'accord pour
s'épouser, le futur simule un rapt, comme le disait JULIEN20.
Nous pouvons, à partir de ce constat, concevoir le rapt simulé
comme un moyen de l'expression du consentement de deux personnes à
s'épouser. Néanmoins, il faut remarquer que le rapt ou
l'enlèvement concerté se produit avant l'instance du mariage. Le
consentement des futurs dont on fait allusion ici n'est cependant pas suffisant
pour que le mariage soit consommé. Pourquoi enlever
systématiquement la femme et comment procède-t-on à ce
rapt ?
Telles sont les deux questions auxquelles nous allons essayer de
répondre dans ce paragraphe.
A- Les causes et les buts du rapt
Il faut remarquer que dans une société, la
personne acceptée par tout le monde comme chef inspire les autres
membres du groupe . C'est-à-dire, tout ce que fait le chef est bon.
N'oublions pas qu'on est ici à l'époque archaïque. Et
d'après la traduction de JULIEN21 d'un manuscrit Sorabe,
« Andrianalivuadziri ayant entendu cela (que celui qui épouse
cette femme sera servi par les gens de Matatana), suborna puis enleva la femme
d'Andriambuadziribe ». Notons que le ravisseur est, d'après
JULIEN, un
20 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, Taimoro
20 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache,
Tananarive, 1930, p.1 5, 1908, les Taimoro
prince dénommé Ali et la femme est une princesse
: « le prince Ali, qui avait écouté ces propos se
hâte d'approcher la princesse, la séduit et l'entraîna avec
lui loin de l'Andriambuadziribe ».
Cependant, on constate que, dans les sultanats musulmans,
avant l'unification du Royaume, se pratiquait le rapt. Etant donné que
le droit du mariage musulman ne consacre pas l'enlèvement comme moyen
d'obtenir une femme, on déduit que cette pratique est la coutume
matrimoniale autochtone. Le fait même qu'un prince agisse ainsi encourage
les autochtones à faire perdurer la pratique de l'enlèvement
concerté. C'est donc la cause d'ordre historique de cette
institution.
A côté de celle-là existe une cause
découlant du pouvoir du chef. Les filles nubiles sont en effet des
femmes potentielles du chef dans les sociétés primitives. Ce
n'est pas tout le monde qui peut être accepté à la
tête du groupe. Il faut qu'un chef soit doté d'une qualité
particulière qui donne confiance aux autres membres du groupe social.
Analysons un passage de manuscrit traduit par JULIEN22 : «
Voici, un étranger qui s'offre à détruire le
Fanani23 ; cause de nos terreurs. S'il dit vrai et nous en
libère que lui donnerons nous en récompense ? [...] Le pays
appartiendra à qui supprimera la Fanani, répondent-ils (les deux
notables représentants de huit clans) ».
Nous constatons l'étendu du pouvoir offert à
celui qui aura rendu service au groupe, le pays lui appartient. Et les autres
individus soumis à lui se feront le plaisir de lui offrir leurs filles
nubiles s'il le désire, plutôt qu'à d'autres. Cette
pratique, à force de se répéter devient coutume et tous
les chefs s'en prévalent. Les autres hommes de la société
seront « servis » après lui. Cela risque de créer des
abus. D'où la nécessité de l'institution du rapt avec le
consentement de la fille pour permettre à celle-ci de s'arracher
à l'emprise du chef.
21 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris,
1929, p.30.
22 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, 1929,
p.92.
23 Monstre dont la férocité risque
« de transformer en désert tout un grand pays ».
On peut rajouter d'autres causes poussant les hommes à
faire le rapt, comme le manque de femme dans un groupe et l'abondance dans un
autre groupe. Et le rapt à ce moment là se justifie par ce
manque.
Voilà quelques motifs du rapt. Personne dans les
villages n'obtient facilement de femme sans faire preuve de courage.
Mais l'enlèvement concerté ne se fait pas de
façon anarchique « la demande en mariage est [...] conduite
suivant un certain nombre de règles ; le prétendant doit se
soumettre à certaines formalités, y manquer, donne le plus
souvent lieu à l'application d'une peine sévère,
imposée par le Roi ou à défaut par le Fokonolona (la
communauté villageoise). » 24
Le consentement de la femme à enlever est la
première condition exigée. Peu importe si elle est mariée
ou pas. Le lien matrimonial antérieur n'empêche pas
l'enlèvement. Du moment où elle consent, l'acte n'est pas
sanctionné. L'exemple du prince qui a volé la femme du roi d'une
autre région que nous avons vu plus haut illustre ce propos. La femme a
consenti.
Leur fuite est la manifestation extérieure de leur
envie de vivre ensemble. Ils prouvent que rien ne les empêche, ni le lien
matrimonial antérieur s'il s'agit d'une femme mariée, ni
l'autorité parentale pour une fille en âge de se marier.
L'objectif de la fuite est aussi de permettre aux deux futurs époux de
se connaître mieux avant de contracter l'union.
L'enlèvement peut dès lors revêtir un
aspect séducteur. Il permet à l'homme de montrer son audace
devant la femme qui l'intéresse. Et pour terminer, l'homme doit
acquérir la complicité de la femme.
On peut dire que tels sont les motifs et les objectifs de
l'enlèvement concerté. Mais comment se réalise-t-il ?
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