PARTIE I : L'EPOQUE ARCHAIQUE (XIVe-XVe
Siècle) LA DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE: LE MARIAGE PAR
RAPT
INTRODUCTION
Chaque groupe d'immigrés vivant dans la vallée
du fleuve Matitanana a sa propre culture matrimoniale. Toutes les tribus sont
maîtresses à titre égal de la région. Aucune
autorité ne maintient l'ordre. « La vie dans un tel pays
où les gens sont batailleurs à l'extrême et jouent
facilement de la sagaie, est sans charme.» 12 racontait un
Katibo, rédacteur de Sorabe. Tel est le contexte social dans lequel
vivaient les autochtones. Comme chaque tribu a son propre représentant,
nous pouvons schématiser comme suit son organisation politique et
sociale. A la base, se trouve la famille. Et l'ensemble des familles sont
regroupées dans un clan. La tribu rassemble les clans.
Sur le plan religieux , les premiers habitants de l'île
étaient animistes. Ils croyaient en l'immortalité de l'âme
et vénéraient les sépultures. Les ancêtres sont pour
eux présents dans leur vie et surveillent la vie des vivants. Le non
respect des recommandations des ancêtres peut réveiller leur
colère et attirer le mal sur le groupe tout entier, comme la famine et
les épidémies.
L'ordre social est de ce fait commandé par la crainte
des ancêtres, à l'intérieur du clan et par la
capacité d'autodéfense face aux ennemis extérieurs.
En ce qui concerne le système social de
l'époque, MUNTE13 nous éclaire en remarquant la «
considération élevée des femmes » pendant
une « période matriarcale antérieure dans un
passé obscur ».
Nous pouvons retenir dès lors la pratique du
système matri-linéaire où la femme occupe une place de
choix dans la société autochtone qui n'est pas
12 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris,
1929, p.90. Nous reproduisons ici la traduction d'un passage Sorabe.
13 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache
à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.255.
moins exogame. En effet, « la mère de Ramarohala
(Prince Musulman) ancêtres des Anteoni14
était Onjatsy (un clan autochtone). » 15
Cette exogamie encourage les hommes à chercher des
partenaires en dehors de leur clan. Ce dernier peut parfois être
réticent à donner leurs femmes. D'où vient l'idée
du mariage par enlèvement concerté.
« Il y a dans certaines tribus des survivances du
temps où le mariage se faisait par capture, par enlèvement. Chez
les Antemoro, par exemple, il y avait récemment encore la
possibilité de rapt avec le consentement de la jeune fille »,
disait MESSELIERE16. Un autre auteur qui le précédait
rapporte que « si la femme du peuple était désiré
par le chef Taimoro, il procédait par enlèvement, il y a peu de
temps encore... »17
Il est clair, à partir de ces constats, que les chefs
faisaient le rapt pour avoir la femme. Mais il n'y a pas que ceux-ci. JULIEN
affirme : « quand deux jeunes gens désirée sont d'accord
pour s'épouser, le futur époux simule un rapt et disparaît
avec celle dont il n'est que complice [...]. » 18
Nous constatons que tout le monde , les sujets comme les chefs,
faisaient le rapt pour se marier.
Le droit musulman ne reconnaît pas cette institution. Et
les propos reportés par ces auteurs démontrent la
perpétuation de cette pratique chez le peuple Antemoro. Comme le rapt
n'est pas l'héritage de l'islam, nous pouvons déduire qu'il est
la coutume matrimoniale des ancêtres depuis la période
précédent l'arrivée des premiers musulmans, donc avant le
XIIIe siècle.
14 Anteoni : clan Antemoro que nous allons
étudier dans la deuxième partie de notre exposé.
15 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959,
p.45.
16 MESSELIERE, Du mariage en Droit Malgache,
p.151.
17 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, propos cité par MES SELIERE, p.151.
18 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, 1908, Les Taimoro, (Messelière p. 129)
Telle est notre hypothèse. Elle est renforcée
par les propos de BERTHIER qui dit que « bien avant l'occupation
française, les Merina avaient conquis [...] la plupart des peuples de
l'Ile. Très habilement, ils avaient respectés et maintenus les
usages et les institutions des tribus soumises à leur
hégémonie [...] ». L'auteur rajoute que « plus
tard, les Merina ont étendu leurs coutumes, à l'exception de
celles touchant au statut du personnel»19.
De plus, dans l'exposé des motifs de la loi du 6
août 1896 qui a annexé Madagascar à la France, le
gouvernement français a déclaré « qu'il
n'entendait nullement porter atteinte au statut personnel des habitants de
l'île , aux lois et usages, aux institutions locales ».
Par conséquent les coutumes observées même au
courant du XIXe siècle ont conservé leur «
pureté originelle ».
Telles sont les bases sur lesquelles s'appuient notre
hypothèse qui consiste à dire que les peuples autochtones avaient
comme coutume matrimoniale l'enlèvement concerté.
Dans cette première partie, nous allons nous
intéresser tout d'abord à la formation du mariage par rapt. Un
essai de compréhension de ce « droit coutumier » sera fait
avant la description de la scène de l'enlèvement . Le pourparler
qui est un prélude au redressement de l'équilibre social et
cosmologique clôturera le chapitre sur la formation du mariage.
Viendront ensuite l'étude des effets du mariage, tant
entre les familles qu'entre les époux. Cette analyse va nous permettre
de nous rendre compte de la réelle égalité entre les deux
sexes à l'époque archaïque.
La rupture du lien matrimonial qui est dû tantôt
au décès de l'un des époux, tantôt à leur
séparation volontaire terminera cette première partie de
l'exposé.
19 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache,
Tananarive, 1930, p.1 5.
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