INTRODUCTION GENERALE
Madagascar est une île située à quatre
cent kilomètres à l'est des côtes africaines,
traversé par le tropique du capricorne. Doté d'une superficie de
587 000km2, le climat y est varié selon les reliefs.
A l'origine, l'île était inhabitée. Son
occupation se fit progressivement. La première étape de migration
humaine sur Madagascar s'est faite entre le IIIè et le VIIIè
siècle. Ce sont des Indonésiens et des Africains «
montés sur des pirogues à balancier » qui sont les
premiers à peupler l'île, d'après une hypothèse
communément admise par les ethnologues. Plus tard au XIe
siècle, Madagascar connût une deuxième vague de migrations,
cette fois-ci, celle des Arabes.
La majorité des Indonésiens peuplèrent le
haut plateau, tandis que les autres notamment les Africains et les Arabes
occupèrent essentiellement les pleines côtières.
Chacun de ces groupes d'immigrants apportèrent leur
civilisation. Les indonésiens et les africains arrivèrent, au
bout de plusieurs siècles, à se comprendre avec une langue
commune qu'on appelle le « malgache ». Le malgache varie cependant
d'une région à l'autre. Les derniers groupes d'immigrants en
l'occurrence les Arabes, se sont conformés à la culture courante.
Aussi, ils ont adaptés leurs civilisations à celles des premiers
habitants.
Ces derniers pratiquaient la religion animiste et ne savaient
pas écrire. Les arabes avaient apporté l'écriture et
l'islam. Au XVè siècle, Madagascar était constitué
de plusieurs Royaumes.
« Dès le XVIè siècle, les
Maroseranana dans le Nord fondaient la dynastie Sakalave qui ne se
développa qu'à partir du XVIIe siècle.
Des petites monarchies sont également
organisées dès le XVIè siècle dans l'est, sur le
plateau, appelés royaumes Bitsileo.
La côte et les vallées fertiles du sud- est
voient s'établir dès le 1 5è siècle des petites
principautés musulmanes. »3 Mais les royaumes les
plus importants sont ceux des « Andriana » du centre au 1 6è
siècle.
En observant ces différentes périodes, on
remarque que c'est au sud- Est qu'ont été constitués les
premiers royaumes à Madagascar, ROULAND4 parle du «
Royaume Antemoro » -- unifié au XVè siècle. Le pays
Antemoro longe la vallée du fleuve Matatanana. FLACOURT5 le
décrit comme suit:
« Le pays de la Matatane est un païe plat,
très fertile en canne de sucre, ris, miel, ignames bestial,
entrecoupé de ruisseaux et rivières poissonneuses. Il prend son
nom de la rivière qui se nomme Matatana, et sort en mer par deux bouches
lesquelles sont éloignées l'une de l'autre de septs lieüs,
entre lesquelles il y a de grandes prairies qui forment une Isle très
fertile, où sont ceux que l'on nomme Outanpassimaca (originaire de
la Mekke) et Zaferahi mina, ou Ramini.
« Cette rivière descend des montagnes du pays
de Vattebei (Vatube). Il faut être fort pour habiter cette province qui
est la meilleure , la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et
aussi la plus peuplée ».
Quand les deux cultures se sont fusionnées, une autre
culture est née. Le champ de notre étude se répartit
cependant en deux périodes. La première est celle qui
précède l'arrivée des musulmans. La seconde est celle
où il y a acculturation.
L'interaction entre le droit coutumier de ce peuple autochtone
et le droit musulman constitue l'objet de notre étude. Nous allons
étudier l'acculturation juridique et forger un outil à la fois
anthropologique, entendu
3 Conférence des Experts en Histoire et
Géographie réunie à Abidjan en 1965, Histoire de l'Islam
au 16è siècle, France, 1966, p.1 16.
4 ROULAND, Anthropologie historique du royaume
Antemoro, Résumé.
5 FLACOURT, Histoire de la grande île de
Madagasacar, 1661, p.1 8.
comme discours qui porte sur l'homme qui est ici le peuple
autochtone, et historique. Bref, notre étude sera cadrée dans
l'anthropologie historique du droit afin de décrire l'évolution
du mariage à travers deux époques passées. De la
première époque à la seconde, le système juridique
n'est pas le même.
Y- a- t- il mutation du droit coutumier dans la vallée
de Matitanana ? Tel est notre problématique qui nous renvoie à
l'hypothèse suivante : le droit coutumier a-t-il été
influencé par la loi coranique ou non ?
Nous allons nous limiter au droit du mariage. Pour cela, il
nous faut au préalable admettre qu'avant l'arrivée des musulmans
et après leurs arrivée, le droit du mariage existait, dans la
mesure où l'on conçoit le droit dans son acception sociologique :
« Le droit est un système de contrôle social
établi dans le but de maintenir un ordre dans une société.
Des sociétés différentes ont produit des cultures
juridiques différentes mais toute culture juridique dès lors
qu'elle consiste en un ensemble d'idéaux et de valeurs
révèle ce qu'une société s'efforce d'honorer.
» 6
En suivant cette logique, nous pouvons dire que la culture
juridique d'un peuple à une époque donnée est son cadre de
manière de vivre. Le droit du mariage a donc toujours existé chez
les peuples autochtones et chez les Antemoro.
Par peuple autochtone, on désigne les habitants des
tribus occupant les plaines de la vallée du fleuve Matitanana avant
l'arrivée des immigrants arabes.
Par peuple Antemoro, on désigne l'ensemble des peuples
habitant la même région après l'unification de toutes les
principautés musulmanes du Sud-Est de Madagascar au XVe siècle en
Royaume Antemoro. JULIEN parle même de « nationalité
antemahuri » 7
6 ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du Droit, LGDJ, 1993, p.1 55.
7 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris,
1929, p.98.
Les peuples autochtones avaient leur droit du mariage. Les
immigrants arabes venus imposer leur autorité apportaient le droit
musulman. JULIEN rapporte que « le droit coutumier local en
matière matrimonial s'est [...] trouvé fortement influencé
par la loi coranique.... » 8 Après avoir analysé les
« sorabe », les manuscrits en langue malgache écrits en
caractère arabe.
Nous pouvons présumer que le droit du mariage Antemoro est
la synthèse du droit coutumier pré- islamique et du droit
musulman.
Notre objectif dans ce mémoire est de démonter
l'influence de la loi coranique sur le droit coutumier local. Et nous allons
tenter de l'atteindre en décrivant isolément le droit du mariage
coutumier local et le droit du mariage Antemoro. Nous nous inscrivons cependant
dans une approche diachronique. Comment y parvenir ?
La plupart des documents écrits sur le peuple Antemoro
datent du XXe siècle. Mais il existe aussi des documents écrits
par les Antemoro eux mêmes « dont l'origine remonte au
début du XIIIe siècle » 9, dont le contenu
nous permet d'avoir une idée sur le mariage a cette époque.
Néanmoins, nous savons déjà ce que c'est
que le droit musulman classique.
Afin d'avoir une description fidèle de la pratique
matrimoniale aux XIIIe-XIVe siècle, nous allons nous inspirer de «
l'essai de généralisation des rapports entre le droit
musulman et les droits coutumiers », mis au point par
FROELICH10. Sa méthode consiste à comparer chaque
concept qu'il choisit à travers trois optiques différentes
contenues respectivement dans trois colonnes : La première décrit
la version du droit musulman sur chaque notion, la seconde donne l'approche du
droit coutumier et la troisième
8 JULIEN Ibid. p.75.
9 JULIEN, Ibid. p.11.
10 J.C.FROELICH, « Droit musulmane droits
coutumiers », in Etude du droit africain et du droit
malgache, Paris, Cujas, 1965, p.387-389.
colonne, intitulée « résultante»
constitue la synthèse des deux premières colonnes.
Il ne s'agit pas de dresser un tableau comparatif dans le
développement qui va suivre. Néanmoins cette méthode va
constituer notre « grille d'analyse ». La première partie du
mémoire s'intéressera en l'occurrence au droit coutumier. Et la
résultante (du droit coutumier et du droit coranique) va constituer la
deuxième partie. De là on aura une approche diachronique du droit
du mariage à travers les deux périodes.
Distinction des époques, combinaison de l'analyse
juridique et du regard anthropologique, telle sera la méthode que nous
suivrons.
Les sources du droit qu'on va décrire sont cependant
les arrières plans des légendes. Les rares textes de lois
tirés des passages des Sorabe nous serviront aussi de source. Les
ouvrages ethnologiques11 écrits sur le peuple Antemoro nous
aideront énormément.
Tenant compte à la fois du cadre habituel de
l'exposé du droit du mariage et des transformations que l'histoire
impose à cette institution, nous adopterons le plan suivant :
Une première partie évoquera ce qu'on peut
savoir du mariage coutumier pré-islamique : le mariage par rapt. La
deuxième traitera la synthèse au droit coutumier et du droit
coranique : le mariage arrangé. Chaque partie de l'exposé
s'intéressera aux trois points suivants :
- La formation du mariage
- Les effets du mariage
- La rupture du lien matrimonial
Ces deux derniers points seront traités dans un
même chapitre. La formation du mariage qui se faisait par
l'enlèvement concerté se fait par un simple arrangement. La
considération sociale de la femme a aussi changé.
L'innovation apportée par le droit musulman se manifeste
nettement dans l'institution de la répudiation que les autochtones n'ont
jamais connus.
Sans plus tarder, nous allons démontrer la mutation du
droit du mariage dans la vallée du fleuve Matitanana, c'est à
dire le passage du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane.
11 Il existe des documents écrits par des
européens sur ce peuple qui date XVIIe siècle.
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