§2 : LA REPUDIATION
Le mari, à l'époque archaïque, ne
répudiait pratiquement jamais. Il cherchait au contraire à
retenir l'épouse qui avait trop tendance à quitter le domicile
conjugal. Dans la nouvelle époque, du fait du nombre illimité des
épouses que peut avoir un homme, la répudiation est très
en honneur chez les Antemoro. Cependant, elle ne se fait pas de façon
archaïque. Essayons d'analyser cette institution.
179 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.
180 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, p.5.
A- LES REGLES
1-L'autorité compétente
Le pouvoir de répudiation manifeste la
suprématie de l'homme sur la femme Antemoro. BERTHIER181 pose
même le principe selon lequel seul le mari a le droit de « prononcer
la répudiation. » Plus loin, l'auteur annonce
qu'exceptionnellement, les femmes des « familles royales » dans toute
l'île pouvaient répudier leurs époux.
Cette exception aurait été valable chez les
Antemoro s'ils ont été exogames. L'endogamie stricte des castes,
telle que nous avons eu l'occasion de voir dans les lignes qui
précédent, exclut la possibilité de l'union
légitime entre une femme de classe noble avec un homme issu d'une autre
classe. En reprenant un exemple de loi écrit dans un sorabe traduit par
MUNTHE, il est dit qu' « une femme Anteony ou Antalaotra ayant
couché avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera
condamné à mort par noyade. De blocs de pierres devront
être attachés au milieu de son corps et elle devra être
jetée dans l'eau pour périr. » 182
Anteony et Antalaotra sont les classes nobles. La
répudiation est donc un pouvoir unilatéral détenu par
l'homme Antemoro.
2-Nature
La répudiation est aussi un pouvoir
discrétionnaire du mari. Il lui suffit de se rendre compte que
l'harmonie cesse de régner dans le ménage pour répudier sa
femme, même si elle a des enfants. ROMBAKA183, à ce
sujet, déplore qu'il y ait beaucoup d'orphelins dont le père est
vivant dans le pays Antemoro. Du fait de cette discrétion, les hommes
sont tentés de répudier leurs femmes sous le plus petit
prétexte. Mais la société Antemoro
181 BERTHIER, Droit civil malgache, n°56, 1930,
p.48.
182 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'OSLO, p.257
183 ROMBAKA, Fombandrozana Antemoro, 1970, traduction
libre
est tellement hiérarchisée, chaque tranche
d'âge et chaque sexe a sa tâche bien précise, tant dans la
vie familiale que dans la vie sociale. Il est fady ou interdit au mari de
s'immiscer dans les travaux de la femme, et inversement.
C'est pourquoi, il y a peu de risque que l'usage de la
répudiation soit faite de façon démesurée. D'autant
plus que l'homme qui a répudié sa femme ne peut se marier avec
une autre sans payer de nouveau la dot.
Bref, même si la répudiation relève du
pouvoir discrétionnaire du mari, il ne l'use qu'en cas de cause
déterminante.
3-Quand est-ce que le mari peut répudier sa
femme ?
MESSELIERE disait que « seul, le fait de répudier
sa femme dans la première semaine (...) est
répréhensible. »184
Rappelons que le mariage Antemoro est
précédé des fiançailles. La jeune fille, pas encore
nubile, est envoyée chez ses futurs beaux-parents. Elle
réintègre sa famille lorsqu'elle a atteint l'âge de se
marier pour préparer son « trousseau » . A un jour fixé
par son fiancé, elle est ramenée au domicile de celui-ci. Ce
déménagement s'appelle le Mialo. Elle y reste avec ses compagnes
pendant une semaine. Après cette période, son mari doit la
ramener chez ses parents pour avoir leur bénédiction.
C'est cette période qui précède la
bénédiction des parents de la mariée qui nous
intéresse ici. Il est interdit de répudier la femme alors que son
mariage n'a pas encore reçu la bénédiction des parents.
Les Antemoro ne tolèrent pas ce genre d'acte d'humiliation et infligera
au coupable une sanction exemplaire. Le roi du clan lui-même, veille
à l'observation de règles de droit coutumier.
184 MESSELIERE, Les Malgaches du Sud-Est, p.289
Dans le même ordre d'idée, la fille Antemoro, si
elle veut s'échapper à la contrainte matrimoniale à
laquelle ses parents l'ont engagée sans la consulter, peut donc se
décider pendant cette période.
SHAW disait que « la femme aurait par contre, la
faculté de quitter son mari dans la première semaine de l'union,
le mariage étant alors réputé nul et non avenu.
» 185
Après cette brève période, le mari peut
répudier sa femme au moment où il estime que c'est opportun. Il
n'y aura pas besoin d'aller chez le Lebenakibory. Le pouvoir de répudier
est exclusivement entre ses mains.
Nous avons vu quelques règles qui gouvernent la
répudiation chez les Antemoro. Dans les lignes qui vont suivre, on va
supposer qu'il y a répudiation. Quels sont donc les droits et les
obligations qui incombent au mari et à l'épouse
répudiée ?
B- Les droits consécutifs à la
répudiation
La répudiation chez les Antemoro n'est pas
irrévocable. Ce caractère est préjudiciable pour la femme
répudiée qui se trouve dans une situation d'attente
indéfinie. Le mari lui aussi est encore lié juridiquement
à sa femme.
1- Les droits du mari
MESSELIERE nous éclaircit à ce sujet. L'auteur
dit que « le mari conserve(...) certains droits sur la femme
qu'il a répudiée. Celle-ci doit, en effet, lui demander son
consentement pour tout mariage qu'elle aurait l'occasion de contracter par la
suite... »186
185 SHAW, The Arab element in south east of Madagascar, in
Antananarivo annual, 1894, p.207-208.
186 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.289.
La femme cependant ne retrouve pas sa liberté
après s'être fait répudier. Le mari ne de dessaisit pas de
l'autorité sur sa femme qu'il a reçue lors de son mariage, bien
qu'elle ne vive plus sous son toit. ROMBAKA187 signale même
que l'homme Antemoro est très possessif et surveille sa femme qu'il a
répudiée. Pourtant, le Lohatrano ne peut pas marier une femme
répudier sans le consentement de son ancien mari.
Le droit du mariage Antemoro conserve par conséquent
l'autorité de l'homme même si le bien du mariage a
été rompu unilatéralement par celui- ci. En plus, la femme
répudiée « peut même être contrainte de
retourner avec son premier mari, quand il en exprime le désir.
»188 A ce moment là, aucune cérémonie ne
sera faite et les époux reprennent la vie commune.189 Une
grande liberté est en l'occurrence laissée aux époux. La
femme en tout cas ne peut pas refuser de retourner chez son mari. Cela ne
signifie pas que le mari peut abuser de son droit de contrainte de retour.
MESSELIERE 190 s'explique en disant que le mari se
borne à maintenir ses droits d'époux en refusant de rendre le
« sang. » L'auteur poursuit, ses droits de mari ainsi établis,
il fera valoir en temps voulu ses droits de père, ce qui
l'intéresse beaucoup plus que le sort de sa femme : pour cela le mari
apporte dans la case où son ex-épouse s'apprête à
accoucher, du bois pour entretenir le feu. L'enfant qui est né ainsi est
par-là même reconnu par lui et il revendiquera, quand bien
même sa femme l'aurait quitté depuis de longues
années191.
Bref, nous avons vu que le consentement du mari est indispensable
pour le remariage de la femme répudiée, et qu'il peut contraindre
celle-ci à
187 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
188 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.
189 Dans une note de bas de page, MESSELIERE disait que «
les époux qui désirent retourner l'un vers l'autre, emploie, dans
le Sud-Est, les kialo, ou charmes de protection maléfices à la
fois offensifs et défensifs exerçant leur puissance contre les
malfaiteurs, maraudeurs et ravisseurs anonymes. », in Du mariage en
droit malgache, p.290.
190 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.
191 MARCHAND, Les habitants de la province de
Farafangana, in Revue de Madagascar, du 10 août 1901, p.569.
retourner vivre avec lui. Enfin, le mari a le droit de
revendiquer l'enfant né de son ex-épouse. Qu'en est-il des droits
de la femme répudiée ?
2-Les droits de la femme
L'autorité compétente dans le Royaume Antemoro
pour garantir les droits des femmes est l'Andrianonivavy, le « mpanjaka
192 des femmes. » Elle est choisie parmi les viavi-be «
les grandes femmes », celles qui ont déjà des petits
enfants.
L'Andrianonivavy a pour rôle de « faire
respecter les droits des femmes, en particulier de sévir contre les
hommes... qui les répudient sans leur donner ce à quoi elles ont
légitimement droit. » 193
La femme répudiée n'est donc pas à la
merci de l'homme. A propos de ses droits, DESCHAMPS énonce que «
la femme qui est répudiée emporte ses volailles, toute la
vaisselle, et six corbeilles de paddy. Elle doit laisser les nattes qui
couvrent le plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que
celui-ci se remarie... Elle vient alors reprendre le reste de son bien.
» 194
Rappelons que ces biens constituent le trousseau que la femme
a soigneusement préparé pendant ses fiançailles qu'on a
vues plus haut. Elle retourne donc chez ses parents.
Mais les femmes dont les parents ne sont plus doivent vivre
avec ses enfants indépendamment de son mari. La société
Antemoro n'est pas indifférente à la difficulté à
laquelle sont confrontées les femmes répudiées. Comme les
femmes, même mariées, appartiennent au Fatrange de leur
père, le Lohatrano ou chef de ce Fatrange contribue à l'entretien
de ces femmes. En effet, « le Lohatrano partage au prorata de chacun
des récoltes des rizières ancestrales, qu'il cultive
lui-même avec l'aide de tous les autres membres,
192 Le mot mpanjaka peut se traduire par reine.
193 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.
prend la décision qui s'impose pour l'entretien des
orphelins, des vieillards ou des femmes répudiées par leurs
maris. »195
La solidarité existe dans le Royaume Antemoro. Personne
ne meurt de faim dans l'indifférence. ROMBAKA196 va plus loin
en disant que les femmes Antemoro préfèrent être
répudiées pour se libérer des caprices de leurs
belles-mères.
Mais à côté de ces droits, les époux
ont aussi des obligations à respecter.
C-Les obligations des époux
Nous allons voir les obligations du côté de chaque
époux. 1-Le mari
Les obligations juridiques auxquelles est soumis le mari qui a
répudié sa femme résultent des comportements de celui-ci.
Nous avons vu que la femme reprend ses biens quand elle est
répudiée et qu'elle doit laisser les nattes qui couvrent le
plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que celui-ci se
remarie.
Néanmoins, la coutume autorise à la femme de
ramener ses biens restants avant que son mari ne soit engagé dans une
nouvelle union. Celui- ci est obligé d'attendre que sa femme «
ait dispersé les cendres du foyer, pris les nattes tissées de
ses mains et les quelques objets ménagers auxquels elle a droit, pour
introduire chez lui une nouvelle épouse » 197 sous peine de
commettre un délit de Tsindrilafika, c'est-à-dire fouler la natte
par une
194 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
195 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.55.
196 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
197 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.214.
rivale. Le mari coupable doit se racheter en payant une forte
amende en tête de bétail à sa femme198
ROMBAKA199 rajoute que la femme
répudiée ne doit pas refuser de coucher avec son mari.
Néanmoins, au cas où dans cette relation extraconjugale ils
concevraient un enfant, la coutume oblige l'homme à
réintégrer sa femme dans son domicile, qu'il le veuille ou non,
même si sa famille refuse. Ceux qui ne respectent pas cette règle
sont rejetés hors de la tribu.
Voilà les obligations qui incombent au mari. Nous allons
passer en revue celles de la femme répudiée.
2-La femme répudiée
Rappelons simplement que la femme répudiée est
obligée d'attendre indéfiniment son mari, et ne peut pas
contracter une nouvelle union sans le consentement de celui-ci. Elle est aussi
obligée d'accepter de coucher avec lui quand il veut. De même que
son enfant revient à son mari s'il le revendique.
198 THOS.LORD rapporte déjà des faits analogues en
1892 dans ses « Jottings of a journey in south east of M adagascar »,
in Antananarivo annual, n°XVI, p.253.
199 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
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