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La mutation du droit du mariage dans la vallée du fleuve Matitanana: du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane

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par Francis Zafindrandremitambahoaka MARSON
Université de Perpignan - Diplome d'étude approfondie 2003
  

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SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

Tandis qu'à l'époque archaïque, les femmes étaient rares ; depuis la fondation du Royaume, elles sont nombreuses. FLACOURT témoigne de l'importance de la population dans la vallée du fleuve Matitanana, qu'il décrit comme « la province qui est la meilleure, la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et aussi la plus peuplée. Les grands ont pluralité de femmes et jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos -de grands pieux, comme un village fort... »166 Les moeurs ont complètement changés dans le pays. Le mariage n'est plus considéré comme durable. Des possibilités de ruptures éventuelles sont envisagées. A part le décès de l'un des époux, le divorce est possible, de même que la répudiation.

§ 1 : LE DECES ET LE DIVORCE

A- LE DECES

Le décès constitue une cause involontaire de la rupture du lien matrimonial. Mais la société Antemoro donne plus de l'importance aux hommes qu'aux femmes. Cela implique qu'il faut faire la distinction entre le décès de la femme et celui de l'homme.

165 JULIEN, Histoire des Tatsimu (Pour paraître dans la collection de l'institut d'ethnologie) Règles et usages relatifs au mariage (fady ou incompatibilités matrimoniales réglant le savoir-vivre entre époux) Note de MESSELIERE, in Du mariage en droit malgache, p. 235

166 FLACOURT, Histoire de la grande île Madagascar, 1661, p.18

1- Le décès de la femme

Le Révérend SCHAW167 disait que « chez les Antaimorona, la défunte est généralement remplacée dans les huit ou quinze jours, le plus souvent

par une soeur ou une proche parente pour que les biens ne passent pas entre des mains étrangères. »

A partir de cette observation, nous pouvons dire que le décès de la femme Antemoro met fin automatiquement au mariage. L'homme n'aura à observer qu'une semaine de période de deuil. C'est par respect de la mémoire de sa conjointe que le veuf ne se remarie pas le lendemain des funérailles. Cela attirerait le soupçon du public.

Nous remarquons aussi que les Antemoro sont soucieux de préserver les relations entre la famille du défunt et le veuf. Il est coutume de conserver ce lien en remplaçant l'épouse qui est morte par l'une de ses proches.

Mais que se passe-t-il lorsque c'est l'homme qui décède ?

2- Le décès de l'homme

Quand c'est l'homme qui est décédé, le mariage est théoriquement rompu. Mais le droit coutumier Antemoro ne libère pas la veuve aussitôt après le décès de son mari. L'autorité sur elle qui a été détenue par son mari, ne revient pas à ses parents, elle est plutôt gardée par ses beaux- parents.

Ceux-ci, voulant conserver la femme et ses enfants, ont le droit de la contraindre de rester dans la famille. La veuve doit cependant épouser son beau-frère et ne sera considérée comme libre des liens du mariage que si celui-ci la répudie. En tout état de cause, la Lohatrano ne peut la marier de

nouveau sans le consentement de sa belle-famille, « elle ne peut se passer de l'autorisation de celle-ci pour contracter une nouvelle union. » 168

Le décès de l'un des époux rompt donc le lien matrimonial, tout comme le divorce.

B- LE DIVORCE

1- L'autorité compétente

DESCHAMPS disait : « En cas de désaccord entre les deux époux, le différend est porté devant le chef de Kibori169 du mari qui, aidé de son adjoint et du fokonolona, tranche le débat. » 170

Le divorce est par conséquent la dissolution du mariage prononcé par l'autorité judiciaire, qu' est le chef de kibory ou Lebenakibory, sur la demande de l'un des deux époux. Le droit de recours en divorce, il faut le souligner, appartient au mari et à la femme. Le chef du Kibory n'est pas le chef de fatrange qui « détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale. » 171

DESCHAMPS décrit le premier comme « l'autorité qui prend en accord avec le fokonolona les décisions concernant le kibory. » 172 C'est donc lui qui décide avec le fokonolona sur les cas d'exclusion des kibory qui est le châtiment suprême que l'on puisse infliger à un Antemoro.

Nous remarquons dès lors qu'il y a une étroite relation entre l'institution organe qu'est le tombeau et l'institution mécanisme qu'est le divorce.

167 SCHAW, Antananarivo annual, 1894, p.210.

168 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

169 Kibory, (de l'arabe qabr, pluriel qoubour) désigne le tombeau collectif des Antemoro

170 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.

171 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

Tandis que le mariage est contracté sous l'autorité du chef de Fatrange (Lohatrano), sa dissolution est prononcé par le chef de kibory (Lebenakibory).

Il faut souligner que : « La trano-be c'est (...) surtout la maison mortuaire. C'est dans la trano-be qu'est déposé le corps du mort pendant le temps qui précède la mise au kibory. »173

Du fait que la société Antemoro est patriarcale, une femme même mariée appartient au fatrange de son père, jamais à celui de son mari, et les enfants appartiennent au fatrange de leur père, même lorsqu'il y a dissolution du mariage et que les enfants continuent à vivre avec leur mère.

Revenons au sujet du divorce. Le fait de confier le pouvoir de prononcer le divorce au chef du kibory qui décide avec le fokonolona du Royaume prouve la gravité de la demande en divorce à cette époque. Le chef de famille tient en effet à préserver son autorité sur ses enfants. Il a le pouvoir de contrainte matrimoniale.

Comme la femme même mariée appartient au fatrange de son père. Celui-ci pourrait penser que sa fille qui fait la demande en divorce, ou qui est reconnue fautive par le fokonolona lors de l'instance, a cherché à défier son autorité. Si le cas se présente, il peut rejeter le coupable qui n'aura pas par conséquent sa place au kibory.

Le lien matrimonial ne se dissout donc pas sans fondement bien solide.

172 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.53.

173 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

2- Les causes du divorce

Aucune énumération limitative n'a été prévue dans le Royaume pour définir les causes du divorce. Néanmoins, les motifs que le requérant évoque doivent revêtir un degré de gravité .

L'époux évoque souvent la stérilité de la femme pendant l'instance du divorce. DESCHAMPS précise que le divorce est prononcé si la femme n'arrive pas à enfanter au bout de trois ans174.

La cause traditionnelle persiste dans le droit coutumier. Le chef de kibory ne pourra pas empêcher l'homme qui cherche à tout prix à avoir des enfants à se séparer d'une femme stérile. De même que la femme ne sera pas sanctionnée par ses parents pour cette cause qui est extérieure à sa volonté.

Par contre, l'infidélité de la femme sera indiscutablement assortie de sanctions à son égard. Et le mari retrouvera sa liberté dès que le chef de kibory a rendu son verdict. L'adultère de la femme constitue une infraction aux us et coutumes dont la sanction est le rejet hors de la caste et de la tribu. L'affaire peut remonter jusqu'au mpanjaka (le roi) caste, dont le rôle est de veiller au respect des coutumes. Ce roi peut « jouer le rôle d'avocat devant un autre mpanjaka et défendre en conséquence la cause de l'individu. » 175

Il y a d'autres causes que la coutume retient pour que le divorce soit prononcé.

La mauvaise attitude du « vady be » (l'épouse) envers les enfants légitimes de son mari, c'est-à-dire enfants du premier lit ou les enfants nés des « vady kely » (concubines) qui habitent au domicile conjugal (ou dans

174 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

d'autres cases), et de « la maîtresse entretenue ne vivant pas sous le toit conjugal. » 176 Ces enfants méritent, d'après le droit coutumier, les mêmes traitements que les propres enfants du vady be. Celle-ci sera fautive à cause de son caractère anti-social et par conséquent sanctionné par le fokonolona. La sanction n'est pas systématiquement le rejet du kibory mais peut consister en une simple amende. Ce sera le non-acquittement de cette amende qui va provoquer le rejet.

Une autre cause de divorce, qui n'est pas la moindre, vient du refus du vady be à ce que son mari prenne des Vady kely. Ce geste va à l'encontre de l'inspiration des Antemoro qui ne cherchent qu'à multiplier le nombre de leurs femmes -et par là de leurs progénitures.

Il n'y a pas que la femme qui peut être rendue fautive devant l'assemblée.

L'épouse ne peut pas demander le divorce si son mari s'est absenté. ROMBAKA177 parle de l'obligation de l'épouse à rester dans le domicile où elle servira sa belle-mère avant que son époux soit de retour. Il peut s'absenter pendant plusieurs années.

Nous pouvons rappeler que l'absence du mari à l'époque archaïque pouvait conduire sa femme à trouver un autre époux.

En ce qui concerne la femme, le lebenakibory peut lui accorder le divorce au détriment du mari qui aurait « amené une femme à la maison sans que ce soit une nouvelle épouse.» 178 Le mari doit racheter son erreur sous peine de perdre sa vady be. Il ne sera pas inquiété par le lebenakibory car l'adultère de l'homme n'est pas sévèrement sanctionné, ne constitue pas la cause principale de divorce.

175 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemoro, 1961, p.3.

176 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemora, 1961, p.7.

177 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre

178 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

La femme qui reçoit des coups et sévices par son mari en fait part à l'Andrianonivavy « mpanjaka des femmes, dont le rôle est de faire respecter les droits des femmes, en particulier de sévir contre les hommes qui brutalisent leurs femmes ou les répudient sans leur donner ce à quoi elles ont légitimement droit. Elles sont très redoutées des hommes. » 179 Les lebenakibory ne pourra que déclarer l'homme fautif.

Mais souvent les femmes qui cherchent à se séparer de leur mari incitent leur gendre à habiter le domicile de ses beaux-parents. « Un beau- père peut élever ses beaux-fils sous son toit, sans distinction avec ses propres fils... Toutefois, élever ses beaux-fils peut entraîner la rupture du mariage si l'un des époux s'en plaint. » 180

La femme peut se prévaloir de la plainte de son mari pour obtenir gain de cause.

Voilà en ce qui concerne le divorce. Qu'en est-il de la répudiation ?

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams