SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
Tandis qu'à l'époque archaïque, les femmes
étaient rares ; depuis la fondation du Royaume, elles sont nombreuses.
FLACOURT témoigne de l'importance de la population dans la vallée
du fleuve Matitanana, qu'il décrit comme « la province qui est
la meilleure, la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et aussi la
plus peuplée. Les grands ont pluralité de femmes et
jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos
-de grands pieux, comme un village fort... »166 Les moeurs
ont complètement changés dans le pays. Le mariage n'est plus
considéré comme durable. Des possibilités de ruptures
éventuelles sont envisagées. A part le décès de
l'un des époux, le divorce est possible, de même que la
répudiation.
§ 1 : LE DECES ET LE DIVORCE
A- LE DECES
Le décès constitue une cause involontaire de la
rupture du lien matrimonial. Mais la société Antemoro donne plus
de l'importance aux hommes qu'aux femmes. Cela implique qu'il faut faire la
distinction entre le décès de la femme et celui de l'homme.
165 JULIEN, Histoire des Tatsimu (Pour paraître dans la
collection de l'institut d'ethnologie) Règles et usages relatifs au
mariage (fady ou incompatibilités matrimoniales réglant le
savoir-vivre entre époux) Note de MESSELIERE, in Du mariage en droit
malgache, p. 235
166 FLACOURT, Histoire de la grande île
Madagascar, 1661, p.18
1- Le décès de la femme
Le Révérend SCHAW167 disait que «
chez les Antaimorona, la défunte est généralement
remplacée dans les huit ou quinze jours, le plus souvent
par une soeur ou une proche parente pour que les biens ne
passent pas entre des mains étrangères. »
A partir de cette observation, nous pouvons dire que le
décès de la femme Antemoro met fin automatiquement au mariage.
L'homme n'aura à observer qu'une semaine de période de deuil.
C'est par respect de la mémoire de sa conjointe que le veuf ne se
remarie pas le lendemain des funérailles. Cela attirerait le
soupçon du public.
Nous remarquons aussi que les Antemoro sont soucieux de
préserver les relations entre la famille du défunt et le veuf. Il
est coutume de conserver ce lien en remplaçant l'épouse qui est
morte par l'une de ses proches.
Mais que se passe-t-il lorsque c'est l'homme qui
décède ?
2- Le décès de l'homme
Quand c'est l'homme qui est décédé, le
mariage est théoriquement rompu. Mais le droit coutumier Antemoro ne
libère pas la veuve aussitôt après le décès
de son mari. L'autorité sur elle qui a été détenue
par son mari, ne revient pas à ses parents, elle est plutôt
gardée par ses beaux- parents.
Ceux-ci, voulant conserver la femme et ses enfants, ont le
droit de la contraindre de rester dans la famille. La veuve doit cependant
épouser son beau-frère et ne sera considérée comme
libre des liens du mariage que si celui-ci la répudie. En tout
état de cause, la Lohatrano ne peut la marier de
nouveau sans le consentement de sa belle-famille, « elle
ne peut se passer de l'autorisation de celle-ci pour contracter une nouvelle
union. » 168
Le décès de l'un des époux rompt donc le
lien matrimonial, tout comme le divorce.
B- LE DIVORCE
1- L'autorité compétente
DESCHAMPS disait : « En cas de désaccord entre
les deux époux, le différend est porté devant le chef de
Kibori169 du mari qui, aidé de son adjoint et du fokonolona,
tranche le débat. » 170
Le divorce est par conséquent la dissolution du mariage
prononcé par l'autorité judiciaire, qu' est le chef de kibory ou
Lebenakibory, sur la demande de l'un des deux époux. Le droit de recours
en divorce, il faut le souligner, appartient au mari et à la femme. Le
chef du Kibory n'est pas le chef de fatrange qui « détient
l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale. »
171
DESCHAMPS décrit le premier comme «
l'autorité qui prend en accord avec le fokonolona les
décisions concernant le kibory. » 172 C'est donc lui qui
décide avec le fokonolona sur les cas d'exclusion des kibory qui est le
châtiment suprême que l'on puisse infliger à un Antemoro.
Nous remarquons dès lors qu'il y a une étroite
relation entre l'institution organe qu'est le tombeau et l'institution
mécanisme qu'est le divorce.
167 SCHAW, Antananarivo annual, 1894, p.210.
168 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
169 Kibory, (de l'arabe qabr, pluriel qoubour) désigne le
tombeau collectif des Antemoro
170 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.
171 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
Tandis que le mariage est contracté sous
l'autorité du chef de Fatrange (Lohatrano), sa dissolution est
prononcé par le chef de kibory (Lebenakibory).
Il faut souligner que : « La trano-be c'est (...)
surtout la maison mortuaire. C'est dans la trano-be qu'est déposé
le corps du mort pendant le temps qui précède la mise au
kibory. »173
Du fait que la société Antemoro est patriarcale,
une femme même mariée appartient au fatrange de son père,
jamais à celui de son mari, et les enfants appartiennent au fatrange de
leur père, même lorsqu'il y a dissolution du mariage et que les
enfants continuent à vivre avec leur mère.
Revenons au sujet du divorce. Le fait de confier le pouvoir de
prononcer le divorce au chef du kibory qui décide avec le fokonolona du
Royaume prouve la gravité de la demande en divorce à cette
époque. Le chef de famille tient en effet à préserver son
autorité sur ses enfants. Il a le pouvoir de contrainte matrimoniale.
Comme la femme même mariée appartient au fatrange
de son père. Celui-ci pourrait penser que sa fille qui fait la demande
en divorce, ou qui est reconnue fautive par le fokonolona lors de l'instance, a
cherché à défier son autorité. Si le cas se
présente, il peut rejeter le coupable qui n'aura pas par
conséquent sa place au kibory.
Le lien matrimonial ne se dissout donc pas sans fondement bien
solide.
172 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.53.
173 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
2- Les causes du divorce
Aucune énumération limitative n'a été
prévue dans le Royaume pour définir les causes du divorce.
Néanmoins, les motifs que le requérant évoque doivent
revêtir un degré de gravité .
L'époux évoque souvent la
stérilité de la femme pendant l'instance du divorce. DESCHAMPS
précise que le divorce est prononcé si la femme n'arrive pas
à enfanter au bout de trois ans174.
La cause traditionnelle persiste dans le droit coutumier. Le
chef de kibory ne pourra pas empêcher l'homme qui cherche à tout
prix à avoir des enfants à se séparer d'une femme
stérile. De même que la femme ne sera pas sanctionnée par
ses parents pour cette cause qui est extérieure à sa
volonté.
Par contre, l'infidélité de la femme sera
indiscutablement assortie de sanctions à son égard. Et le mari
retrouvera sa liberté dès que le chef de kibory a rendu son
verdict. L'adultère de la femme constitue une infraction aux us et
coutumes dont la sanction est le rejet hors de la caste et de la tribu.
L'affaire peut remonter jusqu'au mpanjaka (le roi) caste, dont le rôle
est de veiller au respect des coutumes. Ce roi peut « jouer le
rôle d'avocat devant un autre mpanjaka et défendre en
conséquence la cause de l'individu. » 175
Il y a d'autres causes que la coutume retient pour que le divorce
soit prononcé.
La mauvaise attitude du « vady be »
(l'épouse) envers les enfants légitimes de son mari,
c'est-à-dire enfants du premier lit ou les enfants nés des «
vady kely » (concubines) qui habitent au domicile conjugal (ou dans
174 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
d'autres cases), et de « la maîtresse
entretenue ne vivant pas sous le toit conjugal. » 176 Ces enfants
méritent, d'après le droit coutumier, les mêmes traitements
que les propres enfants du vady be. Celle-ci sera fautive à cause de son
caractère anti-social et par conséquent sanctionné par le
fokonolona. La sanction n'est pas systématiquement le rejet du kibory
mais peut consister en une simple amende. Ce sera le non-acquittement de cette
amende qui va provoquer le rejet.
Une autre cause de divorce, qui n'est pas la moindre, vient du
refus du vady be à ce que son mari prenne des Vady kely. Ce geste va
à l'encontre de l'inspiration des Antemoro qui ne cherchent qu'à
multiplier le nombre de leurs femmes -et par là de leurs
progénitures.
Il n'y a pas que la femme qui peut être rendue fautive
devant l'assemblée.
L'épouse ne peut pas demander le divorce si son mari
s'est absenté. ROMBAKA177 parle de l'obligation de
l'épouse à rester dans le domicile où elle servira sa
belle-mère avant que son époux soit de retour. Il peut s'absenter
pendant plusieurs années.
Nous pouvons rappeler que l'absence du mari à
l'époque archaïque pouvait conduire sa femme à trouver un
autre époux.
En ce qui concerne la femme, le lebenakibory peut lui accorder
le divorce au détriment du mari qui aurait « amené une
femme à la maison sans que ce soit une nouvelle
épouse.» 178 Le mari doit racheter son erreur sous
peine de perdre sa vady be. Il ne sera pas inquiété par le
lebenakibory car l'adultère de l'homme n'est pas
sévèrement sanctionné, ne constitue pas la cause
principale de divorce.
175 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemoro,
1961, p.3.
176 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemora,
1961, p.7.
177 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre
178 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
La femme qui reçoit des coups et sévices par son
mari en fait part à l'Andrianonivavy « mpanjaka des femmes,
dont le rôle est de faire respecter les droits des femmes, en particulier
de sévir contre les hommes qui brutalisent leurs femmes ou les
répudient sans leur donner ce à quoi elles ont
légitimement droit. Elles sont très redoutées des
hommes. » 179 Les lebenakibory ne pourra que déclarer l'homme
fautif.
Mais souvent les femmes qui cherchent à se
séparer de leur mari incitent leur gendre à habiter le domicile
de ses beaux-parents. « Un beau- père peut élever ses
beaux-fils sous son toit, sans distinction avec ses propres fils... Toutefois,
élever ses beaux-fils peut entraîner la rupture du mariage si l'un
des époux s'en plaint. » 180
La femme peut se prévaloir de la plainte de son mari pour
obtenir gain de cause.
Voilà en ce qui concerne le divorce. Qu'en est-il de la
répudiation ?
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