§ 2 : LE RITUEL DU MARIAGE
Le rituel du mariage Antemoro se déroule comme suit :
le fiancé envoie des émissaires prendre la fille chez ses parents
pour la ramener chez lui. Au bout d'une semaine, il est obligé de
ramener la fille à ses parents avant qu'elle déménage
véritablement vers le nouveau foyer.
A- L'envoi des émissaires
La fiancée ayant déjà
préparé minutieusement le trousseau qu'elle va utiliser dans le
nouveau foyer, son futur époux à une date qu'il a fixé
avec l'aide de l'ombiasa, envoie des émissaires pour la prendre.
Personne en dehors de la famille restreinte n'est au courant de
l'arrivée de émissaires. Ils apportent deux coqs et cinq mesures
de riz pour participer au repas de midi. La mère de la fille
reçoit ces présents et les prépare aussitôt pour le
repas.
Ces émissaires, composés par les parents du
garçon et quelques chefs de familles ont pour mission de ramener la
fille le jour même au domicile du garçon.
Si les parents sont d'accord pour donner leur fille, les
émissaires leur offrent le « hamaky volana », un cadeau
indispensable versé après le consentement des parents de la
fiancée ; il comprend du riz, une volaille,
134 ROUHETTE, op. cit., p.113
deux bouteilles de rhum indigène (toaka), dont l'objet
est d'annoncer la décision des fiancées d'entrer en
ménage. Ce n'est pas la diafotaka - ou la dot. Mais la famille de la
fille, acceptant qu'elle parte avec les émissaires, rassemble un petit
groupe de compagnes. Deux ou trois femmes proches des parents de la fille
composent ce groupe renforcé par la présence d'une « viavy
be » le plus souvent la tante ou sa grand-mère maternelle ou
paternelle. Sa propre mère ne peut pas y aller, à moins qu'il n'y
a absolument personne d'autre pour le faire.
Précisons que le fiancé n'est pas membre de la
délégation qui prend la fille. Il se contente d'attendre sa
fiancée et le retour des émissaires chez lui. Un repas qu'avait
préparé par ses parents les attend.
La fille reste chez son futur époux pendant une semaine
seulement. Durant cette période, il ne dort pas avec elle. Il s'isole
dans un autre lit, sa fiancée partage le même lit que sa soeur.
C'est-à-dire que les deux belles- soeurs dorment ensemble pendant la
première semaine de vie dans le nouveau foyer. Et les compagnes de la
fiancée restent avec elle pour veiller à la bonne marche du
nouveau ménage.
Dans la maison conjugale, tout le monde se fixe sur une place
bien déterminée. La fiancée occupe le côté
proche de la porte, tandis que les compagnes accaparent le milieu de la maison.
Si ceux-ci repartent avant la durée d'une semaine, seule sa
belle-mère peut occuper leur place. C'est la coutume. L'ordre
règne cependant dans le foyer lors du repas ou des discussions.
La consommation clandestine du mariage rappelle la fuite des
deux futurs lors du mariage par rapt. Mais cette fois-ci, ce sont les
émissaires du garçon qui prennent la fille avec l'autorisation de
ses parents.
Cet accord, avons-nous vu, est conditionné par la
présence des compagnes de la fille dans le nouveau foyer pendant les
premiers jours de
son arrivée. Et la présence permanente de la
belle soeur à côté de la fille, évite à son
fiancé de la toucher.
La virginité de la fille est donc
préservée avant qu'elle ne déménage
définitivement pour rejoindre son nouveau foyer. Et pendant cette
durée d'une semaine, elle peut changer d'avis, en reportant la date de
son déménagement, par exemple.
B- Le mialo
Après une semaine de vie collective dans le nouveau
foyer, le fiancé doit ramener la fille devant ses parents. Le mialo
rappelle le mariage par rapt, « dans lequel il convenait de venir
implorer le pardon des parents pour s'être passé de leur
consentement » 135 C'est seulement à cette occasion que le
fiancé manifeste sa présence devant toute la famille
réunie. Il est accompagné par ses parents et par des chefs de
familles.
La cérémonie solennelle a lieu dans le Fatrange
qui est « à la fois le groupe familial lui-même, le
patrimoine ancestral, le chef de famille, la maison qu'il habite et l'espace
dégagé près de celui-ci où toute la
communauté se réunit en cas de discussion ou de fête.
» 136
L'objet du mialo est essentiellement d'officialiser le
mariage. « Le chef de fatrange, souvent appelé lohatrano,
détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale :
un mariage ne peut se faire sans son accord... et dans la maison qu'il habite,
la trano-be » 137, qui est une institution organe.
Le lohatrano de la femme et celui de l'homme sont présents
à cette cérémonie ainsi que leur parents et familles
respectives.
135 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.68.
136 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
137 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
A l'occasion du mialo les beaux-parents reçoivent pour
la troisième fois des cadeaux de la part du fiancé. Un coq et
vingt mesures de riz sont apportés par la délégation du
garçon.
C'est le plus âgé d'entre eux qui prend la parole
devant toute l'assistance.
« On est venu Ranandria pour ramener votre
enfant » (le fiancé cite le nom de la fille) ; et l'orateur
poursuit : « Mais un coq s'échange contre une poule. Donc voici
le coq pour vous et la fille est à nous. Tenez le coq aux longs ergots
et du riz blanchi conformément aux coutumes » 138
De l'autre côté, le plus âgé des
parents de la fille répond : « Merci Ranand ria, vos dires sont
vraies et elle nous appartient (le gendre cite le nom de la fille), et
on ne regrette pas de vous l'offrir »139
Entre temps, le coq est sacrifié par le Loholana, qui
détient le sombily ou le privilège des sacrifices, à la
porte du tranobe. « Le sang est recueilli dans un récipient. Il
est mélangé avec de l'eau provenant de la Matatanana
»140, et d'une pièce d'argent y est
déposée.
Assis côte à côte, les deux époux
sont aspergés trois fois chacun avec un rameau de songolovolo (une
plante) trempé dans le mélange. C'est le Lebenakibory ou le
Loholona qui le fait tout en prononçant des paroles de
bénédiction, un verset du Coran, et leur souhaite d'engendrer des
enfants mâles (ho lahy anake), d'avoir des vaches fécondes (ho
vavy terak'om by) et des plantations productives.
Après cela, on remet la dot aux parents de la fille. Si
elle consiste en des objets précieux, ceux-ci l'obtiennent le jour de la
cérémonie. Si la dot
138 ROMBAKA, Traduction libre d'un passage du livre «
Fombandrazana Antemoro »
139 ROMBAKA, op. Cité.
140 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.61.
consiste en tête de bétail, l'animal ne sera
remis qu'au jour non souhaité de divorce. La famille du garçon se
contente par conséquent d'annoncer devant toute l'assistance que la dot
est un zébu, par exemple.
La cérémonie se termine par cette remise, le
mariage est enfin sacralisé.
Pour la société, l'accord du Loholona suffit
à la conclusion du mariage. Les deux familles peuvent aller
ultérieurement à la Mosquée 141 pour une autre
bénédiction. Nous remarquons par là le syncrétisme
Antemoro en matière religieuse.
Après la cérémonie, le repas du midi est
servi chez les parents de la fille. Souvent, un zébu est tué pour
nourrir les invités. Tout le village est présent, la fête
dure toute la journée. La consommation d'alcool est interdite lors
d'événements pareils.
Même si la nuit est tombée, ou si le temps se
gâte, les nouveaux époux et les compagnons de l'homme doivent
rentrer. La femme peut ne pas ramener dans le nouveau foyer, son trousseau au
jour du mariage. Elle dispose de longue période pouvant aller
jusqu'à une année pour le faire. Mais souvent, elle transporte
ses matériels le même jour et rejoint son mari qui est parti avant
elle et qui l'attend dans son nouveau foyer.
On parle de « raikibao », jour où la fille
quitte le domicile de ses parents pour rejoindre celui de son mari. C'est la
manifestation du transfert de l'autorité sur la femme, détenu par
son père, à son mari.
Le mialo ayant permis à la fiancée de retourner
chez ses parents, elle pouvait en profiter pour renoncer au mariage. Puisque le
mariage a eu lieu, « la femme qui a réintégré le
domicile paternel, s'en va chez son mari
141 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume
Antemoro, p.21 7, rapporte que les immigrants arabes, dès leur
arrivée, avaient déjà leur mosquée.
escortée de parents et d'amis qui portent son
mobilier, soit vingt ou trente... nattes pour tapisser le plancher et les murs
de la nouvelle demeure, un lot de nattes fines pour dormir, quatre à
cinq paniers de riz pilé, un coq, une calebasse de graisse, une
cuillère à pot, un gobelet pour puiser l'eau dans la jarre et un
van en bois. » 142
Le déménagement se fait en grande pompe. La
jeune fille porte sa plus belle robe et ses bijoux. Elle transporte
elle-même certains ustensiles, comme le couteau de cuisine pour que les
passants sachent qu'elle est la nouvelle mariée (Raiki-bao). Les jeunes
filles et les enfants l'aident à transporter les autres
matériels.
Arrivés devant le domicile de l'époux, les
membres du cortège font trois fois le tour de la maison, puis
s'arrêtent. « La femme salue son mari, dont les amis,
jusqu'alors présents dans la maison, sortent ; les amis de la femme
entrent à leur tour et aident alors la femme à mettre tout en
ordre » 143 de façon « que chacun puisse admirer la
riche collection de coussins brodés, orgueil de la jeune
épousée qui y travaillait depuis plusieurs années
» 144. Un grand repas préparé par la famille de
l'homme les attend.
Nous avons vu dans ce premier chapitre comment se formait le
mariage dans le Royaume Antemoro. Dans le chapitre qui va suivre, il s'agit
d'analyser quels sont ses effets et comment se rompt le mariage à cette
époque islamique.
142 RENEL, La coutume des ancêtres, 1913.
143 MES SELIERE, Du mariage en Droit malgache, p.1
82.
144 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.
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