SECTION 2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE
§1 : LES EMPECHEMENTS AU MARIAGE
Dans le royaume Antemoro existent plusieurs clans où
des règles bien établies régissent le mariage. En
l'occurrence, l'union de deux individus peut faire l'objet
d'empêchements. Certains résultent de liens de parenté ou
d'alliance, d'autres sont d'ordre social.
A- Les empêchements résultant des liens
de parenté ou d'alliance
« Les empêchements à mariage
résultant de certains liens de parenté ou d'alliance ne sont,
à Madagascar, qu'un aspect d'un problème plus vaste, celui du
fady, ou interdits» disait MESSELIERE118.
1- Les règles
Ces règles sont contenues dans les manuscrits JENSENIUS,
pages 11, 22 et suivant traduits par MUNTHE119.
Reproduisons la traduction de quelques passages du manuscrit.
L'intitulé de la partie que nous intéresse est le
suivant :« Déclaration sur les personnes admises à se
marier entre elles. »
En voici les règles :
-Les arrières-petits-fils et petites filles (de la
troisième génération) peuvent se marier entre eux à
condition qu'ils soient descendants d'un frère et d'une soeur.
-Les arrières-petits-fils et petites filles, enfants
de deux frères, ne peuvent se marier entre eux.
118 MES SELIERE, Du mariage en Droit Malgache, 1932,
p.45.
119 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.253.
-La femme du père peut être
héritée (par un membre de la famille).
-La femme d'un frère peut (en cas de
décès du frère) passer à un autre
frère.
-Il est formellement interdit à un gendre de proposer
à la femme de son beau-père de coucher avec elle.
-Le beau-père ne le propose pas à la femme de
son gendre.
-Un gendre ne doit pas coucher avec sa
belle-mère.
-La femme répudiée par un frère qui a
épousé une autre femme peut être demandée par un
autre frère.
-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son
beau-père, il sera condamné à offrir un grand boeuf
découpé, à son beau-père.
-Si quelqu'un propose à la femme de son gendre (de
coucher avec elle), il lui faut, comme punition, offrir un grand boeuf à
son gendre.
-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son
oncle, il sera puni de « fafy », don d'un grand boeuf.
-Si quelqu'un propose à sa cousine (de coucher avec
elle), comme punition, il doit payer deux boeufs... »
Tels sont quelques règles qui n'ont pas manqué de
susciter quelques commentaires du traducteur.
2- Explication
MUNTHE avançait les propos suivants :
« -Les tabous et les règles qu'on trouve
empêchant le mariage entre personne liée en ligne directe et
proche s'harmonisent - et les Antaimoro s'en rendent compte- avec les lois du
DE UTER.2 7, 20 et suivant. »120
Il rajoute que « l'union sexuelle des frères et
soeurs, entre zanany d'un couple, est impossible et rigoureusement
défendue chez les Antaimoro. »121
120 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
121 MUNTHE, idem.
Ce passage soutien notre attention dans la mesure où
d'autre auteur affirme le contraire en disant que « chez les
Antambahoaka et chez les Antaimorona, les mariages entre frères et
soeurs germains, c'est-à-dire de même père et de même
mère, sont fréquents. Il est de tradition populaire dans ces
populations que ces unions conduisent à la fortune » 122
disait FERRAND. Mais MUNTHE, en donnant cette explication, se base sur des
textes écrits. Nous espérons que notre petite remarque sur ce
point pourra éviter la reproduction de pareille confusion.
Le traducteur continue son explication en disant que :
-Les Antaimoro « n'acceptent pas non plus le mariage
de la deuxième génération entre les petits enfants d'un
couple, appelés ny zafy. Ceux qui se marient contre la volonté
des ancêtres sont considérés « mpanota-fady (violateur
d'un tabou) et condamnés à payer au moins trois boeufs.
»123
- « Quant à la troisième
génération, ny zafiafy (les arrière-petits-fils et petites
filles) le mariage est toléré, mais exige toujours l'offre d'un
ou deux boeufs et aussi l'accord des deux familles concernées.
»
-« Les enfants de la quatrième
génération appelés ny zafindohalika sont admis à se
marier entre eux à condition qu'ils fournissent ny fafimpanambadiana
(l'offre consolatrice) pour les deux familles. »
-« Les enfants de la cinquième
génération appelés zafim-paladia peuvent se marier entre
eux. Le fafim-panambadiana n'est pas exigé car il ne reste plus beaucoup
de relations familiales entre eux. »
-« La sixième génération qui
s'appelle kitro (petit orteil du pied) peut se marier librement entre
elle. » 124
MUNTHE fait remarquer l'amusante et démonstrative
manière de classer les générations en leur donnant les
noms des membres du corps humain en descendant du genou aux pieds
jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sang commun.
122 FERRAND, Les Musulmans à Madagascar, 1893,
fascicule II, p.20. Propos reporté par MES SELIERE, Du mariage en
Droit malgache, 1932, p.50
123 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
124 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
Bref, sont considérés comme fady le mariage en
ligne directe, entre ascendants et descendants et alliés dans la
même lignée. Il en est de même pour le mariage en ligne
collatérale entre frères et soeurs, entre oncle et nièce,
entre tante et neveu, entre enfants issus de deux soeurs au premier et second
degré.
Telles sont donc les règles qu'il faut observer par les
futurs époux et que le loholona est censé savoir avant qu'il
célèbre le mariage. La présence des futurs époux
dans l'un des cas cités plus haut constitue un obstacle, parfois
insurmontable au mariage, si le degré de parenté est trop proche.
Le loholoma ne peut pas le célébrer. Qu'en est-il de
l'empêchement d'ordre social ?
B- Les empêchements résultants du
régime de castes, ce sont les empêchements d'ordre social.
Des fady ou interdits assurent l'ordre social Antemoro -qui ne
se marie pas avec n'importe qui. Les Antemoro se marient entre Antemoro.
L'endogamie existe. « Il n'y a pas à Madagascar d'autres
peuplades où les mésalliances soient si sévèrement
prohibées, où l'on s'efforce de maintenir aussi intacte la
division des tribus et des castes et de les préserver de tout
mélange et de toute contamination : très peu de femmes violent la
loi. » 125
« Il existe cependant une certaine exogamie chez les
Antaimorona, disait JULIEN, l'usage est en effet d'aller chercher d'alliance
non dans les familles d'un même kibory, mais dans celle d'un kibory
étranger. Agir autrement serait mal vu de tous et réprimé
à l'égal de l'inceste. » 126
Comment est divisée la société Antemoro ?
Telle est la question que nous posons.
125 SHAW, The arab element in South Madagascar (in
Antananarivo annmal, 1894,p.208-209)
126 JULIEN, Histoire de Tatsimo
1- Les castes Antemoro
Le premier zélateur de l'islam en l'occurrence
Ramakararube est arrivé dans la région de la Matatana en l'an 542
de l'ère mohamétane.127 Il n'est pas venu seul.
Ramalitavaratra l'astronome et Ranaha, son ministre, l'a accompagné avec
des cafres qu'ils ont amenés. Des autochtones vivaient
déjà dans la région à l'époque. Ramakararobe
a engendré Ramaroala qui a constitué le caste Anteony.
Ramalitavaratra et Ranaha, les compagnons de Ramakararobe ont
constitué le caste Antalaotra.
Les cafres qu'ils ont amenés sont les Ampanabaka.
Les autochtones sont essentiellement les Onjatsy.
Sans entrer dans les détails, précisons que les
castes nobles sont les Anteony et les Antalaotra. Les roturiers sont les
Onjatsy avant les Ampanabaka et les autochtones. Puis des Andevo ou Velombazaha
(des Kafirs) amenés par les immigrants arabes constituent un autre
caste. « Tout au bas de l'échelle sociale Temoro se trouvent
les Antevolo, véritable « intouchables », que rien dans leur
aspect ne distingue des autres Temoro. »128
Telle a été la division des castes dans le Royaume
Antemoro.
Quelle est la loi du Royaume en matière de mariage ?
3- La loi du mariage
Il n'y a pas à proprement parler de loi unique en
matière de mariage pour toutes les castes. Chacun définit ses
propres lois. Ces lois peuvent varier à leur tour selon les sous-clans.
Chez les Anakara, sous-clan noble
127 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris, 1929, p.1
0.
128 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.48.
Antalaotra, « le mariage est endogame par rapport au
clan, exogame entre lignée et quartiers.» 129
Mais pour les Antalaotra en général, «
La cohésion du clan est particulièrement solide : l'endogamie
est, de nos jours encore, extrêmement stricte parmi eux. »
130. Ce qui leur a permis de perpétrer l'usage de la langue
arabe, disait DESCHAMPS.
Par contre, « l'usage de l'arabe se perdit plus vite
chez les Anteony, poussés par les exigences de la royauté
à une exogamie masculine, donc à l'adoption rapide de la langue
locale » 131.
Les Onjatsy sont plutôt endogames. Pour montrer cette
endogamie, DESCHAMPS rappelle que la mère de Ramarohala, le grand
ancêtre Anteony, était Onjatsy.
4- Les sanctions.
« Une femme Anteony ou Antalaotra ayant couché
avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera condamné
à mort par noyade. De gros blocs de pierres devront être
attachés au milieu de son corps et elle devra être jetée
dans l'eau pour périr. » 132 L'exogamie de classe est
strictement interdite.
Un homme Ampanabaka ne peut pas donc épouser une fille
noble Antoeny, elle sera « considérée comme n'ayant pas
existé » 133 c'est-à-dire rejeté du clan.
129 FAUBLEE, Notes sur quelques points de droit coutumier du
Sud de Madagascar, in POIRIER, Etudes de Droit Africain et de Droit
Malgache, p.37.
130 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.43.
131 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.41.
132MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue
à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.257 133 ROUHETTE, L
'organistion politique et sociale du Royaume Antemoro, p.11 3.
On se rend compte que l'exogamie, pour la femme noble qui
épouse un homme de même catégorie sociale que la sienne,
n'échappe pas à des sanctions, même si elles sont
allégées. La condamnation à mort est plus
sévère que le rejet. Et la fille rejetée sera exclue du
kibory ou tombeau familial. Quand il y a une réjouissance dans sa
famille d'origine, « elle participe aux servitudes mais est exclue
pour chaque part d'honneur. »134
Bref, l'endogamie de classe est chère aux Antemoro.
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