c- L'annonce à la fille
Le père a le droit de contrainte matrimoniale sur ses
enfants. Il peut décider pour son enfant non marié à la
place de celui-ci, s'il l'estime nécessaire pour son bien. Et les
enfants de bas âge ne sont pas expérimentés et commettent
des erreurs quand leurs parents leur laissent la liberté de choisir
leurs conjoints. C'est pourquoi, ce sont les parents eux- mêmes qui
décident pour eux. Le consentement de la fille en particulier n'est pas
nécessaire pour que les fiançailles soient conclues. C'est
seulement lorsque l'accord devient irrévocable que la nouvelle lui est
annoncée. Elle ne peut refuser sous peine d'insubordination qui peut
être sanctionné par le rejet de la famille.
§ 2 : LES FIANCAILLES
Nous avons vu que les parents des deux futurs fiancés
vont chez le Loholona pour que celui-ci témoigne de l'existence de
l'accord selon lequel ils vont fiancer leurs enfants. Cet accord rappelons-le
porte sur le projet initié par le garçon qui a envoyé son
père demander en fiançailles la fille qui l'intéresse. Les
fiançailles Antemoro sont le prélude au mariage.
107 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54 : il dit « que
la véritable cellule de la société Antemoro est le
Fatrange, terme que l'on peut traduire exactement par famille étendue
»
Ceci étant, nous allons voir quels sont les effets des
fiançailles. Le problème de la compensation matrimoniale sera en
effet abordé après celui- ci.
A- Les effets des fiançailles
1- Les effets normaux
Les fiançailles produisent des effets sur le
garçon et sur la fille. Dans le développement qui va suivre, ce
sont surtout les effets sur la fille qui vont nous intéresser.
Que la demande soit faite par le garçon lui-même
ou par l'intermédiaire de son père, dès que l'accord des
parents de la jeune fille est obtenu, personne d'autre ne peut convoiter la
même fille. Elle est réservée à son fiancé.
Quel que soit son âge, la fille Antemoro est toujours sous
l'autorité paternelle avant qu'elle ne soit mariée. Cette
autorité est transmise temporairement entre les mains des parents du
garçon dès que les fiançailles ont été
conclues. Le transfert se matérialise par le déménagement
de la fillette chez ses beaux-parents, qu'il ne faut pas confondre avec le
déménagement vers son mari qu'on aura l'occasion de voir plus
tard. « La fillette pas encore nubile, était
envoyée (à partir du moment où les deux familles ont
décidées les fiançailles) chez ses futurs
beaux-parents, où elle pouvait demeurer presque en permanence pendant
plusieurs années ». 109
Précisons néanmoins que l'institution de misonjo
est une procédure par laquelle le garçon lui-même fait la
demande à la mère de la fille et celle-ci à son mari,
n'implique pas immédiatement le transfert de la fille vers ses
beaux-parents. Il faut que les parents du garçon s'accordent avec ceux
de la fille.
108 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54.
109 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
« A l'approche du temps du mariage, vers 18 ans pour
la fille, 20 ans à 25 ans pour le garçon, la jeune fille
repartait dans sa famille, où sa mère lui enseignait les
règles de la vie conjugale. » 110
L'autorité transmise temporairement entre les mains de
ses futurs beaux-parents retourne chez son père. On peut dire que la
fille réintègre le domicile parental, avant d'entrer en
ménage. A part l'enseignement des règles de la vie conjugale, la
fille prépare pendant cette période son trousseau. Ce dernier
« consiste essentiellement en un grand nombre d'oreillers et de
coussins brodés. Des nattes d'espèces et d'utilisations
diverses... » 111
« Le manuscrit A-9 d'Oslo (...) nous parle de ce que
doivent préparer les jeunes filles avant de se marier. » 112
Il dénombre six nattes, six rouleaux de nattes et une glace.
La fille ne s'ennuie donc pas pendant qu'elle retourne chez
ses parents. La famille du garçon peut l'aider à acquérir
les autres ustensiles nécessaires pour le nouveau ménage. Quoi
qu'il en soit, c'est la fiancée qui a l'obligation de se procurer des
tout le matériel nécessaire. Par contre, le fiancé
bâtit la maison et le tranoambo (ou grenier). Il défriche aussi
les terres qu'il cultive avant que sa femme ne le rejoigne.
Nous avons vu jusque là les effets que produisent
normalement les fiançailles. Que se passe-t-il si les fiançailles
sont rompues ?
110 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
111 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
112 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.256, (Et elle tresse six nattes (...)
et six rouleaux de nattes et son père achètera une glace.)
2- Les effets en cas de rupture
Les fiançailles chez les Antemoro produisent des effets
de droit. Les parents des futurs et ces derniers eux-même y sont
liés. Soulignons que la fille concernée n'a pas son mot à
dire dans la conclusion de l'acte. La rupture venant d'elle produit exactement
la même responsabilité que si la rupture venait du fiancé.
Ce dernier est pourtant l'initiateur, tandis que la fille a simplement
été forcée. Le désistement de l'un des
fiancés le rend fautif. Et la coutume Antemoro autorise le parent
mécontent de l'agissement de son enfant de le rejeter hors de la
famille.
Ce rejet a une double conséquence : pécuniaire
et morale. Une des conséquences morales du rejet de la famille consiste
dans l'exclusion du culte des ancêtres et du droit à être
enterré dans le kibori113. Le rejeté devait, du reste,
d'après la coutume, quitter la terre des ancêtres pour n'y plus
reparaître. Nous comprenons à travers la rigueur de cette coutume
que dans le pays Antemoro « l'organisation sociale et familiale est
très forte » 114.
Une autre conséquence qui, cette fois, d'ordre
pécuniaire, est imputable au rejeté. Il ne peut plus vivre de
réserves familiales, tel que les boeufs et rizières, et il perd
tout droit d'hériter des membres des membres de sa famille.
Par cette description brève, MESSELIERE115 a
mis l'accent sur les effets de la rupture des fiançailles.
Si la rupture ne venait pas des futures mais par exemple du
père de la fiancée qui refuse à consentir au mariage, le
cadeau qu'il a reçu doit être restitué.
113 DESCHAMPS, dans « Les Malgaches du Sud-Est
», p.51, rapporte que le kibori (dérivé de l'arabe
qabr, pl. qoubour) désigne le tombeau collectif des Antemoro.
114 OLIVIER, Six ans de politique sociale à
Madagascar, p.1 5.
115 MESSELIERE, Du Mariage en droit malgache, p.137.
Tels peuvent être les effets des fiançailles qui
aboutissent normalement au mariage. Mais avant l'étape finale de la
formation du mariage, les parents des futures époux doivent se mettre
d'accord sur la dot qui sera reçu lors de la cérémonie.
C'est donc pendant la période des fiançailles qu'ont lieu les
négociations.
B- La dot et les cadeaux
1- La dot
Nous avons remarqué que les fiançailles peuvent
durer longtemps. D'autant plus que ce sont les jeunes filles pas encore nubiles
qui en sont sujets. Il faut qu'elles atteignent l'âge de se marier pour
entrer en ménage. De la sorte, les parents des futurs époux sont
préoccupés par la nature et la consistance de la dot.
En effet, la famille de la fille ne cesse de l'entretenir
depuis sa naissance jusqu'à ce qu'elle soit mariée. Tant que
l'autorité sur elle reste entre les mains de son père, ses
parents sont responsables de sa vie. Beaucoup d'efforts sont cependant
déployés avant que l'enfant n'atteigne l'âge de se
marier.
Cette période arrive tôt ou tard. Les enfants
cherchent des partenaires pour fonder à leur tour un ménage. En
l'occurrence, la fille sera arrachée d'une famille pour
s'intégrer dans une autre qui est celle de son mari. Le groupe social
d'où est issue la fiancée voit se réduire le nombre de ses
membres, alors que celui du fiancé va augmenter.
C'est là qu'intervient le problème de la dot.
Elle va permettre de rétablir cet équilibre qui sera rompu
dès que le mariage sera consommé. Les parents d'un
côté souhaitent que leur fille se marie. De l'autre
côté, ils ne veulent pas s'en séparer. Mais la
séparation est inévitable quand il y a
mariage. Les négociations ont cependant lieu entre la
famille (( preneuse » et la famille (( donneuse » qui peut exiger un
prix excessif. La dot par conséquent constitue une compensation que les
parents du garçon doivent verser à celle de la fille.
Cependant, elle peut être objet d'abus de la part de la
famille (( donneuse ». Chez les Antemoro, un zébu est offert
d'habitude pour constituer la dot. Ce zébu sera restitué lorsque
les époux se séparent ultérieurement. Il n'est cependant
pas question de vendre la fille dans la mesure où elle retourne sous
l'autorité de ses parents lorsqu'elle se sépare de son mari. La
dot peut faire l'objet d'abus. Mais cela ne la transforme nullement en un prix
de vente.
Le but principal de la dot, à côté de cet
aspect compensatoire, est la légitimation des enfants nés du
mariage. Les familles Antemoro ne reconnaissent pas les enfants nés hors
mariage. Sans dot, les enfants ne sont pas légitimes.
La légitimité octroie pourtant aux enfants
Antemoro des intérêts à la fois moraux et
pécuniaires. Et cette légitimité est faite par les parents
qui consentent à l'union. Les autres membres de la société
ne sont que solidaires de la décision des parents des futurs
époux. Si les parents ne consentent pas au mariage alors que des enfants
sont nés plus tard, ils n'auront pas leur place dans le kibory ou
tombeau. Ils en seront exclus. Et même s'ils veulent se marier, le
Loholona du fatrange de ses parents ne pourra pas bénir leur union. Les
enfants seront en un mot condamnés à être exclus du
fatrange.
Pécuniairement, cette exclusion se traduit par
l'interdiction à ces enfants illégitimes de toucher aux
héritages des ancêtres tels que les rizières et autres.
Bref, les deux familles ont vraiment intérêt
à se mettre d'accord sur la nature et la consistance de la dot. L'avenir
de leur progéniture dans la tribu en dépend.
Les Antemoro attachent de l'importance à la
virginité des filles pour que les parents aient droit à la dot.
La chasteté des femmes Antemoro n'a pas manqué d'attirer
l'attention des européens venus dans la région de la
vallée du fleuve Matitanana. Un auteur a même affirmé que
« les moeurs sont moins relâchés chez les Antaimorona que
chez les autres tribus de l'Est »1 16.
« La chasteté des jeunes filles est
très surveillée (chez les Temoro), au contraire de ce
qu'était la coutume malgache ancestrale dans la plupart des autres
régions. » 117
Nous pouvons déduire que la virginité de la fille
conditionne la remise de la dot.
2-Les cadeaux
Les parents reçoivent à chaque étape de
la constitution du mariage des cadeaux de la part du futur conjoint. La future
épouse a droit aussi à exiger un cadeau qu'on appelle «
fifanarahan' ny mpivady » (cadeau consensuel des deux époux). Les
frères et soeurs de la future épouse eux-aussi doivent recevoir
le « Takomaso », cadeau qui leur écarte toute envie
d'empêcher la consommation du mariage.
116 FERRAND, Tribus musulmanes du Sud-Est de Madagascar,
1903.
117 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.56.
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