PARTIE II : L'EPOQUE ISLAMIQUE (XIVes- XVes) LA
RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU DROIT MUSULMAN : LE MARIAGE
ARRANGE
INTRODUCTION
Les multitudes de sultanats musulmans, qui se sont
constitués pendant deux siècles, se sont unifiés en un
Royaume Antemoro. A ce sujet, un auteur disait que « des musulmans
stricts venus des sables de la Mecque imposèrent à un fond
autochtone une théocratie reposant sur une double hiérarchie
religieuse et politique.» 86
Bien évidemment, Ramakarobe venu en 542 de l'ère
mohamétane, le premier zélateur da l'islam dans la région
de la Matatana87, n'a cessé d'investir ses efforts pour
unifier les royaumes. A propos du rapt commis par son fils, le Prince Ali, il
donne son opinion : « Notre loi (sur la violation de la loi
matrimoniale qu'est le rapt) est très sévère, mais je
n'oublie pas que nous nous sommes ici des étrangers et qu'elle doit
nécessairement s'adapter aux circonstances » 88
C'est la raison pour laquelle, la loi coranique n'a pas
été appliquée en matière de mariage à
l'époque obscure. Mais depuis cette unification des sultanats, on l'a
appliqué. Un système de classe fut alors instauré.
Les descendants de Ramakararobe et de ses compagnons ont
constitués des clans, autres que ceux des autochtones. Le pouvoir
politique est détenu par le clan Anteony, descendant de Ramarohala, l'un
des fils de Ramakararobe. Le pouvoir religieux est détenu par le clan
Antalaotra, descendant de Ramalitavaratra, l'astronome et Andriantsimeto
Ranaha, le devin, « qui choisit lui-même l'emplacement de
l'embouchure de la Matatanana, selon la tradition, pour l'installation de ses
compagnons de route » 89.
86 TAMISIER, Dictionnaire des peuples,
Larousse, 1998, Antemoro
87 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris,
1929, p.11.
88 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris,
1929, p.93.
89 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959,
p.43.
Les Anteony et Antalaoatra sont les classes nobles. Les autres
notamment les descendants des cafres que les Arabes ont emmenés avec eux
et les autochtones sont devenus les roturiers.
Le pouvoir repose sur le privilège du « sombily»
(le droit de sacrifier les animaux) que seules les classes nobles
détiennent.
L'application des rites musulmans ne se limite pas seulement
au pouvoir. Elle affecte les structures de la société elle
même. Le système matriarcal est substitué par le patriarcat
sémite. La supériorité de l'homme se renforce dans le
foyer. Par contre la femme a sa propre place.
Autrement dit, la base de la société est
toujours la famille. Le regroupement des familles est appelé «
fatrange », véritable cellule de la société,
dirigé par le Loholona. Il existe aussi des chefs des femmes dans chaque
fatrange
Doté d'une telle organisation, la société
Antemoro est fortement endogame. Le chef de clan n'a plus le monopole des
femmes. Elles sont sous l'autorité des patriarches. Ces derniers
décident du sort de leurs filles, même en matière
matrimoniale. Il suffit d'obtenir l'accord du patriarche pour épouser
une femme. D'où l'institution du mariage arrangé.
« Jadis les fiançailles étaient
décidées par les deux familles (...). De nos jours les
fiançailles sont moins longues et plus de liberté est
laissée aux jeunes gens dans le choix de leur conjoint» disait
DESCHAMPS90.
Nous pouvons dire cependant que dans le passé, les
conjoints ne se choisissaient pas eux-mêmes et ne décidaient pas
non plus de leurs fiançailles. Cette hypothèse est
confirmée par ROMBAKA91 quand il dit :
90 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, Les
Antemoro, p.61.
91 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro,
Traduction libre
« lorsque les deux familles se sont mises d'accord, les
fiançailles sont consommées, même si la jeune fille
concernée n'est pas au courant».
N'y voit-on pas un esquisse de «contrainte matrimoniale
» reconnue par le droit musulman ?
GRANDIDIER soutient la thèse selon laquelle « les
fiançailles n'auraient jamais été forcées chez les
Antaimorona » 92
Nous sommes devant un paradoxe. Néanmoins, aucun de ces
auteurs ne s'est trompé. Tandis que GRANDIDIER parle des Antaimorona
« traditionnels » (qui ont gardé la tradition matrimoniale),
les autres auteurs, font allusions aux Antaimorona influencés par
l'islam qui représentent la majeure partie de la population du Royaume.
MUNTHE affirme que « le Droit coutumier local en matière
matrimoniale s'est (...) trouvé fortement influencé par
la loi coranique et le droit pénal lui même lui emprunta le
châtiment du talion.. » 93
Ce droit coutumier local dont MUNTHE fait allusion est la
coutume qu'on a tenté de décrire dans la première partie
du mémoire. Cette fois-ci, nous allons nous consacrer à
l'étude du Droit coutumier influencé par la loi coranique, en
matière matrimoniale ou « la résultante » comme le
disait FROELICH plus haut.
92 GRANDIDIER, Histoire de Madagascar,
Ethnographie, (MESELIERE, p. 135)
93 MUNTHE Ludvig, La tradition : Arabico-
malgache, p.75.
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