SYNTHèse
L'imaginaire, comme la pensée, est une ressource
inépuisable chez l'homme. Le cinéma l'a bien compris. Grâce
à sa puissance de représentation du réel comme du
fantastique, il a permis aux monstres en tous genres de prendre vie, pour le
plus grand plaisir d'amateurs en quête de sensations fortes. Grâce
aux évolutions structurelles et conjoncturelles de ce média de
masse, l'incarnation des protagonistes les plus effrayants des contes et
légendes, des mythes et des cauchemars, fut possible et continue
d'inspirer les réalisateurs. L'histoire des films d'horreur court sur
tout le siècle précédent et présente, tout comme
son contenu, des périodes glorieuses ainsi que des plus sombres. Or il
semble que le cinéma fantastico-horrifique, malgré sa dimension
d'exploitation, se nourrit d'éléments subversifs tout en
alimentant une culture qui lui est propre. Dès lors, comment s'effectue
cet arbitrage subtil entre provocation du contenu et recherche de
visibilité, dans un milieu où la rentabilité n'est pas
toujours au rendez-vous ? Les films d'horreur semblent en effet parfaitement
révélateurs de la dialectique intrinsèque au
cinéma. De cette joute perpétuelle entre art et industrie
naît un genre de cinéma qui fait débat, qui intrigue, qui
choque. Quel est le modèle socio-économique des films d'horreur ?
S'insèrent-ils dans un schéma de grande consommation, touchant
par là un public assoiffé de divertissement sanguinolent ou
revêtent-ils des velléités culturelles fortes, aptes
à transiter par des réseaux de diffusion
spécialisés, à destination d'un public d'initiés ?
C'est à cette question qu'il faut tenter de répondre, en abordant
dans un premier temps ses caractéristiques, son historique -notamment
française- et son public puis dans une deuxième partie les
différents réseaux de diffusion hexagonaux, afin de faire sortir
le film d'horreur de son ombre.
Le cinéma d'horreur prend sa source dans le fantastique
mais tend à s'en distinguer tant par ses intentions que par ses
évolutions diégétiques. La peur recherchée par les
amateurs du genre peut prendre plusieurs formes mais elle reste, pour les uns
une fin, pour les autres un moyen. L'intérêt porté à
ces films est souvent incompris, leur public comme leurs auteurs largement
marginalisés, principalement en France où l'oeuvre
cinématographique est considérée comme un objet
sacré à ne pas exposer aux regards de novices prompts au seul
divertissement.
Comme son nom l'indique, le cinéma d'horreur s'attache
à susciter des émotions fortes et à provoquer des
réactions physiques, qui sont généralement inversement
proportionnelles au degré de connaissance du genre par le spectateur.
Cette définition, qui n'exclut pas d'autres caractéristiques, est
la plus répandue pour tenter de cerner un terme protéiforme,
conçu à la fois comme un sous-genre du fantastique et comme un
cinéma générique renfermant ses multiples évolution
ultérieures. Les affects générés par la vue
d'images horrifiques peuvent être produits de différentes
façons mais il n'existe pas de règles qui président
à son élaboration. De la précision chirurgicale à
la suggestion du hors-champ, les réalisateurs et leurs équipes
artistiques ont puisé dans la petite boutique des horreurs que leurs
prédécesseurs ont contribué à bâtir.
Cependant, l'instinctivité déclenchée par les images ou
les ambiances angoissantes et répulsives ne saurait être la seule
raison d'être du genre, qui renferme des accessoires tendant à
l'indispensable. Si la violence, les crimes, les connotations morales et
sexuelles ou encore les échos sociohistoriques ne sont pas des
caractéristiques propres à la diégèse horrifique
(des films naturalistes aux films d'action, une foule d'autres genres en
usent), ils s'en avèrent toutefois des éléments
constitutifs, au point d'être considérés comme de
réels codes et de justifier l'appellation cinéma de genre.
Permettant aux identités cinématographiques de se façonner
et aux différents courants de se consolider, ils sont appelés
à évoluer en fonction de l'environnement dans lequel ils ont
été utilisés.
Ces particularités contextuelles et esthétiques
dessinent des tendances, qui se transforment rapidement en sous-genres et
viennent nourrir la diversité d'un cinéma aux courbes ascendantes
et descendantes, suivant un cycle régulier de vivacité puis de
stagnation. A la première exploitation hollywoodienne des
créatures légendaires dans la première moitié du
XXe siècle (vampires, loup-garou, momies, zombies,...) suivit une
deuxième vague de productions anglaises dans les années 1950,
attisées toutes deux par la relégation de l'horreur dans
l'imaginaire, forcée par les atrocités de la guerre et la
censure. Il faut attendre la génération suivante, moins
consensuelle, pour voir émerger un cinéma d'horreur plus
audacieux, renouant avec la proximité de la menace, qu'elle soit de
nature fantastique ou réelle. Ce furent en premier lieu les films gores
de H.G. Lewis et les splatter movies ultérieurs, qui
éclaboussèrent les écrans de leurs excès
graphiques, choquèrent l'opinion et ravirent les spectateurs les plus
jeunes (souvent engagés dans d'autres mouvements extrêmes, qu'ils
soient musicaux ou artistiques). Une brèche était ouverte.
Suivirent les films mettant en scène des morts-vivants ou des
cannibales, dérives des expériences humaines, sous le patronage
de G. A. Romero ainsi que nombreux réalisateurs italiens. Le
réalisme gagnant du terrain à mesure que les souvenirs des
conflits s'éloignent, de nombreux genres tentent de réhabiliter
l'humanité -réelle ou
supposée- des tueurs ; le masque devient le symbole
d'une génération de psycho-killers, dont l'expansion à
travers les gialli et les slashers signe un nouveau cycle de
prospérité pour le cinéma d'horreur dans les années
1970. A l'approche de la dernière décennie du siècle, de
nouvelles formes horrifiques naissent, s'éloignant du fantastique pour
s'ancrer de plus en plus dans la réalité ; les thrillers, les
post-slashers et les torture-flicks décrivent un monde où tout
espoir de salut est anéanti, où les faits divers triomphent,
où l'horreur est omniprésente, mettant ainsi à bas
certains codes, mécontentant les plus exigeants.
Si les Anglo-saxons ont été et sont toujours les
exploitants les plus chevronnés du genre, la production horrifique
française brille par sa rareté dans le paysage
cinématographique national et international. Etriqué entre le
modèle hollywoodien et la volonté d'intellectualiser la terreur,
un petit nombre de films français a été
réalisé depuis une demi-douzaine d'années. Cette
émergence de l'horreur à la française, portée par
une nouvelle génération de cinéastes audacieux, reste tout
de même marginale vis-à-vis de la production globale hexagonale
(de l'ordre d'1%). En effet, ce type de cinéma est fortement
méprisé en France et les projets sont difficiles à
élaborer, notamment à cause de la censure qui l'a assimilé
au cinéma pornographique, le privant de distribution. Aujourd'hui la
commission de classification des oeuvres cinématographiques
dépendant du CNC s'attache à réglementer l'accès
aux salles en fixant des limites d'âge. En raison de leur
caractère violent, les films d'horreur sont souvent assortis
d'interdictions aux moins de 12 ans ou aux moins de 16 ans, voire aux moins de
18 ans, classification polémique récemment
élaborée. Ces différents paliers d'interdiction sont le
reflet de la préoccupation des pouvoirs publics concernant l'influence
de la violence médiatique sur le jeune public. Mais ils ont
également des implications socio-économiques. Provoquant parfois
l'effet inverse, c'est-à-dire l'attractivité des restrictions
élevées, ils posent cependant problème aux entrepreneurs
de la filière, notamment à cause de l'importance des
chaînes de télévision dans le plan de financement des
films, qui forcent à l'autocensure. La discrétion des aides
financières contribuent à marginaliser ce type de cinéma,
défendu par quelques passionnés qui souhaitent réhabiliter
un genre, tant du point de vue économique qu'artistique, dans le berceau
national du 7e art.
Malgré ces petites avancées, la volonté
de se faire peur subsiste souvent incomprise. Comment supporter un
déluge de violence et y consentir sans afficher de troubles d'ordre
psychologique ? L'influence d'images dures sur les spectateurs, notamment les
plus jeunes, peut être perçue de différentes façons,
oscillant d'un conséquentialisme fort à une relativisation toute
libérale. A la manière des jeux de cirque, les films d'horreur
ont également été pris en tant qu'exutoire aux passions
les plus
dévorantes. Or les partisans de la catharsis restent
peu nombreux, les nouveaux films tendant plus à l'expression d'un
voyeurisme latent qu'à la saignée psychique. Le plaisir du regard
portant sur des actes répréhensibles ou incompréhensibles
n'a pourtant rien de pathologique dans la grande majorité des cas et
s'accommode parfaitement avec des phobies en tous genres. Néanmoins, si
la réception varie fortement d'un individu à l'autre, il semble
que la démarche de visionnage soit plus homogène et comporte une
forte dimension subversive, à l'image de celle présente dans les
films eux-mêmes. Cette volonté d'aller à l'encontre des
normes sociales et de pointer les contradictions de la société
par une pratique culturelle à la marge, que ce soit occasionnellement ou
de façon régulière, est l'une des caractéristiques
d'un mouvement subculturel. La provocation, pourtant traditionnellement
considérée comme l'avatar des jeunes générations,
n'a pas de limite d'âge et le public des films d'horreur transcende
largement les catégories marketing qui lui sont reliées.
L'histoire de l'horreur au cinéma prouve sa
vitalité comme ses difficultés de renouvellement, mais
témoigne de son extraordinaire richesse, avec quelques nuances
géographiques. Chargés d'une culture et de codes qui les privent
d'une certaine légitimité, ces films séduisent et
repoussent à la fois, jouant avec les mécanismes d'une peur plus
ou moins contrôlée. Or qu'il soit motivé par la passion ou
par le simple loisir, le spectateur de films d'horreur dispose néanmoins
de nombreux moyens d'entretenir son intérêt pour le genre. Ceux-ci
relèvent de plusieurs démarches, allant de l'amateurisme au
professionnalisme, de l'entreprise spécialisée aux firmes
généralistes, dans un marché où la volonté
de rentabilisation dicte aux acteurs des stratégies
différentes.
Un mouvement culturel, et a fortiori d'autant plus lorsqu'il
se teinte de subculture, est généralement entretenu par un
certain nombre d'amateurs qui s'investissent pour faire perdurer et promouvoir
l'objet de leur passion. La presse spécialisée (et à leur
tête Mad Movies en leader incontesté) et Internet sont
les outils principaux de collecte et de diffusion d'informations en tous genres
autour des films. Aspirant à contribuer personnellement à la
connaissance du genre, les blogueurs et les posteurs, en tant que journalistes
du XXIe siècle, échangent leurs avis sur la toile en toute
liberté. La démarche participative et de partage est très
prégnante dans ce milieu qui valorise l'ancienneté et le savoir
et où le respect des films cultes est indispensable. Outre un nombre
exceptionnel de courts-métrages réalisés entre amis, une
multitude de soirées intimistes sont organisées, en privé
ou dans des lieux publics comme des bars, des petites salles de
projection ou des cinémas indépendants. Si le
bénévolat régit bien souvent l'investissement de ces
cinéphiles, ils peuvent cependant se tourner ponctuellement vers le
professionnalisme. C'est notamment le cas en ce qui concerne les petits
festivals locaux qui ont pu acquérir une dimension nationale à
force de visibilité et de qualité (comme l'Etrange
Festival et ses différentes éditions). Mais de plus gros
évènements, régis par des institutions du monde
cinématographique, existent aux côtés de ces pratiques plus
ou moins artisanales, emmenés par des individus personnellement
impliqués à promouvoir la diversité du cinéma au
sein de leur entreprise. Aussi la Cinémathèque Française
propose-t-elle des soirées à thématique bis incluant
souvent de l'horreur et la ville de Gérardmer dans les Vosges
accueille-t-elle depuis quinze ans un important festival de films fantastiques.
Ouverts à tous mais rassemblant surtout un public d'habitués, ces
différents types d'évènements se conjuguent pour le plus
grand plaisir des fans, participant ainsi à la promotion d'un genre qui
souffre parfois de sa marginalité, tout en continuant de l'entretenir
simultanément.
Si les entreprises de la filière
cinématographique, dont la survie dépend de la
fréquentation et des chiffres de ventes, s'adressent à des
clients amateurs ou passionnés, elles doivent prendre en compte un
certain nombre d'impératifs économiques et prennent plus de
risques que les outils de diffusion précédemment décrits.
Il est souvent affirmé que la réussite d'un film dépend de
son résultat en salles. Or il semble que cet adage soit quelque peu
erroné en ce qui concerne les productions d'horreur. En effet elles ne
réalisent que peu d'entrées dans les salles obscures,
indépendamment de leur nationalité, et attirent rarement
au-delà de 300 000 personnes -ce qui confirme l'étroitesse du
cercle des initiés. En effet, beaucoup d'exploitants se montrent
réticents à programmer ce type de films, notamment au sein des
circuits qui aspirent à toucher un plus large public. Et si les
cinémas indépendants apparaissent comme les plus enclins à
projeter ce genre d'oeuvres, ils n'en sont pas moins limités par
l'exclusion de l'horreur des normes Art et Essai. Cependant, l'entrave
principale réside plutôt dans le secteur de la distribution car la
part des films d'horreur dans le volume global des films distribués se
situe autour de 5%. Cette activité risquée est dominée par
d'importantes firmes d'origine américaine qui s'avèrent les plus
prolifiques en matière d'horreur. Mais cette configuration
n'empêche pas les petits distributeurs de se positionner ponctuellement
sur le genre. En revanche, le monde de l'édition et de la distribution
vidéo semble plus ouvert aux possibilités en matière de
diversité des genres, offertes par l'infériorité des
coûts et les effets de structure. Les supports de consommation
privée que sont les VHS et les DVD -et maintenant de la VaD-
réussissent aux films d'horreur, dont certains titres vont
jusqu'à atteindre plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Ces
produits, qu'ils émanent de
géants de la distribution ou de petits éditeurs
spécialisés -dont la survie est cependant difficile-
s'étalent dans la majorité des enseignes de tous types. Cette
diversité s'éprouve également au sein du média
télévisuel, roi de la consommation de masse au milieu des loisirs
des Français. Si la réglementation imposée par le CSA en
matière d'horaires, de quotas et de signalétique restreint les
possibilités des chaînes généralistes en clair
à diffuser des films d'horreur (bien qu'elles n'en expriment pas
nécessairement le souhait), il semble que les chaînes
dédiées au cinéma y soient plus disposées. Des
programmations spéciales et des chaînes fortement
positionnées (partiellement ou exclusivement) sur ce créneau ont
même vu le jour ces dernières années, grâce au
succès des câbloopérateurs et à la diversité
de l'offre thématique.
La diffusion des films d'horreur s'effectue principalement
à travers des entreprises et des médias de grande consommation,
qui ne sont pas nécessairement disposées à défendre
l'esthétique du genre mais recherchent plutôt un moyen de se
positionner sur le plus grand éventail de styles. Mais la
visibilité de ces films ne dépend pas que des moyens mis en
oeuvre ; de petites structures sociétaires ou associatives contribuent
également, à leur échelle, à la promotion d'un
cinéma qu'ils défendent avec acharnement.
Au-delà des évolutions esthétiques qui
alimentent en renouvellent régulièrement le genre, le
cinéma horrifique a su s'imposer dans le paysage audiovisuel
international, même s'il demeure marginal au sein de la production et de
la distribution française. L'horreur serait de croire qu'en vertu de sa
dimension subversive, le cinéma de genre ne s'intègre pas aux
circuits traditionnels. Culturellement marché de niche,
économiquement marché de masse, les films d'horreur transitent
par différents types de réseaux au sein de la filière
cinématographique, en décrivant le modèle de l'oligopole
à frange, souvent appliqué aux biens culturels. Diverses
pratiques coexistent à l'intérieur du secteur, allant de la
spécialisation, souvent entretenue par des passionnés
bénévoles, à la généralisation, où
les objectifs économiques dictent les engagements artistiques, en
passant par des niveaux intermédiaires s'intercalant entre ces deux
extrêmes. Le modèle français de diffusion de ce
cinéma est maîtrisé par une variété d'acteurs
et touche les masses par l'offre de ses réseaux tout en restant
présenté comme une chapelle, sur l'autel de laquelle des
aficionados n'ont de cesse de sacrifier leur vertu à une cause bien
sanglante, pour un plaisir sans perversité totalement assumé.
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