4.2.3. Une cible marketing ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les
subcultures sont des communautés très organisées et bien
spécifiques. Cependant, l'erreur est de croire que toute
communauté est homogène. Les distinctions apportées
à l'intérieur d'un groupe, entre les pionniers et les suiveurs,
tendent à réduire l'homogénéité de la
communauté en question. Dès lors, comment appréhender ces
interlocuteurs, pour les vendeurs des produits qui sont consommés par
les premiers ? Les différences de motivations des spectateurs obligent
les entreprises de la filière cinématographique à
différencier leurs produits en fonction des publics à atteindre.
La nature du marketing à mettre en oeuvre dépend de la cible
à toucher aussi bien que de l'émetteur de l'offre commerciale.
Cependant, malgré cette
hétérogénéité, il semble que la plupart des
entreprises s'adressent à un public jeune (emploi de l'impératif,
d'un langage familier et de la deuxième personne du singulier dans les
slogans publicitaires). En effet, pour des raisons sociologiques
évoquées, le cinéma d'horreur est supposé
s'adresser aux adolescents, du moins à un public de jeunes adultes. Il
en est de même pour le présupposé masculin, souvent mis en
oeuvre dans les milieux marketing et journalistique. Or de l'avis de tous les
professionnels et observateurs amateurs, les femmes sont de plus en plus
nombreuses à rechercher le spectacle horrifique. En prenant appui sur le
coeur de cible supposé, les entreprises développent le plus
souvent un marketing simple et efficace, révélant la
présence des éléments indispensables aux films d'horreur
sur les affiches, dans les bandes-annonces ou sur les boîtiers des DVD.
Considéré comme un cinéma d'exploitation dans la plupart
de ses réalisations, le marketing tend également à
l'être : « Le visuel prévaut, les séquences se
suffisant à elles-mêmes et se répétant
jusqu'à la fin dans un dénouement inattendu (...). C'est le mal
de la société de consommation du nouveau millénaire : on
veut de l'immédiatement consommable. Pas de préambule, pas de
temps à perdre. L'affiche annonce du sang ? Tant mieux, c'est pour
çà que vient le
1 Or, en prenant appui sur les définitions de
Roland Barthes, Dick Hebdige arrive à la conclusion que le style ne
véhicule aucun signifiant, ce n'est qu'un signifié, qui ne
renferme rien d'autre que la volonté de la différenciation et de
la provocation (« just otherness »)
spectateur1 » assure Jean-Nicolas Berniche.
Jean-Emmanuel Papagno, chef de produit chez TF1 Video affirme la
prégnance d'un marketing sanglant, de goodies qui ravissent les fans. La
commercialisation de nombreux produits dérivés, des tee-shirts
aux figurines, en passant par des tasses et des peluches à l'effigie des
psycho-killers, atteste de la jeunesse supposée de leurs acheteurs.
L'esprit de collection à l'oeuvre chez les fans du genre, et a fortiori
chez tous les cinéphiles, tend à expliquer la production de
coffrets DVD et autres éditions spéciales. Cependant, on remarque
que le positionnement d'un film en salles et sur le marché vidéo
n'est souvent pas le même, permettant ainsi de rectifier un mauvais tir
ou bien de renforcer celui-ci. Cela part du principe que le consommateur de
vidéo est différent de celui de la salle. Or on se rend compte
que les consommateurs assidus de cinéma en salles sont également
ceux qui achètent le plus de DVD2. On croit souvent que les
jeunes se portent plus sur l'achat de vidéos que sur la salle. Or le
développement des cartes illimitées et la
dématérialisation des supports tendent à rectifier un peu
cette donnée. Dès lors comment évaluer la
communauté des fans ? Léna Lutaud affirmait que « De 350 000
passionnés début 2000, les amateurs sont désormais 3
millions, dont un sur deux est âgé de 10 à 25
ans3. » Christophe Lemaire fait quant à lui remarquer
que les vrais fans de fantastique sont peu nombreux ; il les évalue
à un petit groupe d'environ mille personnes en France. Car en effet, la
passion demande beaucoup d'engagement et de temps. Le spectateur fanatique
n'est pas un spectateur passif. Entre ces deux conceptions, il est difficile de
trancher, les études de public étant peu accessibles et
chères. Cependant, au regard des nombreuses observations, d'avis de
professionnels et des statistiques disponibles4, il semble que le
public du cinéma d'horreur recouvre une plage bien plus large que celle
évoquée des 15-25 ans, se situant plutôt dans un ordre de
15-40 ans, réunissant par là plusieurs tranches
générationnelles.
Les spectateurs de films d'horreur, s'ils peuvent
déployer plusieurs attitudes face aux films, allant de l'attirance
voyeuriste et cathartique à l'intérêt réel et
documenté en allant au-delà des effets de la peur,
témoignent tous d'une démarche de provocation. Tant chez les
jeunes, censés être la cible de prédilection de ce
cinéma, que chez les sujets plus âgés et les spectateurs
occasionnels, l'esprit de rébellion est à l'oeuvre. Avec ses
avatars et ses pratiques amateurs, les fans de films d'horreur constituent une
communauté subculturelle qui voue un culte à la transgression
graphique et revendique sa particularité, tout en affichant une
cinéphilie tous azimuts.
1 Jean-Nicolas Berniche, Une petite histoire de
l'horreur, op. cit, annexe n°9, p.25
2 Voir les pratiques vidéo des Français,
Le marché de la vidéo en 2007, CNC
3 Article En France, le marché du film
d'horreur atteint des sommets grâce aux ados par Léna Lutaud,
Le Figaro du 5 février 2008
4 Voir celles fournies par Ketty Beunel à
propos du festival de Gérardmer ( entretien, annexe n°23, p.54)
Les films d'horreur, après un développement
exponentiel puis cyclique au XXe siècle, entretenant des relations avec
d'autres genres cinématographiques, sont régis par un certain
nombre de codes esthétiques et narratifs. Le développement propre
à chaque époque, induisant des règles esthétiques
différentes a produit des styles variés, qui tendent à
s'isoler voire à s'opposer aujourd'hui. Aussi un giallo peut se
rapprocher d'un thriller, mais n'a rien à voir avec un slasher ou un
torture-flick. Les Etats-Unis ont initié le genre et restent les
pionniers de l'innovation comme de l'exploitation, mais ont été
et sont concurrencés sur leur marge par des films baignés d'une
culture nationale ou locale plus prégnante. Certains tendent même
à faire évoluer le genre vers le cinéma d'auteur,
notamment en France où la production, si elle commence à devenir
plus importante, reste tout de même marginale. D'autre part, le
cinéma d'horreur fournit de nombreuses possibilités pour d'autres
genres qui peuvent s'en inspirer. L'horreur est à la fois un genre et un
répertoire. Souvent positionnée sur les adolescents en occultant
les fans nostalgiques, elle s'épanouit dans les esprits rebelles et les
comportements transgressifs. Même les spectateurs du dimanche
développement cette volonté de provocation, qui pour d'autres est
à l'oeuvre quotidiennement. Ces caractéristiques font du public
des films d'horreur une communauté assez codifiée, que l'on peut
qualifier de subculturelle. Or ce schéma normatif peut apparaître
comme un atout mais aussi comme un handicap au renouvellement de ce type de
cinéma. Qualifié souvent de film de genre, en tant que «
cinéma volontairement codifié »1, le
cinéma d'horreur souffre parfois de ses figures imposées. En ce
sens, le cinéma d'horreur, comme tous les cinémas de genre,
apparaît comme un cinéma néo-classique, qui s'inscrit dans
une lignée. Pourtant, beaucoup y voient aussi l'expression d'une
postmodernité comme Isabel Cristina Pinedo. Le nombre de films
fantastiques, de science-fiction ou d'horreur qui peuvent être
qualifiés de postmodernes au regard des critères de ce nouveau
cinéma qui traite des troubles de l'identité, de la distorsion du
temps et de l'espace, sont pour les uns légions, pour d'autres de
simples aberrations. Ce clivage ancestral ne risque pas de prendre fin demain,
mais des auteurs s'intéressent à son histoire et soutiennent sa
richesse.
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1 « C'est quoi un film de genre ? » in
L'appel du 13 juin, op.cit., annexe n°14, p.33
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