PREMIèRE PARTIE
LE CINéMA D'HORREUR
PASSé ET PRéSENT
Le cinéma fantastique, comme la littérature,
est un vivier de monstres et de créatures infernales qui jouent avec les
peurs des humains en invoquant l'au-delà et l'inconnu. En tant que mode
de représentation du réel et de l'irréel, il attire et
intrigue. S'inspirant de l'imaginaire, des croyances, des superstitions et des
mythes, il n'a pas de limite. Son but étant la déstabilisation de
l'audimat recherchant le dépaysement, il s'attache à provoquer
chez ses spectateurs des émotions plus ou moins fortes. Cela est encore
plus prégnant dans le cinéma d'horreur. En respectant les codes
de la littérature et en introduisant un élément
perturbateur (qui peut être un tueur aussi bien qu'un faune), les films
d'horreur distillent une ambiance censée mettre mal à l'aise et
déranger. Cependant, plusieurs genres se distinguent en son sein. Le
fantastique transporte vers d'autres horizons, plus lointains ou plus proches
de ses amateurs. En dehors de cette boîte à outils renfermant
l'imagination et la volonté d'évoluer dans d'autres mondes que le
quotidien, il semble que les films d'horreur soient plus
précisément codifiés et présentent des
schémas narratifs similaires. Pourtant l'horreur peut être
produite de différentes façons et l'histoire du cinéma
prouve que les réalisateurs ne sont jamais à court
d'idées. Pour étudier les divers ressorts du fantastique au
cinéma, il convient d'établir un cadre qui peut tenter de le
définir, malgré les changements incessants dus à
l'inventivité de ses pères. Ses évolutions historiques et
ses diverses ramifications, dont fait sans aucun doute partie l'horreur et ses
nombreux sous-genres, contribuent à façonner encore la
diversité d'un genre hétéroclite et pourtant si
spécifique. Car il y a bien un public qui semble y être
attaché. Et cela n'est pas compris par tous. Comment pouvoir vouloir se
faire peur et regarder des choses proprement horribles (et l'adjectif est de
circonstances)? Les sciences humaines peuvent permettre de fournir quelques
éléments de réponses à cette question, qui n'a pas
encore livré toute sa logique. Tout comme ce qu'elle tend à
présenter, l'horreur cinématographique reste un mystère
pour une partie de l'humanité. C'est ce voile, entre attirance et
répulsion, qui s'exprime aussi bien dans la production que dans la
réception, qu'il faut tenter de lever, en analysant successivement
les
l'oeuvre dans les films d'horreur.
caractéristiques, les évolutions, les
conséquences institutionnelles et la réception à
CHAPITRE 1 : Définir le genre
Pour parler du cinéma d'horreur, il faut d'abord
tenter d'en circonscrire les contours et de donner forme à son contenu.
Partant du fantastique, son nom semble déjà nous dire quelque
chose sur ce qu'il tente de produire chez ses spectateurs. Mais est-ce son but
ultime ? Quels procédés utilise-t-il pour cela ? Quelles sont ses
caractéristiques narratives récurrentes en dehors de
l'épouvante ?
1.1. Tentative de classification, le mal français
Il existe de nombreuses typologies différentes, pas
toutes nécessairement contradictoires, qui tentent d'élaborer
clairement un concept permettant de définir la ou les frontières
entre les différents genres présents dans la grande famille du
cinéma fantastique. Cet exercice est périlleux et peut
aisément varier d'un individu à un autre1. Selon les
époques, le point de vue et la culture des auteurs, les classifications
changent, tronquées par l'évolution des technologies et les
nombreuses sorties de films qui chaque année font bouger les lignes de
démarcation. Jean-Claude Romer, dans un article paru dans le
numéro d'avril 1982 de l'Ecran Fantastique, a tenté
d'établir une première typologie afin d'identifier toutes les
facettes du fantastique au cinéma. Il y distingue 6
catégories2 en se basant principalement sur la combinaison de
deux variables : l'inscription du film dans le réel ou dans le monde
imaginaire et la présence d'éléments probables ou
improbables.
Selon lui il y a tout d'abord le fantastique proprement dit
qui met en scène, dans le monde réel, des créatures
légendaires ou folkloriques (vampires, fantômes, loups-garous,
sorcières, maisons hantées, morts-vivants mais aussi contes de
fées et autres légendes...)3 . Des genres plus
précis apparaissent ensuite : la science-fiction fait intervenir, dans
le monde réel, l'homme dans des évènements incompatibles
avec les lois
1 comme le rappelle Jean-Louis Leutrat :
«définir un genre revient à tracer des frontières qui
permettent d'inclure et d'exclure (...). L'entreprise est hasardeuse car toute
frontière peut être discutée» in Vie des
Fantômes, le fantastique au cinéma, Paris, éd. Les
Cahiers du Cinéma, coll. Essais, 1995, p. 10
2 In Alain Puzzuoli., Jean-Pierre Kremer,
Dictionnaire du fantastique, Paris, éd. Grancher, 1992
3 C'est également ce que Roger Caillois nomme
le « fantastique d'institution » in Au coeur du fantastique
in Cohérences aventureuses, Paris, Gallimard, coll.
Idées, 1976 cité par Jean-Louis Leutrat, op. cit. p. 27-28
de la nature alors que l'anticipation se déroule dans
le monde futur du réel et présente des phénomènes
compatibles avec les lois naturelles. Sur ces deux points, la frontière
tracée semble parfois très mince, l'intrigue de nombreux films de
science-fiction peut être située soit dans le monde futur du
réel sans présenter de caractère anticipatoire ou
eschatologique soit dans un monde imaginaire. L'insolite montre, dans le monde
réel, des phénomènes inhabituels mais compatibles avec les
lois dites naturelles (en ce sens, Freaks de Tod Browning en est un
bon exemple). Quant au merveilleux, il ne se déroule que dans un monde
imaginaire où l'on se trouve en présence de
phénomènes incompatibles avec les lois naturelles (contes de
fées, dessins animés, onirisme, mythologies,...). Enfin
l'épouvante met en scène, dans le monde réel ou de
l'imaginaire, des phénomènes qui tendent à susciter chez
le spectateur certaines réactions physiques ou viscérales dans le
registre de la peur. Si Jean-Claude Romer ne distingue pas l'épouvante
de l'horreur, beaucoup d'autres le font, le deuxième étant
souvent considéré une évolution du premier. Les
émotions fortes ainsi que le rapport à un monde hors du
réel sont une composante déterminante également pour Roger
Caillois dans sa définition du fantastique dit «de parti
pris», intégrant les «oeuvres d'art créées
expressément pour surprendre, pour dérouter le spectateur par
l'invention d'un univers imaginaire où rien ne se présente ni ne
se passe comme dans le monde réel»1. Cette propension
à figurer ou non le réel est donc en débat chez plusieurs
auteurs pour définir le fantastique.
Cette dimension a quelque peu évolué ces
dernières années en ce qui concerne les films d'horreur, la
vraisemblance semblant prendre le pas sur la nature fantastique et surnaturelle
des crimes montrés à l'écran. Clément
Rosset2, privilégie l'inspiration puisée dans le
réel : «Réussissant à évoquer
«l'autre», le cinéma fantastique réussit du même
coup à évoquer le «même» ; à signaler la
singularité du réel dans l'exacte mesure où il excelle
à en suggérer d'éventuelles duplications, de monstrueuses
altérations». Pour lui la source de la peur réside dans les
potentialités du réel exploitées par le fantastique, non
dans une production, d'un monde imaginaire détaché de tout lien
à la réalité (qui est à l'oeuvre dans le
merveilleux par exemple). En effet, l'idée de l'altérité
est en jeu, suscitant la méfiance et/ou la peur chez l'homme
d'après la conception de l'état de nature chez Rousseau. Ce
traitement est un des thèmes centraux de la narration fantastique et
horrifique, comme en atteste le titre du chapitre cinq du livre de Peter
Hutchings3, «dealing with difference». Cette
dernière catégorie, sur laquelle se concentre plus
particulièrement cette étude, peut évidemment
intégrer des éléments d'autres catégories
décrites
1 Roger Caillois, op. cit. in Jean-Louis Leutrat, op.
cit. p. 27-28
2 Clément Rosset, L'Objet Singulier,
Paris, éditions de Minuit, coll. Critique, 1985 (1e
édition 1979), p. 45 3Peter Hutchings, The Horror
Film, Harlow (England), Pearson Editions, Inside Film series, 2004
précédemment ; Le Labyrinthe de Pan de
Guillermo del Toro intègre à la fois des éléments
merveilleux et d'épouvante, Underworld de Len Wiseman
apparaît comme un film fantastique proprement dit (puisqu'il fait
intervenir des vampires) autant que comme un film de science-fiction. Et nous
pourrions citer encore beaucoup d'exemples qui transcendent les genres, qui
ébauchent d'autres définitions. C'est une habitude très
française, héritée de la pensée rationaliste des
Lumières et de ses velléités encyclopédiques (des
classifications biologistes de Buffon, chimistes de Lavoisier ou encore
littéraires et artistiques des différentes académies) et
du XIXe siècle (notamment le positivisme d'Auguste Comte) de
prétendre tout ranger dans des catégories plus ou moins
précises. Or aujourd'hui, à notre époque de rebellion et
d'anti-académisme forcé par l'art et l'évolution des
comportements sociaux dans cette deuxième moitié du XXe
siècle, le propre de toute classification n'est-il pas d'être sans
cesse bouleversé ? De plus, concernant le cinéma, chaque fan ou
critique entend se faire sa propre idée de ce que représente ou
doit être un film d'horreur, en décrétant toute typologie
préalable non viable, comme le souligne Peter Hutchings1.
Chacun peut aspirer à donner son avis et que celui-ci soit pris en
compte, approuvé ou contesté par un autre individu ou un groupe
d'individus échangeant à propos d'un sujet dont chacun se
considère comme un spécialiste. Cette contribution, essentielle
pour comprendre le phénomène social engendré par les films
d'horreur, semble mal s'accomoder des classifications
pré-établies, que ce soit par conviction ou par simple esprit de
contradiction. C'est là toute la difficulté de tenter de
définir un terme protéiforme. Pour résumer, il n'y a pas
que de l'horreur dans l'horreur, et pourtant il apparaît comme un genre
bien précis pour ceux qui le soutiennent.
Alien de Ridley Scott (1979)
1 «Critics do not simply assume or rely upon a
pre-existing, well-established group of films when they write about horror but
instead will often work to shape a group of films, including some and excluding
others, in order to produce their own particular idea of what horror is»
in The Horror Film, op. cit. p. 2-3
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