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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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PREMIèRE PARTIE

LE CINéMA D'HORREUR

PASSé ET PRéSENT

Le cinéma fantastique, comme la littérature, est un vivier de monstres et de créatures infernales qui jouent avec les peurs des humains en invoquant l'au-delà et l'inconnu. En tant que mode de représentation du réel et de l'irréel, il attire et intrigue. S'inspirant de l'imaginaire, des croyances, des superstitions et des mythes, il n'a pas de limite. Son but étant la déstabilisation de l'audimat recherchant le dépaysement, il s'attache à provoquer chez ses spectateurs des émotions plus ou moins fortes. Cela est encore plus prégnant dans le cinéma d'horreur. En respectant les codes de la littérature et en introduisant un élément perturbateur (qui peut être un tueur aussi bien qu'un faune), les films d'horreur distillent une ambiance censée mettre mal à l'aise et déranger. Cependant, plusieurs genres se distinguent en son sein. Le fantastique transporte vers d'autres horizons, plus lointains ou plus proches de ses amateurs. En dehors de cette boîte à outils renfermant l'imagination et la volonté d'évoluer dans d'autres mondes que le quotidien, il semble que les films d'horreur soient plus précisément codifiés et présentent des schémas narratifs similaires. Pourtant l'horreur peut être produite de différentes façons et l'histoire du cinéma prouve que les réalisateurs ne sont jamais à court d'idées. Pour étudier les divers ressorts du fantastique au cinéma, il convient d'établir un cadre qui peut tenter de le définir, malgré les changements incessants dus à l'inventivité de ses pères. Ses évolutions historiques et ses diverses ramifications, dont fait sans aucun doute partie l'horreur et ses nombreux sous-genres, contribuent à façonner encore la diversité d'un genre hétéroclite et pourtant si spécifique. Car il y a bien un public qui semble y être attaché. Et cela n'est pas compris par tous. Comment pouvoir vouloir se faire peur et regarder des choses proprement horribles (et l'adjectif est de circonstances)? Les sciences humaines peuvent permettre de fournir quelques éléments de réponses à cette question, qui n'a pas encore livré toute sa logique. Tout comme ce qu'elle tend à présenter, l'horreur cinématographique reste un mystère pour une partie de l'humanité. C'est ce voile, entre attirance et répulsion, qui s'exprime aussi bien dans la production que dans la réception, qu'il faut tenter de lever, en analysant successivement les

l'oeuvre dans les films d'horreur.

caractéristiques, les évolutions, les conséquences institutionnelles et la réception à

CHAPITRE 1 : Définir le genre

Pour parler du cinéma d'horreur, il faut d'abord tenter d'en circonscrire les contours et de donner forme à son contenu. Partant du fantastique, son nom semble déjà nous dire quelque chose sur ce qu'il tente de produire chez ses spectateurs. Mais est-ce son but ultime ? Quels procédés utilise-t-il pour cela ? Quelles sont ses caractéristiques narratives récurrentes en dehors de l'épouvante ?

1.1. Tentative de classification, le mal français

Il existe de nombreuses typologies différentes, pas toutes nécessairement contradictoires, qui tentent d'élaborer clairement un concept permettant de définir la ou les frontières entre les différents genres présents dans la grande famille du cinéma fantastique. Cet exercice est périlleux et peut aisément varier d'un individu à un autre1. Selon les époques, le point de vue et la culture des auteurs, les classifications changent, tronquées par l'évolution des technologies et les nombreuses sorties de films qui chaque année font bouger les lignes de démarcation. Jean-Claude Romer, dans un article paru dans le numéro d'avril 1982 de l'Ecran Fantastique, a tenté d'établir une première typologie afin d'identifier toutes les facettes du fantastique au cinéma. Il y distingue 6 catégories2 en se basant principalement sur la combinaison de deux variables : l'inscription du film dans le réel ou dans le monde imaginaire et la présence d'éléments probables ou improbables.

Selon lui il y a tout d'abord le fantastique proprement dit qui met en scène, dans le monde réel, des créatures légendaires ou folkloriques (vampires, fantômes, loups-garous, sorcières, maisons hantées, morts-vivants mais aussi contes de fées et autres légendes...)3 . Des genres plus précis apparaissent ensuite : la science-fiction fait intervenir, dans le monde réel, l'homme dans des évènements incompatibles avec les lois

1 comme le rappelle Jean-Louis Leutrat : «définir un genre revient à tracer des frontières qui permettent d'inclure et d'exclure (...). L'entreprise est hasardeuse car toute frontière peut être discutée» in Vie des Fantômes, le fantastique au cinéma, Paris, éd. Les Cahiers du Cinéma, coll. Essais, 1995, p. 10

2 In Alain Puzzuoli., Jean-Pierre Kremer, Dictionnaire du fantastique, Paris, éd. Grancher, 1992

3 C'est également ce que Roger Caillois nomme le « fantastique d'institution » in Au coeur du fantastique in Cohérences aventureuses, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1976 cité par Jean-Louis Leutrat, op. cit. p. 27-28

de la nature alors que l'anticipation se déroule dans le monde futur du réel et présente des phénomènes compatibles avec les lois naturelles. Sur ces deux points, la frontière tracée semble parfois très mince, l'intrigue de nombreux films de science-fiction peut être située soit dans le monde futur du réel sans présenter de caractère anticipatoire ou eschatologique soit dans un monde imaginaire. L'insolite montre, dans le monde réel, des phénomènes inhabituels mais compatibles avec les lois dites naturelles (en ce sens, Freaks de Tod Browning en est un bon exemple). Quant au merveilleux, il ne se déroule que dans un monde imaginaire où l'on se trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les lois naturelles (contes de fées, dessins animés, onirisme, mythologies,...). Enfin l'épouvante met en scène, dans le monde réel ou de l'imaginaire, des phénomènes qui tendent à susciter chez le spectateur certaines réactions physiques ou viscérales dans le registre de la peur. Si Jean-Claude Romer ne distingue pas l'épouvante de l'horreur, beaucoup d'autres le font, le deuxième étant souvent considéré une évolution du premier. Les émotions fortes ainsi que le rapport à un monde hors du réel sont une composante déterminante également pour Roger Caillois dans sa définition du fantastique dit «de parti pris», intégrant les «oeuvres d'art créées expressément pour surprendre, pour dérouter le spectateur par l'invention d'un univers imaginaire où rien ne se présente ni ne se passe comme dans le monde réel»1. Cette propension à figurer ou non le réel est donc en débat chez plusieurs auteurs pour définir le fantastique.

Cette dimension a quelque peu évolué ces dernières années en ce qui concerne les films d'horreur, la vraisemblance semblant prendre le pas sur la nature fantastique et surnaturelle des crimes montrés à l'écran. Clément Rosset2, privilégie l'inspiration puisée dans le réel : «Réussissant à évoquer «l'autre», le cinéma fantastique réussit du même coup à évoquer le «même» ; à signaler la singularité du réel dans l'exacte mesure où il excelle à en suggérer d'éventuelles duplications, de monstrueuses altérations». Pour lui la source de la peur réside dans les potentialités du réel exploitées par le fantastique, non dans une production, d'un monde imaginaire détaché de tout lien à la réalité (qui est à l'oeuvre dans le merveilleux par exemple). En effet, l'idée de l'altérité est en jeu, suscitant la méfiance et/ou la peur chez l'homme d'après la conception de l'état de nature chez Rousseau. Ce traitement est un des thèmes centraux de la narration fantastique et horrifique, comme en atteste le titre du chapitre cinq du livre de Peter Hutchings3, «dealing with difference». Cette dernière catégorie, sur laquelle se concentre plus particulièrement cette étude, peut évidemment intégrer des éléments d'autres catégories décrites

1 Roger Caillois, op. cit. in Jean-Louis Leutrat, op. cit. p. 27-28

2 Clément Rosset, L'Objet Singulier, Paris, éditions de Minuit, coll. Critique, 1985 (1e édition 1979), p. 45 3Peter Hutchings, The Horror Film, Harlow (England), Pearson Editions, Inside Film series, 2004

précédemment ; Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro intègre à la fois des éléments merveilleux et d'épouvante, Underworld de Len Wiseman apparaît comme un film fantastique proprement dit (puisqu'il fait intervenir des vampires) autant que comme un film de science-fiction. Et nous pourrions citer encore beaucoup d'exemples qui transcendent les genres, qui ébauchent d'autres définitions. C'est une habitude très française, héritée de la pensée rationaliste des Lumières et de ses velléités encyclopédiques (des classifications biologistes de Buffon, chimistes de Lavoisier ou encore littéraires et artistiques des différentes académies) et du XIXe siècle (notamment le positivisme d'Auguste Comte) de prétendre tout ranger dans des catégories plus ou moins précises. Or aujourd'hui, à notre époque de rebellion et d'anti-académisme forcé par l'art et l'évolution des comportements sociaux dans cette deuxième moitié du XXe siècle, le propre de toute classification n'est-il pas d'être sans cesse bouleversé ? De plus, concernant le cinéma, chaque fan ou critique entend se faire sa propre idée de ce que représente ou doit être un film d'horreur, en décrétant toute typologie préalable non viable, comme le souligne Peter Hutchings1. Chacun peut aspirer à donner son avis et que celui-ci soit pris en compte, approuvé ou contesté par un autre individu ou un groupe d'individus échangeant à propos d'un sujet dont chacun se considère comme un spécialiste. Cette contribution, essentielle pour comprendre le phénomène social engendré par les films d'horreur, semble mal s'accomoder des classifications pré-établies, que ce soit par conviction ou par simple esprit de contradiction. C'est là toute la difficulté de tenter de définir un terme protéiforme. Pour résumer, il n'y a pas que de l'horreur dans l'horreur, et pourtant il apparaît comme un genre bien précis pour ceux qui le soutiennent.

Alien de Ridley Scott (1979)

1 «Critics do not simply assume or rely upon a pre-existing, well-established group of films when they write about horror but instead will often work to shape a group of films, including some and excluding others, in order to produce their own particular idea of what horror is» in The Horror Film, op. cit. p. 2-3

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