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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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AVANT-PROPOS

Lorsque j'ai choisi mon sujet de mémoire, je n'avais aucun bagage dans ce domaine et mon intérêt n'était qu'amateur car je n'avais jamais pensé à transformer ma passion pour les films d'horreur en objectif professionnel. Me lancer dans cette étude représentait à la fois un défi et une provocation latente. En effet, comme j'ai pu le constater au cours de mes rencontres, une jeune femme appréciant les films d'horreur, cela en surprend plus d'un. Sans féminisme aucun, mais motivée par ma curiosité et mon enthousiasme, j'ai mis un pied dans un monde fantastique, et l'adjectif est de circonstances.

Le cinéma fantastique est un genre qui regorge de potentialités, qui ne trouve sa limite que dans l'imaginaire humain, d'une fertilité débordante. Eprise de littérature, je lisais avec passion les nouvelles de Maupassant, de Poe ou de Barbey d'Aurévilly, tout comme les polars sanglants de la bibliothèque maternelle. Or les films ont cette capacité d'immersion dans un univers que seule l'imagination arrive à façonner entre les lignes d'un texte. J'ai ainsi appris à découvrir des chefs-d'oeuvre autant que des navets et à apprécier plus certains aspects que d'autres. C'est un genre qui reflète toutes les potentialités du cinéma et peut toutes les regrouper en son sein. Les maîtres que sont Hitchcock, Cronenberg, Scott, Romero ou encore Carpenter l'ont bien compris et leurs films, dépréciés par leur dimension fantastique et horrifique, sont néanmoins entrés dans l'histoire du cinéma qui les reconnaît comme cultes.

Le temps fait souvent évoluer les mentalités et révèle les qualités et les défauts des choses et des individus. Mes hypothèses de départ ne seraient probablement pas les mêmes dans un dizaine ou une vingtaine d'années. Elles sont le reflet d'une certaine culture cinématographique qui est aussi perceptible chez une jeune génération de fans qui n'ont pas encore dépassé le quart de siècle, fascinée par les cinémas de quartiers qu'elle n'a pas connu et les vidéoclubs qu'elle a vu fermer. Je ne pars pas en croisade pour redorer le blason du cinéma d'horreur, cette bataille n'a pas lieu d'être. J'ai tenté de mettre en évidence de façon la plus objective possible les contradictions, les évolutions et les traitements qui sont à l'oeuvre dans ces films et leur diffusion auprès des différents types de publics.

Plan synthétique

Première partie : Le cinéma d'horreur, passé et présent

Chapitre 1 : Définir le genre

Chapitre 2 : Identification de l'objet : un corps évolutif doté de nombreux tentacules

Chapitre 3 : L'exemple français, entre attirance et répulsion

Chapitre 4 : En chair et en os : le public des films d'horreur

Deuxième partie : Les principaux réseaux de diffusion en France : quel modèle socio-économique pour les films d'horreur ?

Chapitre 1 : Les avatars de la communauté

Chapitre 2 : Les réseaux classiques de la filière cinématographique

TABLE DES MATIERES détaillée en fin de mémoire

Les individus ont besoin de rêves. Dans un monde globalisé où les frontières ont sans cesse été repoussées voire détruites, l'imaginaire se porte vers d'autres horizons. Des conquistadors à la conquête de l'espace, les hommes ont voulu repousser les limites spatiales et temporelles. Ces découvertes d'un autre monde ont aboli la conception de la frontière terrestre, qui n'est dès lors plus une barrière en soi. Le Styx peut désormais être franchi, à la manière de l'Amazone. Mais la fascination demeure ; les bois, les déserts, les montagnes, les étendues glacées continuent de susciter la curiosité. Dans les années 1950, la progression américaine dans le far west a engendré toute une série de films portant sur cet univers aride, où les comportements humains le sont tout autant. A l'heure d'Internet et de la mondialisation, si les voyages lointains continuent d'attirer, il semble que plus rien ne soit impossible. Le cinéma a su développer une esthétique de la limite et tenter d'approcher ce qu'il y a de l'autre côté du miroir. Si la fascination de l'autre et de l'inconnu éprouve notre curiosité, la recherche d'univers parallèles est particulièrement vivace. Et les arts peuvent contribuer à la satisfaire. En tant qu'accessoires indispensables à un épanouissement personnel et social, qu'expression d'une contemporanéité historique, de reflet des mentalités, ils ont un pouvoir incommensurable. La séduction artistique s'effectue tant à travers la proximité qu'à travers l'altérité et l'inconnu. En tant que miroir de l'homme et de son imagination, le cinéma propose à notre vue «un monde qui se substitue à nos désirs», comme l'affirmait Jean-Luc Godard en introduction du Mépris (1963). De manière avouée ou non le cinéma attire en tant que puissance de représentation du réel comme de l'irréel. En ce sens, il comporte intrinsèquement une dimension spectaculaire, qui n'a de cesse d'émerveiller les individus depuis les ombres chinoises jusqu'à la 3D Relief. C'est une fabrique de rêves. La ritualisation de la séance de cinéma, malgré la récente sédentarisation du spectateur et les nouvelles pratiques qui découlent du développement des bouquets télévisuels, du DVD et de la VOD, demeure un bon exemple attestant de ce caractère exceptionnel lié à l'oeuvre cinématographique. Aussi c'est le dispositif cinématographique lui-même qui peut être qualifié de «fantastique», en-deçà de son découpage ultérieur en genres. Lorsque les frères Lumière présentent le 6 janvier 1896, L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat, il ne s'agit pas d'un sujet qui a de quoi effrayer, mais la nouveauté de la technique a pu paraître si spectaculaire qu'elle en devenait improbable, inintelligible, angoissante. En effet, rendre vivant un aplat photographique, reproduire les mouvements décomposés par Maret ou Muybridge, saisir le souffle vital sur une pellicule pour ensuite la projeter devant une assistance : cela n'a-t-il rien de fantastique, dans les deux sens que ce mot peut revêtir ? D'autre part, n'oublions pas que le cinéma, s'il est davantage considéré aujourd'hui dans son aspect industriel, artistique et technique, était avant tout un art du spectacle. Les nombreux acteurs de sa popularité croissante étaient des forains, comme

l'était Goerges Meliès, auquel la cinémathèque vient de consacrer une grande rétrospective ainsi qu'une exposition, dont les centaines de saynètes firent le bonheur des spectateurs du début du siècle.

Le fantastique est donc à l'origine du cinéma. Or cette famille ne lui a pas toujours bien rendu grâce. Souvent méprisé, contesté et censuré depuis le début de son apparition, à la différence de la littérature qui l'a inspiré, le cinéma fantastique est pourtant consubstantiel à la naissance du cinématographe et inhérent à sa réussite. En tant qu'irruption d'un irréel déstabilisant dans l'édifice culturel réel, il peut se concevoir comme une atteinte à l'ordre et à la pensée rationnelle prônée depuis l'Antiquité. Modulé par la subjectivité du lecteur ou du spectateur, le fantastique tente cependant de dépasser le traditionnel clivage entre le bien et le mal, tout en reproduisant des codes réels dans un monde irrationnel. Puisant dans l'imaginaire populaire, source intarissable de peurs et de mythes enrichis par chaque époque et chaque société, le genre fantastique a toujours existé au cinéma, malgré les fluctuations liées à l'évolution des modes et des goûts, à la virulence des critiques à son encontre ou encore aux innovations diverses comme le développement du parlant -une «innovation architecturale» ayant modifié les comportements de la filière toute entière. Si le fantastique a pu acquérir une légitimité, souvent directement due à ses liens avec la littérature, il n'en est pas de même pour le cinéma d'horreur. Au sein du fantastique, celui-ci apparaît comme une évolution terminologique du cinéma dit d'épouvante, basé essentiellement sur les réactions sensorielles du public aux images projetées, censées déclencher l'angoisse et la peur. En s'inspirant notamment de classiques de la littérature fantastique du XIXe siècle, il acquit sa renommée dans le premier tiers du XXe siècle, à un moment où la volonté d'intellectualiser le cinéma et d'en faire un art à proprement parler était en train d'émerger ; le mouvement expressionniste voyait dans le cinéma un moyen de refléter l'angoisse latente dans la société de l'entre-deux guerres en faisant appel au figures fantastiques. Cette esthétisation du 7e art figurait aussi la marginalisation de tout ce qui n'était pas compris dans cette démarche ; la logique industrielle des studios américains étant vivement dévalorisée en France. En effet, déjà à cette époque, le cinéma hollywoodien essuyait oppositions et critiques acerbes, comme celle de George Duhamel, qui, fustigeant ce mass media, se serait à coup sûr ultérieurement réjoui des réalisations issues de la Nouvelle Vague. Le comportement consumériste des spectateurs à l'égard d'un film de cinéma représentait pour les tenants de la légitimité artistique et intellectuelle du temps (qui dénonçaient l'immédiateté de la réception cinématographique, «la

réception tacite» décrite par Walter Benjamin1) un non-sens. Comme la photographie, que Baudelaire méprisait alors-même qu'il se voulait parfaitement incarner le portrait de l'homme moderne, le film de cinéma n'était pas encore reconnu comme un bien culturel. Aussi le cinématographe, pourtant de conception française, se trouva-t-il longtemps marginalisé par l'élite de son propre pays natal. C'est pourquoi le cinéma fut et est toujours en France un art controversé, oscillant entre trivialité et intellectualisme, entre tentation de l'entertainement et affirmation de l'auteur. Il est amusant de constater qu'un siècle plus tard, la bataille entre ces deux tendances du cinéma, l'art et l'industrie, n'a toujours pas pris fin. Car si le cinéma français se porte bien et demeure largement en tête des réalisations européennes, il est en partie subventionné par les taxes prélevées sur les entrées des films étrangers, et en particulier américains. Le cinéma d'auteur, qui fait la renommée mondiale du cinéma français est toujours perçu comme plus noble face aux divertissements provenant des studios d'outre-Atlantique. La domination des films en provenance des Etats-Unis, grâce à la puissance financière et marketing de son industrie est souvent pointée du doigt comme un gage de moindre qualité et de rentabilité économique, moins que de visibilité artistique. Pourtant, la France possède une industrie cinématographique, produit des films à gros budget et compte de nombreuses entreprises d'envergure internationale. Le festival de Cannes peut paraître autant tourné vers les petits films que vers les plus importants. Or c'est dans la diversité que s'épanouit l'art. La production cinématographique, si elle est dictée par des impératifs économiques, est avant tout une activité de rencontre d'une audience par une double satisfaction ; celle de l'émetteur et du récepteur de l'objet filmique. Par sa dimension spectaculaire et son histoire, le cinéma d'horreur semble être un lieu privilégié de cristallisation de cette opposition perpétuelle.

Et c'est bien cette double dimension qui rend le genre problématique. Des grands noms comme Alfred Hitchcock ou Dario Argento sont aujourd'hui entrés dans l'histoire du cinéma alors qu'ils faisaient partie d'un genre déprécié en France. Aujourd'hui les films d'horreur semblent être (re)devenus à la mode, cette tendance décrivant un mouvement cyclique, alternant entre des périodes d'opprobre et des périodes de gloire. Le phénomène s'étale sur les petits et grands écrans, provoquant des réactions d'opposition de la part des plus conservateurs et agitation dans la sphère institutionnelle. Car la surmédiatisation des phénomènes violents inquiète, et elle ne saurait se comprendre comme un plaisir. Or beaucoup ont vu dans les films d'horreur des messages à caractère incitatif, comme en ont également été soupçonnées les musiques extrêmes.

1 In L 'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, version de 1939, in Sur l'art et la photographie, Paris, éditions Carré, coll. Arts et esthétique, 1997

En clair ils dérangent. Le déferlement de violence, de crimes et de perversité, récurrent dans les films d'horreur -qu'il soit montré ou simplement suggéré- n'est pas du goût des défenseurs du jeune public, qu'ils tendent à progéter contre cela. Dès lors les amateurs du genre sont perçus comme des brutes sanguinaires ou des dégénérés. Les liens avec l'industrie pornographique demeurent pourtant rares, malgré la fusion établie par quelques réalisateurs1. Mais les tendances d'opinion ont la vie lourde. Aimer les films d'horreur, et encore plus en réaliser ou en produire, est un credo, qui se conçoit difficilement dans la vie sociale. Qui n'a jamais été étonné en entendant quelqu'un raconter sa délectation face à un film sanglant ? Le film d'horreur est un peu comme un secret, qui serait partagé par un certain nombre de spectateurs. Au regard de ces critiques et de ces préjugés, il semble donc que ces films soient les attributs d'un petit nombre de fans. Or la culture légitime n'est pas toujours celle de la majorité numérique. L'attirance qu'ils suscitent tend cependant à démontrer qu'une autre logique est à l'oeuvre, tant dans sa diffusion que dans sa réception. Car si pendant longtemps la censure a évité les effusions de sang sur les écrans, elles sont désormais légion et font la réputation sulfureuse du genre.

Face à cette prolfération apparente, il convient de se demander si le film d'horreur n'est pas aujourd'hui qu'un simple produit de grande consommation ou s'il perpétue une certaine culture propre à définir un groupe d'individus qui l'apprécie, à travers différents types de médias et de supports de communication. Cette question est particulièrement intéressante dans le cas français, au regard du dualisme à l'oeuvre dans l'ensemble de la filière cinématographique hexagonale. Le choix de cet angle d'étude semblait intéressant dans la mesure où, en dehors des analyses précises sur les films eux-mêmes ou sur un genre en particulier, l'intérêt pour la diffusion précise de ce type de films en France est peu vivace. Ils sont immédiatement désignés comme étant à la solde des productions anglo-saxonnes et n'attirent que très peu les auteurs. Pour preuve, les ouvrages français dédiés au cinéma d'horreur dans les bibliothèques (même à la Cinémathèque Française !) doivent s'estimer à une dizaine depuis une trentaine d'années, alors que les livres anglophones ne se comptent même plus. La récente publication de quelques titres suppose néanmoins que les choses sont en train d'évoluer. La présence du film d'horreur comme objet d'intérêt universitaire ne doit plus être mise en cause. Chaque phénomène ayant des implications directes dans la société est susceptible d'être couvert de différentes manières par l'analyse scientifique.

1 Nous pensons à Jean Rollin mais aussi et surtout à Jess Franco, dont les oeuvres seront évoquées plus loin

C'est donc pour tenter de faire sortir le cinéma d'horreur de son ombre, sans toutefois paraître trop partisan, que ce travail a été mené, s'insérant dans un débat très actuel autour du cinéma de genre national qui revendique sa place légitime aux côtés des autres genres.

La première partie de cette étude tend à mettre en lumière les caractéristiques du cinéma d'horreur, tout en laissant l'analyse filmique pure de côté. A travers des appuis littéraires et critiques, une tentative de définition peut être ébauchée et ses codes mis en valeur, en partant de la source-mère, le fantastique. Malgré la difficulté de définir un genre protéiforme, il semble que les films d'horreur soient pourtant aisément identifiables. Les évolutions qu'il a subies tout au long du XXe siècle ont contribué à façonner un genre aux mille facettes, attirant un certain type de public, qui exige à la fois innovation et respect des codes. Au-delà des évolutions historiques et esthétiques, s'intéresser aux considérations économiques, aux politiques éditoriales et à la réglementation en vigueur semble être un point essentiel pour comprendre la démarche qui est à l'oeuvre dans la diffusion de ces films en France. C'est ce que la deuxième partie de cette analyse s'attache à déterminer, à travers les différents médias par lesquels transitent les films et leurs amateurs. Car ce cinéma de genre, qui a su s'affirmer sur le marché cinématographique mondial tout en conservant une dimension subversive assez prégnante, semble bien se porter au regard du marché global. Dès lors comment s'effectue cet arbitrage subtil entre provocation du contenu et recherche de visibilité, dans un milieu où la rentabilité n'est pas toujours au rendez-vous ? S'insèrent-ils dans un schéma de grande consommation, touchant par là un public assoiffé de divertissement sanguinolent ou présentent-ils des velléités culturelles fortes, aptes à transiter par des réseaux de diffusion spécialisés, à destination d'un public d'initiés ? A partir de ces données, une idée du modèle socio-économique des films d'horreur peut prendre forme, malgré la difficulté éprouvée à rassembler des données sur les chiffres d'affaires réels ou le volume des ventes réalisées par les entreprises du secteur. Il est néanmoins possible d'identifier les différents débouchés qui s'offrent aux films d'horreur, des plus artisanaux aux plus médiatiques. A travers des entretiens d'acteurs du milieu cinématographique, des articles de journaux, des observations participatives, des statistiques et des études établies par les institutions, le business model français des films d'horreur tend à émerger afin de mieux saisir les enjeux de sa diffusion sur notre territoire.

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