AVANT-PROPOS
Lorsque j'ai choisi mon sujet de mémoire, je n'avais aucun
bagage dans ce domaine et mon intérêt n'était qu'amateur
car je n'avais jamais pensé à transformer ma passion pour les
films d'horreur en objectif professionnel. Me lancer dans cette étude
représentait à la fois un défi et une provocation latente.
En effet, comme j'ai pu le constater au cours de mes rencontres, une jeune
femme appréciant les films d'horreur, cela en surprend plus d'un. Sans
féminisme aucun, mais motivée par ma curiosité et mon
enthousiasme, j'ai mis un pied dans un monde fantastique, et l'adjectif est de
circonstances.
Le cinéma fantastique est un genre qui regorge de
potentialités, qui ne trouve sa limite que dans l'imaginaire humain,
d'une fertilité débordante. Eprise de littérature, je
lisais avec passion les nouvelles de Maupassant, de Poe ou de Barbey
d'Aurévilly, tout comme les polars sanglants de la bibliothèque
maternelle. Or les films ont cette capacité d'immersion dans un univers
que seule l'imagination arrive à façonner entre les lignes d'un
texte. J'ai ainsi appris à découvrir des chefs-d'oeuvre autant
que des navets et à apprécier plus certains aspects que d'autres.
C'est un genre qui reflète toutes les potentialités du
cinéma et peut toutes les regrouper en son sein. Les maîtres que
sont Hitchcock, Cronenberg, Scott, Romero ou encore Carpenter l'ont bien
compris et leurs films, dépréciés par leur dimension
fantastique et horrifique, sont néanmoins entrés dans l'histoire
du cinéma qui les reconnaît comme cultes.
Le temps fait souvent évoluer les mentalités et
révèle les qualités et les défauts des choses et
des individus. Mes hypothèses de départ ne seraient probablement
pas les mêmes dans un dizaine ou une vingtaine d'années. Elles
sont le reflet d'une certaine culture cinématographique qui est aussi
perceptible chez une jeune génération de fans qui n'ont pas
encore dépassé le quart de siècle, fascinée par les
cinémas de quartiers qu'elle n'a pas connu et les vidéoclubs
qu'elle a vu fermer. Je ne pars pas en croisade pour redorer le blason du
cinéma d'horreur, cette bataille n'a pas lieu d'être. J'ai
tenté de mettre en évidence de façon la plus objective
possible les contradictions, les évolutions et les traitements qui sont
à l'oeuvre dans ces films et leur diffusion auprès des
différents types de publics.
Plan synthétique
Première partie : Le cinéma d'horreur,
passé et présent
Chapitre 1 : Définir le genre
Chapitre 2 : Identification de l'objet : un corps
évolutif doté de nombreux tentacules
Chapitre 3 : L'exemple français, entre attirance et
répulsion
Chapitre 4 : En chair et en os : le public des films
d'horreur
Deuxième partie : Les principaux réseaux de
diffusion en France : quel modèle socio-économique pour les films
d'horreur ?
Chapitre 1 : Les avatars de la communauté
Chapitre 2 : Les réseaux classiques de la
filière cinématographique
TABLE DES MATIERES détaillée en fin de
mémoire
Les individus ont besoin de rêves. Dans un monde
globalisé où les frontières ont sans cesse
été repoussées voire détruites, l'imaginaire se
porte vers d'autres horizons. Des conquistadors à la conquête de
l'espace, les hommes ont voulu repousser les limites spatiales et temporelles.
Ces découvertes d'un autre monde ont aboli la conception de la
frontière terrestre, qui n'est dès lors plus une barrière
en soi. Le Styx peut désormais être franchi, à la
manière de l'Amazone. Mais la fascination demeure ; les bois, les
déserts, les montagnes, les étendues glacées continuent de
susciter la curiosité. Dans les années 1950, la progression
américaine dans le far west a engendré toute une série de
films portant sur cet univers aride, où les comportements humains le
sont tout autant. A l'heure d'Internet et de la mondialisation, si les voyages
lointains continuent d'attirer, il semble que plus rien ne soit impossible. Le
cinéma a su développer une esthétique de la limite et
tenter d'approcher ce qu'il y a de l'autre côté du miroir. Si la
fascination de l'autre et de l'inconnu éprouve notre curiosité,
la recherche d'univers parallèles est particulièrement vivace. Et
les arts peuvent contribuer à la satisfaire. En tant qu'accessoires
indispensables à un épanouissement personnel et social,
qu'expression d'une contemporanéité historique, de reflet des
mentalités, ils ont un pouvoir incommensurable. La séduction
artistique s'effectue tant à travers la proximité qu'à
travers l'altérité et l'inconnu. En tant que miroir de l'homme et
de son imagination, le cinéma propose à notre vue «un monde
qui se substitue à nos désirs», comme l'affirmait Jean-Luc
Godard en introduction du Mépris (1963). De manière
avouée ou non le cinéma attire en tant que puissance de
représentation du réel comme de l'irréel. En ce sens, il
comporte intrinsèquement une dimension spectaculaire, qui n'a de cesse
d'émerveiller les individus depuis les ombres chinoises jusqu'à
la 3D Relief. C'est une fabrique de rêves. La ritualisation de la
séance de cinéma, malgré la récente
sédentarisation du spectateur et les nouvelles pratiques qui
découlent du développement des bouquets
télévisuels, du DVD et de la VOD, demeure un bon exemple
attestant de ce caractère exceptionnel lié à l'oeuvre
cinématographique. Aussi c'est le dispositif cinématographique
lui-même qui peut être qualifié de «fantastique»,
en-deçà de son découpage ultérieur en genres.
Lorsque les frères Lumière présentent le 6 janvier 1896,
L'arrivée d'un train en gare de la Ciotat, il ne s'agit pas
d'un sujet qui a de quoi effrayer, mais la nouveauté de la technique a
pu paraître si spectaculaire qu'elle en devenait improbable,
inintelligible, angoissante. En effet, rendre vivant un aplat photographique,
reproduire les mouvements décomposés par Maret ou Muybridge,
saisir le souffle vital sur une pellicule pour ensuite la projeter devant une
assistance : cela n'a-t-il rien de fantastique, dans les deux sens que ce mot
peut revêtir ? D'autre part, n'oublions pas que le cinéma, s'il
est davantage considéré aujourd'hui dans son aspect industriel,
artistique et technique, était avant tout un art du spectacle. Les
nombreux acteurs de sa popularité croissante étaient des forains,
comme
l'était Goerges Meliès, auquel la
cinémathèque vient de consacrer une grande rétrospective
ainsi qu'une exposition, dont les centaines de saynètes firent le
bonheur des spectateurs du début du siècle.
Le fantastique est donc à l'origine du cinéma.
Or cette famille ne lui a pas toujours bien rendu grâce. Souvent
méprisé, contesté et censuré depuis le début
de son apparition, à la différence de la littérature qui
l'a inspiré, le cinéma fantastique est pourtant consubstantiel
à la naissance du cinématographe et inhérent à sa
réussite. En tant qu'irruption d'un irréel déstabilisant
dans l'édifice culturel réel, il peut se concevoir comme une
atteinte à l'ordre et à la pensée rationnelle
prônée depuis l'Antiquité. Modulé par la
subjectivité du lecteur ou du spectateur, le fantastique tente cependant
de dépasser le traditionnel clivage entre le bien et le mal, tout en
reproduisant des codes réels dans un monde irrationnel. Puisant dans
l'imaginaire populaire, source intarissable de peurs et de mythes enrichis par
chaque époque et chaque société, le genre fantastique a
toujours existé au cinéma, malgré les fluctuations
liées à l'évolution des modes et des goûts, à
la virulence des critiques à son encontre ou encore aux innovations
diverses comme le développement du parlant -une «innovation
architecturale» ayant modifié les comportements de la
filière toute entière. Si le fantastique a pu acquérir une
légitimité, souvent directement due à ses liens avec la
littérature, il n'en est pas de même pour le cinéma
d'horreur. Au sein du fantastique, celui-ci apparaît comme une
évolution terminologique du cinéma dit d'épouvante,
basé essentiellement sur les réactions sensorielles du public aux
images projetées, censées déclencher l'angoisse et la
peur. En s'inspirant notamment de classiques de la littérature
fantastique du XIXe siècle, il acquit sa renommée dans le premier
tiers du XXe siècle, à un moment où la volonté
d'intellectualiser le cinéma et d'en faire un art à proprement
parler était en train d'émerger ; le mouvement expressionniste
voyait dans le cinéma un moyen de refléter l'angoisse latente
dans la société de l'entre-deux guerres en faisant appel au
figures fantastiques. Cette esthétisation du 7e art figurait aussi la
marginalisation de tout ce qui n'était pas compris dans cette
démarche ; la logique industrielle des studios américains
étant vivement dévalorisée en France. En effet,
déjà à cette époque, le cinéma hollywoodien
essuyait oppositions et critiques acerbes, comme celle de George Duhamel, qui,
fustigeant ce mass media, se serait à coup sûr
ultérieurement réjoui des réalisations issues de la
Nouvelle Vague. Le comportement consumériste des spectateurs à
l'égard d'un film de cinéma représentait pour les tenants
de la légitimité artistique et intellectuelle du temps (qui
dénonçaient l'immédiateté de la réception
cinématographique, «la
réception tacite» décrite par Walter
Benjamin1) un non-sens. Comme la photographie, que Baudelaire
méprisait alors-même qu'il se voulait parfaitement incarner le
portrait de l'homme moderne, le film de cinéma n'était pas encore
reconnu comme un bien culturel. Aussi le cinématographe, pourtant de
conception française, se trouva-t-il longtemps marginalisé par
l'élite de son propre pays natal. C'est pourquoi le cinéma fut et
est toujours en France un art controversé, oscillant entre
trivialité et intellectualisme, entre tentation de l'entertainement et
affirmation de l'auteur. Il est amusant de constater qu'un siècle plus
tard, la bataille entre ces deux tendances du cinéma, l'art et
l'industrie, n'a toujours pas pris fin. Car si le cinéma français
se porte bien et demeure largement en tête des réalisations
européennes, il est en partie subventionné par les taxes
prélevées sur les entrées des films étrangers, et
en particulier américains. Le cinéma d'auteur, qui fait la
renommée mondiale du cinéma français est toujours
perçu comme plus noble face aux divertissements provenant des studios
d'outre-Atlantique. La domination des films en provenance des Etats-Unis,
grâce à la puissance financière et marketing de son
industrie est souvent pointée du doigt comme un gage de moindre
qualité et de rentabilité économique, moins que de
visibilité artistique. Pourtant, la France possède une industrie
cinématographique, produit des films à gros budget et compte de
nombreuses entreprises d'envergure internationale. Le festival de Cannes peut
paraître autant tourné vers les petits films que vers les plus
importants. Or c'est dans la diversité que s'épanouit l'art. La
production cinématographique, si elle est dictée par des
impératifs économiques, est avant tout une activité de
rencontre d'une audience par une double satisfaction ; celle de
l'émetteur et du récepteur de l'objet filmique. Par sa dimension
spectaculaire et son histoire, le cinéma d'horreur semble être un
lieu privilégié de cristallisation de cette opposition
perpétuelle.
Et c'est bien cette double dimension qui rend le genre
problématique. Des grands noms comme Alfred Hitchcock ou Dario Argento
sont aujourd'hui entrés dans l'histoire du cinéma alors qu'ils
faisaient partie d'un genre déprécié en France.
Aujourd'hui les films d'horreur semblent être (re)devenus à la
mode, cette tendance décrivant un mouvement cyclique, alternant entre
des périodes d'opprobre et des périodes de gloire. Le
phénomène s'étale sur les petits et grands écrans,
provoquant des réactions d'opposition de la part des plus conservateurs
et agitation dans la sphère institutionnelle. Car la
surmédiatisation des phénomènes violents inquiète,
et elle ne saurait se comprendre comme un plaisir. Or beaucoup ont vu dans les
films d'horreur des messages à caractère incitatif, comme en ont
également été soupçonnées les musiques
extrêmes.
1 In L 'oeuvre d'art à l'époque de
sa reproductibilité technique, version de 1939, in Sur l'art et la
photographie, Paris, éditions Carré, coll. Arts et
esthétique, 1997
En clair ils dérangent. Le déferlement de
violence, de crimes et de perversité, récurrent dans les films
d'horreur -qu'il soit montré ou simplement suggéré- n'est
pas du goût des défenseurs du jeune public, qu'ils tendent
à progéter contre cela. Dès lors les amateurs du genre
sont perçus comme des brutes sanguinaires ou des
dégénérés. Les liens avec l'industrie
pornographique demeurent pourtant rares, malgré la fusion établie
par quelques réalisateurs1. Mais les tendances d'opinion ont
la vie lourde. Aimer les films d'horreur, et encore plus en réaliser ou
en produire, est un credo, qui se conçoit difficilement dans la vie
sociale. Qui n'a jamais été étonné en entendant
quelqu'un raconter sa délectation face à un film sanglant ? Le
film d'horreur est un peu comme un secret, qui serait partagé par un
certain nombre de spectateurs. Au regard de ces critiques et de ces
préjugés, il semble donc que ces films soient les attributs d'un
petit nombre de fans. Or la culture légitime n'est pas toujours celle de
la majorité numérique. L'attirance qu'ils suscitent tend
cependant à démontrer qu'une autre logique est à l'oeuvre,
tant dans sa diffusion que dans sa réception. Car si pendant longtemps
la censure a évité les effusions de sang sur les écrans,
elles sont désormais légion et font la réputation
sulfureuse du genre.
Face à cette prolfération apparente, il convient
de se demander si le film d'horreur n'est pas aujourd'hui qu'un simple produit
de grande consommation ou s'il perpétue une certaine culture propre
à définir un groupe d'individus qui l'apprécie, à
travers différents types de médias et de supports de
communication. Cette question est particulièrement intéressante
dans le cas français, au regard du dualisme à l'oeuvre dans
l'ensemble de la filière cinématographique hexagonale. Le choix
de cet angle d'étude semblait intéressant dans la mesure
où, en dehors des analyses précises sur les films eux-mêmes
ou sur un genre en particulier, l'intérêt pour la diffusion
précise de ce type de films en France est peu vivace. Ils sont
immédiatement désignés comme étant à la
solde des productions anglo-saxonnes et n'attirent que très peu les
auteurs. Pour preuve, les ouvrages français dédiés au
cinéma d'horreur dans les bibliothèques (même à la
Cinémathèque Française !) doivent s'estimer à une
dizaine depuis une trentaine d'années, alors que les livres anglophones
ne se comptent même plus. La récente publication de quelques
titres suppose néanmoins que les choses sont en train d'évoluer.
La présence du film d'horreur comme objet d'intérêt
universitaire ne doit plus être mise en cause. Chaque
phénomène ayant des implications directes dans la
société est susceptible d'être couvert de
différentes manières par l'analyse scientifique.
1 Nous pensons à Jean Rollin mais aussi et
surtout à Jess Franco, dont les oeuvres seront évoquées
plus loin
C'est donc pour tenter de faire sortir le cinéma
d'horreur de son ombre, sans toutefois paraître trop partisan, que ce
travail a été mené, s'insérant dans un débat
très actuel autour du cinéma de genre national qui revendique sa
place légitime aux côtés des autres genres.
La première partie de cette étude tend à
mettre en lumière les caractéristiques du cinéma
d'horreur, tout en laissant l'analyse filmique pure de côté. A
travers des appuis littéraires et critiques, une tentative de
définition peut être ébauchée et ses codes mis en
valeur, en partant de la source-mère, le fantastique. Malgré la
difficulté de définir un genre protéiforme, il semble que
les films d'horreur soient pourtant aisément identifiables. Les
évolutions qu'il a subies tout au long du XXe siècle ont
contribué à façonner un genre aux mille facettes, attirant
un certain type de public, qui exige à la fois innovation et respect des
codes. Au-delà des évolutions historiques et esthétiques,
s'intéresser aux considérations économiques, aux
politiques éditoriales et à la réglementation en vigueur
semble être un point essentiel pour comprendre la démarche qui est
à l'oeuvre dans la diffusion de ces films en France. C'est ce que la
deuxième partie de cette analyse s'attache à déterminer,
à travers les différents médias par lesquels transitent
les films et leurs amateurs. Car ce cinéma de genre, qui a su s'affirmer
sur le marché cinématographique mondial tout en conservant une
dimension subversive assez prégnante, semble bien se porter au regard du
marché global. Dès lors comment s'effectue cet arbitrage subtil
entre provocation du contenu et recherche de visibilité, dans un milieu
où la rentabilité n'est pas toujours au rendez-vous ?
S'insèrent-ils dans un schéma de grande consommation, touchant
par là un public assoiffé de divertissement sanguinolent ou
présentent-ils des velléités culturelles fortes, aptes
à transiter par des réseaux de diffusion
spécialisés, à destination d'un public d'initiés ?
A partir de ces données, une idée du modèle
socio-économique des films d'horreur peut prendre forme, malgré
la difficulté éprouvée à rassembler des
données sur les chiffres d'affaires réels ou le volume des ventes
réalisées par les entreprises du secteur. Il est néanmoins
possible d'identifier les différents débouchés qui
s'offrent aux films d'horreur, des plus artisanaux aux plus médiatiques.
A travers des entretiens d'acteurs du milieu cinématographique, des
articles de journaux, des observations participatives, des statistiques et des
études établies par les institutions, le business model
français des films d'horreur tend à émerger afin de mieux
saisir les enjeux de sa diffusion sur notre territoire.
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