3.2.3. Attractivité des classifications
élevées
Cependant les restrictions émises par la commission
peuvent recouvrir un caractère attractif pour les amateurs de ce type de
cinéma. Un film interdit aux moins de 16 ans assure la certitude de la
présence d'un degré minimum de violence, dont se délecte
le public des films d'horreur. Dans le cas de Frontières de
Xavier Gens, l'interdiction aux moins de 16 ans assortie d'un avertissement a
été justifiée par la commission en raison de la
présence de « scènes de boucheries particulièrement
réalistes et éprouvantes ». La
1 « L'appel du 13 juin » par Anthony Bobeau in
Le Film Français, 13 juin 2008, annexe n°14, p.33
2 Communiqués de presse Martyrs,
annexes n°44bis et 44ter, p. 136-137
3 Laurent Jullier, 2008, op. cit, p. 15-16
reproduction de l'avis de la commission de classification en
gros caractères sur l'affiche du film illustre bien ce
phénomène. Celui-ci représente dès lors un gage de
"qualité", notamment dans le cas des films gores, où une
interdiction aux moins de 16 ans, et a fortiori aux moins de 18 ans, laisse
supposer un certain degré de violence, recherché par les amateurs
de films de genre. La classification revêt donc un double rôle :
l'un officiel, celui de protéger le jeune public, l'autre officieux,
celui d'assurer au spectateur une dose de scènes violentes. Claude
Miller, réalisateur français, s'est fait l'écho de ce
caractère incitatif de la restriction à l'occasion de la
conférence des commissions européennes de
classification1 : "L'interdiction aux moins de 16 ans, pour les
jeunes de mon âge, c'était très important, c'était
une sorte de totem [...] Ces films interdits aux moins de 16 ans m'attiraient
évidemment et d'ailleurs faisaient tout ce qu'il fallait pour m'attirer
: l'inscription "interdit au moins de 16 ans" était placardée sur
les affiches en lettres énormes, souvent rouges, parfois plus grosses
que le titre, de façon très ostentatoire donc très
attirantes".
Affiche de Frontières de Xavier Gens (2006)
Alors que certains réalisateurs, défendus par la
Société des Réalisateurs Français, hurlent à
la censure, ils savent en réalité pertinemment que les
interdictions ont une influence sur l'attirance d'un certain public, les films
de genre étant peu fédérateurs le temps d'une sortie
-comme peuvent l'être les comédies romantiques ou dramatiques car
celles-ci, malgré leurs codes propres, peuvent s'adapter à tous
les types de publics. Les membres de la commission de classification le savent
bien, à la suite de Jean-Pierre Quignaux, membre du collège des
experts et chargé de mission Médias et Nouvelles
1 Compte-rendu de la conférence annuelle des
commissions de classifications européennes, Paris, Unesco,
décembre 2004
Technologies à l'UNAF : « La commission (...)
réfléchit à l'influence du cinéma sur les enfants,
pas au devenir économique des films. Tant pis si les interdictions font
de la publicité aux films sur lesquels elles tombent (...)
L'interdiction -18 ans de Saw III a eu pour effet de rendre désirables
ces produits aux yeux des adolescents1. » Aux Etats-Unis, la
CARA (Classification And Ratings Administration, fondée en 1968) estime
que les restrictions trop élevées menacent le marché et la
rentabilité du film ; en ce sens, elle ne délivre que très
peu la catégorie NC-17 -interdit à tout spectateur de moins de 17
ans-, ne croyant pas aux mécanismes de l'attractivité pour sauver
le film dans une exploitation sur d'autres supports que la salle2.
Cette clémence relative révèle cependant la nature du
système de classification américain, autogéré et
dont les membres sont exclusivement des professionnels qui s'arrangent pour ne
pas froisser leur confrères (ou à l'inverse, les pénaliser
lorsqu'une inimitié survient).
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