SECTION 1: LE DEROUTEMENT RAISONNABLE
Avant d'étudier l'incidence de la
responsabilité dans le déroutement raisonnable (§2), nous
commencerons par préciser le caractère raisonnable de ce
déroutement (§1)
SS 1 : LE CARACTERE RAISONNABLE DU DEROUTEMENT
Selon la Convention de Bruxelles du 25
août 1924, « Aucun déroutement pour sauver ou pour
tenter de sauver des vies ou des biens en mer ni aucun déroutement
raisonnable ne sera considéré comme une infraction à la
présente convention ou au contrat de transport, et le transporteur ne
sera responsable d'aucune perte ou dommage en résultant »
En ce qu'il s'agit du caractère
raisonnable du déroutement, citons LORD ATKIN qui dans une
décision de la chambre des lords observait que « Le
véritable critère consiste à se demander quel
déroutement pourrait entreprendre une personne prudente,
contrôlant le voyage au moment où le déroutement est
décidé, et ayant en tête toutes les circonstances
pertinentes, y compris les termes du contrat et les intérêt des
parties intéressées, mais sans être obligée de
considérer l'intérêt d'aucune de ces parties comme
déterminant ».
Tout comme pour la diligence raisonnable en
matière d'innavigabilité du navire, la faute du transporteur et
le caractère raisonnable du déroutement se doivent d'être
apprécié a priori en se fondant sur les obligations normales d'un
bon professionnel.
De plus, pour revêtir un caractère
raisonnable, le risque encouru doit être suffisamment important et se
révéler à la hauteur du déroutement
envisagé.
Certains considèrent que tout
déroutement, du moment qu'il est raisonnable, doit exonérer le
transporteur pour les dommages aux marchandises qu'il occasionne, même
s'il est initialement dû à la faute du transporteur. Ce qui
importe ici, c'est le danger à éviter lors même que
celui-ci aurait pour origine la faute du transporteur. Le déroutement
n'en sera pas moins considéré comme raisonnable.
Pour d'autres, le déroutement est
déraisonnable pour cause d'innavigabilité avant de quitter le
dernier port de chargement. C'est ainsi que la Cour Suprême des
Etats-Unis a admis que le déroutement ne devenait injustifié que
lorsque le transporteur pouvait, au départ, se rendre compte que son
manque de diligence dans la mise en état de navigabilité allait
rendre le déroutement obligatoire. En l'espèce il s'agissait
d'un manque de combustible pour assurer la totalité du voyage.
SS 2 : LA RESPONSABILITE ET LE
DEROUTEMENT RAISONNABLE
La raison d'être de la recherche de
l'absence de faute du transporteur dans le cadre d'un déroutement, c'est
de juger de l'opportunité d'exonérer le transporteur de sa
responsabilité pour les pertes et dommages subis par la marchandise.
Il en découle que le déroutement
doit avoir été la cause directe des pertes et dommages subis par
la marchandise.
Il convient de préciser que le
caractère raisonnable d'un déroutement exonérant le
transporteur n'exclut pas qu'une faute de celui-ci puisse réintroduire
sa responsabilité pour ne pas avoir pris tous les soins raisonnables
afin d'assurer le rapatriement des marchandises au port initial de
destination.
C'est ainsi que si l'ayant droit parvient
à démontrer que le transporteur n'a pas fourni tous les soins
nécessaires à la marchandise pendant le temps du
déroutement, le cas excepté sera refoulé et le
transporteur ne pourra pas s'exonérer de sa responsabilité.
Le transporteur commet une faute en
décidant d'effectuer un déroutement déraisonnable. C'est
en outre le cas du déroutement effectué dans
l'intérêt exclusif du transporteur. Ce déroutement ayant
pour seul motif l'augmentation des revenus du transporteur n'analyse en une
faute lucrative et, par conséquent, n'exonère pas le
transporteur.
Cependant ne peuvent invoquer le
déroutement déraisonnable les chargeurs à qui le
transporteur n'a pas expressément promis que le port
désigné initialement serait le dernier port de chargement, du
moins, aussi longtemps qu'une clause du connaissement lui permet de
s'écarter de la route directe ou habituelle.
Enfin signalons que même si certaines
clauses du connaissement autorisent le transporteur à se dérouter
librement lors de survenance d'un événement expressément
envisagé par les parties, la liberté de dérouter ne
saurait être totale. Cela ne lui dispense en rien de son obligation
d'agir de manière raisonnable face à cet
événement.
SECTION 2 : L'ASSISTANCE ET LA SAUVEGARDE
DES VIES ET DES BIENS ET L'INSTITUTION DES AVARIES COMMUNES
Avant de traiter de l'institution des avaries
communes (§2), intéressons nous à l'assistance et la
sauvegarde des vies et des biens en mer (§1).
SS 1 : L'ASSISTANCE ET LA SAUVEGARDE
DES VIES ET DES BIENS
Le statut de l'assistance aux navires et
celui du sauvetage des navires différaient profondément.
L'assistant avait droit à une rémunération tandis que le
sauveteur avait droit en nature à une part du navire sauvé. Le
sauvetage s'appliquait aux seuls navires abandonnés : ceux n'ayant
plus à bord un seul membre de l'équipage vivant ou du moins
étant en présence de mourants, incapables de rien faire pour le
salut du bâtiment. Cette ancienne distinction fut abandonnée par
la convention de 1910.
L'assistance maritime peut être
définie comme l'aide apportée à un navire en
difficulté, (elle devient même) une obligation impérieuse
en cas de péril des personnes. En effet, le capitaine a un devoir
légal d'assistance.
Il convient de préciser que l'assistance
aux biens n'est obligatoire qu'après un abordage. Cette précision
a pour but d'éclairer les transporteurs à propos des actes
d'assistance qu'ils peuvent effectuer sans risque de se voir reprocher une
quelconque faute. C'est ainsi que la tentation serait grande de voir dans un
acte d'assistance, la faute du transporteur pour avoir retardé
l'expédition en vue d'obtenir une indemnité proportionnelle aux
valeurs sauvées et aux risques encourus.
Le transporteur ne peut pas voir sa
responsabilité engagée pour avoir accomplis des actes
d'assistance et de sauvegarde des vies et des biens en mer (Convention de
Bruxelles art 4 al2-1). Encore faut-il que les conditions de l'acte
d'assistance soient bien remplies: le navire assisté doit avoir
été menacé d'un péril de mer auquel il n'aurait pu
échapper qu'avec l'assistance volontairement accomplie par le sauveteur.
Enfin le sauvetage doit être réussi en tout ou partie.
La doctrine considère que les chargeurs
ayant subi un dommage suite à l'assistance peuvent exercer une action en
enrichissement sans cause contre l'armateur qui aurait touché une
indemnité d'assistance.
Notons que le déroutement inopiné
aux fins de sauvetage, contrairement au déroutement pour des raisons
commerciales, constitue un cas exonératoire de responsabilité
pour le transporteur, même en l'absence de clause spéciale dans le
connaissement.
|