Section 2. Le rôle suspicieux des agences de
notation
La transparence et l'indépendance des organismes qui
produisent de l'information constituent un enjeu crucial pour les
marchés financiers. Les précédentes crises
financières, la bulle Internet et l'affaire Enron avaient posé le
problème des analystes financiers et des cabinets d'audit comptable.
Dans la crise des subprimes, c'est maintenant celui des agences de notation qui
est critiqué. La question se pose aujourd'hui avec une acuité
particulière, d'une part parce que les agences ont un rôle
essentiel dans la mécanique des crédits « titrisés
» et d'autre part parce qu'elles jouent maintenant un rôle dans le
dispositif de contrôle prudentiel des banques.
1. Principe des agences de notations (Rating
Agencies)
Les agences de notations évaluent le risque de
solvabilité de l'emprunteur, précisément le risque de
non-remboursement de ses dettes, ou la qualité de la
signature36 . La notation financière externe ne constitue
qu'une partie de l'activité de notation financière. En effet, les
établissements bancaires et financiers ont également des
équipes de notation financière pour évaluer le risque de
leurs débiteurs ou conseiller leurs clients sur le marché des
obligations. L'objectif de la notation financière vise donc à
caractériser le risque associé à un émetteur. Les
agences de notation ont deux rôles : traiter
l'information et la certifier. Le traitement de l'information
concerne le marché. La certification est rendue nécessaire par la
réglementation. Les agences sont au service des investisseurs, qui
peuvent ainsi prendre des décisions sur la base d'informations
pertinentes.
2. Les acteurs de notations : A ce jour, trois
acteurs dominent le marché mondial de la notation financière
externe :
y' Standard & Poor's, filiale du groupe McGraw & Hill
depuis 1966 (USA), spécialisé dans la notation des
sociétés industrielles ;
36 La qualité de la signature est la
capacité d'un emprunteur à faire face aux échéances
de remboursement (en intérêt et capital) de la dette qu'il a
contractée. Les emprunteurs peuvent autant être des entreprises
(privées ou publiques) que des Etats ou des collectivités
locales.
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y' Moody's Investors Service, principale filiale de Moody's
Corporation, société indépendante
depuis 2000 (USA), bien positionnée dans la notation des
opérations de titrisation ;
y' Fitch Investors Service, dit Fitch (IBCA), filiale à
97% du groupe français Fimalac, leader dans la
notation des établissements bancaires.
Depuis peu, Duff & Phelps Credit Rating Company
se développe fortement, devenant un quatrième acteur à ne
pas négliger. Certaines agences sont très
spécialisées, telle AM Best Company qui note la
capacité d'une société d'assurances à faire face
à ses engagements (claims-paying ability).
3. Méthodologies et interprétation des
notations
Au moment du lancement d'une émission, les agences de
notation attribuent une note, qui pourra être modifiée jusqu'au
remboursement. La note se fonde sur des informations officielles (relatives
à l'émission, l'entreprise et le contexte), mais aussi sur des
informations plus confidentielles (sur les performances et les projets de
l'émetteur) résultant d'entretiens avec les principaux
dirigeants. Chaque agence de notation financière possède son
propre système de notation (tableau 2). Schématiquement les notes
s'établissent de A à D avec des échelons
intermédiaires. Une harmonisation des notes est
régulièrement évoquée. La note est bien plus qu'une
simple indication du risque de défaillance d'une émission
obligataire.
Tableau 3. Système de notation des
agences
|
Standard & Poor's
|
Moody's *
|
Fitch-IBCA
|
1
|
AAA
|
Aaa
|
AAA
|
2
|
AA
|
Aa
|
AA
|
3
|
A
|
A
|
A
|
4
|
BBB
|
Baa
|
BBB
|
5
|
BB
|
Ba
|
BB
|
6
|
CCC
|
B
|
B
|
7
|
CC
|
Caa
|
CCC
|
8
|
C
|
Ca
|
C
|
9
|
D
|
C
|
D
|
|
Chaque note peut être accompagnée du signe + ou
-
|
Chaque note peut être accompagnée des chiffres
1, 2 ou 3
|
Chaque note peut être accompagnée d'un signe +
ou -
|
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53
L'interprétation des notations de long-terme par ligne se
fait comme suit :
1. Le risque est quasi nul, la qualité de la signature
est la meilleure possible.
2. L'émetteur noté est très fiable.
3. Le risque peut être présent dans certaines
circonstances économiques.
4. La solvabilité est jugée moyenne.
5. A partir de cette note, l'affaire commence à
être spéculative. Le risque de non remboursement est plus
important sur le long terme.
6. La probabilité de remboursement est incertaine, le
risque est assez fort.
7. On présume un risque très important de non
remboursement sur le long terme.
8. L'émetteur est très proche de la faillite,
l'emprunt est très spéculatif.
9. Faillite de l'emprunteur.
Ces différentes notations peuvent être
scindées en deux grandes familles : la catégorie
Investissement (High Grade) contenant les
notes comprises de AAA à BBB (lignes 1 à 4) et la
catégorie dite Spéculative pour les notes
inférieures (lignes 5 à 9). Une société qui passe
en moins d'un an de la catégorie Investissement à la
catégorie Spéculative est qualifiée de Fallen
Angel (ange déchu).
4. Les dérives des agences de notation dans la
crise des subprimes:
La principale critique est la relation particulière qui
existe entre les agences de notation et les émetteurs (clients) qui
débouche parfois sur des conflits d'intérêt. Si l'agence
est rémunérée par l'entreprise émettrice, ce qui
est plus souvent le cas, nous pouvons douter de l'indépendance de son
jugement. En effet, les agences sont payées par ceux qu'elles notent.
Ces dernières années les notations dans ces opérations
(appelées notations de produits structurés) ont
représenté jusqu'à 50 % de leur chiffre d'affaires. En
outre, le nombre de clients étant assez limité, les agences se
sont sans doute retrouvées en situation de dépendance par rapport
à leurs clients. De plus, pour ces produits, l'agence n'intervient pas
seulement comme évaluateur d'une entreprise qui existe
déjà mais comme conseillère d'une opération en
cours de montage. Elle fait partie du processus qui constitue le produit. Elle
mélange activité de conseil et notation. Cela veut dire que
l'agence est à la fenêtre et qu'en même temps elle se
comment les agences de notation ont pu donner des meilleures
notes à des paquets de crédits contenant des crédits
« subpri mes » ?
Cela peut s'expliquer par le fait que les agences ne sont
finalement pas très expertes dans l'évaluation du risque de
crédit et du risque de liquidité, qui auraient dû
être au coeur de leur analyse. Traditionnellement, en effet, elles
évaluent le risque des entreprises ou des Etats et ce sont les banques
qui évaluent les risques de crédit, de liquidité et d'une
manière générale l'environnement économique. Les
agences de notation jouent donc un rôle essentiel dans ce processus : les
investisseurs se fient à leurs notations pour se conformer à
leurs orientations ou à leurs restrictions d'investissement ; elles
aident les sociétés émettrices de CDO à structurer
leurs engagements et notent ensuite les produits. Le processus de notation des
produits structurés implique de déterminer le rehaussement du
crédit, qui correspond au montant des pertes 38 sur les garanties
sous-jacentes qui peut être absorbé avant qu'une tranche
donnée ne subisse à son tour une perte.
Ce que l'on attend désormais d'agences de notation
performantes selon (Barry Eichengreen 2008) est de mettre, sous forme
de notes accessibles au public, leurs informations spécialisées
à la disposition des investisseurs qui cherchent à
déterminer le prix de titres à la valorisation malaisée.
La crise des prêts subprimes laisse à penser que la
qualité de la prestation des agences de notation a été
sous-optimale. Ces dernières n'ont pas opéré de
distinction pertinente entre le niveau de risque des différents titres.
Elles ont accordé des notes AAA trop facilement. Elles n'ont
pas dégradé les titres de créances hypothécaires
lorsque le marché de l'immobilier résidentiel, et donc la valeur
des obligations hypothécaires (Mortgage Obligations)
sous-jacentes, s'est détérioré. Elles ont ensuite
aggravé la crise en ne réagissant par des dégradations de
grande ampleur qu'après que le marché s'est effondré.
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