Chapitre 3 : Les dysfonctionnements financiers au coeur
de la crise des Subprimes
Le marché hypothécaire résidentiel aux
États-Unis a très bien marché au cours des deux derniers
siècles, des millions de personnes permettant de réaliser le
rêve d'accession à la propriété. En effet, le taux
d'accession à la propriété a atteint un niveau record de
69,2 pour cent en 2004 avant de baisser à 68,2 pour cent à la fin
du troisième trimestre de 2007. L'épisode le plus récent
est survenu à l'été 2007 et est communément
appelé l'effondrement du marché hypothécaire subprime. La
baisse récente des prix de l'immobilier, la hausse des saisies, et le
renforcement des normes de crédit par les prêteurs entraine par
cause à effet un ralentissement de la croissance économique, en
créant la possibilité d'une récession.
Pour comprendre certains évènements qui sont
arrivés avant et pendant la crise des subprimes, il est important de
savoir que la croissance du marché des crédits subprimes et son
explosion reflète en effet une combinaison de facteurs que nous
proposerons d'aborder dans ces deux chapitres.
Section 1. La titrisation : une pratique confuse au vu
de la sophistication et de la complexité des produits financiers
1. Les principaux caractéristiques de la
titrisation
La titrisation30 est une technique qui consiste
à transformer des actifs peu liquides en valeurs mobilières
facilement négociables. Pour une banque, titriser un crédit
revient à le faire transformer en un actif financier qu'elle peut
revendre à des investisseurs (voir schéma ci-dessous). Le plus
souvent, la banque à l'origine des prêts les cède à
une banque d'investissement (Special Purpose Vehicule, SPV) qui forme
un pool de crédit structurés (Asset backed Securities,
ABS), homogènes ou hétérogènes (MBS
Mortgage-Backed Securities31, C DO Collateralized Debt
Obligation s32 ). Les titres sont émis en tranches
30 L'AMF (l'autorité des marchés financiers)
distingue en effet deux types de titrisation : titrisation du bilan et du
hors-bilan. Ici, on ne considère que la titrisation hors-bilan
(off-balance sheet) qui est la question emblématique de cette crise des
subpri mes
31 Les MBS eux-mêmes se subdivisent entre les CMBS
(Commercial Mortgage-Backed Securities) et les RMBS (Residential
Mortgage- Backed Securities).
hiérarchisées selon leur niveau de risque. A
partir d'un pool de MBS noté BBB par exemple, le véhicule
parvient à proposer aux investisseurs des tranches de titres
présentant des niveaux de risque et de rendement différentes :
tranches « super senior » notées AAA33 , «
senior » notées AA et A, « mezzanine » notées BBB
et BB, jusqu'aux tranches « equity » non notées.
La tranche dite "equity" vient absorber l'essentiel du risque
attaché au portefeuille d'actifs titrisés. En cas de
réalisation d'un événement de crédit, ce sont les
détenteurs de cette tranche qui assumeront les premiers les pertes
éventuelles en découlant (pertes en principal, rupture des
versements d'intérêts). La tranche mezzanine (ou
différentes tranches plus ou moins junior) qui présente une
exposition au risque intermédiaire. Enfin, le dernier étage est
constitué de la dette senior, qui présente une très faible
exposition au risque de crédit. La dette mezzanine et la dette senior
bénéficient d'une appréciation par une agence de
notation.
En fonction de leur aversion au risque ou tout simplement des
contraintes réglementaires auxquelles ils doivent faire face, un
investisseur choisira d'investir dans l'une ou l'autre de ces tranches.
Les conduits sont des entités qui acquièrent
des actifs auprès de différents cédants et se refinancent
parfois par l'émission de titres à long terme, le plus souvent
par l'émission de titres à court terme, comme le commercial
paper. Les actifs titrisés à travers les conduits sont le
plus souvent des actifs à court terme mais il peut arriver que les
conduits soient utilisés pour des actifs à long terme.
L'utilisation du conduit permet le financement d'actifs d'un montant individuel
trop faible pour justifier la mise en place d'une structure ad hoc
pour chacun d'entre eux ou d'adapter la durée du financement
à la maturité des actifs. La particularité de ces
opérations a justifié une analyse statistique
séparée. Il existe également des ABCP dits d'arbitrage qui
permettent de tirer profit du différentiel entre la
rémunération des titres détenus à l'actif et le
coût de refinancement du véhicule. Dans ce cas, le conduit peut
acquérir tout type d'actifs (obligations, etc.) un seul conduit, mis en
place par une banque française, entre dans cette catégorie.
32 Les actifs concernés par une opération de
CDO sont des prêts (on parle alors de CLO ou Collateralised Loans
Obligations), des titres obligataires (on parle de CBO ou
Collateralised Bonds Obligations) ou plus récemment des
dérivés de crédit sur un risque d'entreprise ou
corporate
45
33 Cf. section 2
Schéma de titrisation
2. La titrisation des crédit
subprimes
Jusqu'à très récemment, l'origination
des crédits subprimes et l'émission des titres adossés
à des crédits hypothécaires (MBS)34 ont
été dominé par les prêts aux emprunteurs
Primes (figure 10) conformément aux standards de souscription
établie par le Government Sponsored Agencies (GSE). En
34 Figure 9
47
plus de ces crédits dits conformes (aux
standards), il existe des crédits dits non-agency (qui
échappent aux standards des agences gouvernementales) qui incluent les
classes d'actifs Jumbo, Alt-A et subprime. La classe d'actifs Jumbo
comprend des crédits à des emprunteurs avec un premier solde
initial supérieur aux celui dicté par les standards
imposées par le Congrès sur les agences de notation. La classe
d'actifs Alt-A comprend des prêts destinés à des
emprunteurs qui ont avec un bon historique de crédit dont la
souscription est plus agressive que pour les crédits conformes ou
classes Jumbo (les crédits qui se caractérisent par l'absence de
documentation sur le revenu et un fort effet de levier). La classe d'actifs
subprime contient des emprunteurs avec un mauvais historique de
crédit.
En effet, la forte augmentation des originations et des
émissions dans toutes les classes d'actifs a été
renforcé par la réduction des taux d'intérêt
à long terme jusqu'à la fin de l'année 2003. Alors que les
marchés des crédits conformes ont culminé en 2003, les
marchés des crédits non-agency se sont accrus rapidement en 2005,
éclipsant finalement l'activité des marchés des
crédits conformes. En 2006, la production de crédits
non-agency de 1,480 billions de dollars était 45% plus grande
que la production (des crédits) agency, et les émissions de
non-agency de 1,033 billions de dollar ont été plus grandes que
les émissions agency qui représentait 905 milliards de dollars.
L'augmentation des subpri mes et de l'origination de l'Alt-A se sont
associés à une importante augmentation du ratio émission
/origination : 75 % pour les subprimes 87 % pour les prêts primes
(figure 10)
Figure 9. Marché des MBS
Figure 10. Part des crédits hypothécaires
primes et subprimes titrisés
Source : Boyer et al. (2004)
3. Le rôle de la titrisation dans la crise des
crédits de subprimes
Sachant que le risque pouvait être
transféré grâce à la titrisation, les banques ont
prêté une moindre attention à la solvabilité de
leurs clients. La titrisation a entraîné une plus faible
transparence des risques car les crédits subprimes ont été
achetés et vendus à des investisseurs nationaux et internationaux
sans qu'ils connaissent réellement la qualité des titres
possédés. La diminution de la valeur des titres a
été provoquée par la crise immobilière qui a
entraîné une crise de confiance.
En effet, la crise a révélé trois
faiblesses majeures dans ce processus :
49
· le lien entre les CDO, les ABS, et leurs
sous-jacents est devenu tellement complexe qu'il est extraordinairement
difficile de simuler l'impact sur une tranche de CDO d'un scénario
affectant les sous-jacents (combien de propriétaires de maisons en
Floride vont-ils faire défaut, et quelle sera la perte sur la valeur
originelle du crédit qu'il faudra constater quand tout aura
été réglé? comment ceci impactera-t-il les
différentes tranches de risque que comprend le CDO ?) ;
· l'approche statistique suppose de tenir compte, au
delà de la qualité des crédits sous-jacents, un par un de
l'environnement économique : impact d'une éventuelle chute des
prix de l'immobilier, par exemple les agences de notation n'ont pas su
intégrer convenablement cette dimension dans leur raisonnement. C'est ce
qui explique, en bout de chaîne, leurs erreurs majeures dans la notation
des "rehausseurs de crédits", des entreprises qui se faisaient une
spécialité d'assurer des produits titrisés pour
améliorer leur notation, et qui étaient donc totalement
exposées à un retournement conjoncturel que les agences n'ont pas
pris en compte, tant il est loin de leurs méthodes habituelles de
valorisation, tournée vers la microéconomie et non la
macroéconomie ;
· enfin et surtout, ces ABS, CDO et autres produits
similaires, sont présumés être des "produits de
marché", que leurs propriétaires valorisent sur la base d'une
"juste valeur" de marché. Manque de chance : le marché,
très peu liquide au départ pour les plus sophistiqués de
ces produits, a purement et simplement disparu lorsque la crise a
éclaté. Plus personne n'en voulait, à n'importe quel prix,
aussi bas soit-il. Et ceci sans qu'il y ait nécessairement
dégradation constatée - simplement présumée ou
anticipée - des sous-jacents.
Du coup, ces produits ont mérité, amplement, le
sobriquet sous lequel on les désigne désormais : "toxiques". Ce
qui les a conduit à avoir ce statut, c'est une erreur d'analyse
fondamentale des investisseurs (ce sont des produits de marché, dont la
valeur, en normes internationales ou américaines, doit être
pensée en fonction du comportement du marché, et non des
sous-jacents ; ceux qui les ont achetés sur la base des risques
sous-jacents se sont gravement trompés) ; c'est aussi une erreur des
agences de notation, qui n'ont pas assez précisé qu'elles
notaient la capacité des sous-jacents à être
remboursés (et non une espérance de valeur de marché), et
qui ont mal estimé les risques macroéconomiques pouvant affecter
ces sous-jacents ; c'est enfin, une politique de développement
très rapide de ces produits, à l'instigation des banques
d'affaires, qui y ont vu la possibilité de très bien gagner leur
vie en structurant ces produits, sans avoir à les porter sur leurs
bilans - politique qui leur a permis d'éviter les contraintes de fonds
propres que requiert le fait de porter un titre à son bilan. Pourquoi
les effets de la crise de la titrisation ont-ils été si
dévastateurs?
Parce que la plupart des banques doivent, depuis des
années, emprunter auprès du marché les ressources qu'elles
prêtent, les dépôts de leurs clients n'y suffisant plus.
Pour emprunter les énormes volumes dont elles ont besoin pour
prêter, elles ont eu largement recours à la titrisation de leurs
actifs ; l'investisseur qui achète un paquet titrisé de
crédits hypothécaires à une banque le débarrasse
(en tout ou partie de cet actif), et lui fournit la matière
première pour consentir un nouveau prêt. Autrement dit, la
titrisation a été au coeur du fonctionnement global de la
liquidité des banques, leur capacité à accéder aux
ressources dont elles ont besoin pour faire leur métier de
prêteur. Et les risques qu'elle entraîne pour ceux qui y ont
recours ont été sous-estimés, comme tous les risques de
marché - même lorsque les sous-jacents sont de bons vieux
crédits tout ce qu'il y d'ordinaire (maisons, voitures, consommation)
une fois la titrisation réputée toxique, les banques ont couru le
risque de ne pas trouver la liquidité dont elles avaient besoin : c'est
ce qui a condamné la Northern Rock, dont le modèle
économique reposait massivement sur cette technique, mais ce risque a
existé, à des degrés divers, pour la plupart des banques.
C'est pourquoi les plans de sauvetage adoptés dans la dernière
période ont tous compris un volet « liquidité ». Et les
produits titrisés que les banques détenaient à leur bilan
ont vu leur valeur s'effondrer - créant un trou dans leur bilan, les
obligeant à se recapitaliser. D'où le volet "fonds propres" des
plans gouvernementaux. Le recours débridé et mal
maîtrisé aux techniques de titrisation a donc bien
été un élément central dans la crise. Mais l'impact
macro-financier de ces produits toxiques n'a été ce qu'il a
été qu'à cause d'erreurs fondamentales dans
l'appréciation des risques qu'ils faisaient courir, et de la fermeture
complète ou presque du marché mondial de la liquidité
bancaire, qui dépendait elle- même crucialement de la
titrisation.
Le processus de titrisation est soumis d'après Ashcraft et
Schuermann (2008)35 à sept frictions qui sont les suivantes
:
1. Frictions entre le mortgagor (débiteur
hypothécaire) et l'originateur : le prêt prédateur.
2. Frictions entre l'originateur et l'arrangeur : l'emprunt et
le prêt prédateurs
3. Frictions entre l'arrangeur et les tierces parties : la
sélection adverse
4. Frictions entre le prestataire et le mortgagor : Le risque
moral
5. Frictions entre le prestataire et les tierces parties: Le
risque moral
6. Frictions entre gestionnaire d'actifs et l'investisseur :
Agent-principal
7. Frictions entre l'investisseur et les agences de notation :
erreur du modèle
35 Voir «Understanding the Securitization of Subprime
Mortgage Credit»
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