Section 3. Typologies de crises financières
Les crises financières sont très diverses selon
qu'elle touche les marchés financiers ou les institutions
financières. Cette dernière section de présentation
empirique ne traite pas de toutes les crises financières. Elle fournit
une analyse typologique succincte des crises financières, en
l'occurrence: les crises de change, les crises bancaires et les crises
jumelles.
Sachant que seules les crises bancaires, les crises de change
(figure 4) et les crises jumelles ont fait l'objet de recensement
systématique et d'analyses statistiques et économétriques
macro-financières nombreuses (Bordo et al. 2001), Les crises
boursières, depuis le déclenchement de la crise actuelle,
commencent seulement à être étudiées avec ces
méthodes quantitatives. Mais ces trois types de crises apportent
déjà beaucoup d'informations sur les faits stylisés des
crises récentes13 . Elles sont en outre les plus
fréquentes.
Paul Krugman 14, en proposant une typologie des crises
financières internationales note qu'une connaissance typologique
rudimentaire qui distingue un type de crise d'un autre est nécessaire
pour deux raisons principales : tout d'abord, la manière dont une crise
dépend joue sur les acteurs du marché, et ces acteurs sont
très différents lorsque l'accent est mis sur les marchés
de change ou sur la balance des paiements ou sur les marchés boursiers.
Deuxièmement, les effets réels d'une crise financière
dépend de son type, une crise qui commence par un run bancaire sur le
dollar américain n'aura pas les mêmes effets que celle qui
commence avec un run bancaire sur le marché boursier japonais.
13 Par ailleurs, les autres crises qui ne sont pas prises en
compte en tant que telles dans cette section peuvent leur être facilement
rattachées (par exemple les crises immobilières et les crises
bancaires ; les crises de la dette souveraine et les crises de change, puis les
crises bancaires ; les crises industrielles et les crises boursières)
14 The Ri sk of Fi nancial Crisis, 1984
1. Les crises bancaires :
En identifiant les quatre périodes de comparaison
internationale des crises financières, Bordo et al. (2000, 2001),
définissent une crise bancaire comme étant une détresse
financière qui est suffisamment grave pour entraîner
l'érosion de la plupart ou de la totalité du capital dans le
système bancaire15. Leur importance se manifeste dans la
détérioration souvent latente de la structure de bilan ou encore
la concentration des risques. Une brutale prise de conscience des risques
encourus se traduit tant par la montée des crédits impayés
bien au-delà des provisionnements antérieurs que par la
révision des procédures d'octroi des nouveaux prêts (Boyer
et al. 2004).
Les crises bancaires étaient peu fréquentes sur la
période 1880-1913 (figure 4), elles se sont multipliées pendant
l'entre deux guerres et après une éclipse totale.
Figure 4. Fréquence des
crises (Probabilité annuelle en %)
Source : Bordo et al. (2001)
15 C'est aussi le critère utilisé par Caprio et
Klingebiel (1996, 1999) pour identifier les risques bancaires
systémiques
24
Figure 5. La proportion des pays en crises bancaires,
1900-2008 Pondérée par leur part de revenu
Source : Bordo et al. (2001)
Pendant la période de Brettons Woods, elles ont
réapparu au début des années soixante dix et, depuis, leur
fréquence n'a cessé de s'élever16 . (Figure 4
et 5)
Caprio et Klingebiel (2003), en montrant l'ampleur du
phénomène de crise bancaire et son universalité, recensent
117 crises bancaires depuis 1970 dites à caractère
systémique qu'ils définissent empiriquement comme une crise ayant
exigé une recapitalisation quasi générale des banques. Ces
crises ont frappé 93 pays. On peut ajouter à ces crises de grande
ampleur des crises bancaires moins profondes que Bordo et al. appellent
border line and smaller ou non systémiques, et dont le
nombre s'élève sur la même période à 51 et
qui ont frappé 45 pays. En Asie, toutes les crises des pays dits
émergents ayant subi la crise de 1997-1998 sont comptées dans la
catégorie des grandes crises;
Cinq pays ont subi une crise profonde (Finlande, Suède,
Norvège, Espagne et Japon depuis 1991), onze pays, parmi lesquels la
France (1994-1995), les États-Unis (1984-1991), ont subi une crise de
plus faible intensité. Cette mise en perspective historique
soulève évidemment la question du lien entre crise bancaire et
libéralisation. Elle suggère que cette longue pandémie de
crises bancaires, parallèle à la libéralisation
financière, en est, partiellement au moins, la conséquence. 17
L'analyse statistique des crises bancaires apporte un élément
d'appréciation supplémentaire très important : toutes les
crises bancaires ne sont pas identiques, car les banques sont des institutions
qui varient selon les pays et qui
16 Bordo et al. (2000), ont découvert dans un
échantillon de 21 pays que la fréquence des crises bancaires a
doublé depuis 1973, alors qu'elle a augmenté de 50 pour cent dans
56 pays.
17 Boyer et al. Ibid.
sont placées dans des contextes réglementaires
et prudentiels différents. Les crises bancaires ont de ce fait une
importante composante idiosyncrasique. Elle montre aussi que les crises
bancaires diffèrent fortement les unes des autres, à cause du
rôle que peut y jouer la spéculation. Les banques qui sont les
premières touchées par une crise sont celles dont,
paradoxalement, la rentabilité avant la crise était la plus
élevée parce que le niveau de risque des prêts qu'elles
consentaient était très élevé, leurs capitaux
propres plus faibles, et que leur profit était davantage tiré des
activités de marché.
2. Les crises de change
Les crises de change se produisent lorsque les investisseurs
perdent confiance dans la monnaie d'un pays particulier, et cherchent à
échapper à la fois des actifs libellés dans cette monnaie
et d'autres actifs dont les revenus pourraient être affectés par
le contrôle des changes. Il y a eu quelques crises de change entre les
pays avancés dans période l'après-guerre. L'attaque contre
le dollar qui a détruit le système de smithsonien en 1973, est
admissible, de même que l'attaque de la livre sterling, en 1975, et
l'attaque contre le franc en 1982. Les crises de change ont été
fréquentes dans les pays en développement depuis 1982, la plupart
des pays d'Amérique latine et un certain nombre d'autres pays ont
souffert aussi de ce que peut être décrite comme une crise
monétaire coordonnée. Les crises de change ont été
l'objet d'un enseignement théorique et une analyse empirique, parce que
l'interaction entre les banques centrales et les investisseurs privés,
constitue une facilité de jeu pour que le modèle type de
l'irrationalité amorphe qui sous-tend la description des autres types de
crises financières (Krugman)18 Il est donc utile de revoir
les concepts de cette littérature brièvement.
Krugman note qu'il est nécessaire de distinguer au
minimum entre deux types de crise financière internationale. Le premier
type implique une perte de confiance par les spéculateurs en devises du
pays, provoquant la fuite des capitaux. Ainsi, les crises de change conduisent
souvent à imposer des contrôles de capitaux qui interfèrent
avec le service de la dette en devises, une perte de confiance dans la monnaie
d'un pays est ainsi souvent accompagnée par un effondrement des devises
libellées en prêt. C'est le type de crise qui a frappé
l'Amérique latine en 1982. L'autre type de crise ne concerne pas la
perte de confiance dans une monnaie, mais une perte de confiance dans les
actifs. Krugman montre aussi que le processus par lequel les chocs nationaux
deviennent mondiaux porte le nom de contagion. La contagion des crises
ne touche pas seulement par définition un ou plusieurs pays.
18 O p.c i t.
26
Il existe d'importantes différences entre
l'étude de la monnaie et de la contagion des crises. Les crises de
change implique inévitablement la banque centrale du pays en crise, la
contagion des crises, quant à elle, implique habituellement des actes de
la commission ou au moins une omission de la part des banques centrales; mais
le rôle de celle-ci n'est pas essentiel dans cette contagion
Enfin, la macroéconomie des crises monétaires et
de la contagion des crises sont très différentes, alors que les
deux peuvent mener à la récession, les crises de change sont
habituellement associées à l'inflation qui en est la victime,
alors que la contagion des crises dans le monde est liée à la
déflation.
Dans une approche strictement empirique, Dehove (2004),
définit trois types d'indicateurs utilisés pour les crises de
change (et les crises bancaires) qui peuvent être regroupé dans
deux grandes catégories à savoir les indicateurs de «
crise effective » et les indicateurs de « pression
spéculative »
Trois conclusions principales peuvent être tirées
de l'analyse statistique détaillée de la fréquence des
crises au cours des trente dernières années. D'abord, on remarque
que globalement, crises de change et crises bancaires confondues, les crises
financières ne sont pas massivement plus fréquentes depuis le
début des années 1990. Sur l'ensemble des 49 pays
étudiés par Stone et Weeks, le nombre de crises
financières bancaires et de change ne s'est pas notablement
élevé depuis l'éclatement du système de Bretton
Woods. Une économie avait, sur la période 92-99, une
probabilité de connaître une année une crise
financière de 11,5 %, dix ans plus tôt, cette probabilité
était de 12 %.
3. Les crises jumelles
L'aspect jumelle des crises est nouveau des crises
financières récentes et un facteur majeur de leur gravité
(Boyer et al. 2004). En se combinant aux crises bancaires renaissantes, les
crises ont engendré un type de crise financière nouvelle pour la
période d'après-guerre : les crises jumelles. Ces crises jumelles
se manifestent par la combinaison d'une spéculation intense contre la
monnaie nationale et une vague de défaillances bancaires. Elles
associent une méfiance à l'égard de la stabilité du
taux de change, et une méfiance à l'égard de la
liquidité ou de la solvabilité des intermédiaires
bancaires, qui rétroagissent l'une sur l'autre en se renforçant
mutuellement.
Ces crises jumelles qui étaient quasi inexistantes sur
la période de Bretton Woods, ont désormais une fréquence
supérieure à celle enregistrée pendant la période
précédent la Première Guerre mondiale, même si cette
fréquence demeure inférieure à celle de
l'entre-deux-guerres. Dans l'étude qu'elles leur consacrent, Reinhart et
al. (2008) 19 en comptent dix-huit sur la période 1980-1995,
antérieure à la crise asiatique, sur un total de soixante
treize
Ces crises repérées sur un échantillon de
vingt pays. Au cours de la période précédente, 1970-1979,
elles n'en recensent qu'une seule sur un total de vingt-neuf crises. Pour leur
part, Stone et Weeks (2001) en recensent six sur la période 1992-1999
sur un échantillon de quarante-neuf pays. Effet, pendant
l'épisode 1977-1998 : Indonésie, Malaisie, Philippines,
Thaïlande, Corée, ont eu à affronter simultanément
une crise de change et une crise bancaire. A priori, en avenir
certain, il est possible selon Boyer de développer trois
hypothèses alternatives simples concernant cette
simultanéité :
· selon une première conception, les crises de
change et les crises bancaires ont les mêmes causes. Cette approche a
été particulièrement utilisée dans le cadre de
l'analyse des échecs répétés dans les pays en
développement des plans de stabilisation de l'inflation par
l'appréciation du change. Ces plans, parce qu'ils suscitent un boom
lié à l'afflux de capitaux étrangers et une
appréciation cumulative du change réel liée au
délai de convergence de l'inflation domestique sur l'inflation mondiale,
créent un déficit courant croissant qui jette un doute sur la
soutenabilité de la politique économique et déclenche une
attaque spéculative. Celle-ci, alimentant une fuite brutale des capitaux
et une dépréciation des actifs, déclenche une crise
bancaire
· dans un deuxième modèle, la crise
bancaire entraîne la crise de change (voir Velasco, 1987)20
par l'intermédiaire de l'émission de monnaie domestique excessive
provoquée par le secours exceptionnel en liquidité que la Banque
centrale apporte au système bancaire pour le stabiliser;
· dans un troisième modèle, Les crises de
change entraînent les crises bancaires, un déséquilibre du
change (en change fixe) à la suite par exemple d'un choc
extérieur entraîne une perte de réserves. Non
stérilisée, elle entraîne une contraction du crédit
bancaire et des faillites des entreprises qui se répercutent sur la
solvabilité du système bancaire (voir Stoker, 1994) 21 . Si le
déséquilibre de change se traduit par une dévaluation,
celle-ci peut entraîner dans un secteur
19 Voir tableau 1
20 Figure 6
21 Figure 7
bancaire exposé au risque de change, des pertes de
change assez considérables pour provoquer des faillites bancaires.
Figure 6. Le mole de Valesco (1987) : les crises
bancaires entrainant les crises de
Figure 7 Le modèe de Valesco (1987) : les crises
bancaires entranent les crises de change
28
Source : Boyer et al. (2004)
Figure 7. Le modèle de Stoker (1994) : les
crises de change entraînent les crises bancaires
Source : Boyer et al. (2004)
Tableau 1. Les crises jumelles
Source : Dehove (2003)
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