Section 2 : La détérioration des
fondamentaux d'aversion pour le risque et de taux d'intérêt
Les fluctuations de l'aversion pour le risque41 des
investisseurs peuvent aussi expliquer les crises sur les marchés
financiers. L'alternance entre des phases d'optimisme, poussant les
investisseurs vers les placements risqués, et des phases de pessimisme,
où ceux-ci se replient vers les placements les plus sûrs, pourrait
être à l'origine de fortes fluctuations des prix d'actifs. Un
problème dans l'évaluation de ces différentes phases est
de bien séparer le risque perçu par les agents de l'aversion pour
le risque elle- même. (Coudert, Gex, 2006)
Les crises financières devraient être
précédées de périodes de montée de
l'aversion pour le risque. 42 En principe, une hausse de l'aversion pour le
risque devrait se traduire par une augmentation des primes de risque sur tous
les marchés mais l'augmentation devrait être plus forte sur les
marchés les plus risqués. C'est sur cette idée qu'est
fondé le GRAI (global risk aversion index) introduit par
Persaud (1996).
Des études récentes montrent que le
modèle de financement des subpri mes a entraîné une
diminution de l'aversion au risque 43 (figure 16) des prêteurs et une
sous-évaluation du risque à l'origine des crédits. La
dissémination du risque, qui est la raison d'être de la
titrisation, s'est accompagnée d'une déperdition d'information
sur le risque des crédits tout au long de la chaîne qui va de
l'emprunteur initial aux acheteurs des tranches de crédit
titrisées. Ce modèle de financement est devenu une machine
à engendrer des pertes. Du côté des prêteurs, la
réduction de l'aversion pour le risque se révèle de deux
manières. Le nombre de prêts hypothécaires acceptés
a été multiplié par deux de 1996 à 2005 ; le spread
des crédits Subpri mes à 30 ans sur les obligations d'état
de même durée a baissé de 225 à 175 points de base
entre 2001 et 2005.
41 La notion d'aversion pour le risque a l'avantage d'être
intuitive, dans la mesure où elle peut être aisément
interprétée comme un sentiment de défiance des
investisseurs vis-à-vis des placements risqués (Coudert, 2006)
42 Il est possible toutefois aussi que certaines crises
financières soient précédées au contraire de
périodes de fort « appétit pour le risque » durant
lesquelles les investisseurs sont exagérément optimistes, ce qui
crée une « bulle spéculative » sur les prix des actifs
risqués.
43 C'est du, entre autres, au fait que les AMR étaient
destinés aux ménages ayant de faibles niveaux d'aversion au
risque et qui refusent ainsi de payer la prime pour une hypothèque
à taux fixe.
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En revanche, depuis août 2007, l'aversion au risque est
bien sûr remontée brusquement pour atteindre un niveau
supérieur à celui atteint en septembre 2001 ou lors du scandale
Enron. Plus précisément, si l'on retient les seuls marchés
obligataires (figure 17), les rémunérations sont de l'ordre de
300 points de base (pb) dans les années 2000 pour les notes BAA et de
800 pb pour les pays émergents (Emerging Markets Bond Index +),
soit un spread de l'ordre de 500 pb. Ce dernier diminue alors
régulièrement pour atteindre 300 pb à partir de 2005, puis
s'annule pratiquement début 2007. La causalité est donc claire :
l'ample liquidité conduit les acteurs à chercher des actifs plus
risqués pour leurs placements, en quête de rendement. (CAE
2008)
La relative faiblesse de papier fait alors baisser les
rendements, autrement dit le prix du risque. Plus le temps passe, plus de
risques sont ainsi pris sans être correctement
rémunérés, en même temps que la volatilité de
l'inflation baisse et que la liquidité globale demeure importante. Les
conditions d'un retournement brutal se mettent en place, mais les acteurs
financiers rechignent à le prendre en compte, retenant l'idée que
les banques centrales continuent de veiller à la stabilité de
l'ensemble.
Figure 16. Baisse de l'aversion au risque
2003-2006
Figure 17. Spreads sur obligations
risquées
Une autre caractéristique frappante de l'environnement
macro-économique mondial a été la baisse du niveau des
taux d'intérêt réels depuis 2001, et en particulier le
déclin marqué depuis l'éclatement de la bulle
technologique à la fin de 2000. Ceci est clairement
démontré par la figure 18, qui est pris de Desroches et Francis
(2007). Les taux sont relativement faibles dans la première partie de la
décennie. Cette faiblesse des taux d'intérêt a
stimulé l'augmentation du financement hypothécaire et des
augmentations substantielles des prix de l'immobilier. Les taux
d'intérêt bas créent un environnement économique
propice à l'emprunt, tandis que le laxisme des normes de prêt a
mis en place un cadre institutionnel accueillant (Bardhan, 2008). De tels
déséquilibres macro-économiques sont plus susceptibles de
précipiter une crise lorsque le système financier est faible, car
les autorités seront moins en mesure de relever les taux
d'intérêt afin d'éviter l'hémorragie de capitaux de
l'économie, ce qui reflète la crainte que la faiblesse des
banques à ne pas faire face aux taux d'intérêt plus
élevés (Eichengreen, 2004)
En effet, la plupart des prêts hypothécaires
subprime sont des prêts à taux ajustables (ARM), avec la variation
d'une structure hybride connu sous l'appellation de 2/28 ou 3/27. Les ARM de
2/28 et de 3/27 ARM portent généralement sur des prêts 30
ans d'amortissement. La principale différence entre ces deux types d'ARM
est la longueur du temps. Dans un ARM de 2/28, le chiffre 2 représente
le nombre des premières années au cours desquelles le taux
hypothécaire reste fixe, tandis que le 28 représente le
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nombre d'années où les taux
d'intérêt payé sur l'hypothèque sera flottant. De
même, le taux d'intérêt sur un ARM de 3/27 est fixé
pour trois ans, après quoi il flotte pour le reste de l'amortissement
qui est de 27 ans. La marge qui est en charge sur le taux de
référence dépend de l'emprunteur, du risque de
crédit ainsi que des marges du marché pour les autres
emprunteurs. Ce taux flotte, il change donc si le taux LIBOR change. Le taux
d'intérêt est mis à jour tous les six mois, sous
réserve de limites appelé plafond d'ajustement. Il y a
un plafond sur chaque ajustement appelé plafond
périodique et un plafond pour le taux d'intérêt sur la
durée du prêt appelé le plafond de durée de
vie.
Figure 18. Prix de l'immobilier et taux
d'intérêt aux Etats-Unis
Au point de départ de la crise, il y a la distribution
de crédits immobiliers à des ménages américains,
dont le taux de défaut a considérablement augmenté (figure
19), à des taux d'intérêt ne reflétant absolument
pas ce risque de défaut (figures 19 et 20).
Figure 19. Taux de défaut sur les crédits
et d'intérêt aux Etats-Unis
Figure 20. L'épargne globale, Investissement et
taux d'intérêt
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