Chapitre 1. Cadre théorique du travail
A. La théorie des prix.
La théorie des prix cherche à expliquer les
phénomènes de marché par les incitations
économiques auxquelles les individus sont confrontés. Le postulat
de base de cette théorie stipule que le marché est l'instrument
idéal pour la circulation des informations sur les choix, il annonce les
prix des offres et des demandes de chacun, elle suppose donc que la structure
de marché influence directement la performance des firmes et du secteur.
Le prix du marché est le seul prix réalisable, ce prix permet
l'ajustement du marché qui est le mécanisme d'équilibre
des quantités offertes et demandées. C'est le
phénomène de la main invisible d'Adam Smith qui fait
référence à la loi de l'offre et de la demande
envisagée dans le cadre d'un marché parfaitement concurrentiel.
Or les conditions d'existence de la concurrence pure et parfaite en tant que
structure de marché sont particulièrement contraignantes. A titre
d'exemple, considérons le marché des
télécommunications :
La concurrence pure et parfaite fait référence
à une structure de marché où les vendeurs et les acheteurs
sont suffisamment nombreux pour qu'aucun ne puisse exercer une influence sur le
prix, seuls les mécanismes du marché déterminent le prix
d'équilibre qui s'impose donc à tous. Une concurrence est pure et
parfaite si elle répond à certaines hypothèses telles :
o atomicité : acheteurs et vendeurs sont nombreux sur
le marché au point que nul ne peut à lui seul influencer les
prix.
o Homogénéité : les produits
échangés sont identiques et substituables les uns aux autres. o
Libre entrée sur le marché : il n'existe aucune barrière
à l'entrée.
o Transparence : l'information des agents économiques est
totale.
Le secteur de la téléphonie est
généralement caractérisé par un petit nombre
d'opérateurs qui se partagent le marché et qui de ce fait peuvent
chacun influencer les prix, ce qui viole la loi d'atomicité. De
même, les produits vendus par les différents opérateurs ne
sont pas forcément homogènes vu que chacun d'eux peut utiliser
des technologies différentes pour satisfaire sa clientèle. La
condition de libre entrée comme caractéristique principale de la
concurrence n'est pas évidente dans le cas du marché des
télécommunications. En effet, les montants nécessaires
pour les investissements initiaux sont importants et ne sont pas accessibles
à tous. D'un autre coté, les opérateurs en place
s'efforcent à différencier leur produit de façon à
fidéliser leur clientèle, ce qui renforce d'avantage les
barrières à l'entrée. Ainsi, parce que ces
opérateurs sont constamment en situation d'interaction
stratégique, et luttent activement pour acquérir de nouvelles
parts de marché, ils considèrent l'information comme une arme
stratégique devant leur permettre d'anticiper les actions ou
réactions de leurs concurrents. De ce
fait, l'information comme ressource est précieuse et
très confidentielle. L'hypothèse de transparence des informations
n'est donc pas vérifiée dans le cas du marché de la
téléphonie. Toutes ces considérations montrent bien que la
notion de concurrence pure et parfaite ne s'applique pas au marché des
télécommunications. Il faut donc intégrer les notions de
monopole et de concurrence imparfaite (concurrence monopolistique et oligopole)
pour expliquer les profondes mutations observées au sein du
système industriel.
A.1. Le Monopole.
On parle de monopole quand sur un marché donné
un seul producteur dessert l'ensemble de la demande des consommateurs. En
situation de monopole, contrairement à ce qui se passe sur un
marché concurrentiel où le marché fixe les prix, le
monopoleur fixe lui-même le prix que les consommateurs doivent payer pour
acheter son produit en fonction de la quantité de bien qu'il veut
produire. La fonction de prix s'écrit alors : P = f(Q).
P
Fig. 1 Détermination du prix en situation
de monopole
Rm
Cm
D
Q
Le profit du monopole étant la différence
entre les recettes et les coûts totaux, si on désigne par Ð le
profit, on peut alors écrire Ð = RT - CT avec RT = P.Q ou bien RT =
Q.f(Q).
On a donc la recette marginale telle que : Rm = dRT/dQ =
f(Q) + Q.df(Q)/dQ.
Le profit est maximisé pour Rm = Cm,
c'est-à-dire lorsque Cm = f(Q) + Q.df(Q)/dQ # Cm < P car df(Q)/dQ
< 0. Donc, le prix payé par les consommateurs est supérieur au
coût marginal.
Ainsi, le monopoleur continue à produire jusqu'à
la dernière unité d'une quantité Q* donnée pour
laquelle les recettes supplémentaires sont supérieures aux
coûts supplémentaires induits par cette unité. Donc le
monopoleur va augmenter son niveau de production jusqu'à ce que le
coût marginal égalise la recette marginale.
En situation de monopole, la société obtient une
quantité de biens inférieure à celle qu'elle souhaite
obtenir pour un prix supérieur au prix d'un marché concurrentiel,
c'est là l'une des principales raisons pour lesquelles les monopoles
sont réprimés.
Cependant, malgré leurs performances jugées non
satisfaisantes du point de vue économique, les monopoles ont surgi dans
certains secteurs pour des raisons d'efficacité économique, on
parle alors de monopole naturel. C'est le cas des
services publics : électricité, eau, transport en commun,
téléphone...
Le monopole naturel.
Le marché des télécommunications a
été exploité dans un cadre très
réglementé. Différents motifs étaient
avancés pour justifier l'intervention de l'État dans ce domaine.
Ils étaient d'ordre militaire : le téléphone, comme tous
les grands réseaux est d'une importance vitale pour la
sécurité intérieure et extérieure du pays
(sécurité du territoire) ; politique : le téléphone
était un service public, au même titre que la fourniture de l'eau
ou de l'électricité, chacun devait pouvoir disposer d'un
accès au téléphone au même prix dans tout le
pays5. Le monopole tient principalement à une raison
économique : le coût d'installation d'un réseau terrestre
classique est énorme. Le premier qui assure cet investissement sur un
territoire donné empêche donc l'entrée de tout nouveau
concurrent dans la mesure où le coût marginal du nouvel
abonné est très faible, une fois l'investissement de base
réalisé.
Un monopole naturel s'installe dans une industrie si les
économies d'échelles sont si fortes, qu'il est plus efficace de
confier la totalité de la production de l'industrie à une seule
entreprise que de la partager entre plusieurs firmes qui, d'ailleurs,
risqueraient de ne pas pouvoir survivre6. Cela arrive par exemple
quand pour le secteur en question, la courbe de coût total moyen est
toujours décroissante.
Quelle que soit sa forme, le monopole reste une situation de
marché qui ne permet pas d'obtenir une condition de production optimale
pour la société. C'est pourquoi, certains secteurs qui à
l'origine ont évolué dans une structure de monopole se sont
transformés en une structure de marché plus concurrentielle
(concurrence monopolistique ou oligopole) procurant un meilleur bien-être
à la collectivité.
La remise en cause du monopole naturel dans les
télécommunications.
Pendant les années 1970/1980, le retour de la doctrine
libérale aux États-Unis et en Grande Bretagne encourage la
déréglementation dans plusieurs domaines comme les transports
aériens ou la finance. C'est également le cas pour les
télécommunications. Un facteur qui amplifie beaucoup ce mouvement
de libéralisation est sans doute le progrès technique. Les
arguments en faveur du monopole naturel, qui étaient tout à fait
valables dans un environnement technique dominé par l'analogique,
disparaissent avec l'arrivée du numérique. La technologie
numérique provoque une baisse des coûts des infrastructures
grâce à l'augmentation des capacités des réseaux et
de leurs fonctionnalités. De cette manière, la
compatibilité des réseaux et la gestion des interconnexions sont
de mieux en mieux assurées. La numérisation a réduit
très fortement les coûts d'investissement et de fonctionnement des
réseaux, il devient possible de concurrencer les grands
opérateurs historiques sur certains segments de marché sans avoir
à procéder à des investissements colossaux.
5 Source : Pierre Sohlberg, Alternatives Economiques
n°149, Juin 1997.
6 Économie des télécoms, J.P. Goulvestre,
1997, p.47-48.
La révolution numérique n'est pas la seule
raison qui a poussé à remettre en cause le monopole naturel. Les
télécommunications sont devenues un facteur stratégique
pour les grandes entreprises. Elles sont de plus en plus attentives à la
gestion de leurs factures et contestent la lourdeur de la réglementation
administrative qui pèse sur le prix des
télécommunications. Un autre aspect est la diversification. Les
télécommunications, ce n'est plus seulement l'acheminement de
communications vocales, mais aussi de multiples services
spécialisés : transfert de données, messagerie,
réseaux d'entreprise reliant leurs différents sites,
téléphonie mobile, etc. Il devient plus difficile de
défendre le maintien d'un monopole sur des activités qui entrent
dans un champ normal d'activités d'autres entreprises, en l'occurrence
les constructeurs informatiques et les sociétés de service. De
plus, la pression de certaines entreprises, attirées par les
bénéfices réalisés par les opérateurs sur ce
marché ainsi que la mondialisation des échanges accroissant la
concurrence pour les transmissions de données, sont autant de facteurs
qui ont accéléré le processus de libéralisation des
télécommunications. Dans cette perspective de remise en cause du
monopole, la concurrence monopolistique et l'oligopole semblent être les
structures de marché concurrentielles les mieux appropriées pour
étudier ce secteur. Ces deux structures de marché seront
analysées en profondeur dans les lignes qui suivent.
A.2. La Concurrence monopolistique.
La théorie de la concurrence monopolistique stipule que
la concurrence monopolistique est un régime de concurrence hybride,
entre le monopole et la concurrence pure et parfaite.
Le marché de concurrence monopolistique est semblable
à la concurrence pure et parfaite en ce sens qu'il peut avoir beaucoup
de vendeurs, mais il s'en distingue parce que les produits sont
différenciés. La structure de marché appelée
concurrence monopolistique correspond à une situation dans laquelle il y
a différenciation du produit, de sorte que chaque entreprise a un
certain pouvoir de monopole, mais il y a également entrée libre,
de sorte que les profits à long terme tendent vers zéro. Plus une
entreprise réussit à différencier son produit par rapport
aux produits similaires vendus par les autres firmes, plus elle dispose d'un
pouvoir de monopole, c'est-à-dire plus la courbe de demande pour son
produit est inélastique. Chaque firme vend sa marque de produits, sa
version du produit qui est différente dans la qualité,
l'apparence, la réputation, etc.
Le secteur est monopolistique dans la mesure où chaque
entreprise est confrontée à une courbe de demande
décroissante pour son produit. Elle a par conséquent certain
pouvoir de marché puisqu'elle peut fixer son propre prix au lieu
d'accepter passivement le prix du marché comme une entreprise
concurrentielle. D'un autre coté il y a concurrence entre les
entreprises pour attirer les consommateurs à la fois en terme de prix et
de type de bien vendu. Quand on procède à une analyse
détaillée d'un marché
de concurrence monopolistique, les caractéristiques
spécifiques des produits et de la technologie et la nature des choix
stratégiques à la disposition des entreprises sont
extrêmement importantes.
Un marché de compétition monopolistique a deux
critères fondamentaux : le premier et le plus important est que les
firmes en concurrence vendent des produits différenciés qui sont
plus ou moins substituables les uns aux autres dépendamment du
degré de différenciation. Le second est qu'il y a libre
entrée et sortie des firmes.
En fait, chaque vendeur travaille sur un marché
distinct de celui des autres vendeurs et s'adresse à un ensemble de
clients dont la fidélité varie. Si l'entreprise hausse son prix,
elle perdra une partie de sa clientèle, mais pas la totalité, au
profit des concurrents. Mais, comme son produit n'est pas un substitut parfait
aux produits des concurrents, même en réduisant son prix, elle ne
peut espérer attirer la totalité de leurs clients, comme ce
serait le cas en situation de concurrence pure et parfaite. Par
conséquent, la courbe de demande d'une entreprise en situation de
concurrence monopolistique révèle une pente négative,
comme celle d'un monopoleur, et non pas horizontale, comme celle d'une
entreprise de concurrence pure et parfaite7.
Il existe plusieurs cas de marché de concurrence
monopolistique comme : le marché des pâtes dentifrices, des
déodorants, du savon de bain, les services médicaux, les
restaurants, ~
A.3. L'oligopole.
L'existence des oligopoles comme structure de marché
découle de la mise en place dans un secteur donné, de
barrières à l'entrée imposées aux entrants
potentiels du secteur. Les principales caractéristiques d'une telle
structure de marché sont l'existence d'un petit nombre de vendeurs, la
diversité des comportements stratégiques des concurrents
évoluant dans le secteur et l'interdépendance des choix de chaque
concurrent sur le comportement de ses rivaux. Le marché de la
téléphonie mobile semble très bien répondre aux
caractéristiques de l'oligopole. En effet, on y dénombre un petit
nombre d'opérateurs desservant l'ensemble d'un marché très
dense où chaque concurrent prend ses décisions en tenant compte
du comportement et des décisions des firmes rivales.
En situation d'oligopole on parle de concurrence potentielle
qui explique comment la menace d'entrée de nouveaux concurrents dans le
secteur amène les firmes déjà présentes sur le
marché à adopter un comportement concurrentiel en fixant leurs
tarifs suffisamment proches de leurs coûts marginaux, de sorte que
l'entrée d'une nouvelle firme risque d'occasionner des pertes dans
l'industrie. Ainsi, on dit que la configuration de l'industrie est
soutenable, si tout nouvel entrant sur le
marché se trouve dans l'impossibilité de réaliser un
profit quand le prix des firmes déjà présentes sur ce
marché reste inchangé.
7 Équilibre de court et de long terme d'une
entreprise de concurrence monopolistique en annexe.
Dans ce cas, l'oligopole en question produit au minimum du
coût moyen satisfaisant la demande, on parle alors de rendements
croissants. Dans le cas où l'industrie produit dans la partie croissante
de la courbe de coût moyen (rendements décroissants), elle est
dite non soutenable. Dans ce cas, une partie de la
demande peut-être satisfaite par un nouvel entrant qui pratique un prix
plus faible, l'autre partie étant soit évincée, ou bien
satisfaite à des prix très élevés. Il en
découle alors une distorsion du marché et une absence
d'équité.
Cependant, nous ne pouvons pas expliquer les performances de
ce marché par la seule connaissance de sa structure comme le veut la
théorie des prix. En effet, la réalité industrielle est
à l'origine des limites de la théorie des prix où la
structure de marché n'explique pas toujours les résultats ou
performances enregistrés dans un secteur. C'est ainsi que, pour
décrire correctement le fonctionnement de plus en plus complexe des
marchés, la concurrence contemporaine doit également prendre en
compte les éléments déterminants de la conduite des
firmes. Dans cette perspective, les théoriciens ont
développé le paradigme Structure-Comportement-Performance comme
cadre de référence visant à combler les imperfections de
la théorie des prix.
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